La nouvelle bataille pour l’Europe
Je vous le disais récemment, je saute présentement d’avions en trains… pour répondre aux sollicitations de mes camarades engagés dans la campagne des élections cantonales. J’étais, par exemple, le 8 mars, en Meurthe-et-Moselle, pour un meeting nancéen en compagnie de Jean-Luc Mélenchon et pour soutenir mon jeune camarade Fabien Allait (20 ans !) qui porte les couleurs du Front de gauche à Pont-à-Mousson ; cela m’a donné l’occasion de rencontrer une délégation de la CGT de Saint-Gobain pour un échange passionnant qui aura duré une heure trente. Le 9 mars, cap sur l’Ardèche, où mon vieux complice Henri Saint-Jean (avec lui, cela ne fait pas loin de 40 ans que nous nous connaissons et que nous avons connu les belles heures et les moments plus difficiles de la LCR) se présente dans le canton de Viviers et où un meeting à Charmes-sur-Rhône m’aura permis de retrouver un autre des porte-parole du Front de gauche, Pierre Laurent. Ensuite, direction Montluçon, où j’aurai retrouvé mon amie Marie-Pierre Vieu, avec laquelle je siège au conseil régional de Midi-Pyrénées, et dont j’irai soutenir les efforts, la semaine prochaine, à Tarbes (là aussi avec Pierre Laurent), afin que notre Front de gauche hisse haut les couleurs dans le département des Hautes-Pyrénées. Et ainsi de suite : je dois encore me rendre à Cherbourg, Toulouse, Clermont-Ferrand et dans le département francilien des Hauts-de-Seine.
Je l’avoue sans honte, j’aime ces moments intenses de politique que sont les confrontations électorales. Cette fois encore, comme en 2009 ou en 2010, les salles sont remplies, on sent la dynamique se renforcer dans le Front de gauche et autour de lui, le plaisir d’être rassemblés se lit sur les visages des équipes communistes, « pégistes » ou « GU »… Au demeurant, reconnaissons-le, nous avons de quoi nourrir au jour le jour nos argumentaires : les manœuvres désordonnées d’un régime à la dérive aboutissent à mettre Madame Le Pen au centre de la vie publique (bien joué, M. Sarkozy !) ; l’UMP semble KO debout, attendant avec résignation la déroute qui lui est promise pour les 20 et 27 mars, tandis que socialistes et écologistes affichent le vide sidéral de leurs réponses à un moment dont chacun sent pourtant bien qu’il s’avère d’une extrême gravité ; ivre de rage à force de n’être pas écouté des élites dirigeantes, et déconcerté par le discours toujours dominant à gauche (les syndicalistes de Saint-Gobain m’avouaient, l’autre jour, avoir été atterrés par un Arnaud Montebourg n’ayant pas grand-chose à répondre à leurs interrogations sur la retraite et la pénibilité), le peuple ne sait plus très bien de quelle manière exprimer sa colère : le voilà qui oscille entre vote sanction « utile » au bénéfice de la première formation de la gauche, expression de son désir profond d’une radicalité ne se dérobant pas à l’épineux défi du pouvoir par l’utilisation de notre bulletin, ou désertion pure et simple des isoloirs ; et puis, voilà que la question européenne se réinvite avec éclats dans le débat hexagonal…
L’Europe… Ce 11 mars, puis les 24 et 25 mars, les chefs d’Etat et de gouvernement doivent se pencher, à l’instigation du couple infernal Merkel-Sarkozy, sur le projet de « Pacte de compétitivité », rebaptisé à la hâte « Pacte pour l’euro » (sans doute par crainte d’une réaction de colère des peuples). ”L’Humanité” du 9 mars a publié l’intégralité de sa version initiale. Cela vaut lecture attentive, car il s’agit, en dépit des précautions prises et de « l’allègement » promis du texte, du couronnement de l’ultralibéral traité de Lisbonne ! À suivre ses préconisations, les politiques économiques, fiscales, sociales se verraient étroitement verrouillées… dans le sens, bien sûr, du moins-disant social.
