“Laïque, démocratique, sociale” : la République !

(Cette note a été modifiée le 3 décembre 2021)

Pas de doute là-dessus ! La République, avec ses principes cardinaux d’égalité et de fraternité qui confèrent toute sa portée à celui de liberté, se trouve être l’enjeu majeur de la campagne en vue de la présidentielle et des législatives de l’an prochain. 

Si l’on en voulait une énième confirmation, le clip servant de support à la déclaration de candidature du sieur Zemmour, ce 30 novembre, la fournirait. Achevant son propos, prononcé dans une ambiance sépulcrale, il dit : « Vive la République, et surtout vive la France ! » Tout se trouve résumé dans ce « et surtout ». L’invocation de la France millénaire, véritable mantra de la profession de foi zemmourienne, n’a en effet qu’un objectif : ressusciter une droite stigmatisante et complotiste qui n’aura jamais cessé de détester l’oeuvre de notre Grande Révolution, laquelle a fait de la France une nation de citoyens, dotés de droits égaux et ne devant pour cette raison être discriminés ni en raison de leurs origines, ni du fait de leurs couleurs de peau, ni pour leurs religions ou convictions intimes ; dissocier, ce faisant, l’histoire de France de celle de notre construction républicaine, alors que depuis plus de deux siècles elles se sont confondues pour écrire un récit qui parle toujours aux peuples en quête d’émancipation. 

CLIMAT POISSEUX ET INQUIÉTANT

Il aura rarement été aussi décisif de le rappeler avec force. À cinq mois du scrutin capital de la V° République, les discours de haine tendent à écraser le débat public sous la puissance de feu idéologique que l’hyper-concentration de l’univers médiatique offre à de puissants personnages, déterminés à faire surgir au plus vite l’offre autoritaire correspondant à leur intérêt de classe bien compris. Les effets s’en font d’ores et déjà sentir, lorsqu’il est courant d’entendre proférer, du côté de partis censés appartenir  à « l’arc républicain », des sentences du type « la prison et l’avion ! » pour  parler des justiciables issus de l’immigration, ou encore, concession funeste à la théorie nauséabonde du « Grand remplacement », « il y a des gens qui veulent détruire notre culture, qui veulent détruire notre civilisation »

Pareil contexte tend à installer dans les esprits l’idée que notre société se fracturerait désormais entre « nationaux » et « étrangers » — par nature suspectés de vouloir désintégrer l’identité du pays —, « Français de souche » et « Français de papier », selon la distinction établie depuis toujours par l’extrême droite pour justifier son projet de remodèlement ethnique de la nation. Il s’avère de nature à encourager les attaques antisémites, la dénonciation des personnes de culture ou de religion musulmanes, les attitudes discriminatoires, le passage à la violence de la part de groupes prenant au sérieux les appels à une guerre civile prétendument réparatrice. 

Est-ce un hasard si les services de police multiplient, ces derniers temps, les coups de filet dans une mouvance fascisante tentée par le terrorisme, et s’ils avouent redouter qu’un de ces prochains jours un fanatique en vînt à vouloir imiter Anders Breivik, l’activiste auteur d’un massacre ayant coûté la vie à de nombreux jeunes socialistes norvégiens en 2011 ? Doit-on ignorer la prolifération de déclarations ignominieuses, telle celle d’un personnage connu de l’extrême droite française, qui appelle à la tenue de réunions « garanties sans Licra ajouté et Crif zéro pour cent » ? Il ne faut pas avoir la mémoire courte et ignorer les exemples vécus un peu partout sur le globe : les mots peuvent tuer…

C’est ce qui a conduit le groupe de la Gauche démocratique et républicaine à déposer devant l’Assemblée nationale une proposition de résolution demandant au Garde des sceaux de rappeler aux juges judiciaires et aux parquets que la loi de 1881 réglementant la liberté de la presse permet de condamner à une inéligibilité de cinq années les auteurs d’incitation à la haine raciale. Il revenait à Fabien Roussel de la défendre devant les députés, ce 2 décembre.

LA RÉPUBLIQUE N’EST PAS UN RÉGIME NEUTRE

Nul ne peut sincèrement voir ici une tentation de recourir à une législation de circonstance, puisque la sanction fait déjà partie de l’arsenal à disposition des tribunaux. Encore moins, y cherchera-t-on l’obscure volonté de réduire au silence des courants politiques adverses. Simplement, les parlementaires communistes ont voulu, en responsabilité, rappeler que depuis ses origines, la République n’est pas un régime neutre. Ses textes fondateurs en ont fixé la particularité en la définissant comme un appel permanent à résister à toutes les oppressions, à défendre les valeurs fondamentales grâce auxquelles chacune et chacun peut faire valoir ses droits individuels autant que collectifs, affirmer ses options et assumer ses croyances. 

