Où va la France ? Où va la gauche ?

Heureusement, nous venons de sortir d’une année politique à l’intensité folle sur deux notes éminemment positives. Je veux d’abord parler de l’esprit de responsabilité ayant permis, par-delà des désaccords connus autant qu’incontournables — j’y reviendrai — aux directions des quatre formations du Nouveau Front populaire de s’accorder sur le nom d’une Première ministre, en l’occurrence Lucie Castets, à proposer à Emmanuel Macron, auquel il s’agit maintenant, on le sait,  d’imposer qu’il respecte la volonté populaire qui a placé la gauche en tête du second tour des élections législatives, le 7 juillet. Nombre d’hommes et de femmes, remobilisés pour faire barrage à la menace d’une majorité lepéniste à l’Assemblée nationale, commençaient en effet, devant la durée des discussions, à se résigner à l’idée qu’un nouveau cycle de désillusion politique allait s’ouvrir, éloignant notre camp du pouvoir pour très longtemps. L’autre bonne nouvelle, ce furent les Jeux, et singulièrement leur cérémonie d’ouverture, venus réveiller la fierté d’appartenir à cette nation ayant, tel un défi lancé aux aristocraties coalisées de la fin du XVIII° siècle, offert à l’Europe et à l’humanité l’horizon d’émancipation affiché par une République conjuguant son unité et sa diversité à tous les temps de l’universalité proclamée des droits humains. Quelque part, ils auront été l’hommage du vice à la vertu, ces commentaires haineux devant les tableaux vivants s’étant succédé au soir du 26 juillet, venus d’une droite rancie et d’une extrême droite réalisant qu’elle n’avait pas tout à fait remporté la bataille des idées. On peut ou non apprécier les diverses performances ayant structuré le spectacle proposé à un milliard d’individus aux quatre coins de la planète, mais on doit simultanément se féliciter de l’indépendance dont auront bénéficié les créateurs — comme un hommage au célèbre « Toute licence en art » d’André Breton en un temps où, déjà, la culture devenait la cible première des dictatures proliférantes qui n’allaient pas tarder à emporter le monde dans la guerre —, et saluer le rappel qui les a inspirées : la France, hôte de ces olympiades, fonde son identité, non sur un chauvinisme agressif et diviseur, mais sur les principes indissociables de liberté, d’égalité et de fraternité. Le temps d’une soirée magique, Paris aura retrouvé son statut de capitale universelle du combat contre tous les obscurantismes, tous les racismes, toutes les ségrégations sexistes ou homophobes, tous les enfermements identitaristes, qui creusent les fractures entre les peuples et en leur sein même. De quoi raviver les valeurs de l’olympisme, faire du défilé des délégations — de toutes les délégations, celle d’Israël tout autant que celles venues d’Iran ou d’Afghanistan, car il est toujours ignominieux de rendre les peuples responsables des crimes de leurs dirigeants — une ode à l’entente de toutes les nationalités formant la grande chaîne de l’espèce humaine, et redonner au peuple français le plaisir d’assister à ces compétitions où les athlètes tricolores brillent même lorsqu’ils ne décrochent pas de médailles. Savourons, car nous serons hélas vite rattrapés par d’autres épreuves, anxiogènes s’il en est, celles de cette crise française dans laquelle nous ne cessons de nous enfoncer. Éloigné de ce blog durant les semaines ayant suivi le 7 juillet, pour participer aux travaux dont sera finalement sorti le nom de Lucie Castets, je profite de la légère accalmie aoûtienne afin de contribuer à une réflexion indispensable sur l’état de la France et de la gauche. 

Bien sûr, pour une grande majorité de nos compatriotes, le soulagement fut immense que le pire eût été épargné à notre pays, au soir d’un second tour de législatives provoquées, au risque d’un invraisemblable chaos, par un président ayant cru, sur un coup de dés et sous l’effet de sa déconnexion du réel, sauver son quinquennat du naufrage. De fait, les Françaises et les Français se retrouvèrent au rendez-vous du sursaut républicain qui vit, dans les 305 circonscriptions où une triangulaire était possible, le retrait de 217 des candidats arrivés en troisième position à l’issue du premier tour. Ce qui, dans le cadre du scrutin majoritaire en vigueur et d’une mobilisation exceptionnelle de l’électorat, ne permit au Rassemblement national et à ses affidés ciottistes que de faire élire 142 députés, alors que les sondages leur en promettaient au moins cent de plus. Il n’en demeure pas moins que, à travers la fragmentation du corps électoral s’étant traduit par celle du nouvel Hémicycle, chacun peut désormais mesurer la gravité d’une désintégration politique, institutionnelle, sociale et idéologique.

