Battre Le Pen, faire élire le maximum de députés de gauche
Ainsi, les urnes viennent-elles de délivrer leur verdict. Le premier tour de cette élection présidentielle vient d’accoucher d’un paysage entièrement bouleversé. Impasse d’un modèle néolibéral en bout de course, crise sociale explosive et épuisement de l’ordre politique sous lequel nous vivions depuis quelques décennies se sont conjugués pour rendre désormais l’avenir totalement incertain. Le nouveau choc Macron-Le Pen n’est, à cet égard, pas la simple réédition de celui de 2017, il ouvre une réelle possibilité de victoire à une extrême droite qui n’a jamais été aussi puissante depuis la Libération. Quant à la gauche, si le phénomène du mal-nommé « vote utile » a redistribué les cartes en son sein, et si sa progression, avec le succès de Jean-Luc Mélenchon mais aussi avec les quelque 800 000 voix recueillies par Fabien Roussel, est en soi une bonne nouvelle, il lui faut faire preuve de lucidité pour relever des défis d’immense ampleur, dans un pays où le total des voix s’étant portées sur les droites et les extrêmes droites atteint pratiquement les 70%. Contribution à une première réflexion sur ce nouveau moment politique, je livre ici le discours introductif que j’ai prononcé devant le conseil national du Parti communiste français, ce 14 avril.
« Mes Cher·e·s Camarades, notre conseil national revêt une très grande importance.
« Il nous revient d’analyser la situation de la France au sortir du premier tour de l’élection présidentielle, de tirer les premières leçons de la campagne que les communistes ont menée autour de la candidature de Fabien Roussel, et de déterminer nos axes de bataille pour la nouvelle séquence politique qui s’ouvre à présent.
« Ce sont les trois points que je vais successivement aborder.
« Ce premier tour de la présidentielle nous fait entrer — ce sera mon premier point — dans une nouvelle étape de la crise française.
« Une nouvelle étape qui se révèle d’une gravité extrême, dès lors qu’elle peut entraîner le pays dans l’aventure, ce que notre peuple paierait au prix fort.
LA CRISE FRANÇAISE À UN TOURNANT
« Pour le résumer en quelques mots, ce 10 avril souligne, à l’instar des consultations municipales, départementales et régionales de 2020 et 2021, la rupture d’une large partie du corps citoyen avec toutes les formes de représentation politique et institutionnelle.
« Le très haut niveau de l’abstention en est la marque.
« S’il est moindre qu’annoncé par les sondages, il n’en représente pas moins, avec 26,4 % des électeurs inscrits, le deuxième taux le plus élevé des onze présidentielles organisées depuis 1965, se situant juste derrière le record que constitua l’échéance de 2002.
« Cette abstention, à laquelle il convient d’ajouter les votes blancs et nuls — qui concernent près de 800 000 électeurs et électrices — touche principalement les jeunes (41 % des 18-24 ans ne se sont pas déplacés aux urnes) et les classes travailleuses et populaires — 29 % des ouvriers se sont, par exemple, abstenus.
« Ce scrutin traduit également une colère profonde envers les politiques de déréglementation mises en œuvre au long des quinquennats passés, et évidemment du mandat d’Emmanuel Macron.
« Celles-ci se sont toutes traduites par : le creusement des inégalités avec l’enrichissement indécent des plus riches ; le recul massif du pouvoir d’achat des salaires et des pensions ; l’essor de la précarité et du chômage de masse ; la destruction des services publics à commencer par ceux de la santé et de l’Éducation nationale ; la démission des pouvoirs en place devant le dérèglement climatique et les menaces écologiques pesant sur la planète ; le mépris affiché par les classes dirigeantes envers le monde du travail et la jeunesse ; la montée d’un autoritarisme néolibéral s’opérant à l’encontre des luttes et des mouvements sociaux ; le recul, enfin, de la souveraineté nationale et populaire devant les exigences des marchés financiers…
« L’effondrement simultané des deux partis qui furent les colonnes vertébrales des alternances des décennies passées, Les Républicains à droite et le Parti socialiste à gauche, est la conséquence première de ce rejet de l’austérité et des régressions accumulées au nom de la lutte contre le déficit budgétaire ou de la mise en conformité des politiques publiques avec les directives de la Commission européenne.
« Cette élection marque encore la décomposition des repères idéologiques qui ont longtemps imprégné leurs marques aux confrontations politiques et sociales. Ce qui se paie maintenant de l’aggravation des confusions qu’entraînent inévitablement l’absence d’espoir de changement et la peur devant l’avenir.
