La gauche de gauche face à ses responsabilités

Intéressante semaine pour la gauche de gauche. Intéressante, mais combien révélatrice des incertitudes de l’heure. J’écris cette note de retour du Vieux-Boucau, dans les Landes, où se tenaient les universités d’été du courant « Un monde d’avance » du Parti socialiste. J’y étais invité à participer à un débat entre représentants de la gauche (PCF, NPA, MRC, Verts et GU), qu’animait Benoît Hamon, figure de l’aile gauche et porte-parole du parti, sur le thème de la redistribution des richesses et des convergences à gauche.

Dans cet échange, le plus frappant aura, pour moi, été la convergence qui se sera exprimée, y compris avec la gauche du PS, sur des points aussi décisifs que la nécessité de reprendre au capital les dix points de valeur ajoutée qu’il a arrachés au salariat sur les vingt ans écoulés (ces fameux 190 milliards d’euros annuels dont nous avons tant parlé dans la campagne des européennes), l’exigence d’une taxation des mouvements spéculatifs de capitaux, des revenus financiers ou des bénéfices des sociétés, l’impératif de justice que représenterait une réforme fiscale fortement redistributive et accentuant la progressivité de l’impôt, le besoin d’opposer à la « taxe carbone » mitonnée par la droite libérale une alternative consistant à s’en prendre aux fabuleux dividendes des firmes polluantes comme Total etc. Il se sera même dégagé une large accord sur le fait que le critère d’une vraie politique de gauche, échappant aux dérives du social-libéralisme autant que des alliances au centre (il en aura été question dans la quasi-totalité des interventions), est la recherche de l’intérêt général, la réponse aux besoins du plus grand nombre, en lieu et place de la satisfaction de la soif de profit d’une infime minorité d’actionnaires. Plus, un consensus se sera fait jour sur le fait qu’il convenait d’en revenir à une politique qui redonne la main à la puissance publique sur l’économie, ce qui suppose, entre autres, la création d’un grand pôle public bancaire ou encore un mouvement volontariste de réappropriation sociale aboutissant à la reconstitution d’un vaste service public dans les secteurs d’activité correspondant à des intérêts vitaux de la population. Tout cela débouchant sur la double nécessité de sortir du carcan des traités européens et de s’appuyer sur la mobilisation populaire, ce qui requiert que la démocratie fût placée au cœur d’un nouveau projet de transformation de la société et qu’elle ne s’arrêtât point devant cette frontière invisible que dessine le droit de propriété, pour oser s’installer à l’entreprise face au despotisme patronal.

Un débat de stratégie

Sans doute, il apparut aussi quelques différences, sur la politique industrielle à mettre en œuvre, sur l’épineuse question d’une croissance qui ne cédât pas aux travers du productivisme pour se centrer sur la satisfaction des besoins humains les plus urgents, ou encore sur le problème des retraites (je n’aurai pas entendu Benoît Hamon reprendre l’idée, avancée par moi dans au cours de l’échange, que l’augmentation d’à peine 0,25 point de la part patronale au régime par répartition permettrait de financer les pensions au niveau qu’elles avaient avant l’enclenchement de la succession des contre-réformes libérales… sous le gouvernement Balladur, en 1993).

Au final, le seul véritable point de divergence aura porté sur… la stratégie. Il fallait s’y attendre. Entre un NPA se refusant à envisager la moindre construction durable avec des forces n’étant pas issues de l’extrême gauche révolutionnaire, et une gauche socialiste considérant toujours que, le PS étant au centre de la gauche, ”« la vérité »” aboutissait à concentrer les énergies sur son redressement (telle fut la conclusion de Benoît Hamon), j’aurai de nouveau plaidé en faveur d’une autre voie. Celle du rassemblement de toutes les forces de transformation… Par-delà les histoires et les cultures de chacune d’entre elles, jusqu’à celles qu’incarnent ces socialistes voulant rester fidèles à leur tradition d’origine… Afin de sauver notre camp de la déroute dont le menace ce qui est devenu le centre de gravité de la social-démocratie européenne (jusqu’à notre PS, dorénavant polarisé par l’idée d’une alliance avec le Modem), de permettre à une gauche digne de ce nom d’y conquérir une majorité. D’évidence, il ne serait guère difficile d’en déterminer les bases programmatiques, même si une série de questions demeuraient ouvertes pour un certain temps. Au passage, et à l’inverse de ce que j’entends ici ou là dans divers cercles de la gauche de gauche, j’y trouve personnellement la confirmation que nous avons tout à gagner, sur la base d’une offre précisément délimitée, à nous tourner vers le reste de la gauche afin que fussent rendues palpables les orientations qui s’affrontent en son sein. Hélas, le chemin reste encore long avant de parvenir au but. Et c’est la raison pour laquelle il est si important que le Front de gauche fasse fructifier son capital de sympathie, qu’il renforce la crédibilité de ses propositions, qu’il accroisse son rayonnement auprès des classes populaires.

