En suivant Jaurès, retrouver l’idée de souveraineté

Ah ! la souveraineté de la nation et du peuple… Depuis des lustres, elle déchire notre camp politique, la gauche. Et pourtant, elle se réinvite régulièrement dans le débat public, avec d’autant plus de force que la puissance argumentative de tous les propos visant à la reléguer dans le passé ne suffira jamais à effacer la réalité. À preuve, l’annulation récente, sans même information préalable, à l’instigation de Washington, d’une commande de douze sous-marins achetés par l’Australie au profit d’engins américains à propulsion nucléaire. Elle vient rappeler que le mot d’alliances, dont nos gouvernants successifs n’auront cessé de se gargariser à propos de la relation avec la citadelle impériale d’outre-Atlantique, n’a strictement aucun sens dans un monde capitaliste plus que jamais régi par la compétition à outrance et par la violence brute du rapport des forces entre puissances. J’eus pu, tout autant, me référer à d’innombrables autres exemples, à commencer par l’unilatéralisme méprisant du retrait américain d’Afghanistan. Hélas, depuis que ses présidents auront voulu l’adapter aux règles d’airain de la globalisation néolibérale, la France aura progressivement perdu sa voix indépendante sur l’échiquier international, jusqu’à réintégrer le commandement militaire de l’Otan ou à abandonner, au Proche-Orient, ce qu’au temps du général de Gaulle on appelait la « politique arabe ». Ce qui lui aura interdit d’agir, comme elle aurait eu vocation à le faire, eu égard  à une histoire singulière particulièrement marquée par le legs des Lumières et de notre Grande Révolution, en faveur d’un autre ordre du monde, de coopérations solidaires et pacifiques avec les peuples et les nations disposés à les nouer. De nos jours autant que par le passé, les nations demeurent le cadre à travers lequel les citoyens cherchent à exercer leur souveraineté démocratique. Il serait, pour cette raison, grand temps que l’on retrouve, à gauche, la pensée de Jean Jaurès, toujours aussi moderne, en ce domaine comme en tant d’autres. À défaut de le faire, nous laisserons de sombres aventuriers tenter de dévoyer les attentes populaires et de mener le pays vers le pire. Il se trouve que, ce 4 septembre, et pour la deuxième fois, la fédération communiste de Haute-Garonne aura organisé un colloque à l’occasion de l’anniversaire de la naissance du grand tribun. Y étaient conviés, salle du Sénéchal à Toulouse, dans l’amphithéâtre même où Jaurès enseigna, Gilles Candar, le président de la Société d’études jaurésiennes, Patrick Le Hyaric, le directeur de l’Humanité, Rémy Pech, l’ancien président de l’université de Toulouse-Le Mirail, Charles Silvestre, le vice-président des Amis de l’Humanité. Avec Gilles Candar, j’y suis intervenu sur le thème : « Jaurès et la souveraineté nationale. » Vous trouverez ci-dessous ma communication.

« Il faut reconnaître que, des Internationales des XIX° et XX° siècles jusqu’à nos jours, la gauche et le mouvement ouvrier ne se seront jamais montrés à l’aise avec l’idée de nation. C’est d’ailleurs sur ce constat que l’historien Jean-Numa Ducange ouvre son dernier ouvrage (1)

« On peut, dans l’histoire, recenser plusieurs attitudes en son sein. Il y eut d’abord ceux qui, à l’occasion des grands cataclysmes du siècle dernier, n’auront pas hésité à s’aligner sur le militarisme, le nationalisme chauvin, les intérêts de leurs propres impérialismes, les expansions coloniales. Ceux-là, juste après l’assassinat de Jaurès, se seront illustrés dans la politique d’Union sacrée au service d’une guerre vite devenue mondiale. 

« On en vit d’autres qui, tenants d’une intransigeance révolutionnaire affichée, auront voulu tenir à distance l’idée de nation, estimant qu’elle éloignait le prolétariat de ses intérêts de classe. Le socialiste Gustave Hervé, qui devait toutefois rejoindre l’Union sacrée en 1914, sera ainsi allé jusqu’à considérer qu’il importait peu aux travailleurs de savoir s’ils étaient Allemands ou Français…

« Il faut également relever, en suivant d’ailleurs l’une des remarques de Jean-Numa Ducange, que toute une aile du mouvement socialiste naissant s’en sera pris avec une grande violence aux positions de Jaurès — et, plus généralement, d’une partie des socialistes français — sur la nation et la République, par crainte de la radicalité qu’imprimait dans les consciences ouvrières la mémoire de la Révolution française. Ce fut le cas d’Eduard Bernstein, figure de l’aile droite de la social-démocratie allemande, qui se démarquait radicalement des positions de Marx et, à ce titre, aura été qualifiée de « révisionniste », …

« Au demeurant, on peut comprendre que c’est du fait de l’horreur qu’aura légitimement suscité la barbarie des deux guerres mondialisées ayant ravagé le XX° siècle, qu’une large partie de la gauche et du mouvement ouvrier voulut évacuer le débat et dépasser au plus vite les nations dans l’avènement d’une République universelle.