CRISE DE RÉGIME ET CRISE DE LA RÉPUBLIQUE

La défaite sans appel du camp présidentiel, ayant perdu une bonne centaine d’élus, les survivants ne devant leur bonne fortune qu’à la mobilisation citoyenne contre le danger de voir l’extrême droite conquérir les manettes, laisse le Prince élyséen affaibli et privé de légitimité comme aucun de ses prédécesseurs. Il avait précipité cette consultation espérant incarner, pour une majorité « centrale » du corps électoral, un ultime rempart contre le saut dans l’inconnu. La déroute de ses partisans est donc d’abord la sienne. Faisant dorénavant l’objet du rejet massif qu’enregistre chaque enquête d’opinion, sanctionné successivement aux européennes puis aux législatives pour sa politique d’adaptation brutale de la France aux normes du néolibéralisme sauvage, n’ayant plus aucun projet à valoriser pour solidifier le « bloc bourgeois » que les décideurs le félicitaient d’avoir réuni en 2017, il ne peut dorénavant s’appuyer ni sur son parti, devenu une sorte de Radeau de la Méduse, ni sur des députés se détournant de lui après la débâcle qu’il leur a fait subir. Le 7 juillet, si la Macronie sera parvenue à conserver quelques représentants parlementaires, le macronisme sera définitivement mort.

Évidemment, la crise de régime, aggravée à la chaleur du gigantesque mouvement contre le passage à 64 ans de l’âge du départ à la retraite, s’en trouve portée à son paroxysme, dès lors que le premier personnage de l’État est censé représenter la clé de voûte de nos institutions. Ces dernières n’ayant, au fil des ans, cessé de dériver vers le présidentialisme, on entre dans un temps de convulsions aiguës lorsque le détenteur du Trône ne dispose plus, comme c’est le cas aujourd’hui, de la faculté de se placer en surplomb des conflits traversant la société, et se retrouve en première ligne de toutes les confrontations. 

La V° République peut sans doute affronter la tempête qui se lève grâce à un appareil étatique toujours solide, mais elle ne saurait durablement garantir la stabilité de l’ordre politique. Sans changements profonds de l’équilibre des pouvoirs, donc sans une nouvelle architecture institutionnelle, et a minima sans une révision d’un mode de scrutin qui déforme systématiquement le vote populaire, nous entrerons dans une longue période d’incertitudes et d’accélérations que nul n’aura anticipé. D’une certaine façon, le retournement de situation que nous avons vécu entre les deux tours du dernier scrutin, le succès annoncé de l’extrême droite se transformant en revers cinglant pour celle-ci, est annonciateur du type d’événements que nous sommes appelés à connaître dans le futur. 

C’est une tout autre relation qu’il importe de nouer avec le pays. Pierre Mendès France en pressentait le besoin lorsqu’il écrivait, peu après que la Constitution de la République gaullienne eût été portée sur les fonts baptismaux : « La démocratie de l’État peut-elle vivre si le plus grand nombre possible d’individus ne participent pas directement à la gestion des affaires ? Non, car la démocratie ne se localise pas au sommet. Le bulletin de vote demeure symbolique si le citoyen se satisfait de cette forme de souveraineté. La volonté nationale ne peut triompher que si le peuple exerce directement son action au sein des innombrables organisations, locales et nationales, où sont traitées les questions qui ont des conséquences sur la vie publique » (in La République moderne, NRF-Idées, 1962).

La tourmente présente ne peut qu’accélérer l’effondrement que connaissent toutes les formes de représentation et que l’abstentionnisme reflète dorénavant à l’occasion de la quasi-totalité des consultations. Celui-ci se révèle patent au plan politique, lorsque tous les instituts de sondage mesurent la défiance dont font l’objet les partis et leurs figures de proue, presque aucune de ces dernières ne bénéficiant d’une confiance majoritaire dans l’opinion. Elle rejaillit sur les élus, dès l’instant où le sentiment se répand que les citoyens ne sont jamais écoutés ni entendus. Elle affecte également les organisations syndicales, bien que la mobilisation en défense du droit à la retraite, grâce à leur unité préservée jusqu’au dernier instant, ait conduit le salariat à les soutenir massivement ; l’échec de cet imposant surgissement social reste toutefois à digérer, affectant la confiance que le monde du travail possède en ses propres forces.

Cette nouvelle donne recoupe les fractures territoriales dont j’ai parlé à d’innombrables reprises dans ces colonnes. Plus l’électeur se retrouve éloigné des métropoles qui attirent l’essentiel des richesses, en particulier dans cette France des sous-préfectures et de la ruralité où a été amenée à résider une très ample partie de la classe travailleuse et des catégories populaires — mais on constate des perceptions semblables, quoique avec d’autres déterminants politiques ou culturels, dans les quartiers populaires de la périphérie des grandes agglomérations —, et plus il s’estime relégué, ignoré et impuissant à faire entendre ses attentes. 

