Battre Sarkozy, sans attendre 2012
Un problème technique, désormais résolu, m’a tenu éloigné de ce blog depuis le début août. Je m’en excuse auprès de celles et ceux qui me font l’amitié de venir chaque jour voir si j’ai enfin repris le fil de mes chroniques. Je ne puis d’ailleurs que regretter cette interruption puisque, de trêve estivale, il n’y aura presque pas eu… Depuis ma note précédente, qui portait sur la cohérence d’ensemble des attaques lancées par le pouvoir sarkozyen contre un certain héritage républicain, l’héritage du combat en faveur de la République démocratique et sociale pour aller vite, tout est venu confirmer que nous nous trouvions à l’un de ces moments décisifs où se joue l’avenir d’un pays et de sa population. Et c’est évidemment la grande bataille des retraites, qui vient de mettre près de trois millions de salariés dans la rue le 7 septembre, qui catalyse ce qu’il faut bien désigner comme un enjeu de civilisation.
Tout au long du mois dernier, nous aurons vu des ministres saturer le théâtre médiatique et multiplier les saillies sécuritaires ou xénophobes, lorsqu’ils ne se répandaient pas en propos stigmatisant les pauvres, comme ce fut le cas de ce député UMP obtenant une éphémère notoriété en intervenant sur l’attribution de l’allocation de rentrée scolaire. Contrairement à ce que l’on aura trop de fois entendu à gauche, ces petits marquis en service commandé ne cherchaient pas principalement à faire diversion, à répandre l’écran de fumée qui autoriserait leur patron à détourner les salariés de l’épreuve de force sur la contre-réforme des retraites. Ils n’entendaient pas uniquement récupérer l’électorat d’extrême droite en train de s’en retourner au bercail d’un Front national dorénavant aux mains de Marine Le Pen. Ils exprimaient la volonté de reprendre l’initiative pour gagner sur un modèle de société. Celui qui, dans son injustice fondatrice, requiert que l’on fît croître sans cesse les dividendes des actionnaires, que la valeur ajoutée se déplaçât toujours davantage au profit du capital, que l’on divisât le corps social, que l’on répandît la peur en son sein, que l’on assimilât les millions d’exclus d’aujourd’hui à une nouvelle « classe dangereuse » (comme on disait au XIX° siècle), que l’on substituât une approche ethnicisante au principe d’égalité républicaine, que l’on conjuguât au quotidien la satisfaction des exigences des marchés avec le développement sans fin d’un État policier.
Je n’ai, à cet égard, pas un mot à retrancher du texte que j’avais donné à ”l’Humanité-dimanche”, à la mi-août, pour sa livraison de rentrée, à propos des journées de mobilisation du 4 septembre, ”« contre la xénophobie et la politique du pilori »”, et du 7 septembre en défense de la retraite à 60 ans. Je restitue ici mon propos d’alors : ”« Ne croyons pas que les postures sécuritaires et xénophobes de ce gouvernement visent seulement à nous détourner de la bataille centrale des retraites. Minoritaire sur sa politique, délégitimé par les scandales, Sarkozy engage sa contre-offensive sur le modèle de société, à l’inégalitarisme forcené, qu’il entend imposer au pays. Tout se tient : casse de la protection sociale et austérité, négation du principe d’égalité républicaine et liquidation des conquêtes hier codifiées par le Conseil national de la Résistance, division du corps social et encouragement des pires discriminations ou réflexes racistes, injustice fiscale et consanguinité assumée entre argent et politique… À attaque globale, réponse coordonnée. Sans se confondre, les 4 et 7 septembre sont complémentaires. À gauche, comme le dit le Front de gauche, il est urgent d’en finir avec les frilosités et les demi-mesures. Les principes de justice sociale, d’égalité citoyenne, de solidarité face à la loi de l’argent appellent un projet de société en rupture radicale avec le libéralisme. »”
Crise sociale, morale et politique
Précisément, depuis les 4 et 7 septembre, les enchères se sont considérablement élevées. La journée de manifestations, initiée par la Ligue des droits de l’Homme en défense de l’égalité, aura revêtu une portée politique puissante à défaut d’avoir été d’une ampleur inédite (comme il l’eût sans doute fallu, eu égard à la gravité de la dérive idéologique dans laquelle s’est engagée le régime). Toute la gauche réunie, aux côtés de l’essentiel du mouvement syndical (jusqu’à Force ouvrière et à la CFDT…) et de la plupart des associations démocratiques, sans oublier un petit segment de la droite démocratique (de l’état-major de la Licra au Modem) : l’événement est suffisamment exceptionnel pour ne pas en minorer la portée. Tout de suite derrière, l’ampleur de la vague sociale qui, mardi dernier, submergea jusqu’à la plus petite ville de France à l’appel d’une intersyndicale de nouveau au complet en dit long sur l’exaspération populaire. Une réussite du même niveau que les temps forts de janvier et mars 2009… Ce qui constitue un événement sans précédent, dans l’histoire sociale de ce pays, à une semaine à peine de la rentrée. Pour faire bonne mesure, selon les enquêtes d’opinion, de 60 à 70% des personnes interrogées soutiennent la mobilisation, exigeant que le gouvernement renonce à son projet.
