Longue vie au Front de gauche !

Relisant mes notes des dernières semaines, je m’aperçois que je n’ai guère abordé les évolutions en cours au sein des diverses composantes du Front de gauche et même, plus généralement, au sein de la gauche de gauche. Je vais donc m’efforcer, d’ici la trêve de l’été, de revenir sur divers aspects des débats en cours de ce côté de l’échiquier politique.

Depuis un mois, à y regarder de près, il s’est passé bien des choses. Sous l’impact du premier succès enregistré par les listes du Front de gauche aux élections européennes, les lignes ont recommencé à bouger. Les réunions bilatérales se sont même multipliées, entre organisations du Front de gauche ou entre ces dernières et des formations qui s’étaient jusqu’alors tenues à l’écart du rassemblement, touchant même le Nouveau Parti anticapitaliste que son échec cinglant a ramené à la table des discussions avec ceux qu’il pourfendait hier encore comme incarnant la ”« gauche institutionnelle »”. Ces évolutions sont, évidemment, à mettre à l’actif de la démarche construite, ces derniers mois, tout à la fois pour porter haut la volonté de rupture avec un libéralisme dont la crise capitaliste a révélé la faillite intégrale et pour relayer l’exigence d’unité émanant des mobilisations sociales.

Pour terminer le ballet de ces rencontres, notre Gauche unitaire (qui avait déjà, les 23 et 24 juin, eu l’occasion de se réunir avec des délégations du Parti communiste français et de République et socialisme, respectivement conduites par Marie-George Buffet et Lucien Jallamion) a retrouvé, ce jeudi 9 juillet, une délégation du Parti de gauche conduite par Jean-Luc Mélenchon. Et, ce vendredi matin, 10 juillet, les trois forces fondatrices du Front de gauche se sont retrouvées ensemble pour envisager l’avenir. Entre-temps, le 3 juillet, il y avait eu cette belle réunion de la Mutualité, intitulée « Trois heures pour l’alternative ». La salle était configurée pour 300 participants, il en vint au moins le double, confirmant le fort potentiel militant dont bénéficie désormais le Front de gauche. Si l’on y ajoute la participation de syndicalistes de haut niveau (Maryse Dumas, Gérard Aschiéri, Annick Coupé), de figures écologistes (comme Aurélie Trouvé, la coprésidente d’Attac, ou Martine Billard, laquelle vient par ailleurs d’annoncer son départ des Verts), et de responsables associatifs engagées sur le terrain des droits et libertés (Dominique Noguères, Évelyne Sire-Marin ou Roland Gauri, de l’Appel des appels), il se confirme que la construction à laquelle nous nous sommes attelés, avec le Parti communiste et le Parti de gauche, suscite dans le mouvement social un fort intérêt et une envie tout à fait nouvelle de coopérer (dans le respect de l’indépendance de chacun, cela va sans dire) à la réflexion sur le projet politique nécessaire à une gauche digne de ce nom.

