Arrêter les semeurs de chaos au Moyen-Orient

Pas de doute possible : le Proche et le Moyen-Orient se trouvent durablement engagés dans un moment décisif de décompositions en chaîne et de réorganisations erratiques. Avec eux, l’humanité entière vient de franchir un pas supplémentaire dans une mondialisation des logiques de guerre, marquant un indéniable tournant de la situation internationale. Car si, le 23 juin, l’hôte de la Maison Blanche aura provisoirement mis un terme à douze jours d’affrontements entre Israël et l’Iran, après s’en être mêlé en usant de toute la puissance destructrice que possède la première armée du globe, c’est bien la guerre qui est devenue l’unique vecteur des redistributions de cartes en cours un peu partout. Il n’existe, définitivement, plus d’institutions auxquelles la reconnaissance de la communauté internationale conférerait la capacité de dire le droit et de faire prévaloir la diplomatie sur les dynamiques de force. Sans doute, face à l’offensive prétendument préventive déclenchée le 13 juin par le gouvernement israélien, l’action menaçante des mollahs pour l’ensemble de la région, l’insupportable chape de plomb obscurantiste qu’ils ont abattu sur une nation qui eût pu prétendre à un autre destin à la chute de la monarchie Pahlevi, et l’extrême violence avec laquelle ils répriment toute contestation populaire, auront-elles privé leur régime de tout soutien international significatif. Cela n’en octroie pas la moindre légitimité au conflit arbitrairement déclenché par Benyamin Netanyahou et ses séides d’extrême droite. D’autant que cette action n’apportera ni stabilité, ni progrès, ni démocratie à des populations plongées, depuis des lustres, dans des épreuves plus sanglantes les unes que les autres. Au contraire, d’un chaos aggravé, risque de sortir toujours pire…

Prenons vite la mesure du changement d’échelle à laquelle le monde vient d’assister en direct. L’utilisation, ce 22 juin, des bombes GBU-57 — cet engin de destruction dont seule la citadelle impériale dispose aujourd’hui — pour matraquer les sites nucléaires de Natanz, Ispahan et Fordo aura de facto représenté « une guerre mondiale d’un tout nouveau genre », puisque bouclée « en à peine plus d’une journée », pour reprendre les termes du journaliste Jules Grandin (Les Échos, 26 juin 2025). Peu importe que, deux jours après avoir frappé l’Iran avec cette extrême violence, Donald Trump ait contraint Israël et l’Iran à accepter un cessez-le-feu, dont on est d’ailleurs bien en peine d’imaginer quelle sera la durée. Il n’avait auparavant, sans que la communauté internationale ait eu son mot à dire, pas hésité à attaquer délibérément un autre État, ses B-52 et ses B-2 allant frapper leurs cibles à 10 000 kilomètres de leurs bases, avec le relais de sa marine croisant à proximité et de commandos israéliens positionnés de longue date sur le sol iranien. 

Pour cette raison, la première nuit de l’été 2025 sonne la disparition de toute règle de droit dans les relations internationales, la Charte des Nations unies interdisant jusque-là à un pays de s’en prendre à un autre, et l’article 56 du protocole additionnel n°1 déniant à quiconque la faculté de frapper à sa guise des installations dangereuses pour les populations ou l’environnement, tels des sites nucléaires. Il s’agit-là d’un basculement majeur de l’ordre du monde.

On m’objectera vraisemblablement, qu’en 2003 déjà, l’invasion américaine de l’Irak s’était affranchie de l’accord des Nations unies. C’est parfaitement exact, mais du moins le Conseil de sécurité avait-il été saisi au préalable. L’hyper-puissance d’outre-Atlantique vient au fond d’agir de la même manière, ces dernières années, que l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh arménien, ou la Russie de Poutine en Ukraine. Cette fois cependant, les capitales occidentales seront restées muettes, l’ONU se sera figée dans sa paralysie, et nul ne se sera hasardé à évoquer des sanctions contre celui des protagonistes qui aura déclenché les hostilités, sans se préoccuper de ce que pouvait penser le reste du monde. 