RÉALITÉ PERSISTANTE DES NATIONS

« Sauf que les nations sont restées, jusqu’à nos jours, une réalité incontournable. Les peuples ont des histoires, complexes et tourmentées sans doute, mais qui ont déterminé des spécificités culturelles, des modes de vie et de pensée particuliers, des traditions politiques auxquelles ils sont attachés. Dans la mesure où ceux-ci se seront forgés à la chaleur de processus longs et sur des territoires déterminés, ils auront conféré aux nations leurs densités sociales. Rien d’étonnant, par conséquent, que celles-ci soient toujours perçues par les peuples comme des structures protectrices essentielles, et comme les cadres incontournables de l’exercice démocratique.

« Je n’ignore pas que le mouvement des ‘’ Gilets jaunes ‘’ aura revêtu des traits divers, et même contradictoires. Cela dit, que dans ses manifestations, on ait vu tant de drapeaux tricolores déployés et entendu tant de Marseillaise chantées n’était pas principalement la marque de l’influence de courants d’extrême droite, quoique lesdits courants s’y soient bel et bien montrés actifs. Au plus profond d’un phénomène ayant mobilisé tout un secteur du salariat, celui qui, relégué dans des territoires péri-urbains délaissés et dans de petites entreprises, se sentait devenu invisible, s’affirmait à travers ces expressions une volonté de se réapproprier la nation contre des politiques qui en bafoue la libre détermination.

« Au fond, Ernest Renan avait, en 1882, dans son célèbre ouvrage Qu’est-ce qu’une nation ?, bien perçu le problème lorsqu’il écrivait : ‘’ Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons. ‘’ On remarquera que Renan lui-même, dans ce texte, semblait penser que les cadres nationaux seraient vite dépassés au XX° siècle, ce qui n’aura pas été le cas.

« Force est même de constater que la question est, de nouveau, replacée avec force au centre du débat public.  

LES ILLUSIONS MORTIFÈRES EN LA GLOBALISATION

« La tentative d’unification du monde par le marché, qui se trouve aux fondements de l’actuelle globalisation capitaliste, révèle chaque jour qu’elle n’était qu’illusion. La planète a fini par basculer dans l’instabilité et l’inconnu. L’affaiblissement du leadership de la puissance nord-américaine sur le monde ouvre une ère de redistribution des cartes, de réorganisation des hiérarchies de dépendance. Ce qui engendre le choc violent des concurrences et des rivalités entre puissances, lesquelles entraînent la multiplication des tensions internationales et des conflits guerriers.

« Peut-on aujourd’hui comprendre la façon dont les États-Unis se sont retirés d’Afghanistan, sans voir qu’ils auront cherché à tirer parti de l’échec d’une intervention vieille de 20 ans en portant le chaos à l’échelle de toute une région du globe, en l’occurrence l’Asie centrale, où se trouvent directement impliquées leurs trois principales obsessions : la Chine, la Russie, et l’Iran ?

« Dans le même temps, sous les coups de boutoir de la mondialisation marchande et financière, les peuples, les classes travailleuses, se voient confrontés à la remise en question de toutes leurs conquêtes. Les inégalités flambent, le travail humain et la nature subissent une exploitation de plus en plus féroce. Dans un pays comme le nôtre, le tissu industriel aura été déchiré au fil des délocalisations et fermetures d’entreprises organisées par de grands groupes multinationaux ne se préoccupant que de l’application du fameux dogme du rendement maximal pour les actionnaires. Et tout ce qui pourrait représenter un point d’appui pour les résistances sociales se trouve systématiquement détruit ou affaibli, à commencer par la démocratie — on voit, par exemple, quel régime autoritaire la présidence Macron tente d’installer dans notre pays pour mener à bien ses choix néolibéraux —, mais aussi dans ce contexte les nations.

TROIS RÉPONSES À COMBATTRE

« À cet égard, nous voyons s’affirmer trois réponses prétendant traiter la question de la nation. 

