Palestiniens et Israéliens au bord de l’abîme

À la barbarie terroriste du Hamas aura donc succédé, comme nous nous y attendions et comme le voulaient de toute évidence les stratèges islamistes, la sauvagerie de ce que l’on ne saurait qualifier de « riposte » des gouvernants israéliens. Si je parle de sauvagerie, c’est parce que l’on ne peut confondre les bombardements aveugles de l’enclave de Gaza, et à leur suite l’opération terrestre déclenchée par Tsahal, avec le droit légitime d’un État et d’un peuple à se défendre de l’agression qu’ils ont subi. En un raccourci aussi odieux que significatif, exprimé à l’occasion de sa conférence de presse du 28 octobre, le Premier ministre israélien se sera vanté de vouloir rendre « la pareille » aux jhadistes. Pour qui connaît le poids des mots et ce qu’ils veulent imprimer dans les esprits, la coalition des religieux et des suprémacistes fascisants au gouvernail à Tel-Aviv entend manifestement répondre à un pogrom abominable, celui commis le 7 octobre en territoire israélien, par un autre massacre de masse, dont les civils palestiniens sont cette fois les cibles clairement désignées. Rien ne justifiera jamais l’horreur froidement imaginée et organisée par le Hamas — et rien ne devra jamais l’effacer de la mémoire universelle —, mais rien n’autorise pour autant le pouvoir israélien à entrer dans une logique de vengeance bafouant tous les principes de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. En écrivant cela, je n’entends évidemment pas me livrer à une sorte de « Jugement de Salomon » qui, en renvoyant dos-à-dos les protagonistes du déchaînement de violences en cours au Proche-Orient, paraîtrait relativiser la souffrance du peuple israélien, et surtout qui autoriserait certains à trouver des justifications à un terrorisme criminel. Je veux simplement rappeler, comme d’autres l’ont fait également, que toutes les vies civiles possèdent une identique valeur, quelles que soient leurs nationalités et leurs religions. Et qu’à l’oublier, ou à laisser s’intensifier la spirale des tueries, on laisse s’ouvrir la trappe sanglante d’une prétendue « guerre des civilisations » qui aura tôt fait d’engloutir l’humanité  entière. C’est pourquoi, à mes yeux, il n’y a pas plus grande urgence que d’arracher, par la mobilisation des opinions, un cessez-le-feu, la libération des otages détenus par l’intégrisme totalitaire, l’ouverture d’un corridor humanitaire permettant l’arrivée d’une aide massive à la population gazaouie en détresse. Et, simultanément, de s’employer à réunir les conditions d’une solution politique à un conflit qui n’a que trop durer, laquelle passe nécessairement par la reconnaissance de deux États souverains, vivant côte-à-côte dans une sécurité garantie par la communauté internationale…

Encore une fois, quiconque se veut attaché à la morale et à la dignité humaine ne pourrait reprocher aux autorités d’Israël d’employer les moyens appropriés, c’est-à-dire proportionnés et respectueux du droit international, de mettre hors d’état de nuire les milices qui ont froidement assassiné, éventré, torturé ou violé quelque 1400 hommes, femmes et enfants dont la seule faute était, aux yeux de leurs bourreaux, d’être des Juifs. Nul ne contesterait davantage la légitimité d’une action israélienne en direction de la communauté internationale, afin que celle-ci agisse pour démanteler les circuits financiers grâce auxquels l’organisation criminelle a pu mettre ses plans à exécution, et qu’elle exerce toutes les pressions susceptibles d’obtenir que les dirigeants du Hamas — qui ne cessent de claironner qu’ils récidiveront à la première occasion venue — soient privés de leurs résidences douillettes au Qatar ou en Iran. Responsables d’un massacre aux intentions littéralement pogromistes, leur place est devant la Cour pénale internationale, de toute évidence aussi habilitée à les poursuivre et à les punir qu’elle le fut hier pour juger les responsables de l’épuration ethnique en ex-Yougoslavie.