Le Front de gauche relancé

Précisément, la semaine dernière se sera achevée sur une excellente nouvelle. La déclaration d’intention que j’appelais de mes vœux dans la précédente note de ce blog a fini par voir le jour. Parti communiste, Parti de gauche et Gauche unitaire, nous avons décidé de concrétiser notre intention conjointe de pérenniser le Front de gauche. Nous réaffirmons à cette fin l’objectif d’affirmer ”« une vraie proposition de gauche ayant vocation à construire des majorités d’alternative à la droite »”. Nous créons sur cette base un comité de liaison permanent, lequel devrait tenir sa première réunion dans les prochains jours. Nous décidons ”« d’ouvrir immédiatement un chantier pour élaborer une plate-forme partage du Front de gauche, contenant les grands axes de l’alternative de rupture nécessaire face à la droite et des propositions d’urgence permettant de répondre aux exigences populaires, aux dégâts de la crise et du productivisme »”.

Clairement, un cap est franchi et cela ne peut avoir que des effets bénéfiques sur l’avenir. Dans les mobilisations sociales, comme celle qui se profile avec la votation citoyenne du 3 octobre en défense du service public postal, autant que pour les élections qui s’annoncent (avec pour première ligne de mire les régionales de mars 2010). Le Front de gauche est en mesure de reprendre maintenant l’initiative, de se tourner vers l’ensemble du peuple de gauche, d’affirmer en sa direction, au moyen du plus large débat public, une nouvelle offre politique. Il a les moyens de contrecarrer les dynamiques de balkanisation de la gauche de transformation, non pour se réfugier dans une attitude de témoignage qui serait juste un peu mieux visible, mais pour faire grandir au cœur de la gauche une perspective faisant renaître l’espoir au sein du monde du travail.

L’épreuve suivante interviendra demain, lundi 28 septembre. Une rencontre est programmée entre l’ensemble des formations représentatives d’une gauche de combat, jusqu’à Lutte ouvrière et au Parti communiste des ouvriers de France. C’est le NPA qui en a pris l’initiative et l’on ne peut que s’en féliciter. À condition, faut-il le préciser, qu’il ne s’agisse pas simplement de confronter des postures à usage de médias qui guettent avec gourmandise le moindre signe que les jeux d’appareil ont repris, comme en l’An quarante, de ce côté de l’échiquier politique. Pour que cette réunion débouche positivement, il conviendrait déjà qu’elle s’accorde sur la nécessité de porter, dans l’unité et lors des échéances sociales des prochains mois, un ensemble de propositions alternatives aux logiques d’un capitalisme que sa crise n’a nullement rendu moins prédateur (n’en déplaise à M. Sarkozy, qui nous aura encore abreuvé de propos lénifiants au sortir du sommet du G 20, à Pittsburgh). Et, concernant la dimension à propos de laquelle nous sommes le plus attendus, les régionales, le bon sens commanderait que, sans s’immiscer dans les rythmes de débat choisis par chacune des organisations, l’on se mît au travail, d’ores et déjà, sur des mesures clairement démarquées des gestions libérales ou sociales-libérales qui seraient de nature à favoriser la défaite de la droite par la mobilisation de l’électorat populaire, l’objectif devant être de réunir des majorités plaçant le plus grand nombre possible de régions au service du bien commun et des populations.

Le NPA devant un choix d’avenir

Sans détours, voilà qui pose crûment le problème de la volonté de mes ex-camarades du Nouveau Parti anticapitaliste. La majorité de ce dernier va-t-elle, une fois encore, prendre la terrible responsabilité de tourner le dos à l’attente d’unité et de radicalité qui monte de secteurs grandissants du peuple de gauche ? Ou, au contraire, initiera-t-elle ce changement de stratégie qu’appellerait logiquement l’échec désormais patent de son projet initial ? Lors du dernier conseil politique national du parti, une ”« motion d’étape sur les élections régionales »” laisse malheureusement craindre qu’elle ne retourne au cavalier seul.