Le plus fort dicte sa loi : tel est le nouveau principe s’imposant aux États et aux peuples, quelles qu’en soient les tragiques conséquences. Le précédent vaut d’être médité. Demain, n’importe quelle puissance, mondiale ou régionale, pourra décider de fondre sur l’un de ses voisins, et il ne restera que le recours aux armes ou le lâche renoncement pour y répondre. Cela a, au moins, le mérite de trancher la question qui taraudait certains commentateurs depuis janvier dernier : le trumpisme n’est nullement un isolationnisme, c’est un unilatéralisme mis au service de la posture hégémonique retrouvée de l’administration nord-américaine victorieuse en novembre dernier, et de sa volonté de faire prévaloir ses vues dans les affaires du monde. 

LA GUERRE POUR SEULE POLITIQUE

Nul ne saurait, une fois cela dit, ignorer la dangerosité de l’obsession de  la dictature théocratique pour l’arme nucléaire. L’Agence internationale de l’énergie atomique, sans disposer de preuves formelles puisque l’accès aux sites sensibles iraniens lui est interdit, aura néanmoins établi qu’en étant vraisemblablement parvenu à enrichir à 60% l’uranium, le régime venait d’entrer dans la dernière ligne droite de la fabrication d’engins de destruction massive. Cela ne signifie évidemment pas qu’il serait proche de posséder la « bombe » et en capacité de frapper ses voisins. Mais, comme il n’aura manqué aucune occasion de lier cette course à la nucléarisation à sa volonté, constamment réitérée, de raser « l’entité sioniste » de la surface de la Terre, on peut comprendre l’inquiétude du peuple israélien. Et celle, également, de nombre d’États arabes qui se sentent légitimement mis en danger par ce désir compulsif d’entrer dans le club très fermé des détenteurs d’une quincaillerie atomique, ce qui ferait d’un pouvoir fanatique la puissance hégémonique de l’aire arabo-musulmane. Une puissance qui n’entend pas, à la différence d’autres possesseurs de l’arme suprême, tels l’Inde ou le Pakistan, s’inscrire dans une logique de « dissuasion » mais veut s’identifier par une posture agressive. Ce bellicisme apparaît d’autant plus sérieux que, depuis 46 ans, les actes auront régulièrement suivi les diatribes menaçantes des maîtres de Téhéran, à travers leur recours au terrorisme international ou aux milices intégristes de la région, le pogrom perpétré par le Hamas le 7 Octobre en ayant été l’une des traductions les plus abominables. Qu’il me soit, à cet égard, permis de manifester mon incompréhension — et ma colère — devant les voix irresponsables qui, à gauche, s’emploient à exonérer cette tyrannie de sa course effrénée à la possession d’une panoplie atomique ou des abominations qu’elle inflige à son peuple.

Pour autant, nul ne peut être dupe des intentions véritables du Premier ministre israélien. Les missiles de Tsahal n’ayant cessé de viser des sites majeurs du programme nucléaire de l’Iran, des membres de premier plan de la structure militaire de la République islamique, ainsi que des infrastructures stratégiquement sensibles de cet État, auront prolongé la longue suite d’attaques unilatéralement déclenchées par Tel-Aviv. Est-il ici besoin de rappeler celles ayant déjà ciblé le territoire de l’Iran ou des représentations diplomatiques de ce pays à l’étranger, les 1° avril et 26 octobre 2024 ? Les bombardements de la Syrie, qui auront contribué à la chute de la dictature de Bachar Al-Assad, en bénéficiant surtout à un jihadiste d’Al-Qaida recyclé en interlocuteur responsable de la communauté des nations ? La destruction en cours de Gaza, sans parler de l’intervention aérienne et terrestre des forces israéliennes sur le sol libanais qui, au-delà des chefs éliminés du Hezbollah (que l’on ne regrettera pas davantage que ceux du Hamas), auront fait d’innombrables victimes parmi les populations civiles ? 