Semblable rupture du lien de représentation se révèle d’une extrême dangerosité. Si, pour des millions de nos concitoyennes et concitoyens, la conviction s’enracine que la démocratie — fondée de par notre histoire sur la souveraineté du peuple, et permettant la coexistence des opinions contraires parce que les mécanismes de délibération collective sont reconnus de tous et toutes — est devenue pure incantation vidée de sens, des éruptions de violence immaîtrisables menacent inévitablement, et le recours à des solutions de force ouverte peut trouver de nouveaux adeptes. Ce qui est vrai pour des électeurs de gauche qui considéreraient leur vote trahi par le méprisant du faubourg Saint-Honoré, l’est tout autant, sinon davantage, pour les hommes et les femmes ayant choisi le RN et pouvant être amenés à l’attitude décrite par le politologue Jérôme Fourquet : « Il y a eu une espérance forte chez ses électeurs, surtout dans les endroits où il a fait plus de 40%, et en même temps, cette prise de conscience implacable que le RN ne peut arriver au pouvoir dans des circonstances normales » (Le Figaro-Magazine, 12 juillet 2024).

Aussi, est-ce jouer avec le feu que de refuser de reconnaître le verdict des urnes et de charger la coalition arrivée en tête des législatives de former un gouvernement, comme c’est l’usage. Jusqu’à ce que l’ouverture des JO ne vienne l’autoriser à décréter en majesté une « trêve politique », Monsieur Macron aura tout mis en oeuvre pour tenter d’accréditer sa lecture de la situation, résumée au fait que le Nouveau Front populaire serait minoritaire. Il eût cependant pu prendre la réalité en compte, lorsque la réélection sur le fil, et au terme de manoeuvres plus tordues les unes que les autres, de Madame Braun-Pivet au « perchoir » n’empêcha pas, quelques heures plus tard, ses partisans d’être privés de la majorité qu’ils espéraient au sein du bureau de l’Assemblée. 

Il est urgent de forcer le monarque élyséen, retranché dans son palais comme dans un bunker, d’admettre le principal enseignement des scrutins des 30 juin et 7 juillet : quels qu’aient été ses votes, et à travers la déroute infligée à la Macronie, la nation a exprimé sa volonté de changements profonds. L’ignorer conduira seulement à l’enfoncer dans le ressentiment, voire la rage impuissante, nourrissant ce faisant toutes les tentations de l’aventure.

Au fond, c’est de la République elle-même que nous vivons au quotidien les affaissements. Certes, elle n’a pas dit son dernier mot, l’engouement citoyen pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques l’a parfaitement établi. Il n’empêche ! Cela fait des décennies que le nouvel âge du capitalisme, dans sa volonté acharnée d’anéantir le « pacte social » né à la Libération, s’emploie à nourrir une contre-révolution politique dont les conquêtes de notre Grande Révolution sont les premières cibles, dès lors qu’elles apparaissent toujours aux détenteurs de privilèges comme un facteur de résistance à l’idéologie de la compétition de tous contre tous, du repli individualiste, du consumérisme à tout-va. À mesure que le régime se désagrège, que le lien de représentation se délite, que l’impression de n’être plus en démocratie se développe, que la certitude d’appartenir à la même nation ne va plus de soi, ce sont les piliers de notre construction républicaine qui vacillent un peu plus. La montée en puissance de l’extrême droite en est l’immédiate traduction. Avec, notamment, la conséquence soulignée par le sociologue François Dubet : dès l’instant où c’est le rapport des forces entre les classes qui s’est dégradé au bénéfice des possédants, « le commun devient l’identité, il n’est plus la classe sociale » (La Croix, 19 juin 2024).

Pour ce motif, je ne suis nullement de ceux qui considèrent les électeurs et électrices du RN comme une « masse de gens racistes », point à la ligne. Jean-Luc Mélenchon a asséné cette analyse pour le moins sommaire à la presse européenne le 21 juillet, sans chercher à comprendre pourquoi la détresse sociale et la souffrance de l’exil intérieur pouvaient conduire celles et ceux qui les subissent à se retourner contre leurs propres intérêts. Plus intéressant eût été de s’intéresser au fait qu’en se tournant vers ce qu’ils croient être une planche de salut, ces hommes et ces femmes laissent polluer leurs consciences par une idéologie qui s’oppose, thème après thème, à tout ce qui a pu les protéger depuis le rétablissement de la République par la Résistance, c’est-à-dire aux principes qui ont si longtemps fondé notre vie collective. 

Ces principes, ce sont ceux qui opposent l’intérêt général à l’égoïsme des puissants comme à la juxtaposition des intérêts particuliers, ceux qui refusent de sélectionner les Français à partir de leurs origines ou de leurs convictions religieuses, ceux qui considèrent que la puissance publique a pour premier devoir impérieux de garantir le « droit à l’existence » de chacune et chacun, ceux qui font du peuple et non d’un quelconque sauveur suprême le seul maître de toute chose… Sans ces principes, gravés dans le marbre du préambule de notre Constitution depuis 1946, la Sécurité sociale, les conquêtes du droit du travail, les congés payés, l’école gratuite pour tous les enfants et tant d’autres acquis parfois plus récents, comme le droit à l’interruption volontaire de grossesse, eussent-ils seulement existé ? Regardez ce qui se passe en Hongrie, dirigée depuis des années par l’un des plus solides alliés du Rassemblement national au Parlement européen, et vous aurez la réponse…