« La guerre à l’Est de l’Europe, sur laquelle je n’ai pas le temps de revenir ici, aura, au demeurant, largement altéré la perception des enjeux de cette élection pour nombre de nos concitoyennes et concitoyens, de même que son instrumentalisation par le pouvoir en place aura amené à une perte de substance du débat politique.
DU « VOTE UTILE » À UN NOUVEAU RÉGIME POLITIQUE
« C’est dans ce contexte général que les institutions de la Ve République, dont on avait pu vérifier l’usure à l’occasion de chaque consultation ces dernière années, s’avèrent littéralement à bout de souffle, délégitimées, pouvant à tout moment nous précipiter dans une véritable débâcle démocratique.
« Ces coordonnées viennent de se traduire, dans les urnes, par un bouleversement majeur des équilibres politiques.
« Dans une toute nouvelle tripartition du champ électoral, trois candidatures auront ainsi recueilli, à elles seules, les trois quarts des suffrages exprimés, les neuf autres se retrouvant sous la barre des 10 %, et même, pour huit d’entre elles, sous les 5 %.
« Il convient de nous arrêter un instant sur ce que recouvre ce qu’il est aujourd’hui convenu de désigner sous le vocable de « vote utile », qui a amené à cette concentration inédite du résultat électoral.
« Depuis ses origines, la Ve République aura représenté une machine à anesthésier la démocratie citoyenne, au profit de mécanismes plébiscitaires destinés à faire désigner un monarque présidentiel par le corps électoral, en vertu de la théorie selon laquelle il revenait audit monarque d’instaurer un dialogue direct avec le peuple.
« L’élection présidentielle aura, dans ce cadre, avec un scrutin majoritaire écrasant la diversité des courants en présence dans le débat public, toujours représenté un aspirateur vers le vote dit utile.
« Cette dynamique délétère n’aura fait que s’accélérer à partir du moment où l’on aura décidé, avec le quinquennat, d’inverser le calendrier électoral pour réduire les élections législatives à une simple confirmation du résultat des présidentielles qui les précèdent.
« Le poids des enquêtes d’opinion nous aura simultanément fait passer d’une démocratie fondée sur le débat contradictoire à une démocratie d’opinion, devenue prééminente dans la détermination des choix des citoyens.
« Nous arrivons à présent au terme de ce processus d’étouffement insidieux de la démocratie.
« La fracture entre les citoyens et les mécanismes traditionnels de la représentation politique n’aura cessé de se creuser, je l’ai dit.
« Un certain nombre de forces, pour asseoir leur légitimité nouvelle sur un champ institutionnel bouleversé, n’auront pas hésité, depuis quelques années, à en appeler au « dégagisme » et à déclarer dépassé le clivage entre droite et gauche.
« Conséquences des tendances à l’appauvrissement du débat d’idées que cela engendre inévitablement, les votes se seront de moins en moins effectués en fonction des projets défendus, et de plus en plus à partir de considérants prétendument stratégiques, consistant à éliminer les candidatures que l’on ne veut pas voir figurer au second tour.
« Dit autrement, le premier tour sera, déjà, devenu l’esquisse du second.
« C’est si vrai que, quelques semaines avant le 10 avril, les sondages plaçaient, à gauche, Jean-Luc Mélenchon autour des 11 ou 12 %, Yannick Jadot entre 7 et 9 %, Fabien Roussel entre 4 et 5 %, Anne Hidalgo aux environs de 3 %, et les deux candidats de l’extrême gauche à 1 %.
« Confirmées par les enquêtes « sortie des urnes », ce dimanche, ces estimations donnaient probablement une vue assez proche des rapports de force réels.
« Nous entrons, par conséquent, dans un moment d’atrophie sans précédent de l’exercice citoyen, à l’occasion duquel naît sournoisement un nouveau régime politique où ignorance des attentes populaires, disparition de la confrontation entre projets et autoritarisme au sommet de l’État vont de pair.
« Si cette tendance lourde devient si dangereuse pour le futur, c’est parce qu’elle est de nature à permettre à l’extrême droite de briser le « plafond de verre » auquel elle se heurtait jusqu’alors, même lorsqu’elle obtenait des résultats élevés.
« Alors que l’on voit bien que se dessine, pour la prochaine période, une grande recomposition du camp réactionnaire, dans laquelle une extrême droite renforcée sera en mesure de jouer un rôle déterminant, nul ne peut ignorer le péril, en particulier à gauche.
« Tout cela soulève une question essentielle sur le devenir même de la République.
