Quand brûlent des synagogues…

Il me faut, une fois encore, revenir sur cet antisémitisme immonde qui grandit à mesure que s’approfondit la crise de la République, comme cela aura été systématiquement le cas dans notre histoire. L’attentat terroriste — car c’en est un, tant par le mode opératoire choisi par ses auteurs que par la volonté de ceux-ci de causer le maximum de victimes — ayant visé la synagogue de La Grande-Motte, le samedi 24 août, en aura été la dernière manifestation spectaculaire. De cette nouvelle note, d’aucuns concluront peut-être au caractère obsessionnel de mes mises en garde répétées contre ce qu’annonce la recrudescence de la haine des Juifs. D’autres, découragés par un sentiment d’impuissance qui tend à se répandre, surtout s’ils sont de gauche et juifs, penseront sans doute que les mots sont dorénavant vains et que la bataille est perdue, tant en peu de mois l’atmosphère s’est empuantie. Je ne cesserai pourtant d’user, avec la modestie requise, de l’arme de ma plume pour tenter de réveiller quelques consciences assoupies ou égarées. J’ai, en effet, toujours considéré qu’en politique, lorsque l’on a un jour de sa vie décidé de se battre bec et ongles afin que triomphât l’émancipation humaine, c’est une faute impardonnable de baisser les bras devant l’intolérable, ou de pratiquer le déni des réalités lorsque celles-ci dérangent. Car ce genre d’attitudes finit toujours par produire le pire…

En l’occurrence, ce qui s’est produit, un jour de Shabbat, au coeur d’une station balnéaire de la côte méditerranéenne, représente un nouveau saut dans le développement du mal qui ronge la France et sa République. Un mal qui ne se résume pas, d’ailleurs, à cette judéophobie montante, en ce qu’il frappe d’autres secteurs de la population française, objets de campagnes racistes et xénophobes ignominieuses, dans le contexte d’ascension électorale de l’extrême droite. Reste que l’antisémitisme a cette spécificité d’avoir traversé l’histoire du globe entier et d’avoir, en Europe, engendré un Holocauste. Toujours, à cet égard, le ciblage des synagogues en aura annoncé ou la résurgence ou la montée en puissance. Non que de telles attaques veuillent s’attaquer seulement à une religion et à ses pratiquants, ce qui serait déjà odieux dans une nation qui, voici plus de deux siècles, aura proclamé l’égalité de tous ses enfants quelles que fussent leur origine ou croyance. En visant le lieu le plus symbolique de la vie juive dans un territoire, y compris pour les non croyants qui le fréquentent pourtant peu, les responsables de ces actes expriment en réalité la volonté d’éradiquer, pour ce qu’elle est, l’une des composantes de la France.

Ne l’oublions jamais, si les nazis s’en seront pris systématiquement à ces édifices culturels autant que religieux, en Allemagne d’abord puis dans les pays d’Europe qu’ils s’étaient assujettis, c’était pour accompagner leur « Solution finale ». N’ignorons pas davantage que c’est aussi, quoique plus tard, l’engrenage de l’épuration d’un certain nombre de sociétés du monde arabe qu’auront signifiée les profanations ou destructions des lieux de culte hébraïques dont l’existence avait, si longtemps, manifesté la coexistence apaisée des populations juives et musulmanes. C’est pour cette raison que l’attentat sanglant ayant visé la synagogue de la rue Copernic à Paris avait provoqué, en 1980, la levée en masse d’une gauche prenant alors conscience qu’un tournant venait de se produire, et que notre Hexagone entrait dans la spirale de crises entremêlées qui ne pouvaient manquer de réactiver en son sein la terrible « question juive »

CE QUE DIT L’ANTISÉMITISME DE L’ÉTAT DE LA FRANCE 

Bien sûr, le triste individu et ses comparses qui auront cherché à tuer des Juifs le 24 août ne représentent pas un danger de même nature que les fascismes européens d’hier. Il n’empêche ! Leur pulsion éradicatrice nous dit deux choses de ce qui travaille en profondeur notre société. D’abord, les crises économique, sociale, écologique, politique enfonçant dans le marasme la collectivité nationale et la fracturant profondément, l’essor des idéologies de la haine et du repli sur soi, l’expansion des intégrismes religieux, les peurs gagnant nos compatriotes dans un contexte international de guerre affectant dorénavant jusqu’au Vieux Continent, sont de nature à engendrer la recherche de boucs-émissaires et à ressusciter les fantasmes séculaires du « complot juif mondial ». D’autant que le pogrom du 7 Octobre sur le sol israélien, puis le tapis de bombes par lequel le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou aura prétendu punir collectivement la population civile de Gaza, seront venus replacer le conflit israélo-palestinien au centre des tensions que connaît l’ordre du monde, et servir de carburant à l’islamisme totalitaire et jihadiste prospérant sur le recul des perspectives progressistes dans le monde arabo-musulman. 