Cette détermination guerrière systématique, terrifiante par les conséquences qu’elle menace d’entraîner, j’y reviendrai, dit à elle seule que Benyamin Netanyahou n’aura pas principalement cherché, quoi qu’il prétende et quoi qu’aient relayé tant de gouvernements, à exercer un droit de légitime défense, ni à conjurer ce qui pourrait constituer à long terme un « danger existentiel » pour Israël. Parce que ses crimes innommables contre la population gazaouie lui valent la réprobation horrifiée des opinions, alors que son gouvernement — de plus en plus affaibli par ses dissensions intestines — vient de frôler la censure à la Knesset, et dans la mesure où la militarisation du pays lui évite (pour le moment) les foudres de la justice pour les faits de corruption dont il doit répondre, il aura délibérément cherché, à travers l’attaque du 13 juin, à dynamiter les initiatives diplomatiques qui pouvaient révéler son total isolement sur le théâtre planétaire. À travers les tapis de bombes ou les éliminations des personnages les plus répugnants de la « Révolution islamique », ce sont en fait les pourparlers que venaient — précisément — de relancer les États-Unis sur l’avenir de la filière nucléaire iranienne, et tout autant la conférence « de haut niveau » que la France et l’Arabie saoudite allaient co-présider à propos d’un futur État palestinien, qui auront été ciblés… et pulvérisés.  

Ainsi, et sans le moindre doute possible, Netanyahou aura-t-il voulu entraîner la société israélienne dans le réflexe d’union nationale que devait nécessairement provoquer l’affrontement avec des fanatiques répétant ad nauseam leur projet d’élimination de toute présence juive au Proche-Orient. En ne cherchant même pas à dissimuler que l’objectif ultime de l’opération « Am K’Lavi » (« Lion qui se lève ») n’était rien d‘autre que la chute des affidés du « Guide suprême », il aura manifesté sa volonté de redessiner par le fer et le feu les équilibres géopolitiques de toute la région. C’est d’ailleurs en explicitant cyniquement cette feuille de route, au coeur de laquelle l’Iran des ayatollahs n’était finalement qu’un prétexte commode, mais dont l’ambition se révélait également démesurée pour une petite nation comme Israël, que lui et sa coalition suprémaciste se seront, avec la multiplication des raids, efforcés d’entraîner l’administration Trump. Après avoir placé cette dernière devant le fait accompli, ils auront éprouvé l’impératif besoin de son concours, non seulement pour percer les défenses de sites atomiques très profondément enfouis, ce que les missiles deTsahal étaient bien incapables d’accomplir, mais encore, par une escalade dépourvue de toute stratégie politique, de provoquer a minima la déstabilisation générale du pays.

AU RISQUE DU CHAOS…

J’entends les objections que mon propos suscite jusque chez des hommes et des femmes pour lesquels j’ai respect et considération. On ne peut, bien sûr, que partager le désir de voir les odieux hiérarques de l’islamisme iranien débarrasser au plus vite le plancher. Quiconque a le progrès chevillé au corps se sent inconditionnellement solidaire des femmes en mouvement, des animateurs de mouvements sociaux, des démocrates ou de la gauche lorsque, d’Iran, ils nous disent quelle terreur ils subissent depuis près d’un demi-siècle. Qui peut toutefois croire que les raids de Tsahal et de l’US Army avaient la moindre chance d’ouvrir une ère de liberté pour la nation perse, alors que c’est parmi les civils qu’ils auront principalement fait des victimes, et alors que la coalition d’extrême droite aujourd’hui à la tête d’Israël s’est lancée dans cette aventure militaire sans avoir la moindre idée de ce que devrait être « le jour d’après » pour le grand ensemble moyen-oriental ? Jean-Paul Chagnollaud, le président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée-Moyen-Orient le résume parfaitement : « Israël détruit, frappe, mais aucune proposition politique n’émerge » (La Croix, 23 juin 2025). Au demeurant, l’expérience historique atteste que les expéditions armées n’apportent jamais la justice aux populations, parce qu’elles engendrent toujours le chaos — on l’aura vu en Irak, en Libye ou en Afghanistan —, c’est-à-dire une autre forme de tyrannie privant la démocratie de toute chance de s’épanouir. 