Dès avant que la monarchie fût abattue, en août 1789 pour être précis, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen établissait ainsi le droit à combattre les adversaires de la démocratie lorsqu’ils prétendent profiter des moyens qu’elle offre pour mieux la détruire : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits le plus précieux de l’Homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans le cas déterminé par la Loi. » 

Il n’est, au demeurant, pas inutile de souligner que cette « exception française », qui nous distingue entre autres des États-Unis où l’expression raciste n’est pas interdite, s’est au fil du temps révélée contagieuse. Pour n’évoquer que ce cas, nos voisins allemands, dont l’exemple est si souvent invoqué lorsqu’il s’agit de défendre les traités néolibéraux européens, auront après-guerre adopté le principe de la démocratie « combative » ou « apte à se défendre », dans le but de faire obstacle au retour des nostalgiques du racisme exterminateur dans la vie politique outre-Rhin.

D’aucuns auront pourtant attaqué l’idée d’inéligibilité en parlant d’atteinte à la liberté d’expression. Mais peut-on légitimement considéré qu’un individu se présentant au suffrage populaire, a fortiori lorsqu’il convoite la première charge de l’État, peut s’affranchir en toute impunité du respect des règles et devoirs inclus dans une Constitution stipulant que « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés » ? Au demeurant, le racisme n’étant pas une opinion comme une autre mais un délit, une peine considérée comme incontestable s’agissant d’un individu responsable de détournement de fonds publics ou d’agressions sexuelles, serait-elle moins justifiée pour les auteurs d’incitation à la haine de l’Autre ?

D’autres auront pu laisser entendre qu’il y aurait danger à offrir aux juges davantage de pouvoirs. Sauf que les magistrats n’ont d’autres marges d’appréciation que celles que leur donne le législateur, et qu’en l’espèce il s’agit simplement de leur rappeler que la loi leur permet de souligner la gravité d’un acte ou d’une parole racistes en prononçant l’inéligibilité, sachant que le principe de l’individualisation des peines leur laisse, in fine, la totale liberté d’user ou non des articles à leur disposition.

Chacune des forces politiques représentées au Palais-Bourbon sera, par conséquent, le 2 décembre, placée devant un choix essentiel, et elle devra en rendre compte devant l’opinion démocratique. Toutes sont confrontées à la nécessité de construire un rapport de force à la hauteur d’un défi politique essentiel. 

C’est ce qui motivait déjà, en un moment où l’extrême droite et l’abomination raciste commençaient à monter en puissance, la proposition de « loi Gayssot » qui devait, en 1990, renforcer les moyens de la lutte contre les appels à la haine et la négation des crimes contre l’humanité. C’est à elle que l’on doit l’inclusion dans le droit français d’une possible peine d’inéligibilité des individus condamnés pour racisme. Le rapporteur de ce texte, le député de Seine-Saint-Denis François Asensi, avait d’ailleurs à l’époque parfaitement justifié le recours à cette mesure de protection de la démocratie, en indiquant qu’elle était bien plus adaptée que l’amende ou la prison pour sanctionner « celles et ceux qui veulent faire commerce des thèmes racistes afin de prospérer électoralement »

QUAND LE PACTE DE LA LIBÉRATION EST DIRECTEMENT VISÉ

L’enjeu est, cette fois, constitué par le danger de basculement politique et idéologique auquel la banalisation des actes et propos racistes confronte la nation. Ni plus, ni moins… D’autant que le problème ne se résume pas, hélas, aux tirades décomplexées qui se proposent d’imposer à notre pays un apartheid qui ne dit pas son nom. À travers ces harangues détestables, se trouvent visées les bases sur lesquelles la République  aura été rétablie, et refondée, au lendemain de la Libération. 

Après le sordide épisode de Vichy, au travers des développements du programme du Conseil national de la Résistance, puis de leur synthèse en 1946 dans le préambule de la Loi fondamentale, un postulat se trouvait solennellement affirmé : de la reconnaissance, pour chacune et chacun, à égalité de droits et de devoirs, d’une citoyenneté pleine et entière, quels que soient son sexe ou son origine, découle la liberté pour le peuple de déterminer son destin. Jusqu’à lui permettre d’évincer « les grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », pour reprendre les termes des forces patriotiques unies au sein du CNR.

À 75 ans de distance,  la lecture du préambule de 1946, que le général de Gaulle ne put éviter d’intégrer à sa propre Constitution en 1958, résonne comme un appel au soulèvement citoyen pour le droit et l’égalité réelle. Non content de réaffirmer solennellement les libertés fondamentales, il proclame les « droits égaux entre femmes et hommes », l’accueil « de tout Homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté », le droit pour tous d’obtenir un emploi et de se défendre par l’action syndicale, l’implication de « tout travailleur » dans la « détermination collective des conditions de travail ainsi (que dans) la gestion des entreprises », l’appropriation par la nation de toute entreprise ayant « les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait », la garantie pour « tout être humain » d’obtenir « de la collectivité des moyens convenables d’existence », « l’égal accès de l’enfant ou de l’adulte à l’instruction et à la formation professionnelle et à la culture », le « devoir de l’État » d’organiser « l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés »… Pour le dire autrement, ce texte se situe dans le droit fil des travaux des premiers constituants qui, au XVIII° siècle et à l’invitation de Robespierre, considéraient que le « droit à l’existence » serait toujours supérieur aux prérogatives de la propriété de quelques-uns.