S’il est parfaitement justifié de se mobiliser afin que s’interrompe au plus vite le bain de sang au Proche-Orient, et si c’est même un impératif pour quiconque se revendique de la nature universaliste et internationaliste de l’engagement républicain en France, le combat pour que le peuple palestinien accède enfin à la reconnaissance de ses droits nationaux ne saurait se confondre avec les postures de l’exécration, de la fureur ou du fanatisme. Même si la colère se fait forte devant la politique du pouvoir actuellement en place en Israël, qui fait tant de victimes  innocentes, l’honneur de la gauche est de ne jamais abandonner le terrain de la lutte pour la paix, pour le droit, pour la réconciliation des deux peuples qu’une histoire tourmentée a amené à cohabiter sur la même terre. 

Cet honneur, outre la solidarité indéfectible apportée aux Palestiniens privés de leur droit à une existence sûre et reconnue,  s’incarne également dans le refus absolu que les Israéliens se retrouvent confondus avec leurs dirigeants — alors que, précisément, ceux-ci sont défiés depuis des mois par d’immenses manifestations pour la démocratie —, et que les Juifs du monde entier voient contestée leur appartenance à leurs patries respectives, en se trouvant assimilés à des ambassadeurs des gouvernants de Tel-Aviv. L’attachement des Juifs de France à Israël, du fait des conditions historiques ayant présidé à la création de cet État au lendemain de la Shoah, est une réalité qui ne détruira jamais leur appartenance à la communauté des citoyens dont ils sont une composante essentielle, au même titre que n’importe quels Français. La République qui, dès ses origines, aura décidé de leur donner accès à l’égalité intégrale des droits, se doit à présent de les protéger et de les entourer de la solidarité nationale.

C’est dans cette mesure qu’il s’imposera toujours de combattre l’instrumentalisation de la cause palestinienne par des forces et individus qui entendent faire prévaloir leur lecture intégriste d’un conflit régional menaçant à tout instant de s’embraser, et qui ne cherchent qu’à légitimer le projet, authentiquement totalitaire, d’une Palestine entièrement islamisée, régie par la Charia, et donc débarrassée de ses Israéliens. Parce que ces courants entraînent Palestiniens autant qu’Israéliens vers l’abîme d’atrocités sans fin et vers un système qui interdira à tous de construire un avenir de liberté, de démocratie et d’égalité, ils ne doivent pouvoir compter sur aucune complaisance de notre part.

LES MOTS NE SONT JAMAIS INNOCENTS

Chacun doit, dès lors, se montrer conscient que les mots utilisés ici n’ont pas que des retombées électorales et qu’ils ne font pas que conforter des dynamiques communautaristes, par ailleurs délétères en ce qu’elles minent les principes laïques et universalistes à la base de notre vie collective. Les discours à l’ambiguïté savamment calculée, comme les exhortations enflammées visant à dévoyer des indignations justifiées, peuvent vite être entendus comme une légitimation de comportements discriminatoires à la limite de l’antisémitisme décomplexé, tels ceux auxquels nous aurons assisté au printemps dans quelques facultés. Ils peuvent même avoir pour conséquence d’encourager le passage à l’acte d’esprits fragiles ou de réseaux attendant cyniquement l’occasion de profiter de l’égarement de certains secteurs de l’opinion, heureusement très minoritaires.

Les investigations de la justice devront permettre de déterminer qui sont vraiment les auteurs de l’attentat de La Grande-Motte, quelles sont leurs motivations, et qui sont éventuellement leurs commanditaires. En toute hypothèse, la sanction devra être à la hauteur de l’intention criminelle. Au-delà, il ne faut pas ignorer que le principal mis en cause aura voulu revendiquer politiquement son geste, en se présentant à visage découvert aux caméras de surveillance, la taille ceinte d’un drapeau palestinien.

Il ne saurait, évidemment, être question de se livrer à des assimilations abusives. Impossible, en effet, pour quiconque adhère aux exigences du droit international, de se retrouver du côté de ceux qui prétendent faire taire toute critique de la politique israélienne. Devant des faits tels que l’attentat de La Grande-Motte, et au regard des émulations qu’ils pourraient susciter, responsables politiques et élus ont néanmoins un devoir : se montrer responsables, apaiser les tensions entre populations, et chercher à rassembler le pays autour de perspectives de justice et de progrès. S’opposer aux massacres en cours à Gaza, comme aux harcèlements organisés par des colons enivrés de passions meurtrières en Cisjordanie, ne s’embrouillera jamais dans la connivence avec cet « antisionisme » ambivalent qui amène à nier l’existence de la nation israélienne ou à amalgamer, avec des retombées potentiellement dévastatrices, les Juifs de France, leurs institutions représentatives et le pouvoir suprémaciste de Tel-Aviv. Contrairement, par exemple, à ce que vient de faire Madame Rima Hassan, désormais députée européenne de La France insoumise. 

