Le Front de gauche, événement de la Fête de l’Huma
Je vous l’avoue, je suis sorti éreinté de la Fête de l’Humanité. Éreinté et gonflé à bloc tout à la fois, tant ce grand rendez-vous populaire était, cette année, d’un cru exceptionnel. Je dis bien exceptionnel car, non seulement il rassemblait toutes les forces militantes engagées dans la bataille de la retraite à 60 ans, la plupart des participants manifestant la haute conscience de l’enjeu vital de l’épreuve de force en cours, mais il marquait, avec la solennité due à l’événement, l’entrée du Front de gauche dans une nouvelle étape de sa construction : aux côtés de mes amis Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon (et aux côtés de ces figures de l’engagement social que sont Évelyne Sire-Marin, Raymond Gori, Dominique Noguères et Willy Pelletier), j’aurai ainsi participé au lancement du processus d’écriture de notre programme et de notre projet « partagés », le samedi 11, en fin d’après-midi, dans une Agora bondée de ses 2000 participants et sans cesse résonnante du slogan « Unité, Unité »… La presse et les observateurs ne s’y sont pas trompés, en relevant que quelque chose d’important venait de bouger à gauche.
Tout au long de ces trois jours, je n’aurai cessé de courir de débats en forums, de séances de dédicace du livre que Marie-Pierre Vieu et moi avons commis (”Le Trotsko et la Coco”) en visites des stands des fédérations communistes (où nous aurons généralement été reçus avec une chaleur et une amitié incroyables), sans parler évidemment de ma participation aux initiatives organisées par notre Gauche unitaire sous son chapiteau (achevées, en fanfare, par un débat sur l’alternative à la crise politique, en compagnie de Razzy Hammadi, du courant « Nouveau monde » du Parti socialiste, Olivier Dartigolles, porte-parole du Parti communiste, Éric Coquerel, du Parti de gauche).
Je veux ici vous faire encore part de mon admiration : trois jours durant, les militantes et militants de GU auront été formidables, sur la brèche du matin à des heures avancées de la nuit, toujours disponibles pour accueillir les centaines et centaines de visiteurs venant s’informer de nos activités ou remplir leur bulletin de demande de contact, assurant la sécurité de ce samedi soir mémorable où un groupe musical enflamma l’assistance de jeunes qui débordait jusque dans l’allée Gabriel-Péri…
Je reviendrai certainement sur cette fête, mais je veux dès à présent reproduire mon intervention devant le rassemblement du Front de gauche, à l’Agora.
Un acte de nature historique
« Mes Chers Amis, Mes Chers Camarades,
« Chacun le sent bien, l’acte que nous accomplissons ce soir a quelque chose d’historique. Il ne s’agit plus seulement d’aller en commun à des élections ; il ne s’agit plus seulement de s’engager ensemble dans des mobilisations. Si nos trois formations ont décidé de se mettre autour d’une table pour travailler à un projet partagé, sans rien renier de leurs histoires, de leurs cultures et de la souveraineté qui est la leur, c’est qu’elles estiment disposer d’une vision commune de la société au nom de laquelle elles se battent et de réponses suffisamment convergentes de ce que doit être une politique de gauche. Lorsque je parle de politique de gauche, je veux bien évidemment désigner celle qui ne se contente pas d’améliorer aux marges l’ordre établi, mais entend changer profondément et durablement la vie du peuple. Ce n’est pas rien que le Front de gauche soit capable de s’atteler à ce défi.
« C’est d’autant moins anecdotique que nous lançons ce processus à un moment où l’avenir du pays et de ses habitants sont en jeu. Avec Sarkozy et son clan de politiciens sans scrupules, de banquiers, de patrons du CAC 4O, d’affairistes dont on découvre à présent qu’ils pourraient bien être impliqués dans les pires escroqueries, comme le scandale Madoff, nous avons affaire à une droite pour laquelle la meilleure défense c’est l’attaque. Une droite qui entend aller jusqu’au bout dans l’avènement d’un modèle de société à l’inégalitarisme forcené.
« Aujourd’hui, toutes les dimensions de sa politique sont imbriqués, de la contre-réforme des retraites qui va faire basculer dans la pauvreté des millions d’hommes et de femmes, à l’austérité la plus brutale que ce pays ait connue depuis la Libération, de la négation du principe d’égalité républicaine, à la liquidation des conquêtes hier codifiées par le programme du Conseil national de la Résistance, de la mise en œuvre d’une politique de la peur, à l’encouragement des pires discriminations et réflexes racistes, de l’injustice fiscale à la connivence organisée avec le monde de l’argent.