TURBULENCES FINANCIÈRES À L’HORIZON

C’est à ce moment précis de la tourmente multiforme qu’affronte notre Hexagone que le capitalisme français doit faire face à de redoutables défis. Il lui faut, en particulier, s’insérer dans une configuration planétaire mouvante et incertaine, où le modèle marchand et financier imposé au globe entier se désintègre littéralement, où se réorganisent les rapports de force entre puissances et firmes transnationales, où les jeux d’alliances se recomposent à grande vitesse, où les concurrences de toute sorte s’exacerbent, et où cette globalisation émiettée peut conduire à la guerre. Dernière en date des traductions de cette nouvelle configuration, un mini-krach boursier vient d’éclater à Wall Street en ce début août, engendré par un début d’explosion de la bulle financière de l’intelligence artificielle, et elle dessine la menace d’une possible récession mondiale. 

Cette montée des enchères se réfracte sur une construction européenne que le néolibéralisme a mené au bord du gouffre, la zone euro oscillant entre stagnation et faible croissance sur fond d’évanouissement du projet qui rassemblait hier encore ses classes dirigeantes. Sa première économie, l’Allemagne, enregistre même, simultanément, le reflux de sa production industrielle et la persistance des tensions inflationnistes, avec pour effet que la Banque centrale européenne se prépare à différer une nouvelle fois la baisse de ses taux. Comme le relèvent Les Échos, alors que l’activité était jusqu’alors tirée par les exportations et non par des demandes intérieures que l’austérité et la hausse des prix ont bridées, « interrogés par la Commission européenne, les industriels disent avoir vu leurs carnets de commande étrangères chuter en juillet. Et 40% d’entre eux estiment que la demande insuffisante est un facteur qui limite leur production » (Les Échos, 31 juillet 2024). 

Ce contexte explique pourquoi le Conseil de l’Union européenne vient de diligenter six procédures pour déficits excessifs à l’encontre de la France, de l’Italie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne et de la Slovaquie. Pour les bourgeoisies européennes, qui adhèrent aux préconisations d’une puissance allemande soucieuse de préserver un leadership que la détérioration de la conjoncture pourrait mettre à mal, l’heure est à imposer aux peuples une nouvelle cure d’austérité drastique. Qu’importe si le retour des absurdes règles des 3% de déficit public et des 60% de dette ne fera qu’enfoncer l’ensemble des économies dans la stagnation, les régressions sociales, la précarisation d’une proportion grandissante des populations. De retour à la tête de la Commission européenne, Madame Von der Leyen considère ainsi que rien n’est plus urgent que de faire aboutir l’union des marchés de capitaux, croyant de cette manière doper la compétitivité de l’UE.

Notre pays s’en retrouve sous la menace de voir les marchés financiers le mettre sous la pression d’une possible augmentation des taux d’intérêt, voire d’une forte restriction de ses capacités d’emprunt. Anticipant l’arrivée d’un éventuel gouvernement du Nouveau Front populaire, et surtout profitant de l’affaiblissement que nous vaut le désordre politique causé par Emmanuel Macron, le ministre des Finances allemand, Christian Lindner, s’en trouve encouragé à se placer en tuteur de notre Hexagone : « L’Allemagne doit continuer à être le pôle de stabilité de l’Union économique et monétaire et de l’Union européenne dans son ensemble. Nous devons montrer l’exemple en matière de politique financière » (Les Échos, 18 juillet 2024). Et d’avertir, dans la foulée, que Berlin s’opposera à ce que nous puissions bénéficier du mécanisme de stabilité que la BCE a la faculté d’actionner au bénéfice d’un pays membre en cas d’urgence. 

La France, quoi que prétendent les tenants ultralibéraux de coupes claires dans les dépenses de l’État, au nom de la réduction d’une dette publique ayant considérablement enflé avec la pandémie du Covid, se trouve très loin de l’étranglement auquel fut soumise la Grèce en 2009, ou même du péril encouru par l’Italie en 2011. Les inquiétudes des milieux d’affaires n’en grandissent pas moins, de jour en jour, Nicolas Baverez les exprimant avec une grande netteté quand il pointe l’une des conséquences majeures, hors de nos frontières, de notre chaos intérieur : « Dans la zone euro, le changement est également spectaculaire, car nos partenaires ont compris que la France était non seulement un risque pour elle-même, mais pour eux tous puisque nous jouons avec leur monnaie, leurs finances, leur réputation sur les marchés » (L’Express, 18 juillet 2024). Cette thèse est contestable par son enfermement dans l’appel aux sacrifices exigés d’une population n’ayant que son travail pour vivre. Mais qu’elle puisse être développée sur plusieurs pages d’un de nos grands hebdomadaires nationaux dit à quel point Emmanuel Macron a perdu la confiance de ceux qui l’ont installé.  