Rien de surprenant si, des rangs d’une droite et d’une extrême droite dont le projet de société tend à la liquidation de conquêtes considérées comme « collectivistes », s’exprime aujourd’hui le souhait de faire disparaître un texte aussi porteur d’espérance. Longtemps, les partis concernés durent ronger leur frein, se contenter de vider de contenu des prescriptions hautement progressistes. L’affaiblissement du mouvement populaire, conjugué à la droitisation du climat politique hexagonal, leur laisse à présent entrevoir l’occasion de sortir du bois. 

 La dynamique de la bataille engagée, en ce début décembre, depuis l’hémicycle de l’Assemblée, apparaît ici dans toute sa cohérence. De la défense du droit universel au travail, à la sécurisation de l’emploi et de la formation, revendiqués avec force le 21 novembre à Paris autour de Fabien Roussel, à la lutte bec et ongles contre le racisme et l’antisémitisme, c’est un seul et même objectif qui se trouve visé : cette « République laïque, démocratique et sociale » pour laquelle nos anciens n’hésitèrent pas à acquitter le prix du sang.

Il se trouve que, à une poignée de jours près, la proposition de résolution communiste coïncide avec la date de l’exécution, le 15 décembre 1941, par les nazis au Mont-Valérien, de 75 otages parmi lesquels se trouvait Gabriel Péri. Nous en commémorerons donc, cette année, le 80° anniversaire. En se mobilisant partout, pour opposer un « non » déterminé au reniement de l’identité républicaine de la France, hommes et femmes de gauche, progressistes et républicains, jeunes et moins jeunes, auront à coeur, j’en suis certain, de faire savoir qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot…

PS. La vérité des actes se sera, en fin de compte, imposée à l’issue de la discussion de la résolution déposée par les députés communistes et républicains, ce 2 décembre. Si l’on ne peut que se féliciter que la gauche ait su faire front commun pour, simplement, rappeler que la loi autorise les tribunaux à déclarer inéligibles les fauteurs de racisme, le vote de La République en marche et de ses alliés aura rendu minoritaire la proposition.

Sans surprise, la droite aura, sans états d’âme apparents, boycotté une discussion destinée à favoriser une meilleure application de la loi républicaine. Ce qui ne peut plus surprendre quiconque après que le débat entre candidats Les Républicains à la magistrature suprême ait révélé l’ampleur de la zemmourisation, ou de la lepénisation, des programmes du côté de cette famille politique. Monsieur Ciotti, arrivé en tête du premier tour de la primaire fermée organisée par cette dernière, ne va-t-il pas, entre autres, jusqu’à préconiser la sortie de la Convention européenne des droits de l’Homme — pourtant signée par l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe depuis… 1950 —, l’inscription dans la Loi fondamentale de la référence aux « origines judéo-chrétiennes » de la France — ce qui revient, d’un trait de plume, à abolir la laïcité de l’État, la République ne s’étant jamais reconnue d’autre légitimité que la souveraineté de la collectivité citoyenne, et certainement pas des racines religieuses plus que contestables —, ou encore l’obligation faite aux élèves de porter un uniforme et d’honorer la levée de nos trois couleurs — ce qui aboutit à transformer nos établissements scolaires en simili-casernes. 

C’est cependant l’attitude de la Macronie qui s’avère la plus révélatrice. Qu’importent, au fond, des justifications officielles n’ayant fait que reprendre celles dont je relevais l’inanité dans cette note. On aura, par exemple entendu la représentante du groupe LREM, Madame Avia, en appeler à la « distance » et à la « constance » pour mieux laisser entendre que la résolution communiste eût pu s’assimiler à une « immixtion » dans le travail des juges, et le Garde ses sceaux, Monsieur Dupont-Moretti, avouer piteusement que son attitude était motivée par de purs considérants de tactique électorale. 

On aura, de ce fait, assisté à une triste forfaiture. Je pèse mes mots, mais il faut bien mesurer combien est odieuse cette duplicité d’un discours qui se targue de vouloir défendre une France « ouverte » contre les tenants du repli xénophobe, pour à l’inverse jouer cyniquement avec le déchaînement des prêches haineux visant les étrangers, les Juifs ou quiconque est jugé intolérablement différent. Un déchaînement dont la majorité espère évidemment tirer un bénéfice électoral, si son chef élyséen devait affronter l’extrême droite au second tour de la présidentielle. 

Le résultat est que ces gouvernants sans principes n’auront pas hésité à délivrer un message de tolérance aux porteurs d’une parole nauséabonde. Le fond de l’air est décidément de plus en plus frais… 

Christian_Picquet

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