« Cela dit, si ce pouvoir reste fort de sa capacité d’initiative et de la visée globale qui est la sienne, il n’a jamais été aussi faible. Il est minoritaire sur presque tous les aspects de son action… Il est discrédité par les scandales qui le touchent… La colère sociale, on l’a encore vu le 7 septembre, place le pays au bord de l’explosion…
« À la crise sociale, s’est superposée une crise morale. Celles-ci se sont transformées en une crise politique comme rarement des gouvernants en ont connue depuis les origines de la V° République. Et c’est à tout moment une crise de régime qui menace de s’ouvrir.
« Mesurons bien l’enjeu auquel cela nous confronte. Lorsqu’une telle crise est ouverte… Lorsqu’elle se double d’une crise historique du capitalisme sous l’effet des offensives spéculatives des fonds d’investissement… Ou elle trouve son issue dans un changement politique qui bénéficie au plus grand nombre, ou elle fait le lit de tentations autoritaires, de solutions populistes, voire d’une extrême droite qui attend toujours son heure !
La gauche dont nous avons besoin
« C’est pour cette raison que nous avons besoin d’une gauche à la hauteur.
« Nous avons besoin d’une gauche qui ne craint pas la mobilisation sociale, le « tous ensemble », l’idée de grève reconductible, mais s’appuie sur elle parce que toute l’expérience prouve qu’aucune politique de changement n’est envisageable sans un rapport de force construit à partir des lieux de travail.
« Nous avons besoin d’une gauche qui s’émancipe résolument de la politique des petits pas et de la logique de la demi-mesure. Dit autrement, d’une gauche qui ose dire qu’il faudra rétablir tout ce que la droite à détruit en presque dix ans. D’une gauche qui ose s’attaquer à la répartition des richesses, en commençant par récupérer les dix points de PIB qu’en 2O ans le capital a dérobé au travail. D’une gauche qui ose reprendre la main sur l’économie, en nationalisation les grands établissements bancaires afin de créer un grand pôle financier public. D’une gauche qui ose dire que tous les secteurs d’activité correspondant à des besoins fondamentaux des populations doivent redevenir (ou devenir) propriété de la collectivité. D’une gauche qui ose proclamer que ce sont les besoins sociaux et les urgences écologiques qui doivent dicter les choix publics, non la soif illimitée de profits des actionnaires et des marchés financiers. D’une gauche qui ose mettre à l’ordre du jour une refondation républicaine, en mettant fin au présidentialisme inhérents aux institutions actuelles et en instaurant une VI° République, démocratique et sociale. D’une gauche qui ose enfin sortir des clous du traité libéral de Lisbonne, lequel interdit de mettre en œuvre la moindre logique de gauche.
« Cette gauche-là, elle ne peut pas, elle ne doit pas, se dérober devant la crise politique qui vient de s’ouvrir. Lorsque deux légitimités se font face, comme c’est le cas aujourd’hui, celle de la rue et de la grève soutenue par l’immense majorité de l’opinion face à celle de l’infime minorité qui accapare toutes les richesses mais en veut toujours plus, on ne doit pas hésiter à bouleverser les calendriers.
« Ce n’est pas en 2012 que les choses se jouent. C’est maintenant !
« Il faut donc revendiquer que la parole soit rendue au peuple. En d’autres termes, dès lors que la majorité parlementaire s’assoit sur la volonté populaire en votant à la hussarde la loi Woerth-Sarkozy-Fillon, il faut en tirer toutes les conséquences en n’hésitant pas à affirmer que l’Assemblée nationale doit être dissoute.
Pour un nouveau Front populaire
« C’est ici que l’idée d’un nouveau Front populaire prend toute sa pertinence.
« Moi, je dis « Front populaire »… Pierre parle de « Pacte d’union populaire »… Jean-Luc a ses propres mots… Peu importent les termes, puisque nous y mettons le même contenu. L’essentiel est qu’existe à gauche une solution politique qui rende l’espoir à un peuple révolté par les orientations conduites à la tête de l’État.
« S’il faut un nouveau Front populaire, c’est parce que l’alternative à Sarkozy ne peut venir que d’une large convergence associant des forces politiques à des acteurs du mouvement social, comme nous commençons à le dessiner à cette tribune.
« S’il faut un nouveau Front populaire, c’est parce que l’ampleur de la tâche à accomplir requiert une mobilisation aussi puissante que celle qui permit, hier, de conquérir les congés payés.
« S’il faut un nouveau Front populaire, c’est parce que nous avons le devoir de changer concrètement et profondément la vie du peuple et qu’il faudra, pour cela, gouverner contre les banques, les marchés financiers, les actionnaires.