Ce dernier n’en est que plus enclin, pour rassurer le capital, qu’il soit d’ailleurs français ou européen, à refuser le moindre infléchissement d’une orientation qui n’aura fait, en sept ans, que répondre aux exigences du business et transformer notre société en un volcan prêt à exploser. Recevant à l’Élysée, le 25 juillet, une brochette des plus grands patrons internationaux, on l’aura donc vu réitérer son refus de voir la gauche accéder au affaires, avant de s’engager à intensifier le mouvement de casse des droits sociaux et de dérégulation de l’économie, déclinant sans pudeur le dogme cher au Medef du « coût » excessif du travail : « Quand je regarde les chiffres de l’OCDE, on voit que la France est l’un des pays où la quantité de travail par habitant est la plus faible, donc on n’a pas besoin de la réduire. » Ce qui fut traduit, à l’occasion de l’intervention télévisée du 18 juillet, par des coups de chapeau répétés au « pacte législatif » proposé par Laurent Wauquiez, tout entier orienté par la volonté d’infliger, à un peuple qui réclame  apaisement et réparation, un violent tour de vis anti-social et liberticide. 

DANGER DE VIDE INSTITUTIONNEL

Placée devant le double enjeu d’une crise de régime doublée d’un possible choc économique et financier, la classe dirigeante se voit, en quelque sorte, sommée de trouver une issue à une impasse  particulièrement dangereuse. Dans la mesure où aucune coalition ne dispose, au Palais-Bourbon, d’un nombre de sièges suffisant pour s’épargner une motion de censure — la gauche ne totalisant que 193 députés, mais une éventuelle alliance de la Macronie avec les amis de Monsieur Wauquiez n’en détenant que 213, alors qu’il faut 289 voix pour atteindre la majorité absolue de l’Hémicycle —, le Rassemblant national, bien que battu dans les urnes, détient une position charnière. Avec presque onze millions de suffrages et 142 sièges gagnés avec ses alliés ex-LR (soit 50 de plus qu’en 2022), il est paradoxalement l’un des principaux bénéficiaires de la dissolution : il a encore élargi sa base électorale au sein de cette fraction du monde du travail et des catégories populaires dont le vote s’apparente à un immense désespoir devant le mépris et l’ignorance des puissants ; et ses voix à l’Assemblée peuvent décider du sort des gouvernements comme des textes législatifs.

J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire à diverses reprises, l’hypothèse d’une solution bonapartiste plane sur le pays, depuis que le macronisme est entré en agonie. Ce dernier phénomène politique résultait lui-même d’une tentative césariste visant à offrir tous les pouvoirs à la finance, mais s’étant lamentablement abîmée sur le surgissement des « Gilets jaunes, puis sur un choc sanitaire venu démontrer à quel point les dogmes néolibéraux avaient mené à une totale faillite. Un nouvel assaut bonapartiste devient envisageable de nos jours, lorsque le marasme s’installe sans issue perceptible, lorsque les forces possédantes aspirent dès lors à une remise en ordre politique, et lorsque l’extrême droite, par ses forces accumulées et à travers la dynamique conquérante qu’elle est parvenue à enclencher au fil des années, est à présent en capacité de devenir le môle d’un nouveau bloc autoritaire. Un bloc auquel pourrait venir demain s’agréger diverses fractions, issues de l’ancien « bloc bourgeois » en déshérence, que leur droitisation accentuée ces derniers temps ont rendu pleinement disponibles à une telle possibilité. 

Des contre-tendances existent cependant. Le 7 juillet aura démontré que le national-lepénisme continuait de se heurter à l’attachement des Françaises et des Français aux promesses d’égalité de leur République. Et il aura rouvert un chemin d’espoir pour la gauche, pour peu qu’elle sache se donner les moyens de la reconquête d’une majorité politique. La question lui est donc aujourd’hui posée de son message en direction du plus grand nombre et de ses capacités d’initiative, qui décideront in fine du dénouement de l’affrontement en cours.

Résumons l’enjeu. En ce début du mois d’août, nous savons qu’Emmanuel Macron fera tout pour empêcher la formation d’un gouvernement de gauche. Telle est la feuille de route qu’il considère avoir reçu du capital, à travers les innombrables messages que les représentants de ce dernier lui ont adressés. Cette attitude, qui entend imposer au corps électoral son propre agenda autocratique, en un moment pourtant où sa légitimité s’avère en lambeaux et qu’il ne possède plus la moindre majorité dans quelque institution que ce soit, crée un état de vide institutionnel comme on n’en aura pas connu depuis la création de la V° République. D’un côté, une présidence dépourvue d’autorité et régnant avec pour tout appui la haute technocratie étatique, de l’autre, une société se retrouvant sans le moindre répondant dans les Assemblées : il n’existe plus d’amortisseur entre les sommets de l’État et le peuple.