Poursuivre, élargir, enraciner…

Allons à l’essentiel. L’issue de cette courte séquence post-électorale est suffisamment positive pour que, ce 10 juillet, avec Marie-George Buffet et Jean-Luc Mélenchon, nous ayons abouti à des conclusions fort importantes. Ensemble, nous avons pris acte que nos résultats du 7 juin nous conféraient une responsabilité essentielle pour reconstruire une perspective porteuse d’espoir pour les classes populaires, pour rassembler une gauche de transformation affichant son ambition de conquérir une majorité politique dans le pays, pour se tourner vers toutes celles et tous ceux qui s’avèrent aujourd’hui en recherche d’une authentique alternative de changement. D’un commun accord, nous avons donc confirmé que notre démarche devait non seulement se pérenniser, mais s’élargir et s’enraciner sur le terrain. Qu’il nous fallait, pour cela, à la rentrée et à l’occasion de ce premier rendez-vous national que sera la Fête de ”l’Humanité”, installer dans le paysage politique des campagnes politiques répondant aux urgences sociales et écologiques du moment (l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui continuent à distribuer des dividendes, la redistribution des richesses, le retour à une politique de grands services publics accessibles à tous, la défense du droit à la retraite, le réchauffement climatique que doit discuter à la fin de l’année la conférence de Copenhague…). Que cette affirmation publique devait se conjuguer avec un travail de réflexion sur le projet qui fait tant défaut au peuple de gauche, sur des sujets primordiaux tels que l’utilisation de l’argent, la conception du pouvoir qui permettrait aux citoyens et aux travailleurs de contrôler et décider au quotidien, le nouveau mode de développement émancipé du productivisme qu’appellent les menaces pesant sur la planète… Qu’il était indispensable, dans la foulée et dans la cohérence d’une approche visant à faire bouger les lignes à gauche et à battre la droite en faisant prévaloir des choix authentiquement à gauche, de prendre l’initiative d’un travail d’élaboration de propositions en faveur de politiques régionales au service du bien commun et des populations – ce qui implique, chacun le comprend, qu’elles ne reproduisent pas celles qui ont été menées à la tête de 21 régions sur 22 depuis six ans. Ce travail serait ouvert à toutes les forces qui, même si elles n’entendent pas à ce stade rejoindre le Front de gauche, seraient disposées à s’engager dans un semblable processus.

On me dira sûrement, ici ou là, qu’il demeure encore à concrétiser ce mouvement, devant les électeurs, en mars prochain, à travers une proposition de nature à favoriser la confrontation des deux options en présence à gauche, celle de la rupture avec le libéral-capitalisme et celle de l’alignement sur ce dernier. C’est parfaitement vrai et c’est la raison pour laquelle, avec mes camarades de la Gauche unitaire, nous avons eu déjà maintes occasions d’exprimer notre souhait de listes autonomes les plus larges possibles, au premier tour des régionales, en faveur d’une nouvelle politique à la tête des régions (c’était l’un des points de l’interview que j’ai donnée, la semaine dernière, à ”l’Humanité-Dimanche”). Mais, dès lors que la réponse à cet enjeu, qui déterminera grandement les rapports de force politiques et sociaux d’ici 2012, commence à être travaillé de concert, il n’est nullement gênant de prendre le temps nécessaire aux clarifications qui s’imposent.

L’essentiel est que l’acquis de la campagne des européennes ne s’évanouisse pas. Car, à mesure que les semaines s’écoulaient, après le 7 juin, la crise de la gauche s’est faite chaque jour plus profonde. Alors que l’exaspération sociale n’a nullement reflué, qu’il n’a pas fallu un mois pour que Nicolas Sarkozy retrouve dans les sondages son niveau d’illégitimité du mois de février (c’est ce qu’établit clairement le baromètre Ifop pour la dernière livraison de ”Paris-Match”), que la défiance sourde d’une large part des citoyens envers les machines partisanes dominantes ne cesse de se manifester (le scrutin de Hénin-Beaumont, en dépit de ses fortes coordonnées locales qui interdisent de retirer des leçons de portée trop générale, vient encore de nous le rappeler), voilà que tout un secteur de l’appareil socialiste se met à pousser les feux de la mutation du PS en un parti démocrate qui deviendrait l’instrument d’une recomposition au centre du jeu politique hexagonal. Sans doute, Manuel Valls, qui en fait la proposition, toujours dans les colonnes de ”Paris-Match” cette semaine, n’est-il pas encore majoritaire à la direction du parti. Il n’en reste pas moins que c’est de ce côté, et de ce côté seulement, que vient présentement l’initiative, rue de Solferino…

