L’omerta nucléaire a trop duré
Bien sûr, il ne faut jamais jouer avec les peurs… Mais il ne faut pas davantage banaliser les dangers que de merveilleuses innovations technologiques peuvent faire courir à notre planète et à ses habitants… Ne jouons ainsi pas avec les mots : même si les explosions survenues, à la suite du tremblement de terre et du tsunami, à la centrale de Fukushima Dalishi, finissent par être maîtrisées dans leurs terribles conséquences potentielles, elles n’en constituent pas moins « l’accident nucléaire majeur » dont de savants experts, se succédant sur les écrans, prétendent qu’il n’est encore qu’une hypothèse parmi d’autres, tentant au moyen de ce discours de rassurer des peuples que l’on n’aura jamais à ce point infantilisés. Et l’on se doit de penser d’abord à la malheureuse population victime de tant d’épreuves meurtrières en quelques jours, et laissée dans le plus total désarroi par des dirigeants incroyablement irresponsables.
Chaque information nous parvenant est de nature à susciter une inquiétude croissante. Les réacteurs de la centrale concernée connaissent, l’un derrière l’autre, des débuts de fusion de leur cœur. On sait maintenant que le premier d’entre eux à avoir connu un accident eût dû logiquement être placé hors service le mois dernier (après plus de 40 ans d’exploitation), si l’agence japonaise de sûreté nucléaire n’avait donné son aval à sa prolongation de vie… pour dix ans. Les rejets de radionucléides, si tant est qu’ils fussent aussi limités que ne le dit le gouvernement de Tokyo, paraissent déjà suffisants pour avoir déclenché l’état d’urgence dans la zone la plus directement concernée. D’autres centrales que Fukushima connaissent des problèmes préoccupants, tout simplement parce que nul n’avait imaginé qu’un séisme pouvait être suivi d’un phénomène de tsunami. En clair, c’est aujourd’hui toute l’infrastructure atomique nippone qui s’avérerait hautement fragilisée par un événement que tout un chacun eût pu tout de même imaginer qu’il pourrait un jour se produire, sur une terre si hautement sismique que ses habitants sont au quotidien formés à se protéger de drames inévitables. Comme l’avaient déjà démontré les catastrophes de Three Mile Island et Tchernobyl, le nucléaire n’est, par conséquent, nullement cette industrie hautement sécurisée que l’on ne cesse, en France, de nous vanter.
LE LOBBY DES APPRENTIS-SORCIERS
Interviewé, dans ”le Figaro” du 14 mars, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire hexagonale nous livre, par bribes, le désastre qui pointe son nez. Il reconnaît que les ”« retombées seront infinitésimales »” pour la France (donc qu’elles existeront bel et bien !), et que ses services s’emploieront à ”« ne pas rééditer ce qui s’est passé en 1986 »” (où l’on nous avait vendu un hallucinant baratin selon lequel le « nuage » contaminateur venu d’Ukraine était censé s’arrêter aux frontières de la France). Puis il avoue benoîtement : ”« On ne peut garantir de manière absolue qu’il n’y aura jamais d’accident nucléaire. »” Voilà qui est rassurant…
Pourquoi, alors, hormis une logique de profit authentiquement démentielle pour le mastodonte Areva, avoir poursuivi et intensifié le programme électronucléaire dans notre pays ? Pourquoi s’attacher, comme c’est le cas aujourd’hui, à exporter le nucléaire français dans le monde ? Pourquoi s’être refusé, depuis des décennies, à tout débat public, impliquant citoyens et élus, sur une dimension vitale ? Pourquoi s’obstiner, à l’instar de Madame Kosiusko-Morizet, à expliquer contre l’évidence que ”« le nucléaire est une bonne énergie »” ? Pourquoi taire, comme le font généralement nos grands médias, que deux fusions partielles de cœur de réacteurs soient intervenues à Saint-Laurent (Loir-et-Cher) en 1969 et 1980, tandis que la cenrtrale du Blayais, en Gironde, frôla le pire en 1999 ? Pourquoi ne jamais admettre, comme le président de l’Observatoire du nucléaire, Stéphane Lhomme, le pointe dans ”Le Monde” daté du 15 mars, que la rénovation des centrales d’EDF devrait coûter au moins 35 milliards d’euros, au prix de l’important renchérissement de la facture des usagers ? Pourquoi avoir évacué toute problématique de diversification des productions énergétiques et de recherche d’alternatives au tout nucléaire ?