LA BATAILLE DE LA LÉGITIMITÉ

Il convient de prendre la pleine mesure du fait que pareille configuration est de nature à provoquer des explosions de colère que nul n’aura les moyens de maîtriser. Ni le clan gouvernant, qui ne peut plus escompter y faire face que par la coercition, dont on sait qu’elle ne suffit jamais à rétablir le calme et le dialogue. Ni le monde syndical, auquel il reste à redéfinir une stratégie de lutte à même de rassembler et d’obtenir des victoires. Ni le Nouveau Front populaire, qui n’est pas politiquement majoritaire, et dont les difficultés à s’accorder sur la proposition d’un Premier ministre seront venues rappeler que l’accord conclu sur un contrat de législature n’effaçait pas les différences entre ses composantes sur les orientations à déployer. En ce sens, nous pourrions demain vivre des épisodes plus proches des mouvements des « Bonnets rouges » ou des « Gilets jaunes », que de l’immense sursaut social de l’an passé.

Dans un tel moment, rien n’était plus nécessaire, pour la gauche, que d’honorer la demande venue des Françaises et des Français. L’équilibre à trouver n’était évidemment pas aisé, l’hégémonie revendiquée par La France insoumise depuis 2022 n’étant plus de mise en cet été 2024, tandis qu’un nouveau rapport de force est loin d’être installé entre les différentes sensibilités. Il aura été permis par la désignation d’une personnalité n’appartenant à aucun parti, tout en étant unanimement appréciée pour ses combats en faveur des services publics. Cela aura permis d’engager, avec l’Élysée, un indispensable bras-de-fer pour le respect de la souveraineté populaire, en l’adossant à l’annonce des mesures immédiates que déciderait une équipe de progrès pour répondre aux urgences. Une bataille essentielle, le sentiment que la France n’est plus une démocratie pouvant conduire des secteurs entiers de notre peuple à emprunter des chemins de traverse pour tenter de se faire entendre.

Cette bataille ne saurait toutefois suffire à affronter les bouleversements en cours. Devant le coup de force tenté par l’Élysée, c’est autour de la formation d’une contre-légitimité démocratique que doivent se concentrer nos efforts dès la rentrée. Sauf à préparer une tout autre épreuve de force, à partir de l’exigence de la démission du président de la République, dont on ne peut imaginer qu’elle résoudra par elle-même la crise française, et dont on devrait même redouter qu’elle ouvre un boulevard à une extrême droite jamais aussi proche du pouvoir, on ne saurait laisser s’aggraver la destructuration politique et institutionnelle tout au long de l’année qui, constitutionnellement parlant, rendra envisageable une nouvelle dissolution. Ceux qui, sur le théâtre politique, assimilent les effondrements de l’ordre politique à l’émergence d’une future révolution citoyenne, s’abusent et, pire, ils abusent celles et ceux qui les écoutent.

Tirant le bilan des deux séquences électorales auxquelles il venait de participer, le Parti communiste français a mis en débat l’idée « d’États-généraux » décentralisés, afin que partis du Nouveau Front populaire, forces syndicales ou associatives, acteurs de la culture et de la création,  citoyens élaborent ensemble les réponses à apporter aux problèmes de la nation. 

L’idée, peu importe comment on la désignera au bout du compte, est maintenant à la disposition de toutes celles et de tous ceux qui constatent comme nous que, du séisme menaçant, ne surgira pas nécessairement une perspective positive, loin s’en faut, tant les aventuriers du national-lepénisme se sont placés en embuscade. Nous disposons d’un atout-maître pour nous atteler à une nouvelle construction démocratique ambitieuse, faisant entrer en synergie l’ensemble des énergies et expériences disponibles. Pour la première fois depuis très longtemps, à travers la dynamique de mobilisation contre la menace extrême-droitière, partis de gauche, forces syndicales, mouvements associatifs, réseaux citoyens ont rompu avec l’indifférence réciproque qui paralysait, hier encore, leurs coopérations. Ils l’ont fait, naturellement, dans le respect de l’indépendance de chacun, les structures du mouvement social ayant contribué à faire battre le Rassemblement national sans s’impliquer en tant que telles au sein de la coalition regroupant toute la gauche.

Un chemin de co-construction, débarrassée de toute velléité de manipulation ou de domination, peut dès cet instant s’ouvrir. Si les innombrables aspirations à la justice et à la démocratie pouvaient trouver un débouché commun, à travers un processus où elles pourraient s’exprimer et donner naissance, par exemple, à la mutualisation des réflexions à l’oeuvre dans toute la France, à l’écriture de cahiers d’exigences ou à des propositions législatives, le vide institutionnel laisserait place à un puissant désir de convergence autour d’un intérêt général de nouveau partagé. Du même coup, c’est la fragmentation sociale et territoriale minant depuis trop longtemps les possibilités d’implication populaire pour sortir du marasme, qui pourrait commencer à régresser.

CES DÉBATS QUI S’IMPOSENT À GAUCHE

Il m’eût été impossible de mettre un point final à ce long tour d’horizon, sans m’arrêter sur l’état de la gauche. Elle aura su déjouer la manoeuvre présidentielle de la dissolution, grâce à la formation en quelques jours d’un Nouveau Front populaire, coalition ayant su échapper aux errances de feue la Nupes. Pour autant, son arrivée en tête du second tour des législatives ne saurait occulter ses fragilités persistantes. 