Du pain bénit pour notre droite, qui ne manque aucune occasion de se jouer de cette lente et inexorable décomposition de sa principale opposition parlementaire. On l’a vue, voici quelques jours, retourner contre les députés socialistes leur propre motion de censure, François Fillon se payant le luxe d’inscrire sa propre action dans le prolongement… de ce qu’avaient initié, du temps de la Gauche plurielle, un Laurent Fabius ou un Jean-Marc Ayrault. Affligeant ! Et, ce 10 juillet, Paul-Henri du Limbert, signant l’éditorial du” Figaro”, se gausse de la ”« grande silhouette efflanquée »” et de la ”« mine fatiguée »” de notre PS. Ne cachant pas la joie mauvaise que lui inspire l’entreprise de dynamitage à laquelle s’est attelée Europe écologie – dans le même quotidien, ce même jour, Daniel Cohn-Bendit explique que, avec la nouvelle définition de l’écologie politique qu’il entend porter, ”« nous en avons fini avec les vieilles définitions droite-gauche »” -, il va jusqu’à proférer ce cri de guerre : ”« La bête impressionne moins qu’elle impressionnait jadis. »”

Est-il réellement besoin d’argumenter longuement sur la nécessité de poursuivre et rendre plus solide l’aventure du Front de gauche ? En dépit de ses limites, quoique la gauche dans son ensemble ait alors ressemblé à un effarant champ de ruines, contraint de faire face à la posture désastreuse d’un NPA indifférent à la menace d’une liquidation pure et simple de ce que des décennies d’histoire du mouvement ouvrier nous ont légué, cette construction embryonnaire a allumé un espoir, fait naître une référence pour des centaines de milliers d’hommes et de femmes. La seule qui soit en mesure, demain, de remobiliser largement et de contrecarrer les entreprises de ceux qui veulent pousser à son terme une dérive droitière ininterrompue depuis le premier septennat de François Mitterrand. C’est de ce point de vue qu’il est vital que ce début de convergence conserve et amplifie sa capacité de polarisation, son pouvoir de rayonnement, son aptitude à se tourner vers tous ceux et toutes celles qui sont en quête d’une nouvelle voie pour la gauche.

Il n’est pas toujours agréable de voir se confirmer ses pronostics. En écrivant ces lignes, il me revient en mémoire les termes de la conclusion du rapport que mes camarades m’avaient demandé de présenter devant la réunion nationale de la Gauche unitaire, voilà moins d’un mois, le 20 juin pour être exact. Cette rencontre chaleureuse, où l’on remarquait les nouveaux visages d’adhérents non issus du combat unitaire au sein de la LCR et du NPA, était évidemment portée par le succès que nous venions de rencontrer quinze jours auparavant. Elle était aussi fort grave, tant la conscience était grande parmi nous de l’immensité du défi qu’il importait de relever. J’avais alors, en conclusion de mon propos, formuler trois leçons de portée générale ou stratégique dont j’estimais qu’elles devaient déterminer notre orientation des mois suivants. Comme elles me semblent d’une totale actualité, je vous en livre ici les principaux extraits.

“Trois leçons pour les prochains mois” ( extraits)

« La première de ces leçons est que, si comme cela a été indiqué, la question de l’alternative politique va surdéterminer les confrontations à gauche autant que dans le mouvement social, ses enjeux ne sauraient se limiter à un simple rééquilibrage des forces, entre gauche d’accompagnement du capitalisme et gauche de rupture. La question porte bien sur le changement du centre de gravité de la gauche, afin qu’une orientation de transformation radicale de la société y devienne dominante, au détriment d’un social-libéralisme qui ne peut conduire qu’à des échecs répétés, et même aggravés. C’est l’ensemble du rapport des forces, aux plans politique comme social, qui est en jeu : qu’il s’agisse de l’avenir d’un mouvement populaire dont le principal handicap est de ne pouvoir s’adosser à une réponse politique globale et cohérente ; qu’il s’agisse aussi de la possibilité même de battre la droite en 2012…