Rien n’y aura donc fait… Ni le discours de Grenoble du président de la République, ni les attitudes martiales de ses affidés tout au long de l’été… La droite UMP révèle une impuissance absolue à retourner une opinion qui n’aura cessé de manifester sa défiance politique depuis le scrutin des régionales et que révoltent ses connivences affichées avec le clan aussi fermé que minuscule où grenouillent banquiers, spéculateurs, PDG du CAC 40 et affairistes. Elle est non seulement minoritaire sur la quasi-totalité des dimensions de son action – comme rarement des gouvernants le furent depuis les origines de la V° République -, mais à ce point privé d’autorité que nulle manœuvre n’est plus de nature à lui permettre de reconquérir quelques points de popularité.
À preuve, dans l’état de discrédit qui la caractérise, toutes les entreprises de l’équipe au pouvoir finissent par se retourner contre elle, y compris l’opération qui devait transformer les Roms (population pourtant historiquement stigmatisée et marginalisée) en boucs émissaires commodes des difficultés du pays. Les divisions à droite devant l’inhumanité délibérée du gouvernement, le malaise perceptible à l’échelle de toute l’Union européenne, les critiques émises dans le cadre des Nations unies, ou encore la réprobation marquée de la hiérarchie catholique l’auront spectaculairement manifesté. Nous ne sommes, par conséquent, plus seulement confrontés à une crise sociale, ni même à une crise purement morale, mais à une crise politique majeure. Une crise qui peut à tout moment déboucher sur une authentique crise de régime…
Gagner maintenant, c’est possible
Ne nous dissimulons cependant pas les incertitudes de la situation. La colère sociale place, plus que jamais, l’Hexagone au bord de l’explosion. Chacun n’en sent pas moins que c’est le rapport des forces politique et social de ces prochaines années qui est en jeu. Le rejet de la loi Sarkozy-Woerth est profond, mais le doute plane dans les esprits sur la possibilité de gagner. D’aucuns, on le percevait dans certains cortèges du 7 septembre, peuvent de ce point de vue être tentés de reporter en 2012 leur désir de balayer une droite aussi arrogante qu’au service exclusif des puissants. Sauf que…
L’issue de la confrontation entre droite et gauche va se déterminer dans les prochaines semaines, non en 2012. S’il l’emporte, Nicolas Sarkozy cherchera à transformer l’essai, s’inspirant de l’exemple d’une Margaret Thatcher qui se maintint si longuement aux affaires, en Grande-Bretagne, grâce à la victoire qu’elle avait remportée sur les mineurs. Aussi impopulaire fût-il, l’hôte de l’Élysée possède encore quelques atouts : sa majorité institutionnelle ; la faculté provocatrice que lui confère l’appareil d’État dont il a verrouillé tous les rouages (on voit comment il s’en sert présentement en livrant une « guerre nationale » à des quartiers populaires prétendument criminogènes) ; son habileté à conserver l’initiative ; et… l’absence de perspectives à gauche, palpable à travers les tergiversations de la force dominante de l’opposition.
Ainsi, si elle a bien saisi qu’il convenait de coller à la vague populaire actuelle (on ne peut que s’en féliciter), la direction du Parti socialiste n’en persiste-t-elle pas moins à délivrer un message à l’ambiguïté préjudiciable. Lorsque qu’elle accompagne, par exemple, sa défense des 60 ans comme âge légal de départ à la retraite, d’une démarche basée sur l’allongement de la durée de cotisation nécessaire à l’obtention d’une pension à taux plein…. Ou encore lorsqu’elle se montre presque atone le jour de la rentrée parlementaire, cherchant à se montrer « responsable » dans la gestion des déficits publics et renonçant même à mettre en cause le ministre Woerth, discrédité par ses mensonges à répétition dans le scandale Bettencourt. Pour cette raison, on ne saluera jamais suffisamment l’engagement d’un certain nombre de dirigeants du PS dans la campagne qui s’orchestre partout dans le pays, à partir de l’appel d’Attac et de la Fondation Copernic, en faveur des 60 ans à taux plein.
À ce propos, je participais ce 8 septembre au meeting de l’appel pour l’Île-de-France. Intervenaient également Razzy Hammadi, Cécile Duflot, Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent, Jacqueline Fraysse, Olivier Besancenot, Annick Coupé, Gérard Filoche ou Jean-Marie Harribey (pour ne citer qu’eux). L’occasion de tirer un premier bilan des gigantesques défilé de la veille et d’échanger sur les suites à leur donner. Pour conclure cette note, je reprends les idées que j’aurai pour ma part développées au cours de cette soirée.