« Dans un jeu bipolaire ou tripolaire, tel qu’il est sorti des urnes ce 10 avril, l’avenir des courants qui entendent demeurer extérieurs à cette réorganisation peut-il être de devenir une force d’appoint pour l’une des forces dominantes, un peu comme cela se fait aux États-Unis, amenant par exemple le courant socialiste à négocier son influence et ses positions électorales avec la machine du Parti démocrate ?
« Ou bien est-il toujours impératif de résister à cet étouffement de la démocratie, car c’est la condition pour pouvoir jeter les bases d’une nouvelle République, déprésidentialisée, redonnant ses prérogatives à un Parlement à l’image du pays, donc désigné à la proportionnelle, et se fondant sur de nouveaux pouvoirs pour les citoyens et le monde du travail ?
« L’enjeu, on le voit bien, est majeur.
L’EXTRÊME DROITE AUX PORTES DU POUVOIR
« Cette réflexion m’amène à la menace à laquelle nous confronte l’échéance du 24 avril prochain.
« Le second tour s’y livrera donc entre le président-candidat et la représentante du Rassemblement national.
« Emmanuel Macron, tout d’abord, est parvenu à sortir en tête du premier tour.
« Après avoir, en 2017, siphonné une large partie de l’électorat d’un Parti socialiste essoré par le désastreux quinquennat de François Hollande, il est cette fois parvenu à désintégrer une droite traditionnelle incapable de s’identifier sur un projet qui la distinguait, d’un côté, de la « start-up nation » macronienne, de l’autre, de l’identitarisme xénophobe de l’extrême droite.
« Cela lui permet de progresser de quatre points sur le premier tour de la présidentielle de 2017 et de solidifier, derrière lui et autour du capital financier dont il est le représentant, le bloc des secteurs de la société qui se sentent à l’abri des dégâts de la globalisation capitaliste.
« Pour autant, il doit faire face à l’exaspération que provoque, dans le pays, la dégradation constante du pouvoir d’achat, des conditions de travail, des capacités d’intervention de l’État, de la souveraineté industrielle, énergétique ou alimentaire de la nation.
« Tout au long de sa campagne de premier tour, il aura accentué le rejet dont il fait l’objet, en refusant le débat devant les Françaises et les Français, en ne présentant que des projets de casse sociale amplifiée, à l’image du passage à 65 ans de l’âge du départ à la retraite, ou encore en s’obstinant à couvrir les agissements des cabinets de conseil privé, qu’avait si bien, avec l’exemple de McKinsey, dénoncé la commission sénatoriale dont notre camarade Éliane Assassi était la rapporteure.
« De sorte que le « bloc central » dont Emmanuel Macron entend porter les couleurs sera très vite apparu comme un « bloc assiégé » par la majorité du pays, pour reprendre la juste formule du politologue Jérôme Jaffré.
« Madame Le Pen aura pu, dès lors, parachevant son entreprise de banalisation et dissimulant la véritable nature de son programme de haine et de division, se présenter comme la porte-parole de la colère sociale.
« Tout en continuant à siphonner l’électorat potentiel de Valérie Pécresse, ce qui lui aura permis d’obtenir le ralliement de 17 % des électeurs de François Fillon en 2017, elle aura ainsi préservé son socle de 36 % des votes chez les ouvriers et les employés, progressant également de sept points parmi les professions intermédiaires, où elle sera passée de 17 % à 24 %.
« Le total des suffrages s’étant portés sur les candidats de l’extrême droite atteignant le record historique de 32,28 %, soit une progression de 6,28 points en cinq ans, le danger est à présent bien réel de voir la représentante du RN entrer à l’Élysée.
CONJURER LE PIRE…
« Nous ne saurions nous résoudre à pareille issue.
« Dire qu’aucune voix ne doit se porter sur l’extrême droite ne suffit évidemment pas, puisque les électeurs peuvent le comprendre comme un appel implicite à s’abstenir, et donc à laisser le RN l’emporter.
« C’est la raison pour laquelle Fabien aura, dès dimanche soir, appelé à battre Le Pen en se saisissant du seul bulletin qui sera à disposition dans les bureaux de vote le 24 avril.
« Pour la tradition politique dont les communistes sont les héritiers, il est inenvisageable de se résoudre à voir la candidate de l’extrême droite en mesure d’appliquer, au sommet de l’État et forte des pouvoirs discrétionnaires que lui offriraient les institutions de la Ve République, un programme qui soumettrait des millions de nos compatriotes à un apartheid ethnique institutionnalisé.