« Lorsque je dis cela, vous sentez bien, Mes Amis, que nous n’y sommes pas encore. Loin s’en faut ! Ce n’est pas encore cette politique qui prédomine à gauche !
« On le voit bien, lorsque certaines figures du Parti socialiste commencent à murmurer que les déficits et les contraintes budgétaires européennes interdiront que l’on inverse les priorités politiques pour le pays.
« On le voit bien lorsque d’autres nous expliquent qu’il faudra renoncer à abroger la contre-réforme des retraites. Ou encore quand la direction du PS elle-même préconise l’allongement de la durée des cotisations donnant droit à une retraite à taux plein, même si elle revendique que l’âge légal soit maintenu à 60 ans.
« Dans les prochains mois, l’affrontement entre droite et gauche ne saurait mettre en cause le champion du CAC 40 à celui du FMI, ni une droite de combat à une gauche guimauve.
« La mission du Front de gauche s’impose alors d’elle-même : il faut qu’une vraie politique de gauche devienne majoritaire à gauche. C’est la condition pour que la gauche redevienne la gauche et qu’elle se montre en phase avec les attentes populaires qui souffrent de l’inexistence d’une perspective mobilisatrice.
Pour un Front de gauche force motrice de la gauche
« Avec le travail que nous entamons ce soir, notre Front de gauche franchit une nouvelle étape.
« Depuis que cette construction inédite a vu le jour, on n’a cessé de nous dire que nous étions condamnés à l’échec… Et nous voici, ensemble, Pierre, Jean-Luc et moi, en train de vous annoncer que nous nous attelons à l’écriture d’un projet et d’un programme partagé.
« C’est que nous avons compris, les uns et les autres, que notre diversité pouvait être un atout. Que sans le rassemblement des traditions que nous représentons, nous ne pourrons concrétiser notre ambition de devenir majoritaire à gauche pour conquérir une majorité dans le pays.
« Dès lors, la bonne nouvelle, peut-être l’événement de cette Fête de l’Humanité, est que nous continuons !
« Que nous serons ensemble pour défendre les mêmes propositions dans toutes les échéances politiques, électorales et sociales à venir… Que nous allons nous élargir à toutes celles et tous ceux qui partagent la même démarche que nous… Que nous entendons nous enraciner sur le terrain, travailler avec tous ces militants et toutes ces militantes qui sont prêts à apporter leur expérience et leur expertise à une démarche qui nous devienne commune. Que nous n’ambitionnons pas seulement d’être la troisième composante de la gauche, mais d’en devenir la force motrice.
« C’est Jaurès qui disait que « la grandeur de la révolution socialiste résidait dans le fait qu’elle sera faite pour tous ». Un siècle plus tard, c’est toujours notre devise ! »
”PS. Le succès de l’échange de l’Agora en a manifestement irrité plus d’un. Stéphane Alliès vient ainsi d’écrire, dans” Médiapart, l”es phrases suivantes, que je ressens comme une insulte indigne du travail de journaliste :” « Face à un public surchauffé et très nombreux, le débat a surtout été l’occasion de grands concours d’effets de manche, où l’ancien trotskyste Christian Picquet et Mélenchon ont rivalisé de radicalité tribunitienne et populiste. L’ancien minoritaire de la LCR a hurlé son antiparlementarisme, appelant à la dissolution de l’Assemblée nationale. » ”Nous voici donc, Jean-Luc et moi catalogué comme des radicaux” « tribunitiens et populistes », ”et j’ai personnellement droit à l’accusation infâmante” « d’antiparlementarisme » ”(je dis infâmante car, accolée aux deux autres flèches de M. Alliès, nous ne sommes pas très loin de l’assimilation aux Ligues de l’Entre-Deux guerres). J’aime le travail de” Médiapart, ”je respecte celui de M. Alliès. Il a parfaitement le droit de détester ce que symbolise le Front de gauche, à savoir la volonté de ramener le curseur de la gauche réellement à gauche, sans s’effrayer d’apparaître impertinent au regard de ceux qui considèrent que le capitalisme vorace de ce XXI° siècle représente un horizon indépassable. Mais la plus élémentaire attitude républicaine, celle que prise à juste titre” Médiapart, ”devrait l’amener, plus modestement, à convenir qu’un pouvoir à l’action devenue illégitime doit se soumettre au verdict populaire, celui du suffrage universel. Je n’ai pas dit autre chose… C’était, au demeurant, l’esprit dans lequel les premiers constituants avaient écrit la Loi fondamentale de la Première République. M. Alliès devrait, en l’occurrence, rafraîchir sa mémoire de l’histoire des combats politiques en France. Parce que je la considère particulièrement grave, dans le climat hexagonal du moment, je reviendrai dès demain sur cette accusation.”