La maladie sénile du NPA

Où s’arrêtera donc la « descente aux enfers » du Nouveau Parti anticapitaliste ? Ce week-end, à l’étroite quoique absolue majorité de 53%, sa conférence nationale a désigné, pour porter ses couleurs à l’élection présidentielle, la figure de Philippe Poutou, ouvrier et responsable CGT de l’usine Ford de Blanquefort, en Gironde. Une décision tout autant motivée par le souci de trouver une figure de substitution à Olivier Besancenot, que par la ferme volonté de la nouvelle majorité d’écarter la candidature de celle des deux porte-parole qui prône une plus grande ouverture vis-à-vis du Front de gauche. Une décision qui va également, selon toute probabilité, enfoncer davantage cette organisation, affaiblie (les 3100 votants déclarés atteste qu’elle en est revenue à la surface militante de l’ex-LCR lors de son autodissolution) et dorénavant fracturée en deux, dans une impasse posant la question de son avenir.

Contrairement à 2002, où l’entrée en lice de Besancenot, « facteur de 27 ans », s’était réalisée autour de quelques grands axes programmatiques qu’une gauche digne de ce nom eût dû mettre en œuvre au cours de la législature qui s’achevait (à l’inverse de la conduite des affaires par Lionel Jospin), la déclaration de candidature de Poutou relève de l’incantation ayant toujours enfermé l’extrême gauche dans la marginalité. On y parle d’un ”« programme de rupture avec le capitalisme, pour un autre partage des richesses, pour que les salarié-es- et l’ensemble de la population ne paient pas la crise. C’est un programme pour les luttes, pour leur généralisation.” (…) ”Un programme qui ne pourra être porté que par un gouvernement des travailleurs-euses-, car seul leur contrôle et leur intervention directe peuvent renverser le système et changer le monde. »” Si certaines des revendications énumérées font écho aux axes du « programme partagé » du Front de gauche, on reste très loin de la réponse concrète qu’il importe aujourd’hui d’apporter aux attentes populaires, pour relayer leur désir d’en finir avec une droite au seul service de la « bande du Fouquet’s », pour les mobiliser autour de mesures susceptibles de changer la vie du plus grand nombre, pour les convaincre qu’il existe un chemin aboutissant à une majorité et à un gouvernement aptes à les mettre en application.

Il est ainsi éloquent que le texte final de la conférence nationale n’éprouve à aucun moment le besoin de s’exprimer sur la nécessité de battre Nicolas Sarkozy et les siens, la seule référence faite au sujet consistant à dire que la politique du NPA se veut ”« aussi fidèle aux intérêts des travailleurs que la droite et l’UMP, actuellement au gouvernement, le sont aux intérêts des riches »”. C’est le moins qui pouvait être énoncé…

ÊTRE DANS L’OPPOSITION… À LA GAUCHE

Le cours actuel du parti, suivant en cela les indications données par Besancenot dans sa fameuse lettre de retrait de la compétition présidentielle, semble être fondée sur deux considérants : occuper le terrain d’une radicalité purement protestataire, à présent mâtinée de l’ouvriérisme cher à la tradition de Lutte ouvrière, l’organisation au sein de laquelle Poutou fit ses classes ; afficher une extériorité absolue au champ politique de la gauche, pour se proclamer dès à présent – et de manière plutôt ubuesque lorsque le problème du moment est, avant tout, la droite aux affaires – dans une future opposition à une majorité de gauche… autant qu’aux forces prétendant, au sein même de la gauche, disputer le terrain aux tenants du social-libéralisme.