« Il y a celle qui considère que la globalisation s’avère un horizon incontournable, et qu’il n’existe d’autre avenir pour les nations que leur dissolution dans des constructions fédéralistes, qui ne sont rien d’autre que les leviers politiques des stratégies néolibérales. C’est le défi auquel nous confronte ce qu’est l’Union européenne (je devrais plutôt dire ce qu’elle est devenue). On se souvient qu’Emmanuel Macron, à l’appui de ses appels à une fantomatique ‘’ souveraineté européenne ’’ reprend volontiers la diatribe de François Mitterrand, au temps où il s’efforçait de convaincre les Français d’approuver le traité de Maastricht, sur la ‘’ lèpre nationaliste ’’

« Remarquons ici, puisque j’évoque un président socialiste, qu’il existe une variante de gauche de l’approche fédéraliste. C’est celle qui, sans en nier les dangers immédiats de régressions, considère qu’elle posera à terme, quasi-naturellement, la question de son contenu social. C’est ce qui a conduit la social-démocratie européenne à justifier son ralliement à des traités libéraux gravant dans le marbre le principe de ‘’ concurrence libre et non faussée ‘’, au nom d’une future Europe sociale. Problème, le fédéralisme libéral, autant que l’idéologie post-nationale qui a emporté une partie de la gauche, se révèle un miroir aux alouettes. Au fil du temps, l’Union européenne est devenue le cheval de Troie de politiques qui dévastent les conditions d’existence, les droits essentiels et la capacité de décision du plus grand nombre des Européens.

« Ce qui alimente une troisième réponse, celle de la droite ultra et de l’extrême droite, qui se saisissent des dévastations sociales et démocratiques engendrées au fil des ans pour encourager les replis nationalistes, creuser les divisions au sein des sociétés, pousser à la haine de l’Autre, de l’étranger, de celui ou de celle qui possède une origine ou une culture différentes. Le fait que la gauche, le mouvement ouvrier, ne disposent plus d’aucun logiciel cohérent à même de rassembler largement, y compris sur la conception d’une nation émancipatrice et résolument tendue vers l’universel, n’est pas pour rien dans leurs faiblesses actuelles, dans leur inaudibilité, dans leur éloignement de tout un pan des classes travailleuses. Celles-ci le leur font d’ailleurs payer en manifestant leur défiance envers la politique par un abstentionnisme record, lorsqu’elles n’égarent pas leur colère en se jetant dans les bras d’aventuriers totalitaires.

DE L’ACTUALITÉ DE LA PENSÉE JAURÉSIENNE…

« C’est de ce point de vue que se réapproprier la pensée de Jaurès et la mémoire de ses combats est essentiel.

« Jaurès porte, à partir de l’histoire française, une vision de la nation qui s’inscrit dans le droit fil de la Grande Révolution : le peuple et la nation sont indissociables. Il adhère pleinement à l’idée robespierriste selon laquelle la nation est le ‘’ corps politique ’’ du peuple. Dans cette conception républicaine et révolutionnaire, la nation ne saurait être constituée sur des critères ethniques, ni se chercher une légitimité dans un quelconque héritage religieux. Elle est politiquement définie comme communauté de citoyens, que ne distinguent ni leurs origines, ni leurs couleurs de peau, ni leurs convictions intimes. Et cette communauté se constitue à travers le principe de souveraineté du peuple. 

« Des lecteurs pressés de Marx et Engels ont souvent cru que Jaurès se voulait en rupture avec la célèbre phrase du Manifeste : ‘’ Les prolétaires n’ont pas de patrie. ’’ Il y voyait surtout une ‘’ boutade passionnée ‘’ puisque, lecteur attentif de Marx, il savait que celui-ci avait corrigé la formule en précisant que ‘’ le prolétariat doit conquérir tout le pouvoir politique, s’ériger en classe nationale souveraine ’’. L’utilisation, ici, du terme national n’a évidemment rien de fortuit…

« À partir de cette filiation de la nation française avec la Révolution, Jaurès fait découler plusieurs conclusions fondamentales. Il en déduit d’abord que c’est dans le cadre de la nation que s’exprime la démocratie, mais aussi la puissance du prolétariat. Il constate ensuite que la force de la démocratie est indissociable du sentiment national, puisqu’il n’existe d’autre source de la légitimité démocratique que celle du peuple constitué et indépendant. Il considère encore que la patrie — Jaurès ne distingue pas vraiment les termes de patrie et de nation —n’est pas simplement la condition de la démocratie, mais qu’elle est aussi un facteur essentiel de la construction de l’identité sociale de la classe travailleuse. Enfin, il ne cesse de marteler que le patriotisme qu’il revendique procède d’une tout autre approche que celle, nationaliste et chauvine, de courants qu’il qualifie de ‘’ chacals du patriotisme rétrograde ’’