La moindre de celles-ci n’est, évidemment, pas son échec réitéré à reconquérir les secteurs du monde du travail et des catégories populaires qui seront demeurés défiants envers la politique et l’auront exprimé en désertant les isoloirs, ou que leur désespérance aura conduit à voter pour le Rassemblement national. Y compris lorsque ce dernier se sera révélé un imposteur de la question sociale, prêt à sacrifier ses promesses de justice pour gagner la confiance du grand patronat et de la finance… La carte électorale se fait, à cet égard, accusatrice pour notre camp : dans cette France qui se sent tenue à distance des métropoles, et où se concentre désormais une large partie des forces du travail, un cinquième seulement des ouvriers et des employés auront voté à gauche, tandis qu’il auront été quasiment 50% à se tourner vers le national-lepénisme.

Pour reprendre les catégories définies par les statistiques, nous aurons capté le soutien de 38% des professions intermédiaires, de 33% des cadres et des professions intellectuelles, auxquels se seront ajoutés, tout à la fois, un large pan de l’électorat et de la jeunesse des quartiers populaires situés en périphérie des agglomérations, et ce qu’il subsiste de nos points d’appui historiques (très souvent, cela dit, au terme de batailles homériques contre l’extrême droite). Nous aurons, certes, réuni presque neuf millions de voix, mais il en aura manqué plus de deux millions par rapport à la dernière présidentielle. S’il faut, par conséquent, se féliciter d’être, grâce à ces votes, arrivés en tête le 7 juillet, parler de « victoire » serait abusif, tant nous demeurons éloignés d’une majorité politique franche. Ladite majorité ne saurait être atteinte sans que s’y retrouvent toutes celles et tous ceux qui sont les forces vives du pays, sans lesquels ce dernier n’eût pu se tenir debout dans l’épreuve du Coronavirus, et qui sont la source de toutes les richesses, à savoir les travailleurs et les travailleuses. 

Notre succès relatif du 7 juillet confirme, d’une certaine manière, la nécessité de nous battre pour former un gouvernement qui, commençant à traiter les préoccupations les plus impératives de nos compatriotes — de l’abrogation de la contre-réforme des retraites à l’augmentation des salaires, de la tenue d’une grande conférence sociale au renouveau des services publics ou encore à des mesures ambitieuses pour faire face au défi climatique, du recrutement de policiers de proximité en nombre suffisant à la politique économique et fiscale autorisant le financement de ces mesures de progrès —, permettrait à la gauche de retrouver de l’écho auprès de celles et de ceux qui s’estimaient jusqu’alors abandonnés d’elle. 

Au-delà, être arrivé en tête du vote populaire fait apparaître quels débats il nous faut à présent mener pour pouvoir entamer une véritable reconquête. Le premier de ces débats concerne la bataille des idées, cruciale pour surmonter les fractures sociales et territoriales, faire refluer les confusions dans les esprits, et aider une authentique conscience de classe à revoir le jour. Retrouver le chemin du monde du travail, des différentes composantes du peuple, suppose que nous sachions de nouveau leur parler de ce qui obsède leur quotidien : le travail et son sens ; le pouvoir d’achat et l’emploi ; la réindustrialisation de la nation ; la République à opposer aux dérives communautaristes et identitaires ; la sécurité, qui ne peut se concevoir sans un État reconstruit pour satisfaire l’intérêt général et sans des services publics redéployés au plus près des populations ; la France, que ses citoyens plébiscitent, on vient de le voir avec les Jeux, lorsqu’elle porte en direction du monde le message de l’universalisme, de la coopération entre les peuples, et de la paix…

Le second de ces débats a trait à la stratégie susceptible de faire renaître l’espoir chez des millions d’hommes et de femmes. Deux tentations se font jour aujourd’hui à gauche, celle d’un social-libéralisme  croyant son heure revenue et prétendant faire oublier à quels désastres il a mené sur tout le continent ; et celle d’un « populisme de gauche » n’ayant pas renoncé à ses rêveries hégémoniques, en dépit des impasses dans lesquelles il n’a cessé de s’enfermer lui-même ces dernières années.

Le retour du social-libéralisme, même mâtiné d’un discours prenant davantage en compte les revendications populaires, nous éloignerait définitivement de celles et ceux qui ont le plus souffert des abandons et reniements d’une partie de la gauche. On ne peut, de ce point de vue, qu’être inquiet lorsque, avec les sociaux-démocrates européens et en vertu du pacte qui les lie depuis des lustres à la droite conservatrice à Strasbourg et Bruxelles, Raphaël Glucksmann vient de voter l’investiture d’Ursula Von der Leyen à la tête de la Commission — bien que cette dernière ait décliné un discours de stricte facture ordolibérale à l’allemande. Fort de son résultat des dernières européennes, quoiqu’il ait réuni moins d’un électeur sur sept, loin des scores grâce auxquels le PS se considérait jadis comme l’épicentre de la gauche, le fondateur de Place publique se propose maintenant d’organiser « une rentrée événement » (Le Figaro, 5 août 2024). 