Dans la livraison du 16 juin de ”Tout est à nous”, l’organe du NPA, Alain Krivine exprime parfaitement cette problématique au détour d’un article, censé traiter de la décision de nos camarades communistes d’investir Jean-Luc Mélenchon comme représentant du Front de gauche à la présidentielle, mais s’efforçant en fait de justifier la posture isolationniste du Nouveau Parti anticapitaliste. Osant un singulier appel du pied aux secteurs du PCF affichant leur hostilité à la démarche unitaire initiée en 2009 avec le Parti de gauche et Gauche unitaire, Krivine écrit significativement : ”« Aujourd’hui, sans autre alternative que d’être l’aiguillon d’une majorité gouvernementale de gauche avec le PS, la direction du PCF n’avait pas d’autre choix que de se rallier à Mélenchon pour éviter une déroute électorale.” (…) ”Il y a un accord général” (dans le Front de gauche, c’est moi qui traduit…) ”pour être l’aile radicale au sein d’une majorité de gauche avec le PS, que ce soit dans le gouvernement ou simplement au Parlement. »” Ce qui revient à nourrir la conclusion stratégique de la position majoritaire du NPA, exprimée dans une tribune publiée par le même hebdomadaire, concluant que ”« l’axe central du NPA »” est ”« le dialogue direct avec les salariés, les jeunes, les chômeurs »”.

Le plus frappant, dans cette approche, est sans doute que le « nouveau » parti, longtemps symbolisé par un jeune postier postulant au renouvellement des pratiques à gauche, en revienne aux vieux travers sectaires d’une ultragauche toujours ignorante des réalités du pays comme des aspirations du peuple au rassemblement des forces vives de la gauche sur une politique reprenant en charge ses exigences. Dans une double rupture, il faut toutefois le souligner, avec ce que Lutte ouvrière et l’ex-Ligue communiste révolutionnaire avaient pu, à divers moments de leurs quarante années d’existence, apporter à la gauche dans son ensemble.

Faut-il ici évoquer qu’Arlette Laguiller opéra sa première percée électorale en avançant notamment l’objectif de l’interdiction des licenciements dans les entreprises faisant du profit, objectif désormais plus ou moins repris par toutes les formations progressistes ? Et que la Ligue, à défaut d’avoir jamais su se doter d’une ambition réellement majoritaire (parce qu’elle ne cessa de se dérober au problème du pouvoir, autrement qu’en des termes renvoyant au mythe de l’Octobre russe, de moins en moins efficient au fil du temps), fut une force qui compta par la qualité de son apport à la construction de nombreux mouvements sociaux et par l’attention qu’elle manifestait en permanence aux débats traversant l’ensemble de la gauche ? C’est ce qui me fait dire que la « maladie infantile » (pour reprendre une célèbre formule de Lénine à propos du gauchisme) ayant caractérisé l’extrême gauche tout juste émergente des lendemains de Mai 68 est à présent devenue un mal sénile incurable…

L’HÉRITAGE DILAPIDÉ

C’est d’ailleurs à cet égard que l’on relève à quel point, en moins de trois ans, par la méthode de construction retenue et par la théorisation d’une obligatoire ”« extériorité au centre de gravité du mouvement ouvrier organisé »” (tels étaient les termes retenus), l’expérience du nouveau parti aura littéralement dilapidé ce qu’il pouvait y avoir de meilleur dans l’héritage de l’ex-Ligue communiste. Le noyau majoritaire d’hier, devenu la nouvelle minorité d’aujourd’hui, n’échappe, ce faisant, pas entièrement à l’approche défendue par Besancenot, Poutou et leurs partisans. Plutôt que de se fixer pour visée un bouleversement de la donne à gauche afin de permettre la constitution d’une majorité et d’un gouvernement de rupture anticapitaliste et antiproductiviste (horizon exigeant que l’on se tournât résolument vers le reste de la gauche, à commencer par les militants et les électeurs socialistes, donc que l’on engage un débat sans concessions avec le parti auquel ils se réfèrent encore), ils continuent à écrire, dans une déclaration tirant les enseignements du désastre de la conférence nationale des 25 et 26 juin :” « Nous continuons d’affirmer qu’une candidature unique de rassemblement à gauche du PS était souhaitable. Mais pour nous, tout accord électoral suppose que toutes les composantes affirment clairement l’impossibilité de gouverner avec le PS et de constituer avec lui une majorité parlementaire. Force est de constater que ces conditions n’ont pu être réunies avec le Front de gauche. »” Une démarche si défensive qu’elle ne pouvait que les conduire à l’échec face au maximalisme de leurs anciens alliés de la direction du NPA. Ce sera, incontestablement, la première des discussions qu’il conviendra de mener avec ces camarades…