« Parce qu’ils ne disposent pas de la nationalité française, ceux-ci n’auraient plus la possibilité d’accéder aux droits sociaux et protections que la Constitution garantit à chacune et chacun, quels que soient son origine, sa couleur de peau, sa religion.
« Le projet de l’extrême droite, c’est la mise à mort des valeurs fondamentales de la République. Les procédures institutionnelles qu’annonce Madame Le Pen pour remettre en cause le principe d’égalité dans notre pays, c’est purement et simplement le dynamitage de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
« Quant à la prétention de la châtelaine de Montretout de fédérer autour d’elle un « bloc populaire », l’imposture ne résiste pas à l’examen.
« Non seulement, elle ne défend pas l’augmentation des salaires, non seulement elle ne se prononce pas pour la retraite à 60 ans, non seulement elle ne veut prendre aucune disposition pour remédier au coût du capital pour notre société, mais ce qu’ont fait ses amis européens, lorsqu’ils ont accédé aux responsabilités, est éloquent.
« Prenez Monsieur Orban, premier des soutiens de Madame Le Pen au sein de l’Union européenne. Il a instauré une flat tax à 16 %, le taux d’imposition des multinationales est le plus bas d’Europe, la part des dépenses sociales et éducatives dans le produit intérieur brut de la Hongrie n’a cessé de diminuer. Sans même parler de la suppression de la référence à la République dans le Constitution du pays, pour la remplacer… par la référence à Dieu.
« D’ici le 24 avril, nous devons aller partout pour dire à celles et ceux qui seraient tentés de se débarrasser du représentant de la finance en utilisant le bulletin du parti du mensonge, que ce serait s’engager sur la voie d’épreuves sociales et démocratiques terriblement aggravées.
… SANS CHÈQUE EN BLANC AU PRÉSIDENT SORTANT
« Cela dit, il nous appartient en même temps de souligner, devant nos concitoyennes et concitoyens, à quel point la responsabilité de Monsieur Macron est engagée.
« Pas question, pour nous, de nous laisser happer par un prétendu « front républicain », où nous donnerions au pays le sentiment de délivrer un chèque en blanc à un président au bilan calamiteux.
« Nous avons lutté pied à pied contre sa politique ces cinq dernières années, nous serons au premier rang des mobilisations pour le mettre en échec s’il est réélu.
« Mais, comme le disait Fabien au soir du premier tour, si Monsieur Macron veut épargner à la France le risque insensé d’une aventure terrible, il doit renoncer à lui infliger une nouvelle cure de souffrance, il doit d’ores et déjà abandonner son projet d’allongement de la durée du travail qu’une majorité d’hommes et de femmes rejette de toute évidence. Surtout, il doit cesser ses manœuvres à la petite semaine, évoquant un matin l’âge de 64 ans pour le départ à la retraite, le lendemain la promesse de négociations sociales alors qu’il a systématiquement méprisé les syndicats depuis 2017, ou encore, le troisième jour, l’éventualité du retour au septennat pour répondre à la crise démocratique.
« La tripartition sortie des isoloirs à l’issue du premier tour aura, on le sait, profité à un troisième pôle.
UNE BONNE NOUVELLE À GAUCHE
« Avec 21,95 % des voix, Jean-Luc Mélenchon progresse de 2,37 points depuis 2017, il arrive en tête dans six départements de l’Hexagone — dont cinq en Île-de-France —, et il réalise une percée impressionnante Outre-Mer.
« Ce résultat exprime, sans aucun doute possible, l’aspiration d’un très grand nombre d’électrices et électeurs de gauche, de jeunes aussi, de voir porter au plus haut leurs aspirations à la justice sociale et à la dignité, au refus d’un système qui les prive de tout avenir décent.
« Il manifeste, en outre, un désir profond de voir la gauche accéder au second tour, et d’éliminer de celui-ci la représentante du Rassemblement national.
« Malheureusement, ce souhait légitime s’est heurté à la réalité du rapport des forces, partisans de Macron, droite traditionnelle et extrême droite totalisant plus de 68 % des voix.
« La progression de Jean-Luc Mélenchon, mais aussi les suffrages qui se sont portés sur Fabien Roussel, seront néanmoins parvenus à faire progresser de 4,27 points le total des voix de gauche, le portant à presque 32 % des suffrages exprimés, contrairement à ce que prédisaient les sondages.
« Ce score est, en soi, une bonne nouvelle pour le futur.