« La deuxième leçon est que cette question politique se joue, non à la gauche de la gauche, comme on l’entend parfois dire, mais au cœur de la gauche ! Durant la campagne des européennes, nous avons pris l’habitude de dire aux auditoires des meetings auxquels nous nous adressions, que l’ambition du Front de gauche devait être de sauver la gauche. Les immenses dangers qu’aura dessiné ce 7 juin le confirment. La gauche, en France, est menacée d’une décomposition à l’italienne. On ne saurait à cet égard imaginer, comme semblent parfois le croire les camarades du NPA, que cela va profiter mécaniquement à la « gauche de la gauche ». En Italie, la désintégration s’est accompagnée de la marginalisation de l’ensemble des formations radicales : la liste initiée par Refondation communiste pour ces européennes, sur une ligne pourtant plus à gauche que celle qui avait amené Fausto Bertinotti à se rallier au gouvernement Prodi, n’aura ainsi pas franchi la barre des 4% et n’aura eu aucun élu. Au contraire, la reconstruction d’une perspective alternative exige de s’adresser à toute la gauche, des secteurs socialistes en déshérence à l’extrême gauche et au NPA, en passant par les diverses composantes de la gauche alternative, les Verts qui entendent continuer à conjuguer anticapitalisme et antiproductivisme, les acteurs et actrices du mouvement social convaincus qu’il leur faut à présent réinvestir leur expérience de terrain sur le champ politique.

« Pour y parvenir, favoriser les clarifications, faire bouger les lignes au sein de la gauche, le mieux est encore de porter le fer sur les contenus de la politique qu’appelle la configuration présente. Autrement dit, d’engager sans délai une grande bataille publique de la gauche de gauche sur les axes saillants d’une proposition d’urgence sociale et écologique. […]

« La dernière leçon est que le Front de gauche constitue le moyen de se hisser à la hauteur des défis de la nouvelle situation. Certes, cela a déjà été souligné, il a subi les effets de ses limites de départ et, plus particulièrement, de l’unité seulement partielle qu’il avait pu réaliser. Cela dit, la place qu’il a conquise le rend incontournable dès lors qu’il a su remplir une double mission : être l’instrument grâce auquel se trouve reposée la question de la transformation de la gauche de gauche en une force durable sur le champ politique ; dessiner, quoique de manière encore algébrique, le chemin susceptible de mener à la conquête d’une majorité politique et d’ouvrir le chemin à un véritable changement (on a vu comment l’idée qu’il pouvait devenir le Front populaire de demain s’est répandue tout au long de la campagne).

« La problématique d’un front, aux ambitions durables tout en respectant les histoires et cultures de toutes ses composantes, s’est de ce point de vue révélée la bonne démarche pour commencer à changer la donne à gauche. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle nous étions nous-mêmes parvenus dans notre manifeste fondateur, «Ensemble pour changer de gauche ». L’étape franchie lors des européennes est, tout à la fois, essentielle et fragile. Elle va maintenant devoir franchir celles de la réponse aux attentes sociales et des élections régionales.

« En ces deux domaines, c’est sur le contenu d’une politique de rupture anticapitaliste qu’il sera possible d’approfondir le mouvement initié ces derniers mois. Et c’est ainsi que se vérifiera l’existence de deux conceptions contradictoires de la conquête des régions : peuvent-elles être des points d’appui réels pour le mouvement populaire ou ne sont-elles qu’un vecteur de l’adaptation locale à la logique destructrice du capitalisme, en lui apportant quelques corrections mineures ? C’est donc sur la base des propositions que nous pourrons défendre en commun, en faveur de régions au service du bien commun et de la population, que devront à notre sens s’imposer des listes autonomes du Front de gauche au premier tour. En sachant évidemment qu’au deuxième tour, pour battre la droite, il faudra aboutir à la fusion des listes de gauche, sur la base des résultats obtenus… et à l’exclusion de toute alliance avec le Modem ou d’autres composantes de la droite. »

Nous sommes maintenant passés aux travaux pratiques.

Christian_Picquet

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