Le Front de gauche, entre Stalingrad et Jaurès
Pour une entrée en campagne, on ne pouvait rêver mieux… Ce 29 juin, autour de Jean-Luc Mélenchon et des porte-parole de ses formations, le Front de gauche avait donné rendez-vous aux Parisiens sur la place de Stalingrad, également située à proximité immédiate de la station de métro Jaurès. Deux symboles forts que ceux-là… Symbole, tout d’abord, que la prise d’une place publique, en référence à la manière dont, du Caire à Athènes, on signifie, par l’investissement de vastes lieux de rassemblement, que le peuple est de retour et qu’il entend bien reprendre le pouvoir à la finance et aux Importants qui la serve. Symbole également que cette association de deux noms, Stalingrad et Jaurès, qui résonnent toujours comme le rappel salutaire que la résistance est constitutive d’une humanité ne voulant pas se perdre, et comme un gage de continuité (au-delà des vicissitudes de l’histoire) avec l’œuvre de ces grandes figures qui ont fait du socialisme une promesse de libération collective et d’épanouissement individuel.
6500 personnes présentes hier soir, enthousiastes et accueillant avec chaleur, trois heures durant, artistes et orateurs : sans contestation possible, on n’avait pas vu cela depuis longtemps… Ce n’est pas encore, bien sûr, la certitude d’un succès dans les urnes l’an prochain, mais assurément il est légitime d’y voir la confirmation qu’une dynamique militante s’est amorcée. Cette dynamique militante sans laquelle, précisément, le Front de gauche ne serait pas allé de succès en succès depuis sa création en 2009. Le signal du départ a maintenant été donné, reste à tenir bon tout au long de ce qui s’annonce comme une course de fond au cours de laquelle, nous pouvons en être certains, aucun mauvais coup ne nous sera épargné. Les prochains rendez-vous nationaux sont la tenue de journées « Remue-méninges à gauche » à la fin du mois d’août et, surtout, la fête de l’Humanité, où sera présenté notre « programme partagé » (le lancement de l’élaboration de celui-ci s’était accompli à la précédente fête, à l’occasion d’une vibrante rencontre à laquelle Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon et moi-même participions, le résultat d’un an de travail sera présenté en cette rentrée).
Dans la mesure où il synthétise ce que sera la boussole politique de notre Gauche unitaire en ce début de campagne, je mets ici en ligne mon discours de ce 29 juin.
MON DISCOURS DU 29 JUIN
« Mes Chers Amis, Mes Chers Camarades, vous êtes décidément incorrigibles… Vous voici, par milliers, venus sur cette place pour nous lancer en campagne…
« Vous ne les avez donc pas entendus, les grands médias, les sondeurs, les commentateurs qui occupent sans discontinuer les plateaux de télévision, vous expliquer que 2012 était déjà joué, que l’on en connaissait par avance les protagonistes et que, de toute manière, nous n’en serions pas ?
« Vous ne l’avez pas entendue, la nouvelle reine du Fonds monétaire international, Madame Lagarde, nous dire qu’il fallait nous résigner au triomphe planétaire de ””l’économie libérée et libérale”” ( ce sont ses termes ) ?
« Vous ne l’avez pas entendu, le Luxembourgeois M. Juncker, vociférer au dernier sommet européen que lui et ses semblables avaient – je le cite – ””les instruments de torture”” pour discipliner les peuples rétifs aux injonctions des marchés financiers et des agences de notation à leurs service ?
« Eh bien, vous avez eu raison de ne pas les écouter ! Car vous donnez ce soir l’image de la campagne que nous allons mener. Belle et forte de nos énergies rassemblées… Belle et forte de la qualité de nos arguments… Belle et forte de notre seule détermination militante, puisque nous, nous n’aurons de coup de main discret à attendre de quiconque… Nous n’aurons, pour convaincre, que nos engagements dans les luttes de tous les jours pour la dignité et la justice… Et aussi, je ne me lasserai jamais de le rappeler, du seul journal qui relaie fidèlement notre action depuis la fondation du Front de gauche, en 2009, ”l’Humanité”…
« Nous le savons, ce sera dur, mais ces atouts nous permettront aussi de faire la différence. Ce sont les mêmes qui nous ont permis, en 2005, d’infliger le camouflet que l’on sait aux oracles bien-pensants et de faire triompher le “non” au projet de Constitution libérale dont on prétendait doter l’Europe.
« Aujourd’hui, Mes Amis, c’est un défi du même ordre qu’il va nous falloir relever.
« LE NOUVEL ORDRE CAPITALISTE, DANS LEQUEL CERTAINS VOYAIENT DÉJÀ UNE “FIN DE L’HISTOIRE” (UNE “MONDIALISTAION HEUREUSE”, DISAIT MÊME M. ALAIN MINC, LE CONSEILLER ÉMÉRITE DE NOTRE PRINCE ÉLYSÉEN), A PLONGÉ LA PLANÈTE TOUT ENTIÈRE DANS UNE CRISE SANS PRÉCÉDENT DEPUIS LES ANNÉES 1930. Ceux qui nous gouvernent nous ont bien dit qu’ils avaient compris, qu’ils allaient moraliser le système, prendre soin des plus faibles. En pratique, tout a continué comme avant, tout simplement parce que ceux qui ont provoqué la crise ne savent rien faire d’autre : spéculer, libéraliser les économies, précariser le travail, délocaliser les emplois au prix de désindustrialisations inouïes, multiplier les cadeaux aux plus riches.