Le Parti socialiste se voit, depuis des années, tenaillé par un débat sur son identité et sa feuille de route, débat qu’il a jusqu’alors contourné tout en restant arrimé aux coalitions de toute la gauche. Nul ne se plaindra, on s’en doute, de cette résistance au retour des trahisons et  compromissions du passé. Mais cette formation ne pourra éviter longtemps d’aller au bout de la clarification s’il entend redevenir une force active dans la redéfinition d’une perspective de changement durable, donc de rupture avec le libéral-capitalisme, pour la France.

L’avenir n’est pas davantage du côté des choix opérés par La France insoumise. On le sait, Jean-Luc Mélenchon développe une orientation privilégiant la jeunesse radicalisée, les classes moyennes des métropoles, et l’électorat des quartiers populaires où son parti enregistre ses meilleurs scores. Justifiant un discours gauchiste et aux ambiguïtés antisystème savamment calculées, il théorise, à partir de son électorat, l’existence d’une « nouvelle France », justifiant par là son indifférence à l’endroit de celle qui manifeste sa souffrance en votant contre ses intérêts. Faisant en outre de la prochaine présidentielle — et, manifestement, de sa propre candidature dans ce cadre — le coeur de sa démarche politique, il n’hésite pas à laisser transparaître son inclination pour ce que l’on pourrait qualifier de politique du « quitte ou double ». « Nous finirons par arriver au deuxième tour de l’élection, assène-t-il. À partir de là, on dira au pays : ‘’Vous choisissez, mais ne croyez pas que ce n’est pas un choix.’’ Et puis après, cela s’appelle une démocratie, on s’incline. Si le pays vote fasciste, nous aurons en France un gouvernement fasciste » (Entretien avec la presse européenne, déjà cité). 

Voilà de quoi inquiéter celles et ceux qui pensent, à l’inverse, que tout doit être entrepris pour faire refluer la vague d’extrême droite, que cela exige de rassembler les énergies vitales du pays plutôt que de prendre acte de leurs divisions, et qu’à vouloir d’abord souder ses soutiens en leur tenant le discours ultimatiste grâce auquel ils ont été conquis, on se claquemure dans une posture minorisante. Au fond, dans les échanges de ce mois de juillet sur la formation d’un gouvernement de Front populaire, entre les partisans de l’application d’emblée de la totalité du programme proposé aux Français et les tenants de la recherche de majorités parlementaires sur des projets issus de ladite plate-forme afin que fût faite la démonstration de notre capacité d’engager concrètement des changements, il y avait bien en germes deux visions de la démarche à suivre. Je ne peux ici que rejoindre l’historien Xavier Vigna : « La stratégie de LFI lui permet de conforter son matelas électoral. En revanche, je ne vois pas comment cela peut lui permettre de conquérir le pouvoir. Jean-Luc Mélenchon mise tout sur l’élection présidentielle et la perspective d’un second tour qui l’opposerait à Marine Le Pen, ce qui me semble extrêmement risqué. Par ailleurs, les abstentionnistes qu’il cible sont ceux des quartiers populaires où LFI est déjà forte électoralement. Il s’agit donc de consolider ses bastions. Je ne vois pas comment on peut gagner électoralement là-dessus » (Mediapart, 28 juillet 2024). 

Ce que j’exprime, à travers ces remarques, ne procède d’aucune volonté polémique. Simplement, comme l’histoire s’est chargée de nous le démontrer, l’union n’est jamais aussi solide que lorsque les débats parviennent, entre partenaires loyaux, à se mener au grand jour, condition pour que les synthèses finales et les compromis inévitables fussent assumés collectivement. D’autant que l’un des défis que doit relever la gauche consiste à ne pas se contenter de discussions d’états-majors ou d’accords d’appareils, afin de permettre une pleine implication du monde du travail et du peuple dans le combat pour transformer la France. La référence au Front populaire, et à l’immense mouvement populaire qui l’accompagna dans les années 1930,  prend là tout son sens…  

J’en termine tout à fait. Pour dire que nous n’aurons certainement jamais eu tant besoin de réflexions communes. Parce que d’immenses périls pointent à l’horizon, et qu’il nous appartient de rechercher tous les moyens de les conjurer, je ne peux m’empêcher d’évoquer l’une des remarques que l’historien Marc Bloch retirait de son propre vécu, celui de l’effondrement de la République en 1940, même si aucune comparaison n’est naturellement de mise entre les situations : « Nous serons perdus si nous nous replions sur nous-mêmes ; sauvés, seulement, à condition de travailler durement de nos cerveaux, pour mieux savoir et imaginer plus vite » (in L’Étrange défaite, Folio-Histoire 2012).

Christian_Picquet

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