« Et, quoique Jean-Luc Mélenchon ait pleinement fait jouer en sa faveur le ressort du « vote utile », bien qu’il n’ait pas hésité, dans les derniers jours de sa campagne, à exprimer l’intention de priver notre candidat de la moitié de ses voix, nous nous félicitons du score de La France insoumise et de la progression du total des voix de gauche.
« De même, nous comprenons parfaitement quel dilemme auront affronté celles et ceux qui subissaient les appels les conjurant de permettre au candidat Mélenchon d’être au second tour pour éliminer Le Pen, et qui auront, parfois au dernier moment, décidé de ne pas voter selon leurs convictions pour soutenir un autre programme que celui qui avait leurs faveurs.
« Ils ont, nous le savons car ils nous l’ont souvent dit, apprécié la qualité de notre campagne et de nos propositions. Ils nous ont même plus d’une fois aidé concrètement sur le terrain. Nous allons donc les retrouver demain, et ce, dès les législatives de juin.
UNE SEULE BOUSSOLE : L’INTÉRÊT GÉNÉRAL DE LA GAUCHE
« Nous n’avons eu de cesse de le répéter depuis notre entrée dans la bataille présidentielle, voici un an : nous n’avons pas d’ennemi à gauche.
« C’est l’intérêt général de la gauche et du mouvement populaire qui constitue notre seule boussole et motive notre détermination à pousser des idées novatrices et révolutionnaires dans le but de reconstruire durablement l’espoir.
« C’est vrai aujourd’hui autant qu’hier…
« C’est d’ailleurs pourquoi Fabien, sitôt connus les résultats du premier tour, a adressé un message de félicitations à Jean-Luc Mélenchon, en lui proposant notamment de nous retrouver ensemble dans les rendez-vous qui s’annoncent, pour un partenariat respectueux de nos spécificités respectives.
« J’ajoute que le succès même de la candidature Mélenchon est de nature à rouvrir une discussion cruciale à gauche.
« Car une chose est de se retrouver largement en tête du camp progressiste, ce qui confère des responsabilités particulières à La France insoumise, une autre est de proposer une offre politique pouvant rassembler, dans les luttes comme dans les élections, une majorité populaire à même de porter une perspective transformatrice jusqu’au pouvoir.
« Ce 10 avril, Jean-Luc Mélenchon, tout comme Fabien Roussel, a très logiquement bénéficié de la crise dans laquelle le Parti socialiste se trouve plongé, par impuissance à tourner la page des errements auxquels l’aura conduit le social-libéralisme.
« Il a, de même, profité du décalage, qu’aura manifesté la campagne de Yannick Jadot, entre les prétentions d’Europe écologie à être le nouveau paradigme dominant à gauche, et les attentes véritables montant de la société et de sa jeunesse.
« Et il a, je l’ai dit, fait jouer l’argument du « vote utile » à notre détriment.
« Reste que le théorème formulé par Jean-Luc Mélenchon dès 2017, selon lequel La France insoumise, à elle seule, avait réglé à gauche les problèmes du leadership, du programme et de la stratégie, n’est pas une réponse à la hauteur du dé qui se pose à notre camp social et politique.
« Reconstruire une visée à vocation majoritaire, c’est, à l’inverse de toute tentation hégémonique, accepter la bataille d’idées avec les autres composantes, et œuvrer au rassemblement pluraliste de toute la gauche sur les orientations de rupture qui peuvent ouvrir à la France le chemin d’un changement profond.
LA CAMPAGNE DE FABIEN ROUSSEL COMPTERA
« J’en viens à présent à notre campagne et à nos résultats.
« La pression du « vote utile » nous aura, in fine, empêchés de traduire électoralement ce qu’avait été la belle dynamique des « Jours heureux ».
« Pour autant, en dépit d’un résultat décevant, les communistes n’ont pas à regretter leur choix très majoritaire d’oser relever le défi de la présentation d’une candidature à l’élection cardinale de la Ve République.
« Avant d’aller plus avant dans mon propos, je voudrais, en votre nom à toutes et à tous, j’en suis certain, remercier chaleureusement Fabien d’avoir, depuis un an, porté nos couleurs et notre programme avec ce brio, cette énergie, cette inventivité qui nous aura rendus fiers de ce que nous avons collectivement bâti.
« Merci mille fois à toi, Fabien ! Et merci aussi aux communistes qui, partout sur le territoire, se sont mobilisés pour tracter, afficher, aller à la rencontre des Françaises et des Français.
« Grâce à eux, grâce à elles, la force communiste, notre première richesse, se sera déployée comme jamais depuis longtemps.