PACTE DE DÉSINTEGRATION SOCIALE
Sous l’injonction de satisfaire à la quête d’une compétitivité maximale, les salariés devraient ainsi consentir à la ”« modération salariale »” (en clair, à la baisse de leurs rémunérations) dans tous les secteurs, accepter d’aligner l’âge de la retraite sur ”« l’espérance de vie »” (c’est-à-dire de le repousser à 65 ou 67 ans, si ce n’est plus), subir l’évaluation ”« de la viabilité des allocations sociales »” (pour parler en langue non technocratique, se résigner à la diminution des pensions et autres prestations). Demain, à moins d’arrêter cette machine démentielle, la levée des barrières concurrentielles serait poussée à ses extrémités : dans nombre de domaines, le droit du travail serait dynamité, entre autres pour favoriser le travail du dimanche et le travail de nuit dans les magasins (pour dire les choses crûment, on entend aller jusqu’au bout de la dérégulation de l’activité économique). La Stratégie de Lisbonne, imaginée en 2000, se verrait donner une nouvelle impulsion, puisque le document en reprend les objectifs : ”« Les réformes politiques peuvent inclure : des réformes du marché du travail, pour promouvoir la flexicurité »” (ce qui en annonce la déréglementation totale, le droit de licencier à la convenance des employeurs en échange de quelques miroirs aux alouettes ne faisant qu’habiller une précarité généralisée pour les travailleurs). Dans l’esprit d’un texte orienté vers la seule satisfaction du capital, on envisagerait simultanément de transférer sur les consommateurs les charges sociales des entreprises, par le truchement d’une taxe à la consommation : revoilà la TVA prétendument sociale. Pour mieux s’assurer que les décisions nationales ne dérogeraient pas à cet impitoyable carcan, on ferait même inscrire dans les Constitutions ”« les règles budgétaires européennes »”. Qui ne voit ici l’écho de tout ce que met aujourd’hui en œuvre notre président de la République ?
Tout cela se prolongerait de la dépossession des Parlements nationaux, lesquels ne pourraient se prononcer sur les budgets qu’une fois la Commission européenne saisie et en ayant validé les lignes directrices. Pour parler clair, la dislocation orchestrée des systèmes sociaux en vigueur dans les différentes nations se conjuguerait avec une entreprise vidant de toute réalité la souveraineté dont les peuples disposent théoriquement grâce à leurs suffrages. Avec l’ami Mélenchon, nous convenions, l’autre soir, à Nancy, qu’un mécanisme aussi contraire à la plus élémentaire démocratie revenait au rétablissement sournois… du « droit de veto » que les représentants du peuple avaient refusé au roi avant que la Révolution française ne s’engage dans la voie de la proclamation de la République ! À cette seule différence près que la monarchie de droit divin a présentement cédé la place au despotisme de l’argent ! Comment, lorsque l’on est de gauche, laisser passer régression d’une semblable ampleur ? À moins, bien sûr, de se résigner demain à voir s’enchaîner les poussées d’ultradroites xénophobes et fascisantes sur l’ensemble du continent…
SONNER LE TOCSIN À GAUCHE !
Comme nous avons eu raison, le 3 mars, à Nîmes, lors du forum du Front de gauche consacré à la question européenne, de décider du lancement d’une bataille d’opinion aussi conquérante que ne le fut celle qui mena, en 2005, à la victoire du « non » de gauche ! Et comme il est responsable, de notre part, d’en appeler à l’ensemble de la gauche et du mouvement social afin qu’ils se rassemblent et fassent barrage, avec nous, à cette terrible offensive réactionnaire ! Qu’on ne nous dise pas que nous voudrions reprendre la confrontation à laquelle donna lieu le traité constitutionnel européen. Pour nous, ce débat a été tranché par le vote populaire et, en bons républicains que nous sommes, nous considérons que seul un autre vote populaire pourrait venir légitimer une décision différente. Si d’aucuns entendent, dans la confrontation décisive des projets à laquelle le rendez-vous de 2012 va donner lieu, afficher leur ralliement au coup de force institutionnel par lequel Nicolas Sarkozy a violé la décision majoritaire des électeurs, qu’ils en prennent la responsabilité et… le risque.
Mais là ! L’enjeu se situe à un autre niveau encore que la bataille de 2005… Clairement, inutile de se revendiquer, telle Martine Aubry, d’un ”« changement de civilisation »”, inutile de prétendre à ”« la promotion d’une société de justice fondée sur l’égalité réelle »”, inutile de parler de ”« nouvelles pratiques démocratiques »” (termes que j’emprunte à son interview au ”Monde” du 3 mars), si c’est pour s’inscrire dans la logique d’une austérité à perpétuité, de règles d’harmonisation budgétaires signifiant la casse des droits et conquêtes sociales les plus essentielles du siècle passé, d’un déni du droit souverain du peuple à déterminer son destin. Inutile d’imaginer que le peuple se remobilisera pour balayer la « bande du Fouquet’s » et la caste UMP si on lui annonce, à l’avance, que la moindre disposition s’affranchissant du « Pacte de compétitivité » (ou du « Pacte pour l’euro » qui est, peu ou prou, de la même veine) pourra être censurée par MM. Barroso et consorts, lesquels n’ont jamais eu à soumettre leurs prérogatives au verdict des urnes. Inutile de promettre que l’on protégera les services publics, voire qu’on les rendra inviolables en les inscrivant dans notre Constitution (ce que propose, à très juste titre, Michel Vauzelle, le président de la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur), si l’on admet simultanément que disparaisse toute entrave à la liberté de concurrence.
