À quoi servent les élus du Front de gauche ?
Me revoici en campagne, sautant d’un coin à l’autre du pays pour y soutenir les candidats et candidates que le Front de gauche présente aux élections cantonales. J’étais ainsi, mercredi 16 février, à Marseille, pour y participer au forum sur le travail organisé dans le cadre du « programme partagé ». Mais quelques heures avant que ne s’ouvre cette belle soirée, chaleureuse et où se pressaient toutes les figures qui comptent du mouvement social de la cité phocéenne, j’étais allé soutenir nos représentants sur les trois cantons du centre marseillais (au nombre desquels figure un vieux complice, Philippe Blache, qui porte les couleurs de Gauche unitaire).
D’une ville à l’autre, le déroulé est à peu près identique : séances photos, visites aux entreprises en lutte (je reviendrai sur celle que j’ai effectuée, avec Jean-Luc Mélenchon et Pierre Dharreville, de la fédération communiste des Bouches-du-Rhône, au centre de tri du 2° arrondissement, en grève depuis… quatre mois), rencontres avec la presse… Presque systématiquement, la même question nous est posée par les journalistes locaux : ”« Vous dites vouloir battre la droite et rassembler toute la gauche au second tour, alors à quoi sert-il de vouloir avoir des élus du Front de gauche ? »” Immanquablement, je fais la même réponse : là où le Front de gauche est présent dans les conseils régionaux, on voit la différence. Et de faire état de ma propre expérience en Midi-Pyrénées…
LE BUSINESS ET LE DROIT INTERNATIONAL…
Notre groupe PCF-PG-GU a eu ici l’occasion d’illustrer sa démarche originale au sein de l’institution régionale. Un fil rouge la caractérise : s’employer à ce que majorité de gauche agisse en conformité avec le mandat reçu des électeurs lorsqu’ils balayèrent avec fracas la liste sarkozyste, voilà presque un an, qu’elle ose à son échelle déployer des éléments d’orientation alternative à celle mise en pratique au sommet de l’État. C’est le sens, par exemple, de notre opposition systématique à tout financement public de ces « pôles de compétitivité » sur lesquels ni les élus ni les salariés n’ont le moindre contrôle, alors qu’ils mettent les territoires en compétition dans la plus pure logique libérale. C’est également la raison pour laquelle nous refusons toute subvention à des entreprises lorsqu’elles ne sont pas assorties de critères sociaux et environnementaux stricts. C’est dans le même esprit que nous avons, dès l’inauguration de la nouvelle mandature, puis dans le cadre du débat budgétaire, bataillé afin que la Région se plaçât en situation de résistance, et même de désobéissance, à la contre-réforme gouvernementale des collectivités territoriales autant qu’à l’austérité dans les rets de laquelle la droite tente d’étrangler ces dernières. Et c’est encore la même approche qui nous guide sur les dossiers relevant de la coopération internationale ou du business dans certaines zones du globe.
Précisément, la dernière Commission permanente de la Région, le 10 février, vient de se voir traversée par son premier grand débat de politique générale depuis le scrutin de mars 2010. La presse régionale ne s’y sera pas trompée, qui en aura largement rendu compte, à l’instar de l’édition concernée de ”Libération”. En cause, le financement, à hauteur de 33 000 euros, d’une mission économique en Israël, au printemps prochain. Une mission placée sus l’égide de la Chambre de commerce France-Israël et dont le maître d’œuvre n’est autre que le président pour l’Europe du groupe Israel Aerospace Industrie, spécialisé dans la construction de drones israéliens.
En contact étroit avec les associations de solidarité (qui organisèrent plusieurs manifestations devant l’Hôtel de Région), le groupe du Front de gauche avait demandé que ce dossier soit retiré de l’ordre du jour, considérant que la Région, et tout particulièrement sa majorité élue sur l’engagement progressiste de contribuer à la paix et à la justice à l’occasion de ses actions de coopération internationale, ne saurait d’aucune manière apporter son concours à la politique guerrière du gouvernement de Benyamin Netanyahou, à l’annexion rampante de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, au blocus meurtrier de la Bande de Gaza.