« Avec la campagne qui s’achève, nous avons rendu de la visibilité à notre famille politique, après quinze ans d’absence d’un scrutin où, dans les institutions actuelles et même si nous les contestons radicalement, nos compatriotes repèrent les courants structurants de la vie politique.
« Avec le programme « La France des Jours heureux », nous avons porté dans le débat public des questions fondamentales :
• le travail et le monde du travail, à placer au cœur d’un projet de transformation radicale de la société ;
• la République, à refonder afin qu’elle affirme des objectifs répondant aux besoins populaires, qu’elle fonde l’efficacité économique sur ce qui fait le quotidien des êtres humains, qu’elle soit l’outil de la prise du pouvoir sur le capital, qu’elle permette aux citoyens et aux salariés de conquérir de nouveaux pouvoirs de contrôle et de décision ;
• la France, pour qu’elle recouvre une voix souveraine, en étant à l’initiative de coopérations solidaires en Europe et dans le monde, et en portant en toute indépendance l’objectif de la sécurité humaine et de la paix.
« Enfin, nous avons défendu notre conception de l’avenir de la gauche, de sa reconstruction et du contenu qui la permettra, d’un rassemblement respectueux de ce qui identifie chacune de ses composantes, de la démarche majoritaire qui peut nous ouvrir collectivement ouvrir un chemin de victoire.
« Avec les soutiens que nous ont apportés plusieurs formations, issues de la tradition socialiste ou de la gauche républicaine, nous avons même pu donner à voir notre souci d’union d’une gauche ne se dérobant pas à l’affrontement avec la finance. Nous aurons, ce faisant, été la seule candidature portée par un rassemblement de formations n’ayant guère eu l’habitude d’appeler à voter pour un communiste.
« Tout cela représente des acquis précieux pour l’avenir.
« Bien sûr, il va s’agir à présent d’élucider avec précision les facteurs ayant pu conduire à notre faible résultat, au-delà de ce déterminant majeur qu’aura été la pression du « vote utile ».
« À l’occasion de l’exécutif du 11 avril, plusieurs points ont ainsi été soulevés, qu’il s’agisse de l’habitude créée dans une grande partie de notre électorat par le soutien à Mélenchon lors de deux présidentielles successives, du besoin d’approfondir notre travail sur le projet à affirmer face à un capitalisme mondialisé et financiarisé comme jamais, de la relation à retisser avec le monde du travail et la jeunesse afin de répondre à leurs aspirations comme à leur peur légitime du racisme et du fascisme, de la critique plus systématique qu’il nous faut développer à l’endroit des institutions, surtout en une période où l’épuisement des mécanismes de la Ve République profile des réorganisations d’ampleur de l’ordre politique.
RESPECTER TOUS LES ÉLECTEURS DE GAUCHE
« Permettez-moi de m’arrêter, encore un instant, sur la polémique qui nous vise, depuis le soir du premier tour, cherchant à nous imputer la responsabilité de la non qualification de Jean-Luc Mélenchon en vue du second tour.
« On assiste même, sur les réseaux sociaux en particulier, à un déferlement de haine et de menaces, qui s’accompagnent ici ou là d’exactions contre nos locaux — cela aura été le cas à Lille et à Nantes —, sans que des voix autorisées ne prennent la peine, dans la mouvance dont sont issues ces attaques, d’appeler à la raison, surtout en un moment où l’extrême droite se rapproche dangereusement du pouvoir.
« En réponse à un climat qui répand le poison mortel de la division, quelques faits simples méritent d’être rappelés.
« En premier lieu, si nous avons fait le choix de présenter Fabien Roussel à cette présidentielle, c’est que nous défendons un projet pour la France qui ne se retrouve ni dans les discours, ni dans les écrits des responsables de La France insoumise.
« Beaucoup de nos propositions, qui donnent à notre démarche sa cohérence, nous distinguent du programme de La France insoumise :
• la place donnée au travail et au monde du travail, donc aux enjeux de classe, dans le projet de société que nous défendons ;
• le projet de sécurisation de l’emploi et de la formation pour éradiquer le chômage de masse ;
• les mesures avancées pour combattre le coût du capital et engager un vaste mouvement de réappropriation publique et sociale des grandes institutions financières, des principales entreprises stratégiques, des principaux services publics ;
• la conception d’une République démocratique, sociale, laïque et universaliste, contre tout ce qui s’en prend à l’égalité des citoyens entre eux ;
• l’importance accordée aux questions de souveraineté énergétique —avec le mix nucléaire/renouvelable —, alimentaire ou industrielle…
« Toute cela ne relève pas de détails, et les polémiques ayant émaillé la campagne l’ont d’ailleurs confirmé.
