La gauche jauressienne unie avec Léon Deffontaines

Pour un peu, les élections européennes de ce 9 juin coïncidaient avec le vingtième anniversaire du référendum, gagné à gauche, sur le Traité constitutionnel européen. Il y a en effet dix-neuf ans, le 29 mai 2005, le peuple français rejetait très majoritairement (à presque 55% des suffrages) le projet qui entendait graver dans le marbre constitutionnel le modèle ultralibéral qui préside aux destinées de l’Union européenne depuis la signature du Traité de Rome, l’adoption de l’Acte unique et la ratification du Traité de Maastricht. Du document particulièrement touffu soumis aux électrices et aux électeurs, fort de ses 450 articles, et bien que l’on ait pris grand soin de saupoudrer ces derniers de références à de grands principes humanistes grâce auxquels ses concepteurs (au premier rang desquels figurait l’ancien président de la République, Valéry Giscard d’Estaing) escomptaient endormir la vigilance des citoyens, émanait une implacable cohérence. Il s’agissait de libéraliser les services (« au-delà de la mesure qui est obligatoire », était-il même indiqué), d’interdire les aides publiques, d’empêcher toute restriction aux mouvements de capitaux, d’imposer aux États une austérité budgétaire impitoyable, de supprimer toute limite au libre-échangisme, de renforcer l’indépendance de la Banque centrale, ou de prémunir les classes dirigeantes de toute harmonisation sociale et fiscale par le haut… En clair, rien ne devait compter davantage que cette norme que l’on avait résumée à travers les cinq mots de « concurrence libre et non faussée », et ces quatre libertés dites « fondamentales » auprès desquelles tout autre principe devenait caduc : libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Sans compter que le projet de Constitution européenne soumettait les politiques de défense et de sécurité à l’aval des États-Unis, via l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord. Il s’en fallut même de peu que l’on reconnaisse « les racines chrétiennes » de l’Europe, tournant ce faisant le dos à l’exigence laïque aux fondements de notre République. Bien qu’ayant été rejetées par le suffrage universel, les dispositions de ce TCE devaient ultérieurement être, pour la plupart d’entre elles du moins, incluses dans le Traité de Lisbonne que le président Sarkozy prit cette fois grand soin de ne faire ratifier que par un Parlement dans lequel il était certain de disposer d’une majorité. Ce faisant, allait être accélérée la marche à un fédéralisme destructeur de la souveraineté démocratique des peuples. Il se trouva malheureusement une partie de la gauche — majoritaire parmi les adhérents du Parti socialiste ou chez les écologistes, mais très minoritaire dans leurs électorats — pour souscrire à pareil abandon, qui revenait ni plus ni moins à renoncer à la transformation sociale, devenue impossible en un tel corset. On en eut d’ailleurs vite la confirmation avec l’accession de François Hollande à l’Élysée. Cette gauche convertie à la loi des marchés et de la finance troquait ainsi la perspective de la libération du travail et l’horizon de l’émancipation humaine, aux origines du mouvement ouvrier, pour un européisme ne faisant qu’habiller le consentement pitoyable à l’injustice produite et reproduite par un capitalisme prédateur comme jamais. Une nouvelle période s’ouvrait pour la gauche, qui allait la mener à une rupture profonde avec un ample pan des classes travailleuses et populaires. Jusqu’alors, les débats en son sein pouvaient être âpres, mais il subsistait du moins un patrimoine commun, tel celui qui liait socialistes et communistes, par-delà des histoires heurtées, à la mémoire des combats de Jean Jaurès pour faire du mouvement ouvrier une force d’espoir à l’ambition majoritaire. La fracture n’est, manifestement, toujours pas résorbée, à en juger par le choix d’un Raphaël Glucksmann — ou d’une Marie Toussaint — d’emboîter le pas à Emmanuel Macron lorsque celui-ci fait monter les enchères dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, ou par l’acceptation, de la part des listes socialiste et écologiste, du saut fédéraliste engagé par les gouvernements de l’UE, menaçant de ruiner ce qu’il reste de moyens démocratiques aux peuples pour faire entendre leurs voix. Pour contribuer à ce débat primordial, à quelques jours du renouvellement de l’Assemblée européenne, j’ai choisi de publier aujourd’hui le texte de la conférence donnée à Toulouse, le 2 septembre 2023, sur le thème : « Jaurès et l’Europe ». 