Indéniablement, l’initiative est en train de changer de camp. Le mouvement social peut parfaitement gagner. Il peut faire reculer le gouvernement et obtenir le retrait pur et simple de son projet scélérat, car tel est bien l’objectif qu’il convient aujourd’hui de viser, sans chercher à en modifier les équilibres ni à l’amender aux marges. Voilà qui nous dicte un triple objectif.
Triple objectif
D’abord, celui de gagner la bataille de la mobilisation populaire, en d’autres termes de réunir les conditions d’un « tous ensemble », du mouvement prolongé et reconductible, organisé démocratiquement à partir des lieux de travail, qui sera seul en mesure de contraindre cette droite de combat à battre en retraite. Un objectif dont le terme n’est pas la conclusion du débat parlementaire : même si le gouvernement fait adopter son texte à marche forcée, grâce à la majorité arithmétique dont il dispose dans les Assemblées, la grève et la rue pourront encore faire triompher la volonté populaire, la grande lutte contre le CPE en a fait la démonstration en 2006.
Ensuite, celui de gagner la bataille de la logique alternative au projet gouvernemental. À partir notamment du rassemblement unitaire qu’aura permis l’appel « Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites », il est devenu possible de rendre majoritaire l’idée selon laquelle on peut conserver la retraite à 60 ans et à taux plein pourvu que l’on s’attaque résolument à la répartition des richesses. Lorsque la part de la valeur ajoutée s’est déplacée en 20 ans de dix points au bénéfice du capital, cela représentant près de 200 milliards d’euros chaque année ; lorsqu’un fleuron du CAC 40 comme Axa peut afficher des bénéfices en augmentation de 290% pour l’année passée, en dépit de l’éclatement de la crise quelques mois auparavant ; lorsque le coupon des actionnaires ne cesse d’augmenter, y compris dans les entreprises dont les bénéfices diminuent ; lorsque les exonérations fiscales sur les plus-values réalisées à l’occasion des cessions de titres représentent, à elles seules, huit milliards d’euros chaque année ; lorsque les prévisions du Conseil d’orientation des retraites, à propos de l’accroissement prévisible du produit intérieur brut d’ici 2050, attestent qu’il existe bel et bien les moyens de financer les 115 milliards de besoin de financement estimés par le même organisme… Il est parfaitement réalisable de convaincre que l’augmentation de la cotisation patronale au système des retraites et la mise à contribution des revenus financiers aboutiraient à garantir la retraite à 60 ans, autorisant plus largement à revenir sur toutes les contre-réformes qui nous ont été imposées depuis le gouvernement Balladur, en 1993.
Enfin, celui de gagner la bataille de la légitimité. Peut-être, je l’ai dit, MM. Sarkozy et Fillon parviendront-ils à boucler leur calendrier parlementaire dans les délais qu’ils se sont fixés, à savoir d’ici le début du mois d’octobre. L’épreuve de force n’en prendra pas fin pour autant. En complément de la mobilisation, une gauche à la hauteur devra oser tirer toutes les conséquences de la crise politique. Oser dire que la droite n’a pas la moindre légitimité pour faire passer un projet non seulement contraire à l’intérêt général, mais dont le président de la République disait lui-même qu’il ne figurait pas dans son programme de 2007. Oser défendre l’idée que c’est au peuple de décider, que la parole doit revenir aux électrices et aux électeurs, autrement dit qu’il faut dissoudre l’Assemblée nationale. S’y dérober, ce serait laisser à notre petit César élyséen une chance de sortir de l’impasse où il se noie.
S’il est parfaitement possible de l’emporter, c’est aussi que ce qui se passe présentement dans la rue et dans les salles de meeting dessine, fusse en pointillé, un chemin d’espoir possible. Le chemin d’un nouveau Front populaire. Si, à la Gauche unitaire, nous parlons désormais de ”« nouveau Front populaire »”, c’est parce que l’alternative à Nicolas Sarkozy ne peut venir que d’une large convergence associant, comme l’appel d’Attac et de Copernic, des forces politiques à de secteurs du mouvement social. C’est parce qu’il faut rétablir tout ce que la droite a détruit en l’espace d’une dizaine d’années, et que cela implique un mouvement social aussi puissant que celui qui aboutit à la conquête des congés payés en 1936. C’est parce que la gauche perdra si elle renonce à transformer concrètement et profondément la vie du peuple et qu’il faudra, pour parvenir au changement, gouverner contre les banques, les marchés financiers et les agences de notation à leur service, les actionnaires et les affairistes.
La tâche est vaste, mais elle est simplement à la mesure d’une confrontation de classe qui appelle une réponse politique à la hauteur. Il se trouve que, ce week-end, à la Fête de l’Humanité, le Front de gauche apportera sa pierre à l’édifice en lançant solennellement le travail d’élaboration de sa plate-forme partagée. Cela se passera le samedi 11, à 17 h, à l’Agora, en présence de Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon et moi-même. D’évidence, cela s’annonce comme l’événement marquant de ce grand rendez-vous traditionnel de toutes les luttes pour la justice et l’égalité. Qui prend cette année une résonnance particulière…