LOGIQUE DE VENGEANCE ET NON DE DÉFENSE

Sauf que ce à quoi nous assistons présentement, ces immeubles rasés, ces habitants ensevelis sous des décombres, ces hôpitaux ou ces écoles systématiquement visés, ces populations privées de tout et même empêchées « d’appeler des ambulances pour leur venir en aide » (selon le propos de Guillemette Thomas, de l’ONG Médecins sans frontières, interviewée par La Tribune-Dimanche du 29 octobre 2023), ces civils hagards poussés à l’exode n’évoquent pas le moins du monde une légitime défense, mais des crimes de guerre délibérément commis, dès l’instant où c’est un État internationalement reconnu qui use de sa puissance militaire colossale pour terroriser un peuple. Le fait que des bâtiments sanitaires ou éducatifs puissent abriter des infrastructures d’un Hamas qui se sert des habitants de Gaza comme de véritables boucliers humains, ce qu’affirment les officiels israéliens, ne change  rien à la nature criminelle des bombardements, à partir du moment où c’est en pleine connaissance de cause que des civils sont visés.

L’obsession de Monsieur Netanyahou et de ses comparses d’extrême droite consiste depuis toujours à briser l’existence nationale des Palestiniens pour réaliser ce qu’ils estiment être la promesse biblique du « Grand Israël ». Elle donne, avec l’offensive en cours contre Gaza, toute sa mesure dévastatrice. En ses objectifs ultimes, par-delà les déclarations officielles prétendant qu’il s’agit seulement d’anéantir l’organisation terroriste, on la devine hésitant entre la réoccupation pure et simple du territoire abandonné sur décision d’Ariel Sharon en septembre 2005, l’imposition à l’enclave palestinienne d’une administration prétendument autochtone mais en réalité placée sous contrôle israélien, et la tentation de forcer au départ une grande partie des Gazaouis. À tort ou à raison, la hantise d’une nouvelle Nakba plane désormais sur ceux-ci. C’est d’ailleurs sans doute l’une des raisons pour lesquelles, redoutant de devoir accueillir des dizaines voire des centaines de milliers de réfugiés, qui se verraient ensuite interdits de revenir sur leurs terres, les dirigeants égyptiens ferment aussi hermétiquement le passage de Rafah, tandis que leurs homologues jordaniens ne cessent de manifester leur crainte de se voir confrontés à un scénario-catastrophe rappelant la fuite éperdue de 700 000 Palestiniens peu avant la création de l’État d’Israël. 

L’escalade guerrière des actuels dirigeants israéliens se discerne également à travers l’offensive des colons de Cisjordanie contre les villageois palestiniens qu’ils molestent, intimident, empêchent de procéder à la traditionnelle cueillette des olives, ou assassinent froidement, à l’instar dernièrement d’un professeur d’école de la localité d’Es-Saouia. De quoi soulever l’inquiétude des chancelleries occidentales, des Nations unies ou des observateurs de terrain, à l’image du journaliste Guillaume de Dieuleveult : « En Cisjordanie, la guerre s’est accompagnée d’une explosion de violences perpétrées contre la population civile palestinienne. Elles sont principalement le fait de colons israéliens. Mais les accords d’Oslo prévoient que c’est à l’armée israélienne que revient la charge d’assurer la sécurité des populations civiles dans la plus grande partie de ce territoire occupé depuis 1967 » (Le Figaro, 1° novembre 2023). Décidément, cette violation délibérée d’autant des principes sur lesquelles l’humanité avait voulu fonder un système de sécurité collective, sur la base du droit des peuples à déterminer librement leur destin, rend Benyamin Netanyahou et ses semblables passibles, à leur tour, de poursuites devant la CPI. 

LE DANGER D’UN CHANGEMENT DE NATURE DU CONFLIT

On ne le dira jamais assez, de cette montée des enchères, de ce paroxysme de violence, les deux peuples sortiront aussi victimes l’un que l’autre. Impossible, à cet égard, d’avoir l’indignation, ou l’empathie, sélectives ; impossible de tenir une comptabilité macabre des pertes de part et d’autre, comme d’aucuns s’y exercent en soulignant la disparité des bilans humains, pour mieux tenter d’effacer des mémoires le crime impardonnable que représente le pogrom du 7 octobre. 

Les Gazaouis, doublement pris en otage par une dictature islamiste féroce et par le déluge de feu que Tsahal fait pleuvoir sur eux, ne se voient laissés d’autres choix que la haine et la peur, l’une et l’autre s’alimentant mutuellement et créant le vivier dont sortiront demain de nouveaux jihadistes. La journaliste israélienne Amira Haas, devenue célèbre pour ses reportages à Gaza, montre bien que l’objectif affiché d’une éradication du terrorisme est une chimère ou, pire, un mensonge : « Plus les bombardements israéliens sur la bande de Gaza se multiplient, plus le nombre de morts et de blessés augmente minute après minute, plus la destruction s’étend, et plus il est difficile de se souvenir de la joie et de la fierté du premier jour. Il est donc également plus difficile d’exprimer sa consternation et son opposition aux actes de massacre en public, et même dans les conversations privées. On ne peut pas attendre cela des habitants de la bande de Gaza, dont chacun est susceptible d’être tué à tout moment » (Haaretz, 26 octobre 2023).