À bien l’observer d’ailleurs, la « guerre des douze jours » (telle que dénommée par Donald Trump) n’aura non seulement rien réglé des problèmes qu’elle était censée traiter, mais elle aura placé chacun de ses protagonistes devant ses propres impasses. C’est d’abord patent s’agissant du nucléaire iranien, le doute s’étant maintenant instillé jusqu’à Washington sur les résultats véritables des frappes américaines sur les trois sites visés. Et, puisque tous les experts conviennent que l’enrichissement de l’uranium mené à un tel niveau ne peut plus être anéanti, des centaines de scientifiques et d’ingénieurs en ayant accumulé les données sur plusieurs années, on en revient à la conclusion que seule la négociation s’avère efficace pour empêcher les mollahs d’aller jusqu’à la confection de leur bombe. C’est, notons-le, très exactement la conviction qui avait amené à la signature de l’accord de Vienne en 2015, et à l’arrêt (vérifié par l’AIEA) du programme iranien, jusqu’à ce que la première administration Trump, sous l’instance de Netanyahou (déjà !) ne dénonce cette avancée diplomatique en 2018. Ce qui aura eu pour conséquence de libérer la République islamique de tous les engagements auxquels elle avait auparavant souscris. On voit à quelles aberrations cela aura mené jusqu’à nos jours… Comme le relève avec justesse le chroniqueur Renaud Girard, « dans les relations internationales, les solutions issues de la négociation diplomatique sont toujours plus solides que celles imposées par la force » (Le Figaro, 17 juin 2025).

L’aveuglement est également évident du côté de l’infernal duo israélo-américain. L’actuel gouvernement de Tel-Aviv peut bien s’enorgueillir de son entrée solitaire dans un conflit armé avec l’Iran des ayatollahs, et de son aptitude à amener Washington à rallier cette aventure. Parler, comme il le fait à présent, de « victoire » n’en relève pas moins de l’affabulation. Plusieurs jours de tirs de missiles entre les deux armées auront, en effet, rapidement souligné qu’en dépit de la disproportion des moyens et ressources technologiques en présence, Tsahal n’était pas en mesure de l’emporter rapidement sans l’appoint de son puissant protecteur. Quant à l’équipe de la Maison Blanche, elle se sera très vite heurtée à une double difficulté : sa plongée dans un chaudron incandescent, lui sera vite apparue comme une menace d’anéantissement de son projet de « Grand Moyen-Orient » restructuré à partir d’une alliance entre l’État hébreu et certaines capitales arabes, essentielle à ses yeux s’il veut pouvoir se réorienter sur l’affrontement larvé l’opposant à la Chine en Indo-Pacifique ; et l’implication dans une guerre durable, voire étendue à toute la zone, eût pu entraîner des effets déstabilisateurs pour l’économie mondiale, surtout si la circulation commerciale dans le détroit d’Ormuz avait fini par être interrompue, comme la menace en avait plané. Ayant fait montre de son potentiel destructeur aux yeux du monde, Trump aura donc rapidement compris qu’il lui fallait, avec force d’injonctions musclées, contraindre les deux belligérants à faire taire les armes. À cet égard, si les actuels dirigeants israéliens auront lourdement affaibli la capacité de nuisance des émules de Khamenei, ils ne lui auront pas fait subir la défaite écrasante rêvée. Pire, ils auront dû ramener au sol leur chasse dès que Washington aura élevé le ton pour leur en intimer l’ordre humiliant. 

Quant à la mollarchie, elle règne désormais sur les décombres de son aventurisme. En bâtissant son « axe de la résistance » aux deux « Satan » qu’elle s’est désignée comme ennemis (le « Grand », nord-américain, et le « Petit », israélien), à partir de ses « proxys » palestinien, libanais, irakiens ou yéménites, elle imaginait contrecarrer les ambitions saoudiennes dans la région, et s’affirmer elle-même comme une puissance incontournable du monde arabo-musulman. Le carnage perpétré, avec son appui, par le Hamas le 7 octobre 2023, l’aura finalement entraîné dans une longue chaîne de défaites politiques et militaires. L’emprise du Hezbollah sur le Liban en sera ressortie profondément entamée, le mouvement jihadiste palestinien ne sera parvenu qu’à se faire disloquer et surtout à emmener la population de Gaza dans l’une de ses pires épreuves, et les Houtis du Yémen resteront évidemment hors d’état d’incarner une relève militaire de ces forces extrêmement affaiblies. Les « Gardiens de la révolution », quant à eux, n’auront pu faire face qu’avec d’extrêmes difficultés aux offensives israélo-américaines, et la confection de la « bombe » islamiste aura, a minima, pris un retard considérable.  