On ne peut, à cet égard, qu’être inquiet (ou, du moins, sceptique) devant la manière dont la direction du Parti socialiste aborde le problème. Certes, il dit ne pas adhérer à ”« une politique de déflation salariale et de casse des politiques sociales »”, comme il l’écrit dans un document récemment soumis à un sommet du Parti socialiste européen. On se félicitera, naturellement, de le voir ainsi prendre ses distances avec la frénésie libéralisatrice que cautionnent, à la tête de leurs pays respectifs, MM. Papandréou, Zapatero ou Socrates. Cela dit, suffit-il d’ajouter la mention ”« et d’emploi »” à la dénomination de « Pacte de compétitivité », pour que fût réglée la question précisément posée par le dogme de la « compétitivité » ? Suffit-il de se prononcer en faveur d’un salaire minimum » européen, ou encore d’une taxation des transactions financières ”« à hauteur de 0,05% »”, pour que fût remise en cause la logique consistant à rendre immuable le modèle économique libéral, ce à quoi tendent concrètement le traité de Lisbonne, le « Pacte de stabilité et de croissance » (instauré, l’an passé, aux fins de renforcer l’austérité budgétaire pour l’ensemble de la zone euro) et, maintenant, le « Pacte de compétitivité » ? Suffit-il de demander que les États pussent ”« prendre le temps nécessaire »” à la diminution de leurs déficits budgétaires, pour que l’Europe se réorientât enfin vers une politique industrielle digne de ce nom, une relance par le pouvoir d’achat, un modèle de développement tourné vers la satisfaction des besoins sociaux autant que respectueux des grands équilibres écologiques, l’alignement des droits des travailleurs au plus haut niveau de ce qui existe à l’échelle communautaire ? Poser ces questions, n’est-ce pas déjà y répondre ?
C’EST l’EUROPE QU’ON ASSASSINE
Situons bien l’enjeu… C’est l’idée même d’Europe que les oligarques de Bruxelles et des gouvernements soumis aux injonctions de plus en plus folles des marchés financiers sont en train de ruiner. Observons ce qui se passait à l’instant où les chefs d’État et de gouvernement tentaient de se mettre d’accord sur les dispositions de leur « Pacte » scélérat. À 24 heures de distance, l’agence Moody’s venait de dégrader les « notes » de la Grèce et de l’Espagne. De ce fait, après avoir été placés au bord de la faillite sous les coups de boutoirs de la spéculation financière, en proie à un endettement considérablement alourdi par l’obligation qui leur fut faite de sauver des banques emportées par leurs propres comportements aventureux, ayant dû faire face à cette situation en empruntant à des taux littéralement usuraires, contraints à l’adoption de plans d’austérité et de libéralisation de leurs économies qui les mettent maintenant au bord de récessions dramatiques, ces deux pays se seront retrouvés, de nouveau, sous le feu nourri des marchés. Il leur fallut donc, une fois encore, emprunter sur les marchés, à des taux mirobolants (près de 13%). Au risque d’être, ce faisant, placés dans l’impossibilité de rembourser leurs dettes et, dans la foulée, de plonger la monnaie unique dans une énième zone de turbulences… Dans le même temps, la Banque centrale, rendue indépendante en vertu de tous les traités ratifiés depuis Maastricht, annonçait son intention de relever ses taux directeurs le mois prochain. En application des préceptes monétaristes les plus obtus, qui font de la lutte contre la « menace inflationniste » un impératif pour l’Union… Avec, à la clé, un inévitable coup de frein à une reprise plus que vacillante, un renchérissement du crédit aux entreprises, une chute des recettes fiscales des États, laquelle pénalisera en premier lieu ceux qui peinent à rembourser leurs créances.