« Je débuterai par une première remarque : si Jaurès, dans ses discours et ses articles, parle beaucoup de l’Europe, s’il en étudie avec précision la situation, et s’il ne manque jamais d’intervenir à ce propos — en particulier sur la questions cruciale de la paix —, il ne formule pas de proposition stratégique sur la construction de l’Europe. Cela le distingue de nombre de dirigeants du mouvement socialiste de son époque.

« Par comparaison, un Lénine ou un Trotsky avancent la perspective des États-Unis d’Europe, un peu à la manière dont un Victor Hugo avait auparavant pu la formuler. Léon Trotsky va même, en pleine guerre, jusqu’à écrire : ‘’ Les États-Unis d’Europe, sans monarchie, sans armée permanente et sans diplomatie secrète, voilà la clause la plus importante du programme de paix prolétarien. ‘’

« Jaurès, lui, tout en appelant à ‘’surveiller les événements du point de vue de la paix’’, ne formule que des perspectives générales. C’est ainsi qu’en 1903, il veut discerner dans les systèmes d’alliances diplomatiques qui se forment, une première organisation de l’Europe préparant et ébauchant une alliance plus vaste, ‘’ l’alliance européenne pour le travail et pour la paix’’.

« L’idée d’une nouvelle organisation de l’Europe est donc bien présente, mais sous une formulation renvoyant à l’horizon du socialisme. Toutefois, à bien y regarder, rien n’est plus éloigné de la pensée de Jean Jaurès que l’idée d’un fédéralisme européen qui émanerait des besoins propres du développement capitaliste.

« En 1898, déjà, il écrit ce passage prémonitoire : ‘’ Nous savons que dans l’état présent du monde et de l’Europe, les nations distinctes et autonomes sont la condition de la liberté humaine et du progrès humain. Tant que le prolétariat international ne sera pas assez organisé pour amener l’Europe à l’état d’unité, l’Europe ne pourra être unifiée que par une sorte de césarisme monstrueux, par un saint-empire capitaliste qui écraserait à la fois les fiertés nationales et les revendications prolétariennes. Nous ne voulons pas d’une domesticité internationale. Nous voulons l’Internationale de la liberté, de la justice et du droit ouvrier.’’

« Les mots sont chargés d’indications : ‘’ Les nations distinctes et autonomes sont la condition de la liberté humaine’’. Tant que le prolétariat n’est pas assez fort, l’Europe ne pourra être unifiée que par une sorte de ‘’ césarisme monstrueux’’. Et Jaurès est constant dans l’affirmation de cette position. 

UNE CERTAINE IDÉE DE LA NATION

« Dans L’Armée nouvelle, il indique que ‘’ce n’est que par la libre fédération des nations autonomes répudiant les entreprises de force et se soumettant à des règles de droit que peut être réalisée l’unité humaine ‘’. Et plus loin, toujours dans L’Armée nouvelle, il enfonce le clou : ‘’ Les patries, les groupements distincts ont été la condition des groupements plus vastes que prépare l’évolution.’’

« On l’aura donc compris, pour Jaurès, tout part de l’organisation indépendante des nations, mais contrairement aux nationalistes — de son temps comme d’aujourd’hui —, tout n’y revient pas nécessairement. Il est, en fait, un peu comme Ernest Renan qui, dans son célèbre ouvrage Qu’est-ce qu’une nation, indiquait : ‘’ Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons.’’ À la différence de Renan, néanmoins, c’est à partir de l’histoire française, en portant hautement l’héritage de la Grande Révolution, que Jaurès, pour sa part, défend sa vision de la nation. 

« Pour lui, le peuple et la nation sont indissociables. Il adhère à la conception de Robespierre, selon laquelle la nation est le ‘’corps politique’’ du peuple. Dans cette conception, républicaine et révolutionnaire, la nation ne saurait être constituée à partir de critères ethniques, ou se chercher une légitimité dans l’héritage religieux de la France. 

« C‘est parce qu’elle se désigne comme communauté politique de citoyens libres et égaux, indépendamment de leurs origines ou de leurs confessions, que la nation française — mais Jaurès parle indistinctement de nation et de patrie — affiche quatre spécificités : un, elle est le cadre dans lequel s’exprime la démocratie et grandit la puissance du prolétariat ; deux, elle lie indissolublement le sentiment national et la légitimité démocratique, laquelle n’existe que par le peuple constitué et indépendant ; trois, elle est tout à la fois la condition de la démocratie et de l’identité sociale de la classe travailleuse ; et quatre, elle peut, dans ces conditions, porter une voix singulière en direction des nations et des peuples, du Vieux Continent autant que du monde.