« Défendre cette spécificité n’est pas moins légitime que le choix de Jean-Luc Mélenchon de s’être présenté, en appelant au ralliement sans conditions à sa candidature.
« De même, si Mélenchon n’a pu se qualifier, la raison doit en être cherchée du côté d’un taux d’abstention touchant douze millions d’électeurs, plutôt que de celui des 802 000 hommes et femmes ayant fait le choix du bulletin Roussel.
« Au demeurant, dès lors que le « vote utile » avait déjà attiré une très grande partie de notre électorat potentiel, le vote de conviction qui s’est porté sur notre candidat était suffisamment cristallisé pour qu’il ne veuille pas se reporter vers un autre.
« C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle la directrice de l’institut BVA a elle-même abouti, dans ses travaux d’analyse des comportements électoraux.
« Une analyse sincère, dépourvue de vaines arrières-pensées, devrait par conséquent amener à ce constat d’évidence : longtemps, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel ont progressé de concert, amenant toute la gauche à presque 32 %. Mais c’est la poussée de l’extrême droite qui a été la plus forte et, illustration de cette réalité incontournable, même la présence d’un Zemmour à 7 % n’a nullement empêché Le Pen d’accéder au second tour.
« La raison voudrait maintenant que tous les électeurs soient à l’identique respectés, qu’ils se soient portés sur Jean-Luc Mélenchon ou qu’ils lui aient préféré La France des Jours heureux.
« Pour notre part, nous ferons tout pour qu’il en aille ainsi.
« J’en viens à mon dernier point.
ÉVITER L’AVENTURE D’EXTRÊME DROITE À LA FRANCE
« Deux batailles politiques majeures sont devant nous.
« La première consiste à éclairer le sens des résultats du premier tour, à clarifier les enjeux du second, à être à l’initiative du rassemblement de la gauche face à la menace que l’extrême droite fait peser sur le scrutin.
« Nous avons clairement appelé à battre Le Pen en se saisissant du seul bulletin restant à la disposition des citoyennes et des citoyens.
« D’un peu partout, remontent pourtant les échos de militants de gauche, d’électeurs ou électrices qui, tout en se refusant au moindre soutien à la représentante du RN, affirment refuser d’accorder leur vote à son adversaire, qui a causé tant de désastres depuis son entrée à l’Élysée.
« Des sondages laissent même entrevoir qu’une part significative d’électeurs s’étant portés le 10 avril sur l’une ou l’autre des candidatures du premier tour — mais ce n’est pas le cas de l’écrasante majorité de celles et ceux qui ont porté leur choix sur Fabien — pourrait faire un choix dicté par la volonté de « dégager » le sortant.
« Autour d’un quart des électeurs de Jean-Luc Mélenchon pourrait, aussi, se laisser aller à l’illusion mortifère du vote « antisystème ».
« C ’est ainsi que surviennent les grandes catastrophes.
« Il nous revient, fort de la cohérence que nous avons toujours opposée aux tenants de la haine raciale et des idéologies antirépublicaines, de montrer qu’une victoire du lepénisme ne s’inscrirait pas simplement dans la continuité des pouvoirs passés, aussi réactionnaires aient-il été, mais qu’elle marquerait un basculement promettant à notre peuple un régime d’apartheid institutionnalisé, de régression sans précédent depuis la Libération des droits que la République garantit à chacun et chacune, d’étranglement des libertés fondamentales.
« Partout où ce sera possible, au plan local et départemental, il importe par conséquent de rechercher toutes les initiatives unitaires susceptibles de dissiper les confusions et de combattre la résignation au pire.
« La seconde bataille a trait aux élections législatives.
LÉGISLATIVES : LA GAUCHE AU PIED DU MUR
« Dans le contexte que j’ai brossé à grands traits, et comme nous l’affirmons depuis de nombreux mois, elles seront d’une importance majeure pour le pays.
« Nous aurons besoin du plus grand nombre de députés de gauche, et parmi eux de députés communistes, pour empêcher de graves reculs sociaux et démocratiques et arracher des avancées.
« D’abord un mot concernant le calendrier de ce scrutin.
« Une dissolution semble aujourd’hui écartée par le candidat-président et le président de l’Assemblée.
« Au regard des enjeux de l’entre-deux tours, nos candidates et candidats déjà désignés peuvent jouer dès maintenant un rôle important dans la mobilisation contre l’extrême droite, par des déclarations comme à travers des initiatives, et préparer leur plan de campagne pour être prêts au lendemain du second tour.