« Le patriotisme, comme émanation d’un sentiment d’appartenance, n’est donc pas, à ses yeux, un moyen d’affirmer une identité s’opposant à l’identité des autres peuples, mais au contraire une spécificité qui permet de mieux accorder les différences. Dans l’objectif de construire des coopérations entre les peuples, Jaurès indique très clairement que l’unité humaine se réalisera par la libre fédération des nations autonomes, se soumettant à des règles générales de droit, à travers ce qu’il désigne comme ‘’ la continuation de l’idée de patrie jusque dans l’humanité ’’

« Que pouvons-nous en retirer pour notre action d’aujourd’hui ? 

« En premier lieu, qu’il importe d’opposer aux approches réactionnaires, ethniques ou religieuses, de la nation la vision universaliste qui lui vient de son fondement révolutionnaire en France.’’ Nous voulons, écrit Jaurès, que la France ait dans le monde une grande mission historique et morale’’, aux antipodes ‘’ de toute politique d’aventure et de revanche ’’

« En second lieu, nous pouvons suivre Jaurès pour considérer qu’il est décisif que le monde du travail ne laisse pas la nation aux mains de ses pires ennemis. À Gustave Hervé, il dit par exemple ceci : ’’ Vous avez, à l’égard de la patrie, l’état d’esprit que les ouvriers, il y a un siècle, avaient à l’égard des machines : il ne faut pas que le prolétariat brise ses machines, mais qu’il s’en empare, il ne faut pas qu’il brise la patrie, mais qu’il la socialise. Plus les ouvriers sont une classe, plus ils sont une patrie ; ils auront tout à fait la patrie quand ils seront la classe souveraine. ’’

« Enfin, Jaurès nous rappelle que ce qui unifie conception de la nation, défense de la démocratie autant que de l’égalité réelle, et émancipation humaine par la visée du socialisme, du collectivisme et du communisme — on sait qu’il utilise assez indistinctement ces trois termes —, c’est la souveraineté. 

« Pour lui, souveraineté de la nation, souveraineté du peuple, souveraineté du travail ne font qu’une, et c’est dans la République ‘’ poussée jusqu’au bout ’’, c’est-à-dire jusqu’à la République sociale, que cette unité se réalise. Dans L’Armée nouvelle, il le résume de cette manière : ‘’ À mesure que les Hommes progressent et s’éclairent, la nécessité apparaît d’arracher chaque patrie aux classes et aux castes pour en faire vraiment, par la souveraineté du travail — je souligne la place cardinale que revêt, à ses yeux, ladite souveraineté du travail — la chose de tous. ’’

… AU PROJET POUR LA FRANCE D’AUJOURD’HUI

« Pour le dire autrement, une gauche à la hauteur de sa mission se doit impérativement de mettre dans le débat public un projet pour la France. 

« Un projet où la perspective d’une nouvelle République repose sur sa majorité sociale, le monde du travail qui forme désormais l’écrasante majorité des Français, cette majorité devant disposer de nouveaux pouvoirs à tous les niveaux, celui de l’État, celui des communes comme des départements, et celui des entreprises (les travailleurs doivent cesser d’être ‘’ serfs ‘’ à l’entreprise quand les citoyens sont réputés rois dans la Cité, disait Jaurès). Et la condition d’une démocratie revitalisée passe par le retour de la souveraineté de la nation et du peuple, les deux étant indissolublement liées. 

« C’est, de nos jours, une dimension essentielle que de nous fixer l’objectif de ne plus être assujettis à des alliances imaginées pour servir des desseins de puissance, comme l’est l’Otan, cette machine de guerre au service des États-Unis. Ni à des textes qui bafouent les aspirations des peuples et leurs droits sociaux dans le but d’accoucher d’une construction transnationale au service exclusif des marchés financiers, à l’instar des traités européens. Je ne résiste pas, à ce propos, à vous citer ce texte prémonitoire, dans lequel Jaurès, en 1898, souligne la tentation qu’aura toujours le capital de faire de l’Europe une machine d’asservissement, si le camp du travail ne lui oppose pas un rapport de force à même d’en faire un instrument de progrès et de fraternité humaine. Il dit : ‘’ Nous savons que dans l’état présent du monde et de l’Europe, les nations distinctes et autonomes sont la condition de la liberté humaine et du progrès humain. Tant que le prolétariat international ne sera pas assez organisé pour amener l’Europe à l’état d’unité, l’Europe ne pourra être unifiée que par une sorte de césarisme monstrueux, par un saint empire capitaliste qui écraserait à la fois les fiertés nationales et les revendications prolétariennes. Nous ne voulons pas d’une domesticité internationale. Nous voulons l’Internationale de la liberté, de la justice et du droit ouvrier. ‘’  