Bien sûr, je l’avoue, ce n’est pas sans un certain plaisir que j’aurai pu lire, sous la plume des dirigeants du NPA, un coup de chapeau à ”« une réelle dynamique à l’image de l’expression commune encore présente dans les mémoires de la bataille de 2005 pour le ″non″ au TCE »”. Lorsque, minorité unitaire de la LCR puis du NPA, nous avancions pour notre part cet argument, on nous rétorquait avec un sourire condescendant que la campagne unitaire du référendum européen avait tout perdu de sa force propulsive et que la parenthèse s’avérait définitivement refermée. Le changement de pied est donc notable… et positif.

Reste néanmoins l’essentiel : les deux points qui vertèbrent la motion du CPN. Le premier pointe les conditions mises par le NPA à un accord de toute la gauche transformatrice pour le premier tour des régionales. Recouvrant des divergences internes dont la presse s’est un peu faite l’écho, les formulations se révèlent extrêmement alambiquées. Se trouve toutefois liée, sans ambiguïté, ”« l’indépendance vis-à-vis du PS et du parti des Verts » au « refus de toute majorité de gestion et par conséquent de participation à tout exécutif de région avec eux »”. Ce qui n’est pas d’une importance secondaire. Le critère de ”« l’indépendance »” n’est, en effet, pas ici la présentation de listes distinctes du PS et d’Europe écologie au seul tour permettant à l’électorat de choisir entre les lignes en présence à gauche, mais une approche préalable commune de l’attitude à observer à propos des exécutifs des régions qui demeureront dominées par des sociaux-libéraux. Le refus de cautionner l’action de tels exécutifs a une incontestable cohérence. Mais, lorsque l’on sait que, de divers secteurs de la gauche alternative au Parti communiste, ce point a toujours fait l’objet de débats compliqués, vouloir le régler dès le départ revient à interdire d’emblée toute convergence avec ceux qui ne partageraient pas les vues du NPA. Donc, à empêcher qu’une gauche de gauche puisse disputer, grâce à son rassemblement, l’hégémonie dont disposent jusqu’à présent les tenants de l’accompagnement du libéralisme sur la gauche.

Le second point n’est pas de moindre portée. Il a trait au second tour et à la manifestation d’une claire volonté d’y battre la droite. Contrairement au problème des exécutifs, le NPA considère manifestement que ce ”« n’est pas la discussion prioritaire »”. Faire échouer l’offensive sarkozyenne pour reprendre un maximum de régions perdues en 2004, n’est donc pas une affaire de principe, ”« c’est une question tactique qui dépend des rapports de force, notamment des résultats du premier tour »”, nous explique-t-on. Avant d’ajouter : ”« Si le PS et les Verts s’allient avec le Modem ou s’ils refusent la fusion, et dans le cas où nos listes réaliseraient plus de 10% des suffrages, elles se maintiendront au second tour. Dans les autres cas, les listes adopteront la position la mieux adaptée à la situation locale : appel à battre la droite, appel à l’abstention, absence de consigne de vote… »” L’éventail des cas de figure, on le voit, est large et la démarche imprécise à souhait… Si, effectivement, le combat doit être mené avec intransigeance contre des alliances contre-nature de la gauche et du centre, il est pour le moins léger, à six mois du scrutin, de laisser entendre que l’on serait disposé à prendre la responsabilité de faire basculer des régions à droite en cas de refus de fusion des listes de gauche, ou en appelant à l’abstention… ”« dans les autres cas »” (lesquels, au juste ?). Pour s’être risqué dans cette problématique incompréhensible de la masse de l’électorat de gauche, la coalition LO-LCR des régionales de 2004 essuya un revers catastrophique au premier tour, il serait bon de s’en souvenir !

Beaucoup va maintenant dépendre de la dynamique qui s’enclenchera et sera susceptible de bousculer les calculs boutiquiers et les tendances au repli. Le Front de gauche a, décidément, une responsabilité historique !

”PS. Au moment où j’achevais cette note, un texto m’informait que, aux élections générales allemandes, le SPD venait de subir une déroute, payant sa participation à la grande coalition gouvernementale avec la Démocratie-chrétienne et la dérive qui en a fait le moteur des contre-réformes libérales dans ce pays. La droite conservatrice pourra maintenant gouverner en alliance avec le petit parti libéral (FDP), bien que son influence électorale recule notablement. C’est une nouvelle preuve que les droites, d ans le contexte de la crise capitaliste, ont pour seule force la faillite de leurs concurrents sociaux-libéraux. Le seul espoir à gauche venant de la poussée de Die Linke qui, semble-t-il, dépasse les 12%. Une fois encore, d’outre-Rhin nous vient un exemple à méditer. Le chemin de la reconstruction d’une vraie gauche sera long et tortueux, mais il peut être jalonné de succès intermédiaires prometteurs, pourvu que l’audace soit au rendez-vous. J’y reviendrai…”

Christian_Picquet

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