« Cette mobilisation est fortement attendue, notamment par toutes celles et ceux qui se sont déplacés dimanche dernier par peur légitime de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
« Pour battre l’extrême droite et créer les conditions d’une majorité de gauche à l’Assemblée nationale, toutes les forces de gauche ont une responsabilité.
« Comme l’a fait Fabien Roussel, nous nous adressons en tout premier lieu à Jean-Luc Mélenchon et aux insoumis qui, en finissant en tête de la gauche dimanche dernier, représentent la force la mieux placée pour permettre le succès de notre camp aux élections législatives et créer les conditions du rassemblement avec notre force, celle de Yannick Jadot et des écologistes, et celle d’Anne Hidalgo et des socialistes.
« Alors que l’extrême droite totalise plus de 32 % des suffrages, des dizaines de candidats du RN peuvent faire leur l’entrée à l’Assemblée nationale.
« Au soir du premier tour de la présidentielle, Marine Le Pen était en tête dans 206 circonscriptions. Et les forces d’extrême droite totalisaient plus de 40 % des suffrages exprimés dans 129 circonscriptions du pays, soit 100 de plus qu’en 2017.
« Chacun doit mesurer la menace que cela fait peser sur le pays.
« Avec les forces de gauche, nous devons les battre en juin prochain.
« Relevons que le président-candidat peut lui aussi sortir en position de force du scrutin de juin prochain au regard de son résultat de premier tour et de l’affaiblissement historique de LR à son profit.
« Nous proposons donc à toutes les forces de gauche de travailler, à partir de nos projets politiques respectifs, à se rassembler autour d’engagements communs, à garantir le soutien aux députés de gauche sortants, et à faire élire le plus grand nombre possible de députés de gauche en visant l’obtention d’une majorité de gauche à l’Assemblée nationale en juin prochain.
« Parmi eux, les députés communistes ont montré toute l’utilité de leur action pour résister à la politique d’Emmanuel Macron, jusqu’à arracher des victoires tout au long de ce quinquennat, à l’image de la revalorisation des petites retraites agricoles.
« Je vous renvoie, sur ce point, au bilan de son action que le groupe GDR a publié. Ce sera un instrument très important pour montrer l’utilité des élus communistes dans les institutions.
« Affirmer une telle ambition est le seul moyen de combattre efficacement l’abstention qui, sinon, peut être très forte à gauche en juin prochain.
« C’est également le moyen d’atteindre nos objectifs et, nous concernant précisément, d’obtenir un groupe communiste avec la réélection de nos sortants et le plus de conquêtes possibles.
« Au regard de la réalité politique issue des urnes ce 10 avril, notre priorité est évidemment de conclure un accord avec La France insoumise, tout en insistant sur le fait que c’est avec l’ensemble des forces de gauche que nous pourrons obtenir le plus grand nombre de députés.
« Le total des scores des candidats de gauche place celle-ci en tête dans 128 circonscriptions du pays.
« Au-delà des sortants de gauche, les possibilités de nouvelles conquêtes sont donc réelles.
« Mais si nous sommes divisés, nous serons écartés de beaucoup de seconds tours, qui verront au final, comme en 2017, des affrontements entre le Rassemblement national et La République en marche.
« La base de tout accord doit, évidemment, être le soutien respectif aux députés sortants.
« Chaque force de gauche est désormais placée devant ses responsabilités. Aucune ne peut s’illusionner. Les scores à la présidentielle ne déboucheront sur rien si nous ne portons pas ensemble une très forte ambition.
« À toutes les forces de gauche, nous proposons, dans le respect de notre diversité, d’ouvrir ensemble un chemin d’espoir.
« Voilà, Mes Camarades, quelques éléments de réflexion pour ouvrir notre discussion. Il appartiendra aux communistes, dans les prochains mois, de poursuivre cette réflexion sur les nouvelles coordonnées de la conjoncture française et sur le bilan de notre campagne.
« Dans l’immédiat, l’heure est à la mobilisation, sur l’échéance du second tour de cette présidentielle, et sur la préparation des élections législatives.»
Au lendemain de cette réunion du « Parlement » du PCF, la situation française se révèle en rapide évolution, laissant présager une instabilité politique durable dans l’avenir, et accentuant l’inquiétude légitime que beaucoup de nos compatriotes nourrissent. Nous n’avons pas un instant à perdre, quels qu’aient été nos choix le 10 avril, et en n’oubliant jamais ce que sont les véritables attentes de celles et ceux qui nous ont fait confiance, pour faire le choix de la responsabilité.