Pour la famille politique qui fut si longtemps la mienne, et dont une majorité de responsables et de militants fit en 2009 le choix de cette aventure qui s’achève si pathétiquement, ne voulant pas écouter celles et ceux qui les mettaient en garde sur ses dangers, une page est définitivement tournée. Philippe Poutou n’est peut-être pas, individuellement, un mauvais candidat pour son organisation. Sa détermination de militant ouvrier et de syndicaliste ne sont, en tout cas, pas en cause. En revanche, l’orientation qu’il est censé incarner, et qui ne le met plus en concurrence qu’avec Lutte ouvrière pour l’occupation de l’espace étriquée d’une extrême gauche qui n’aura jamais été aussi marginale dans le pays depuis longtemps, va le priver de toute crédibilité et… de toute utilité. Pour des classes populaires qui jugent les formations se présentant à leurs suffrages en fonction du projet qui leur paraît concrètement (en non dans des discours à l’orthodoxie révolutionnaire impeccable) en mesure de renverser la table et de leur rouvrir le chemin de l’espoir… Et pour une gauche que, dans ses profondeurs, il faut plus que jamais refonder pour la hisser à la hauteur d’un contexte à bien des égards historique…

C’est un nouveau gâchis qui s’étale sous nos yeux, une nouvelle déperdition d’énergies dont je ne peux que m’effarer, tant ils affaiblissent le combat contre l’ordre dominant. À toutes celles et tous ceux qui veulent demeurer fidèles à l’intérêt que souleva initialement la constitution d’un parti prétendant au regroupement de tous les « anticapitalistes », à toutes celles et tous ceux qui n’entendent pas laisser disparaître dans les sables la trace du courant révolutionnaire le plus vivant que l’Europe ait eu à connaître, je veux très fraternellement dire que c’est du côté du Front de gauche qu’ils peuvent à présent réinvestir leurs engagements et leurs espoirs.

”En complément de cette note, je publie ci-dessous l’interview que j’ai accordée au Parisien du 23 juin.”

MON INTERVIEW AU « PARISIEN »

La dégradation de la situation du NPA vous étonne-t-elle ?

CHRISTIAN PICQUET. ”Non. C’est une situation de crise profonde. Le NPA est en proie à une panne de projet, une crise d’identité et à la mise en doute même de son utilité pour les classes populaires. Il y a un énorme fossé entre la promesse de renouvellement à gauche, dont le NPA se voulait porteur, et la réalité d’un parti qui n’embraye plus sur rien. C’est un échec.”

Comment l’expliquez-vous ?

”La faute originelle a été de croire que la gauche entière avait sombré dans l’accompagnement du libéralisme. Et que le NPA pouvait à lui seul incarner les aspirations du peuple.”

Olivier Besancenot a-t-il une responsabilité ?

”Oui. Pendant deux ans et demi, lui et la majorité se sont obstinés dans l’erreur. Se croyant seuls en mesure de défaite l’UMP, ils se sont enfoncés dans la récitation d’un catéchisme ultragauche et ultrasectaire. En refusant par exemple toute alliance avec le Front de gauche, ils ont ignoré la volonté populaire de sanctionner Nicolas Sarkozy et le besoin de rassemblement à gauche. Aujourd’hui, je lui pose cette question : Olivier, qu’as-tu fait de notre héritage ? Celui d’une LCR qui, elle, était tournée vers les mouvements de la société.”

Le NPA a-t-il été pris au piège de la personnalisation ?

”Je le crois. Les dirigeants ont cru que la popularité de Besancenot correspondait à son audience dans la société. Le NPA prend aujourd’hui ce décalage trompeur en pleine face.”

La scission est-elle possible ?

”Difficile de le dire. Mais à ceux qui à l’intérieur du NPA veulent rester fidèles à ses promesses initiales, je tends la main : le Front de gauche représentent un espoir crédible.”

Propos recueillis par E.H

Christian_Picquet

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