Imagine-t-on système plus absurde ? Face auquel, jamais, nous n’aurons eu autant besoin d’Europe, le cadre des nations n’étant plus suffisant pour relever de tels défis… Pour faire face au basculement en cours du monde… Pour affronter les menaces de la première grande crise que connaît cette globalisation marchande et financière née avec la fin d’un monde partagée en deux blocs… Pour contrecarrer les retombés possibles, sur la paix notamment, du déchaînement des concurrences commerciales et de la redéfinition des rapports de force entre puissances mondiales et ensembles économiques régionaux… Pour répondre aux aspirations des peuples qui, du Proche-Orient au Vieux Continent en passant par l’Amérique latine, redeviennent acteurs de leur destin…
Une construction européenne à la mesure des bouleversements de l’ordre planétaire ne peut être fondée sur la compétitivité à outrance et la concurrence sans entraves. Elle ne peut se voir en permanence plombée par les obsessions monétaristes de grands argentiers échappant à tout contrôle politique. Elle doit être refondée. Autour de l’objectif d’harmonisation sociale par le haut, en commençant par l’instauration d’un Smic européen, à laquelle contribuerait la réorientation radicale de la politique monétaire. Par la réhabilitation des politiques publiques, avec un budget communautaire tourné vers la satisfaction des attentes sociales, une fiscalité fortement redistributive, une reprise en main de la BCE, la création de ce « Fonds européen de développement social » que le Parti de la gauche européenne appelle de ses vœux pour pouvoir financer à des taux quasi-nuls des investissements publics créateurs d’emplois et favorisant le redéploiement des services publics. En plaçant le principe de souveraineté des peuples au cœur de cette refondation, ce que pourrait consacrer l’élection d’une Assemblée européenne en charge de la définition de nouveaux critères de convergence sociaux, écologiques, démocratiques. Grâce à une ouverture audacieuse au Sud et à l’Est, ce que concrétiserait l’abolition de constructions néocoloniales comme l’Union pour la Méditerranée (dont MM. Sarkozy et Moubarak s’étaient proclamés les coprésidents), l’arrêt des politiques migratoires ségrégatives (telle celle que l’on tente d’opposer aux peuples de Tunisie ou de Libye, au moment où leurs révolutions balaient les dictatures, au prix tout de même du sang versé, ce qu’oublient ceux qui appellent à remettre sans délais les quelques centaines de réfugiés qui en sont issus dans des bateaux…), la mise en place de programmes de co-développement solidaires. Autour du drapeau de la paix, que symboliseraient magnifiquement la cessation de l’inféodation à l’Otan, le retrait des troupes européennes de tous les théâtres d’opération où elles n’ont rien à faire (l’Afghanistan, en premier lieu), ou encore l’engagement au service des droits bafoués des peuples, ceux du Maghreb sans parler des Palestiniens.
TOUJOURS LE DÉBAT : QUELLE GAUCHE POUR DEMAIN ?
Une gauche accédant demain aux responsabilités se devrait d’afficher une semblable vision d’avenir. De sortir de la dynamique aussi dévastatrice que délétère d’un libéralisme à bout de souffle. D’annoncer sa détermination à renégocier les traités et « Pactes » imposés aux populations contre leur volonté. D’ouvrir, de cette manière, une brèche dans laquelle les mouvements sociaux de tout le continent pourraient se frayer le chemin de la politique qui leur paraissait jusqu’alors bouché. On peut se montrer certain qu’elle ne manquerait ni d’écho, ni de répondant. Les travailleurs grecs n’en sont-ils pas à leur huitième grève générale, la dernière ayant spécifiquement portée sur le dépeçage des entreprises publiques ? Les cheminots allemands ne viennent-ils pas de paralyser, pour la quatrième fois consécutive, leur réseau ferroviaire contre des privatisations qui les ont mis en concurrence sur le plan des salaires et des conditions de travail ?
Nous voici, au fond, de plain-pied dans la réflexion sur la construction politique adaptée au moment politique présent en France. En reprenant le chemin de la bataille pour mettre en échec le nouveau tour de vis que l’on veut nous imposer sous l’égide de l’Europe des marchés, en cherchant à rassembler sans exclusives à gauche autour de cet objectif d’intérêt général, nous apporterons une première réponse efficace à la tentation du repli et de la régression qu’incarne le Front national. Nous contribuerons à éclairer les choix qu’il importe d’effectuer à gauche, donc à replacer au premier plan des enjeux de fond évacués par les disputes subalternes auxquels donnent lieu les primaires socialistes ou écologistes. Comme en 2005, nous jouerons pleinement notre rôle au service de la réconciliation du peuple et de la politique. Au travail, les amis…