Au sein de la commission « Industrie, Grands Groupes et Services aux Entreprises », Marie-Pierre Vieu et moi-même parvînmes, dans un premier temps, à obtenir que la décision y soit unanimement suspendue en l’attente de plus amples informations : sur les précédentes missions du même type, les objectifs de la prochaine et les relations éventuellement existantes entre les fabricants de missiles israéliens et leurs homologues français de l’industrie aéronautique française. La délibération n’en fut pas moins, à l’arrivée, conservée à l’ordre du jour de la Commission permanente. En dépit des précaution prises, et la mission nous paraissant de nature à cautionner, fusse indirectement voire à son insu, la politique criminelle et annexionniste des autorités actuelles de l’État d’Israël, le Front de gauche émit un vote défavorable, accompagné par celui d’Europe écologie.
Je veux m’arrêter un instant sur la position que nous avons prise. Là où d’aucuns attendaient que nous nous bornions à émettre un message qui eût pu être aisément qualifié par eux de purement « idéologique », là où ils espéraient que nous nous situerions sur le terrain du « boycott » (pour mieux, comme j’ai senti qu’ils s’y étaient préparés, nous opposer qu’une Région n’en avait nullement les moyens), nous avons choisi d’aborder la discussion sous l’angle du choix politique qu’il appartenait à une institution dirigée à gauche d’effectuer, si du moins elle entendait être fidèle à ses engagements. Nous avons donc interpellé la majorité régionale sur l’incohérence qu’il y avait à s’exprimer en faveur d’une paix fondée sur le droit international (ainsi qu’elle l’avait fait, en juin 2010, lors de l’arraisonnement sanglant, par les commandos de Tsahal, de la flottille humanitaire tentant de forcer l’isolement de Gaza) et une décision l’amenant implicitement à soutenir les pires supporters du pouvoir israélien. Nous aurons pu, de cette manière, enclencher un intéressant débat avec les élus et, au final, faire substantiellement bouger l’attitude de l’exécutif – qui accompagna cette mission d’une série de garanties sur les conditions de sa mise en œuvre, ce que nous aurons mis à l’actif de notre action -, même s’il refusa de nous suivre jusqu’au bout.
Je reproduis ci-dessous mon intervention, au nom du Front de gauche, devant la Commission permanente. Non sans signaler que certains ne purent s’empêcher de « mordre le trait », tel cet élu UMP qui m’accusa en demi-teinte de penchants antisémites… ce qui provoqua un petit scandale dans l’assemblée et me valut les excuses embarrassées de son président de groupe.
MON INTERVENTION À LA COMMISSION PERMANENTE DU 10 FÉVRIER
« Monsieur le Président, je voudrais intervenir sur un aspect de la délibération qui nous est aujourd’hui soumise et qui porte sur le financement, à hauteur de 33 000 euros, d’une mission économique en Israël. Madame Vieu et moi-même, tout comme nos collègues d’Europe écologie, avons déjà eu l’occasion de soulever le problème que ce financement posait, dans le cadre de la commission « Industrie ».
« En préalable, et afin qu’il n’existe aucune ambiguïté sur le sens de notre démarche, vous me permettrez de formuler trois remarques.
« Nous connaissons, Monsieur le Président, votre attachement personnel à la cause de la paix au Proche-Orient et l’importance que vous avez accordée aux actions de coopération avec la représentation nationale du peuple palestinien.
« Nous nous honorons, de ce point de vue, d’appartenir à cette majorité régionale qui a eu l’occasion, en particulier après l’arraisonnement sanglant du Mavi Marmara par les unités israéliennes en juin 2010, d’affirmer son engagement en faveur d’une paix dans la justice, c’est-à-dire sur la base des résolutions des Nations unies, entre les deux nations présentes sur la même terre, ces deux nations devant pouvoir coexister en voyant leurs souverainetés respectives garanties.
« Enfin, dernière remarque préalable, nous ne contestons nullement le principe en lui-même de partenariats avec l’État d’Israël, pourvu que lesdits partenariats ne viennent pas bafouer le droit international par la caution qu’ils apporteraient à la politique d’annexion des territoires palestiniens à laquelle se livrent les autorités actuelles d’Israël.