De la confrontation qui vient de tenir la planète en haleine, deux conclusions sont, à ce stade, à peu près certaines. En premier lieu, ce sont les peuples qui auront fait les frais d’un double aveuglement jusqu’au-boutiste. Le risque écologique des frappes israélo-américaines sur l’Iran pourrait se révéler redoutable pour l’ensemble de la région : les possibles fuites radioactives, sur lesquelles alertent de nombreux experts, ne seront arrêtées par aucune frontière. Les bombardements de sites nucléaires auront en outre constitué un précédent redoutable en un moment où les foyers de tensions se multiplient, et où les relations internationales ne s’avèrent plus régies par un droit respecté de tous : on peine encore à en deviner les implications futures, dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine par exemple. Sans compter que, si le caractère « asymétrique » de l’affrontement n’aura pas causé le même nombre de victimes de part et d’autre, ce sont des villes et leurs habitants qui auront eu à subir les traumatismes de la peur et des dévastations matérielles.

En second lieu, c’est d’une déstabilisation aggravée que Proche et Moyen-Orient se trouvent maintenant menacés. Ces dernières années auront vu les diverses puissances aspirant à en devenir des acteurs majeurs — outre Israël et l’Iran, il s’agit de l’Arabie saoudite, des émirats pétroliers et de la Turquie — se heurter à l’occasion de chaque secousse affectant un pays de leur environnement, de la Syrie à l’Irak, du Kurdistan à la Palestine. Bien avant la confrontation israélo-iranienne de ces derniers jours, le chercheur Adel Bakawan n’hésitait pas à tenir pour un « scénario tout à fait probable » une escalade « pour le contrôle de la recomposition régionale » (in La Décomposition du Moyen-Orient, Tallandier 2025). Les Accords d’Abraham (en vertu desquels les États-Unis avaient cru pouvoir maîtriser cette gigantesque partie de dominos), ayant explosé sous l’impact du 7 Octobre, l’Iran ressassant sa longue suite d’échecs, et les dirigeants israéliens ayant conquis par leur domination armée une place prééminente, de nouveaux facteurs de déstabilisation pourraient très rapidement voir le jour. Pointant l’impossibilité d’une « pax hebraïca », Dominique Moïsi dessine le spectre de graves soubresauts futurs : « Sur un plan strictement géopolitique, le grand vaincu est aujourd’hui l’Iran. Et il est trop tôt pour dire si le grand vainqueur sera Israël. Mais Jérusalem, en faisant à nouveau la démonstration de sa supériorité militaire (en dépit des pertes subies sur son territoire) apparaît comme la nouvelle puissance hégémonique de la région. Ce qui, pour un pays de moins de dix millions d’habitants, dont la superficie est celle du New Jersey, constitue une responsabilité peut-être excessive » (Les Échos, 16 juin 2025). 

SORTIR DES CRISES PAR LA POLITIQUE

Bien qu’Israël sorte à peine d’une énième guerre, que Netanyahou vienne d’annoncer froidement que le cessez-le-feu avec les ayatollahs lui permettait de reprendre intensivement son entreprise d’anéantissement d’une enclave de Gaza au bord de la famine, et que les mobilisations contre le pouvoir se soient provisoirement éteintes dès lors que les missiles tombaient sur Tel-Aviv ou Haïfa, il se trouve toujours dans ce pays des voix mettant en garde contre la tentation délétère de l’hubris. Pour ne prendre que cet exemple, le rédacteur en chef du grand quotidien Ha’Aretz, Aluf Benn, écrivait récemment que si l’État hébreu se laissait entraîner dans une dynamique de guerre sans fin, « de plus en plus d’Israéliens commenceront à se demander s’il vaut la peine de vivre dans un pays (…) dont le gouvernement le pousse dans les bras d’une version juive messianique du chiisme messianique iranien » (Ha’Aretz, 14 juin 2025). 

C’est bien le souci de ne pas hypothéquer l’avenir qui a conduit nos camarades du Parti communiste israélien à signer une déclaration conjointe avec le parti Toudeh d’Iran, dont des milliers de membres seront tombés dans le cours du combat qu’ils livraient à la théocratie. Ils s’y expriment en faveur d’un arrêt des combats entre les deux pays, du règlement négocié de la question en litige du nucléaire, d’une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, et d’une nouvelle ère de coopération entre les peuples. Le courage des deux formations communistes doit être salué en ce qu’il trace un autre chemin possible, de progrès et d’amitié, entre les deux nations et dans toute la région. 