La réponse renvoie à notre histoire politique. Depuis les débuts de la V° République, en vertu des canons retenus pour la « modernisation » économique du pays, le choix des gouvernements n’aura pas varié : fonder la production électrique sur le développement du nucléaire, au moyen d’investissements si considérables qu’ils nous ont engagé dans une voie rendant singulièrement compliqué un changement de cap. De ce fait, les arguments régulièrement opposés à cette option n’auront jamais été écoutés. Ni celui qui procède du simple constat que le programme électronucléaire n’entre que pour moins de 20% dans notre consommation énergétique globale. Ni celui selon lequel on ne saurait mettre en avant l’indépendance énergétique de la France, dans la mesure où celle-ci doit régulièrement importer de l’électricité, lors notamment des pics de consommation hivernaux. Ni celui qui souligne la dépendance maintenue envers les énergies fossiles productrices de gaz à effet de serre. Ni celui qui pose le problème, angoissant quoique irrésolu, du traitement des déchets. Ni celui qui en appelle au principe de précaution et de sécurité, en théorie partagé par l’ensemble des forces politiques…
À l’exception de la spirale folle dans laquelle les élites nous ont engagés depuis plus de cinq décennies, rien n’explique donc que l’on n’ait jamais éprouvé le besoin, y compris lorsque la gauche était aux responsabilités, de réfléchir à une sortie de la filière électronucléaire, au terme d’un processus échelonné et maîtrisé. Un processus passant par l’arrêt des centrales en fin de vie… La mise en œuvre de solutions de remplacement… La mobilisation à cette fin des organismes de recherche comme des immenses compétences des travailleurs de ce secteur au service d’une nouvelle politique de sobriété et de transition énergétique… La reconversion des emplois vers de nouveaux domaines etc.
LA PAROLE AUX CITOYENS !
Il n’est pas illégitime de débattre de ce changement de cap, de soulever par exemple la question de ses difficultés de réalisation, de soupeser la longueur des délais requis pour le concrétiser. La gauche, autant que le syndicalisme ouvrier, s’avèrent divisés sur l’ensemble de ces points. Au sein même du Front de gauche, c’est connu, les avis sont partagés, le Parti de gauche et Gauche unitaire se prononçant pour la sortie du nucléaire et nos camarades communistes affichant un avis plus prudent. Pour autant, l’enchaînement des catastrophes depuis maintenant des années, les terribles menaces que cette source d’énergie fait peser sur les populations et les écosystèmes interdisent de poursuivre dans le déni de réalité. Ils rendent chaque jour plus insupportable l’opacité à l’abri duquel fonctionne ce qu’il faut bien désigner comme un lobby aussi puissant que niché au cœur de l’État.
Lorsque les États-Unis décident de ne plus construire de centrales, lorsque les autorités allemandes décrètent aujourd’hui un moratoire, parce qu’il n’est plus possible de ”« faire comme si de rien n’était »”, aux dires mêmes de Madame Merkel, seuls des apprentis-sorciers peuvent continuer à expliquer que la France serait, plus que d’autres à l’abri d’accidents majeurs, du fait de l’excellence de ses ingénieurs. L’excellence en question n’est pas contestable, mais le Japon était aussi un pays hautement performant…
Finissons-en avec les dérobades et les faux-fuyants. Un grand débat national s’impose, celui que l’on a interdit à nos concitoyens jusqu’alors. Afin que chacun puisse, en toute indépendance, enfin s’emparer d’un enjeu qui concerne sa vie courante et l’avenir du pays comme de la planète. Que toute la lumière puisse être faite sur les risques réels de la filière électronucléaire. Que l’on mette sérieusement sur la table les alternatives énergétiques susceptibles de répondre aux besoins mondiaux tout en s’inscrivant dans le critère essentiel de préservation des équilibres écologiques. Avant que d’aucuns ne réclament un référendum, c’est ce que demandaient déjà les 125 propositions des collectifs antilibéraux en 2006…