De leur côté, les Israéliens, confrontés qu’ils sont à la vulnérabilité où les a placés leur équipe dirigeante, poussés pour ce motif à la guerre en laquelle beaucoup croient trouver une protection — et ce, même s’ils haïssent leur gouvernement —, se retrouvent dans un engrenage qui peut mettre un terme définitif à l’espoir d’une existence enfin apaisée et sécurisée. Quels que fussent les sujets qui nous séparent, et ils sont nombreux, je partage en ce sens la remarque de Jacques Attali : « Aujourd’hui, les Israéliens répondent à la barbarie par la barbarie, à l’horreur par l’horreur, ils perdront leur âme, je dirai même leur raison d’être, qui est morale autant qu’historique ; et ils provoqueront les mêmes conséquences que celles qui interdirent aux Français de rester en Algérie » (Les Échos, 20 octobre 2023).

Que l’on y prenne garde : dans le fracas des bombes et des missiles, à la chaleur d’un risque d’embrasement généralisé du Proche-Orient — que la multiplication des porte-avions et navires de guerre en Méditerranée confirme de jour en jour —, la question israélo-palestinienne est en en train de changer de nature. Non, bien sûr, que la satisfaction de la revendication palestinienne ne restât pas la clé d’une résolution pacifique du conflit de souveraineté déchirant cette région depuis presque un siècle (Dominique de Villepin a parfaitement raison de dire qu’elle demeure « la mère des batailles » pour les peuples arabes et musulmans), mais c’est son débouché politique qui se retrouve en jeu. 

L’implication directe du régime théocratique iranien dans l’organisation du 7 octobre, l’alliance conclue sous son égide entre les milices fondamentalistes des pays limitrophes  — du Liban au Yémen et à l’Irak —, l’entrée en lice d’un pouvoir turc rêvant de reconstituer feu l’Empire ottoman (on vient encore de le voir à travers l’épuration ethnique qui a mis fin à la présence arménienne au Haut-Karabakh) et qui dans sa volonté de puissance vient de décider de s’engager derrière le Hamas au nom de l’ancestrale opposition « du Croissant et de la Croix », la main prêtée par plusieurs régimes arabes à l’organisation de manifestations monstres se réclamant d’une « Palestine arabe » voire d’une « Palestine islamique », le changement d’orientation d’un pouvoir russe ayant pris grand soin de mettre en scène la réception au Kremlin de délégations du Hamas et de l’Iran, font muer un affrontement politique pour le partage de la terre en une guerre pour la suprématie ethnique ou la victoire de Dieu.

TECTONIQUE DES PLAQUES DIPLOMATIQUES

À travers cette gigantesque tectonique des plaques diplomatiques, s’illustre le bouleversement des rapports de force entre puissances et le nouvel ordre mondial qui se cherche. Les crises s’enchaînent ces dernières années, on le sait, de la mer de Chine à l’Ukraine, du Caucase hier à la Palestine maintenant, sans parler de l’Afrique sub-saharienne. Elles s’inscrivent dans la désagrégation de la globalisation marchande et financière. elles renvoient à l’affaiblissement de la citadelle impériale nord-américaine. Simultanément, s’affirment des puissances à vocation mondiale ou régionale, qui cherchent, par la force ou en exploitant les facteurs de tensions locales, à prendre leur part dans la redéfinition des équilibres et zones d’influence sur le globe. 

Dans cette nouvelle configuration, d’où ont disparu les polarisations du passé, celle de l’opposition Est-Ouest puis celle des États-Unis lorsqu’ils prétendaient au rôle d’hyper-puissance planétaire, la force des armes s’est substituée au droit international, les dispositions instaurées après la Deuxième Guerre mondiale pour réguler les relations internationales se sont désintégrées, des institutions comme l’ONU ou encore l’OSCE ont été rendues impuissantes, les traités internationaux destinés à conjurer de nouvelles conflagrations ont été bafoués, des groupes armés ethniques ou religieux sont devenus acteurs de conflits dits « asymétriques » et ont été utilisés par quelques grands États pour servir leurs intérêts propres, sans le moindre égard pour les peuples qui leur servent de masses de manoeuvre. C’est, tout naturellement, que le Proche-Orient est plus que jamais devenu l’objet de toutes les convoitises, cette zone revêtant une importance névralgique du fait des intérêts économiques, commerciaux ou énergétiques qui s’y trouvent concentrés.