Ce chemin, passe par le retour à la diplomatie et au droit contre la loi des plus forts. Il exige un cessez-le-feu définitif sur tous les fronts, celui du conflit entre Iran et Israël, comme celui de Gaza et de la Palestine. Sur le premier, il devrait se prolonger du renoncement définitif et contrôlé au nucléaire militaire de la part de Téhéran, s’accompagnant d’un développement maîtrisé et contrôlé de la filière nucléaire civile, ainsi que d’une levée des sanctions prises contre l’Iran, comme l’avait d’ailleurs prévu l’accord de 2015. Quant au second, il devrait permettre la réouverture d’un cycle de négociations portant sur l’application des résolutions des Nations unies et amenant à la solution à deux États. Ce double processus pourrait amener à mettre sur la table un traité de sécurité collective pour le Proche et le Moyen-Orient, incluant un accord de dénucléarisation généralisée, concernant l’ensemble des États, Israël compris. 

Dès lors que les derniers événements auront fait surgir le spectre de guerres aussi incessantes que globalisées pour redéfinir l’architecture de l’ordre du monde, c’est le combat pour la paix qui s’impose à l’agenda des nations soucieuses de droit et de justice, comme à celui des mouvements citoyens et des forces de gauche dans le monde. Le 6 janvier 1941, alors qu’une partie du globe était la proie des flammes, Franklin D. Roosevelt énonçait un principe qui n’a, de nos jours, pas pris une ride. Il y appelait à la libération des peurs que permettrait « une réduction des armements si poussée et si vaste, à l’échelle planétaire, qu’aucune nation ne se trouve en mesure de commettre un acte d’agression physique contre un voisin — n’importe où dans le monde » (cité par Joseph E. Stiglitz, Les Routes de la liberté , Les liens qui libèrent 2025). L’intention allait inspirer l’écriture de la Charte des Nations unies dont nous nous préparons à célébrer le 80° anniversaire.

Parlons sans détour : tandis que, près de deux semaines durant, les opinions n’étaient plus bercées que par le fracas des bombes, tandis que l’Union européenne comme à son habitude s’était mise aux abonnés absents, tandis que le chancelier allemand se félicitait que Benyamin Netanyahou « fasse le sale boulot pour nous », la voix de la France aura manqué. Elle avait pourtant, au cours de la séquence précédente, réveillé l’espoir qu’un bloc d’États agissent ensemble en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza, qu’ils reconnaissent l’État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël, qu’ils oeuvrent à des sanctions contre les dirigeants israéliens pour les crimes qu’ils commettent en série contre l’humanité. Beaucoup attendaient, par conséquent, que depuis Paris se fasse entendre le refus de la barbarie. Emmanuel Macron aura lamentablement raté le rendez-vous. On l’aura entendu formulé une série de propos contradictoires, paraissant un jour soutenir le « droit d’Israël à se défendre », pour rappeler le lendemain que la démocratie n’était pas transportable à bord de bombardiers, avant de le voir s’envoler pour le sommet de l’Otan où il aura consenti à accompagner les exhortations trumpistes à un effort de guerre sans précédent. Il est urgent que notre pays retrouve son indépendance, qu’il porte haut le choix de la paix et du droit, qu’il saisisse le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies afin que se rouvre un processus négocié sur le nucléaire militaire iranien, qu’il pousse à ce que soient discutées les modalités d’une relance mondiale du Traité de non-prolifération, que même seul il reconnaisse un État pour les Palestiniens, et qu’il interpelle la Commission de Bruxelles afin que soit sans délai suspendu l’accord d’association liant le Vieux Continent à Israël. L’appel lancé, le 4 juin, avec nos amis de l’Organisation de libération de la Palestine, nous aura donné mandat de faire monter ces exigences en puissance. Elles résument le combat de la vie contre les planificateurs de mort…  

Christian_Picquet

Article similaire

Extrême urgence en Israël/Palestine

État de droit et démocratie

Réflexions sur le nouveau désordre guerrier

Une tribune à relayer parce qu’elle dit “stop” !

Chercher un sujet par date

juin 2025
L M M J V S D
 1
2345678
9101112131415
16171819202122
23242526272829
30