Dans un tweet, où elle se félicite que, « pour sa journée d’hommage aux victimes du terrorisme, l’ONU ne qualifie pas et ne rattache pas le 7 octobre à du terrorisme », elle en profite pour développer l’idée selon laquelle, « en dehors de la pensée hégémonique occidentale, personne ne rattache le 7 octobre à du terrorisme dans le contexte d’occupation et de colonisation de la Palestine qui perdurent depuis 1948 ». Qui n’y verra pas une énième tentative d’« expliquer », par une politique israélienne naturellement exécrable dans son oeuvre colonisatrice, les exécutions à la chaîne et les viols commis par le Hamas voici presque un an, même si ceux-ci sont par ailleurs qualifiés de « crimes de guerre » ? Ce faisant, conférant toute sa gravité au propos, la figure que LFI aura promue dans sa campagne des élections européenne installe clairement la rhétorique justifiant implicitement les abominations du jihadisme et son acharnement fanatique à détruire les Juifs israéliens, ne paraissant regretter que ses excès alors que ceux-ci procèdent précisément d’un projet politico-religieux global.

Plus grave, peut-être, la rentrée de Jean-Luc Mélenchon se sera-t-elle faite sous les auspices de deux dérapages dont on voudrait croire, sans pouvoir s’en persuader, qu’ils furent immaîtrisés. D’abord, réagissant à l’événement du 24 août, il se sera soigneusement gardé de parler d’« antisémitisme » et même de prononcer le mot « Juifs » pour désigner les personnes visées, se bornant à une parole de compassion « avec les fidèles et les croyants agressés ». Comme si le terroriste de La Grande-Motte n’avait songé à s’en prendre qu’à une cérémonie religieuse de Shabbat, et non aux Juifs alors rassemblés pour ce qu’ils représentaient à ses yeux. Plus problématique, au cours de son intervention devant l’université d’été de son mouvement, le même Mélenchon aura cru bon d’expliquer que la Shoah avait été l’émanation de la volonté hitlérienne de s’attaquer à la religion juive. Ce qui, comme le relève le Réseau d’action contre l’antisémitisme et tous les racismes, « permet une dangereuse révision de la compréhension » de l’entreprise exterminatrice du III° Reich, celle-ci ayant visé à faire disparaître les Juifs de la surface de la Terre, par-delà leur attachement ou non aux préceptes du judaïsme religieux. On ne peut, devant une telle réécriture de l’histoire et une telle ignorance des travaux d’innombrables chercheurs depuis quelques décennies, que souscrire à l’appréciation du Raar : « Cette occultation a un but : indiquer que la violence meurtrière  que le gouvernement de droite et d’extrême droite israélien fait subir en ce moment au peuple palestinien est pire que ce que réalisa l’hitlérisme. Mélenchon explique en effet dans son exposé que chaque conflit reprend le pire du précédent et qu’à Gaza, c’est le peuple tout entier qui est menacé alors que la Shoah ne visait que des individus en fonction de leur religion. »

Il est plus que temps, à gauche, que cessât ce genre de déclarations qui, au demeurant, s’avère en totale contradiction avec les engagements à lutter contre le racisme et l’antisémitisme,  auxquels ont souscris les quatre composantes du Nouveau Front populaire en démarrant la campagne des dernières élections législatives. Non seulement, les auteurs et autrices de ces propos plutôt calamiteux entretiennent les esprits dans une confusion dangereuse. Non seulement, ils nuisent à notre camp politique, au point de servir contre lui l’argumentation d’une droite de plus en plus extrémisée et d’une extrême droite fixant désormais son agenda à la société française. Mais ils affaiblissent le soutien dont le peuple palestinien a le plus urgent besoin. Pire, ils nous empêchent de placer devant leurs responsabilités ceux qui nous dirigent : qu’ont-ils fait, alors que les statistiques tombaient, année après année, établissant que les actes antisémites ont été multipliés par quatre entre 2022 et 2023 et qu’ils ont augmenté de plus de 200% au premier semestre de cette année, pour donner de réels moyens à l’État et à l’école de développer le travail de mémoire — en particulier dans la jeunesse —, pour mettre hors-la-loi tous les groupements qui en appellent à la haine raciale (d’où qu’ils viennent, de l’islamisme obscurantiste autant que de l’extrême droite néofasciste), ou pour durcir l’action répressive à l’encontre des responsables d’exactions ou de paroles visant des personnes en fonction de leurs origines ou confessions ? Il va, décidément, falloir que toutes celles et tous ceux qui n’ont pas renoncé aux valeurs fondatrices de la République et du mouvement ouvrier se fassent entendre avec une force décuplée. Afin que leurs voix recouvrent celles qui déraillent. J’aurai, en ce sens, été fier d’appartenir à un parti, le Parti communiste français, dont le premier responsable, mon camarade Fabien Roussel, sera allé, dès le 24 août, affirmé sa solidarité aux responsables des institutions communautaires du département de l’Hérault, à l’occasion du rassemblement de protestation organisé devant la synagogue incendiée. Cela n’est pas simplement un enjeu de morale politique, mais la condition de la reconstruction d’une gauche digne de ce nom. Une gauche qui sache faire vivre au quotidien la reconnaissance de l’Autre et la quête du bonheur pour toute l’humanité.    

Christian_Picquet

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