L’islamisation de la « cause palestinienne », pour reprendre là encore un des diagnostics de Dominique de Villepin, en est la traduction la plus récente, avec l’irruption sur la scène internationale d’un Hamas aspirant à liquider et remplacer les composantes laïques et progressistes de ce mouvement national. L’essayiste libanaise Dominique Eddé le souligne avec une grande justesse : « Le carnage barbare du Hamas, le 7 octobre, n’a pas fait que des milliers de morts et de blessés civils israéliens, il a jeté une bombe dans les esprits et dans les coeurs, il a arrêté la pensée. Il a autorisé le déchaînement de passions contre les raisons et les preuves de l’histoire » (Le Monde, 1° novembre 2023). À cette bombe à fragmentations fait écho la mue menaçant le sionisme, que ses forces dominantes avaient à l’origine voulu démocratique et en filiation avec les Lumières européennes — même si la réalité de la colonisation de la Palestine ne correspondit jamais aux intentions vertueusement affichées —, en une réalité monstrueuse, messianique et biblique. 

L’HEURE DE CHOIX CLAIRS À GAUCHE 

Les effets n’auront pas tardé à s’en faire sentir, à travers les tentatives de dévoiement de la solidarité avec le peuple palestinien et l’utilisation de la crise proche-orientale dans l’objectif d’encourager cette poussée mondiale d’antisémitisme que l’on voit actuellement à l’oeuvre, aussi bien dans la tentative de pogrom à l’aéroport du Daghestan, que dans l’incendie d’une synagogue à Berlin ou dans les innombrables manifestations de détestation antijuive dans notre pays. N’en doutons toutefois pas, d’autres feux de ce « choc des civilisations », qu’un Samuel P. Hutington invoquait jadis avec gourmandise, ne tarderont pas à s’allumer, une extrême droite xénophobe en expansion un peu partout y trouvant matière à propager son rejet des musulmans et, plus généralement, des étrangers. Ces appels généralisés aux replis communautaristes, ces exaltations des appartenances identitaires encourageant inévitablement la haine de l’Autre peuvent, à terme, littéralement asphyxier les attentes populaires à la justice sociale autant qu’à la démocratie. C’est notre République, en ses fondements universalistes et égalitaires, qui s’en retrouve en grand danger.

Il est temps de parler sans faux-semblants : un débat de fond est ouvert au sein de la gauche. Ceux qui, sous prétexte de soutien inconditionnel aux Palestiniens sous les bombes, se refusent à distinguer la lutte nationale de ce peuple d’un terrorisme qui lui obstrue toute chance de paix et d’émancipation ; ceux qui, comme les dirigeants de La France insoumise, croient opportun de qualifier les commandos de la terreur jihadiste de composante de la « Résistance palestinienne », croyant de cette manière être entendus d’un électorat qu’ils supposent surdéterminé par des réflexes identitaristes alors que, dans son immense majorité, il aspire au vivre-ensemble dans le creuset d’une nation citoyenne ; ceux qui, à l’instar d’Alain Gresh (Le Monde diplomatique, novembre 2023), ne veulent voir dans la pulsion génocidaire du Hamas qu’une reproduction de la « ‘’barbarie’’ des colonisés’’ » ayant déjà caractérisé les errements passés de bien des mouvements de libération nationale ; ceux qui, à l’exemple d’Edwy Plenel (Mediapart, 22 octobre 2023), reconnaissent volontiers que l’organisation islamiste palestinienne est « l’adversaire d’une potentielle démocratie palestinienne », mais appellent néanmoins à faire la paix avec lui dès lors qu’il s’agit de « l’une des composantes aujourd’hui devenue dominante du nationalisme palestinien » ; et ceux qui, à l’inverse, imaginent que la menace pesant sur Israël leur crée une obligation morale d’apporter à ses gouvernants un appui inconditionnel, bien qu’ils sachent pertinemment à quel point cette extrême droite a précipité le peuple israélien tout entier dans le chaos : ceux-là se trompent d’époque. Ils raisonnent avec les logiciels du passé, ils croient que les ennemis de leurs ennemis peuvent devenir leurs amis, ils s’aveuglent sur les fatales dynamiques qui se sont mises en branle, requérant comme jamais que les progressistes s’attellent à réveiller les opinions, à sortir celles-ci du sentiment d’impuissance et de panique qu’elles éprouvent, à tenir la ligne de crête grâce à laquelle sera sauvegardé l’horizon d’un monde de paix, de coopération et de justice.