« Ce dernier point est très important. Aux yeux de Jaurès, le patriotisme dont il se revendique n’est en aucun cas un facteur d’identité s’opposant à l’identité des autres peuples, il est une spécificité qui permet, au contraire, de mieux accorder les différences. Par conséquent, pour lui, l’objectif de construire des coopérations entre les peuples, et ce qu’il nomme ‘’l’unité humaine’’, passent par la libre union des nations autonomes, soucieuses de se soumettre à des règles générales de droit.

« Il en découle, dès lors, pour le mouvement ouvrier, la nécessité de se réapproprier une histoire qui a été largement travestie par la bourgeoisie, et de porter une tout autre vision de la nation, où la classe travailleuse joue un rôle central et décisif. C’est cette filiation qui aura inspiré le Parti communiste français depuis le milieu des années 1930, et qui l’aura amené à vouloir réconcilier les drapeaux tricolore et rouge,  la Marseillaise et l’Internationale, pour reprendre une expression connue de Maurice Thorez.

JAURÈS CONTRE LE FÉDÉRALISME NÉOLIBÉRAL

« Ce retour sur cette approche de la nation et de la coopération entre les nations aboutit à constater que la conception ayant inspiré la construction capitaliste de l’Europe depuis les années 1950 se sera d’emblée inscrite en rupture totale avec le point de vue jauressien. 

« Naturellement, on ne saurait ignorer que l’idée d’Europe, se substituant aux rivalités nationales et, singulièrement, à l’affrontement franco-allemand, est née du refus de voir se reproduire les abominations des deux conflits mondialisés ayant ravagé notre continent. C’était la perspective affichée par Aristide Briand puis, après 1945, par Jean Monnet et Robert Schuman. Et c’est en vertu de cette noble visée que le général de Gaulle, qui y avait d’abord été opposé, aura consenti au ‘’marché commun’’ prévu dans le Traité de Rome. Néanmoins, à la différence de ses successeurs qui sacralisèrent ledit marché commun, de Giscard et Mitterrand à Macron, de Gaulle ne se sera pas laissé emporter, au point qu’il aura fait en sorte que soit instauré, en son sein, le droit de veto des États-membres.

« Dès le départ, la démarche inspirant Jean Monnet aura souffert d’un vice fondateur, qui aura fini par conduire la construction européenne aux désastres économiques, sociaux et démocratiques que nous avons aujourd’hui sous les yeux. 

« Elle aura, en effet, prétendu s’imposer à travers la formation d’un marché unifié, et non grâce au consentement politique de peuples exerçant leur souveraineté démocratique au sein de leurs nations respectives. L’objectif aura été d’aboutir subrepticement à une construction fédéraliste qui, bien que prétendant dépasser à marche forcée les nations pour répondre aux besoins d’un capitalisme entré dans un nouveau stade de son développement, ne disait pas son nom et laissait les corps citoyens à l’écart. On aura retrouvé cette volonté dans tous les traités, de celui de Maastricht — qui aura instauré l’Union économique et monétaire — jusqu’au projet de Traité constitutionnel européen, finalement transformé en Traité de Lisbonne après que l’électorat français l’ait rejeté le 29 mai 2005. Progressivement, traduction de la réalité des rapports de force entre les deux puissances à l’origine de la Communauté économique européenne puis de l’Union européenne, c’est au bénéfice de l’une d’entre elles seulement que la construction de l’Europe aura fini par fonctionner.

« Ainsi, dès le début des années 1970, la puissance allemande aura-t-elle donné la priorité à sa réunification, sous l’habillage de l’Europe prétendument unie. Et c’est sous cette égide que la création de la monnaie unique se sera opérée, assortie de l’indépendance accordée à la Banque centrale européenne et de l’alignement des taux sur ceux du Deutsche Mark. Dès cet instant, on aura assisté à une longue dérive, conduisant à un développement asymétrique entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, à des crises récurrentes ayant à plusieurs reprises mis la zone euro au bord de l’abîme, à une austérité censée conjurer des déficits budgétaires et un endettement des États pourtant largement dus aux effets du ralentissement des économies des nations du Sud du continent, et surtout, à partir de 1980, à la désindustrialisation de la France — elle-même étant largement la résultante de taux d’intérêt excessivement élevés car alignés sur ceux de la Bundesbank.