« Mais la délibération qui nous est aujourd’hui soumise nous paraît revêtir une dimension politique de nature à brouiller la position de notre Région.
« Le maître d’œuvre de cette mission est M. Daniel Abehsera qui, outre la présidence de la Délégation midi-pyrénéenne de la Chambre de commerce France-Israël, est aussi le président pour l’Europe du groupe Israel Aerospace Industrie, numéro un mondial de la fabrication de drones. Drones, je le précise, de renseignement autant que drones offensifs dont l’action a causé d’innombrables victimes, la plupart civiles, sur les théâtres d’opération où ils ont été utilisés, notamment lorsqu’il s’agissait d’éliminer telle ou telle personnalité palestinienne.
« Ce sont les propos tenus par M. Abehsera, sur les ondes de Radio-Shalom voilà quelque temps, qui nous ont particulièrement conduits à soulever la question de ce financement régional, avec la force que vous savez. M. Abehsera expliquait, au cours de cet entretien, je le cite : ”« Pour tout ce qui est lié à la commercialisation de nos produits, il y a une forte composante politique. En ce sens, nous sortons du domaine de l’industrie traditionnelle. »”
« À elle seule, Mes Chers Collègues, une pareille déclaration aurait dû suffire à nous rendre prudents… pour ne pas dire suspicieux. D’autant que nous savons tous à quel point activités économiques civiles et domaines relevant du militaire se trouvent liés en Israël. Et que nous savons tous combien les dirigeants israéliens excellent à mélanger le développement économique de l’État d’Israël, dans les frontières que lui reconnaissent les Nations unies, et les menées des gouvernants de cet État dans les territoires que la même ONU considère illégalement occupés depuis 1967.
« Dans les réponses que vous avez bien voulu apporter à nos demandes, ainsi qu’aux associations qui sont intervenues, vous avez assorti le vote de notre Commission permanente de trois conditions : 1. Que seules des PME de Midi-Pyrénées soient éligibles à l’aide régionale. 2. Que les PME de Midi-Pyrénées ne relèvent pas du secteur de la défense. 3. Que les échanges à venir dans le prolongement de cette mission économique s’effectuent dans le respect de l’arrêt Brita et de la réglementation européenne.
« Nous prenons acte de ces engagements, et nous les considérons comme très positifs. De même, nous nous félicitons de l’engagement pris à la suite de notre intervention, de rendre publics les entreprises et projets économiques qui seront financés.
« Cela dit, au vu des déclarations citées de M. Abehsera, au vu surtout de la pratique des autorités de l’État d’Israël autant que des entreprises israéliennes, – qui ne distinguent pas, nous ne pouvons l’ignorer, entre l’État d’Israël dans les frontières que lui reconnaît la communauté internationale et les territoires occupés depuis 1967 au mépris de toutes les résolutions des Nations unies sur la question -, nous n’aurons aucune garantie que des PME de notre Région ne se trouvent pas, même à leur insu, engagées dans des activités relevant de l’annexion aujourd’hui très largement engagée de la Cisjordanie et de Jérusalem-est. Cela peut parfaitement être le cas dans des domaines tels que le tourisme, l’eau, l’immobilier, l’agro-alimentaire, voire indirectement l’armement.
« De sorte que notre Région peut, en votant cette subvention, être amenée à cautionner une politique, celle de MM. Netanyahou et Liberman pour être précis, dont le grand écrivain israélien Amos Oz lui-même a dit tout le mal qu’il fallait en penser.
« C’est pour cette raison, Monsieur le Président, que nous vous avions sollicité afin que cette délibération soit retirée de l’ordre du jour de cette Commission permanente.
« Et c’est pour cette raison, notre demande n’ayant pas été prise en compte, que nous vous demandons, Mes Chers Collègues, de voter contre cette subvention, qui est de nature à délivrer un message contraire aux engagements de notre majorité régionale. »
Il me semble que cette manière de combattre, dans le prolongement d’une action militante de terrain, et au plus près des associations directement concernées, est une bonne réponse à la question : à quoi sert-il donc d’élire des représentants du Front de gauche ?