« Ce qui m’amène directement à cette autre exigence que doit affirmer un projet de gauche pour la France : faire en sorte que celle-ci recouvre une voix forte et indépendante dans les rapports internationaux. Non pour se replier égoïstement sur elle-même, mais pour favoriser de nouvelles coopérations entre les peuples, fondées sur l’égalité et la recherche de la justice.

« Ici encore, la pensée jaurésienne a de quoi nous inspirer. N’oublions pas que c’est à partir de ses conceptions intimement reliées de la défense de la patrie, de l’indépendance nationale, de la démocratie et du socialisme, que Jaurès faisait découler des propositions d’organisation de la paix mondiale, le refus de la colonisation, le respect des intégrités nationales, et la revendication d’un arbitrage international afin d’aboutir à un système de sécurité collective. C’est ce que recouvre pratiquement sa célèbre formule : ‘’ Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène. ’’

« J’ajoute, pour conclure, que Jaurès nous appelle encore, à plus d’un siècle de distance, à nous ré-emparer de sujets que, depuis le Programme commun de la gauche, même notre parti a quelque peu négligés bien qu’ils se révèlent essentiels dans la définition d’une alternative de progrès. Je pense, entre autres, à la défense nationale, qu’il avait, en son temps, abordée avec une proposition de loi en dix-huit articles accompagnée d’un exposé des motifs de quelque 450 pages.  Cela aura donné cette publication lumineuse qu’est L’Armée nouvelle. L’idée en était d’exposer une ’’ méthode défensive totale ’’, conduite non par une armée séparée du peuple, mais par la ‘’ nation armée ‘’»

En achevant, ce 4 septembre, mon propos sur cette considération, j’avais une intention précise : souligner qu’aucun domaine ne saurait échapper à la réflexion d’une gauche ne se dérobant pas aux responsabilités du pouvoir sans pour autant renier ses engagements. Sans doute, à l’heure de l’arme nucléaire comme des révolutions informationnelle et numérique, les problématiques militaires ont-elles profondément changé. L’idée n’en demeure pas moins, d’une très grande modernité, que la défense de la nation est une chose trop sérieuse pour être laissée à des hiérarques militaires ignorants du peuple. Au-delà, en un mois, les participants et participantes du colloque auront pu constater à quel point il nous est indispensable de retrouver le meilleur de notre héritage. Ce mois de septembre aura, en effet, été marqué par les tirades obsessionnelles d’un personnage aussi fanatisé qu’hyper-médiatisé, tenant d’un identitarisme où se mêlent révision de l’histoire, rejet du progrès et de la Raison, récusation de l’héritage de 1789 par détestation de ces moments où le peuple français aura pris son destin en main et porté en direction du reste du monde le message de la fraternité humaine. La France que nous aimons n’est certainement pas celle, haineuse et rance, des Drumont, Vacher de Lapouge, Maurras ou Bainville. Elle n’est pas davantage celle qui s’abandonne aux communautarismes dressant les uns contre les autres des citoyens que tout doit amener à s’unir pour le bien commun. Elle est celle qui, de la proclamation de la I° République à l’affaire Dreyfus, de 1936 à la résistance au fascisme, de la lutte anticolonialiste à la défense d’une laïcité de combat, a toujours préféré le soulèvement à la servitude, la conquête de l’égalité réelle au consentement à l’injustice. Jaurès a su parler d’elle avec un talent et une passion à ce jour inégalés. Une gauche déterminée à réveiller un espoir pour un pays se cherchant un avenir doit avoir à coeur de faire siennes les apports de sa pensée puissante.

1. Dans Quand la gauche pensait la nation (Fayard 2021), il écrit : « D’un pays à l’autre, la configuration change mais une même question occupe tous les esprits : faut-il défendre la nation ? De fait, un des principaux débats traversant organisations et mouvances concerne l’attitude à adopter par rapport à la pertinence du cadre national : son dépassement est-il à l’ordre du jour et inévitable (dans le cadre de l’Union européenne tout particulièrement), ou bien est-il finalement (re)devenu le nécessaire levier d’une politique alternative ? »

Christian_Picquet

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