« La supercherie aura été, des années durant, dissimulée derrière la fiction du ‘’couple franco-allemand’’. Fiction que le chancelier Kohl ne dissimulait d’ailleurs pas, en disant dès 1990 : ‘’Nous sommes devenus le numéro un en Europe, mais il ne faut surtout pas le dire.’’ Plus près de nous, à l’aube des années 2000, le sociologue Ulrich Beck ira jusqu’à décrire l’Europe comme un ‘’empire libéral’’ ; ce par quoi il sous-entendait assez clairement que la puissance allemande était parvenue à installer son hégémonie par la voie économique, ce qu’elle avait échoué à réaliser par la voie militaire expérimentée à travers deux conflits mondiaux.

HISTOIRE D’UN DÉSASTRE

« En formulant semblable constat, il ne s’agit nullement de réveiller les vieilles obsessions anti-allemandes, en France comme en Europe. Mais, simplement, de relever à quelles dévastations cette démarche folle aura conduit tous les peuples du Vieux Continent, le peuple allemand inclus. Au fil des années, au nom de la ‘’concurrence libre et non faussée’’, on aura réduit en cendres tout un pan du droit social, des services publics et des conquêtes démocratiques des populations. On aura généralisé l’austérité, en vertu du dogme budgétaire des 3%. On aura toujours davantage éloigné les citoyens et les citoyennes de la construction d’une Europe de justice, en bafouant les résultats des référendums (tel celui ayant donné le ‘’non’’ au l’eurolibéralisme vainqueur en France voilà presque 20 ans), ou plus récemment en fomentant de véritables coups de force financiers, comme celui dont le gouvernement Tsipras aura été victime en Grèce en 2008. Ce qu’un ancien président de la Commission, Monsieur Juncker, n’aura pas hésité à justifier en proclamant, en 2015, qu’il ne pouvait ‘’y avoir de choix démocratique contre les traités’’. Plus encore, on aura élargi sans cesse le périmètre de l’Union, au prix d’un approfondissement du dumping social — les salaires extrêmement bas des nouveaux pays entrants apparaissant comme une bénédiction aux entreprises et aux capitaux en quête de profits en hausse —, donc d’une accélération des délocalisations, mais aussi d’une aggravation des politiques d’ajustement structurel, du démantèlement des services publics et de l’affaiblissement des politiques publiques.

« Dans la foulée, plutôt que de construire l’indépendance de l’Europe, afin de lui permettre de promouvoir une politique de paix et de coopération entre les peuples, on l’aura aligné sur la puissance américaine, principale inspiratrice et bénéficiaire de la globalisation  marchande et financière. Tout cela, pour en arriver à la disjonction de plus en plus marquée de la trajectoire des différentes économies du continent. Au point que le ‘’couple franco-allemand’’ aura fini par éclater ; que l’élargissement sans fin de l’UE n’aura fait qu’étendre la zone d’influence de l’Allemagne à l’Est ; que Berlin y aura trouvé les marges de manoeuvre lui permettant de pousser désormais à un nouveau fonctionnement de l’Union, avec la généralisation de la prise de décision à la majorité qualifiée ; que, de ce fait, s’ouvrira nécessairement, tôt ou tard, le débat sur le maintien du siège de la France au Conseil de sécurité ; et que, pour la première fois depuis l’effondrement du III° Reich, Monsieur Scholz aura initié le réarmement massif de son pays, relayant de cette manière les injonction états-uniennes au sein de l’Alliance atlantique, et consacrant des milliards de dollars à l’achat de matériels produits par les firmes d’outre-Atlantique (il ne lui aura pas même importé qu’il torpillait du même coup l’idée d’une industrie de défense européenne, et qu’il portait un rude coup aux entreprises françaises de ce secteur). 

« Ceux qui, à gauche et singulièrement du côté de la social-démocratie, nous auront abreuvés de prophéties autoréalisatrices sur le fait que l’unité européenne ouvrait inévitablement la voie à l’Europe sociale doivent bien, à présent, constater qu’ils nous auront vendu du vent. L’Union européenne, que les bases où on l’aura bâtie, n’est ni vecteur de paix, ni synonyme de progrès. 