Nous éprouvons quotidiennement des hauts-le-coeur en entendant les zélateurs hexagonaux de l’ultradroite israélienne en appeler à la guerre totale du « Bien » contre le « Mal », reprenant mot pour mot les prophéties messianiques des actuels dirigeants de Tel-Aviv. Ces discours innommables.ne justifieront toutefois jamais une série d’attitudes prétendant s’y opposer : celle qui se garde, par exemple, d’exiger la libération des otages enlevés par le Hamas, ou qui ne songe pas un instant à dénoncer l’idée chère aux islamistes d’une Palestine s’étendant « du Jourdain à la Méditerranée », autrement dit ayant éradiqué l’État d’Israël et sa population ; celle qui, encore une fois pour d’insondables considérations électoralistes, lie directement la recrudescence du racisme antijuif ici à la violence aveugle du régime Netanyahou contre Gaza, ce qui revient à y assimiler implicitement nos compatriotes juifs ; celle qui aligne les déclarations ambiguës visant des personnalités d’origine juive — peu importe, sous ce rapport, leurs étiquettes —, laissant entendre qu’elles représenteraient une forme de parti de l’étranger… 

Cessons cette triste énumération, pour souligner que ce naufrage moral et politique résonne comme un encouragement aux extrémismes les plus réactionnaires. Nous n’aurons pas tardé à en avoir la confirmation, quand cet abandon des valeurs et principes ayant fait l’histoire de la gauche et du combat républicain aura fini par permettre au Rassemblement national de s’inviter à la marche du 12 novembre contre la haine antisémite, organisée par les présidents des deux Assemblées à Paris. Il aura fallu que le reste de la gauche, communistes en tête, sauve l’honneur en s’insurgeant contre ce dévoiement, et en exigeant de Madame Braun-Pivet et de Monsieur Larcher qu’ils déclarent l’extrême droite mal-venue dans un rendez-vous antiraciste.    

Réagissant à mon dernier post, un vieil ami, compagnon de lutte contre tous les fascismes et pour l’émancipation humaine, m’écrivait que, « pour les gens comme nous qui avons tant milité depuis tant de temps », il était « très pénible » de constater tant de dérives au coeur de notre camp. « Comment ont-ils pu en arriver là ? », ajoutait-il… Voilà, en quelques mots, résumée la responsabilité devant laquelle nous nous retrouvons placés. Engagé depuis les années 1970 dans le soutien au peuple palestinien sur une ligne de paix, fondateur avec quelques autres et coordinateur sept ans durant du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, je ne peux me résoudre à des aveuglements et errements qui désarment notre camp et le divisent face à des enjeux entièrement renouvelés. Je ne peux, au demeurant, supporter cette accoutumance à l’indicible qui voit tant d’intellectuels ou d’acteurs culturels, d’autorités morales, de militants politiques ou syndicaux, se réfugier dans des visions binaires ou, plus fréquemment, se murer dans un silence confinant à l’indifférence. Nous avons le devoir de parler haut et fort, de nous mobiliser, de reprendre la rue, toujours sur la même ligne de crête : la paix, la justice et la démocratie. Si nous nous battons en faveur de la reconnaissance des droits du peuple palestinien, c’est dans l’objectif que cesse une guerre monstrueuse. Le courage est essentiel si l’on veut qu’une voix venue de France, sans ambiguïté ni compromission avec l’innommable, puisse être entendue des peuples du Proche et du Moyen-Orient, ainsi que des forces de progrès en Europe et dans le monde. Hubert Védrine, dans une récente et remarquable interview aura eu les mots justes : « Il ne s’agit pas tant d’être équilibré que d’avoir une position juste et soutenable par ceux des Israéliens et ceux des Palestiniens qui veulent une solution contre ceux qui n’en veulent pas, et d’être compris par tous les Français » (Le Figaro, 29 octobre 2023). Je souscris et je signe…  

Christian_Picquet

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