PRENDRE LES MOYENS D’UNE AUTRE EUROPE

« La question n’est donc pas de s’engager dans la fuite en avant d’une Europe fédéraliste construite dans le dos des peuples, ni de se replier de manière défensive sur une  illusoire ligne de ‘’désobéissance’’. Elle est de porter une autre conception : où les conquêtes sociales soient alignées par le haut ; où la Banque centrale européenne puisse dégager les crédits indispensables à la réindustrialisation des nations, au redéploiement des services publics et à la transition écologique — via, notamment, un fonds de développement dédié, comme le proposent les communistes —, ce qui implique qu’elle soit replacée sous le contrôle démocratique des États ; où la souveraineté des peuples soit respectée et où les nations recouvrent la liberté de nouer entre elles des coopérations dans les domaines qu’elles souhaitent (ce qu’au Parti communiste français, nous désignons comme une ‘’Europe à géométrie choisie’’) ; où l’Europe recouvre une véritable autonomie stratégique, ce qui implique tout à la fois qu’elle se dégage de la tutelle de l’Otan et, qu’en toute indépendance, les États et les peuples puissent librement conclure entre eux des accords de défense concourant à la sécurité collective du continent. 

« Dit autrement, cette Europe deviendrait une union des peuples et des nations libres, souverains et associés. Elle s’inscrirait dès lors dans la continuité de l’intuition de Jean Jaurès, tournant le dos à ce ‘’césarisme monstrueux’’,  produit ‘’par un saint-empire capitaliste (écrasant) à la fois les fiertés nationales et les revendications prolétariennes’’, qu’ildénonçait déjà à son époque.

« La condition pour que cette ‘’autre Europe’’ voit le jour n’est certainement pas que la France continue d’avaliser une logique, néolibérale et impériale, laquelle encourage les rivalités d’intérêt et les dynamiques de profitabilité, concourant de ce fait à mettre la paix en grand péril et conduisant à sa perte l’idée européenne elle-même. Elle suppose plutôt qu’elle récupère une voix indépendante dont les propositions puissent être entendues et débattues par l’ensemble des citoyens et des citoyennes du continent. »  

Que l’on ne s’y trompe pas : le débat des élections européennes de ce 9 juin porte sur l’avenir. Celui du Vieux Continent, que le néolibéralisme mène à une authentique débâcle, en lui barrant le chemin du progrès social, de la démocratie, de l’indépendance et de la paix. Celui de la France, que les politiques mises en place depuis trop longtemps, de désindustrialisation, de libre-échangisme débridé et d’inféodation aux desseins de la puissance impériale nord-américaine, ont plongé dans une crise de décomposition politique qui permet à l’extrême droite de s’approcher du pouvoir comme jamais depuis la Libération, tandis qu’elle la privent de poids, de projet et de voix pour faire prévaloir en Europe des objectifs conformes au meilleur de son histoire, à ses principes d’égalité, de justice et d’universalité des droits humains. Celui de la gauche, qui renoncerait pour très longtemps à retrouver sa base sociale naturelle, le monde du travail et les catégories populaires, si elle continuait à se soumettre aux règles du nouvel âge du capitalisme, lesquelles rendent impossibles jusqu’à la mise en oeuvre des politiques traditionnelles — keynésiennes, pour le dire rapidement — de la social-démocratie. Monsieur Glucksmann n’est-il pas en train d’en faire la triste démonstration, lorsque son européisme social-libéral l’amène à s’opposer au mouvement syndical uni qui se dressa, l’an passé, en défense d’un âge de départ à la retraite que les sommets de l’Union européenne veulent, avec Emmanuel Marron, repousser toujours plus loin ? Il reste maintenant moins de deux semaines pour qu’une gauche populaire, républicaine, universaliste opère son grand retour au Parlement européen. Une gauche qui refuse d’abandonner le monde du travail à la désespérance, et pour laquelle la « souveraineté du travail » — en d’autres termes, la volonté de prendre le pouvoir sur la finance — dont Jean Jaurès avait fait son drapeau, s’avère indissociable de la défense de la souveraineté démocratique du peuple. Une gauche qui refuse, d’un même mouvement, le renoncement devant une finance destructrice de droits et les postures prétendument radicales d’un populisme de gauche qui oublie volontiers le travail et les travailleurs, leur préférant un électoralisme indigne. Cette gauche, la liste conduite par Léon Deffontaines entend la représenter dans la campagne présente, en rassemblant à la fois des formations issues de toute la gauche (la Gauche républicaine et socialiste, L’Engagement, Les Radicaux de gauche, ou le Mouvement républicain et citoyen) et des hommes et des femmes engagés dans les grands combats du monde du travail ces dernières années. Son intitulé résume la démarche : « Reprendre la main en France et en Europe. »

Christian_Picquet

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