« Résultat : jamais la répartition des richesses n’a été aussi injuste sur l’ensemble de notre planète. Regardez ! Le magazine ”Forbes” vient d’établir son classement annuel des dix premières fortunes mondiales. À elles toutes, elles pèsent 400 milliards de dollars ! Autre exemple, en France, il est aujourd’hui des PDG qui perçoivent 400 fois le revenu de leur salarié le moins bien payé ; c’est le cas du PDG de Michelin, qui a encaissé 4,5 millions d’euros en 2010.
« C’est ainsi ! Dans l’univers glacé de la globalisation marchande et financière, un seul individu peut prétendre valoir 400 fois plus qu’un autre ! Voilà pourquoi nous avons placé notre campagne sous le signe du soulèvement citoyen contre cette nouvelle aristocratie de l’argent qui a pris le relais de la noblesse d’Ancien Régime.
« ET IL Y A URGENCE À CE SOULÈVEMENT… C’EST UNE COURSE DE VITESSE QUI SE TROUVE À PRÉSENT ENGAGÉE.
« Tandis qu’un peu partout les peuples relèvent la tête… Tandis que la vague libératrice partie d’Amérique latine et qui balaie actuellement le monde arabe aborde désormais l’ensemble du continent européen… Tandis que les « Indignés » d’Espagne et de Grèce remettent à l’ordre du jour la vieil objectif qui était aux origines du mouvement ouvrier, ””Démocratie réelle, justice sociale””… Ceux qui se prétendent les maîtres du monde ont décidé de mettre toute l’Europe à l’encan. Ils vont même jusqu’à vendre un pays, la Grèce, à la découpe pour satisfaire à la frénésie spéculative des marchés. S’ils y parviennent, on le sait, d’autres s’ajouteront demain à leur liste noire.
« LA GAUCHE, TOUTE LA GAUCHE, NE PEUT PLUS SE DÉROBER À UN TEL ENJEU HISTORIQUE.
« La méthode des “petits pas”, le recours aux demi-mesures, la résignation à la toute-puissance des banquiers et des actionnaires ont mené partout à des échecs cinglants. Désormais, seule la détermination à affronter les intérêts dominants peut rouvrir le chemin de l’espoir et déboucher sur une véritable dynamique de mobilisation.
« C’est la raison pour laquelle, dans notre “programme partagé”, nous avons fait le choix du courage. Quand ””les blés sont sous la houle””, pour reprendre la célèbre formule d’Aragon, il ne faut pas faire preuve de mollesse !
« Il faut redistribuer les richesses : avec nous, c’en sera fini des 150 milliards d’euros de cadeaux fiscaux que les plus riches ont perçu en dix ans…
« Il faut reprendre le contrôle de l’économie, grâce à la nationalisation des grandes banques, à la constitution d’un pôle public bancaire, et à la réappropriation sociale des secteurs correspondant à des besoins fondamentaux des populations…
« Il faut engager la conversion écologique de l’économie, car Fukushima a prouvé que la course au profit mettait l’humanité à l’heure des plus graves dangers…
« Il faut redonner aux citoyens la maîtrise de leur destin, avec une VI° République qui mettra un terme au présidentialisme et à la personnalisation asphyxiantes de la vie publique…
« Il faut refuser de gouverner dans les clous du “Pacte pour l’euro plus”, qui condamne l’ensemble des pays d’Europe à l’austérité perpétuelle : une gauche volontaire accédant aux responsabilités proclamera que le traité de Lisbonne est caduc…
« Ne pas s’engager sur ce chemin, ce serait laisser M. Sarkozy matraquer le pays, ses salariés, ses chômeurs, ses jeunes, ses populations issues de l’immigration. Ce serait laisser sans prolongement la formidable énergie sociale qui fut celle du grand mouvement en défense de la retraite à 60 ans, l’automne dernier. Ce serait permettre à Mme Le Pen de dévoyer vers sa démagogie raciste et prétendument sociale une colère qui ne trouverait pas sa réponse à gauche.
« NOUS, NOUS VOULONS QUE LA GAUCHE GAGNE L’AN PROCHAIN ! QU’ELLE GAGNE SUR LE FOND ET DANS LA DURÉE !
« Nous voulons dire à Sarkozy et à l’UMP : “Dégagez !”… “Dégagez” comme les Tunisiens et les Égyptiens l’ont dit à Ben Ali et Moubarak… “Dégagez”, comme les Italiens viennent de le dire à Berlusconi à l’occasion des derniers référendums…
« Nous voulons porter un projet pour le pays. Un projet qui permette à la France, comme dans les moments les plus glorieux de son histoire depuis la Grande Révolution, d’envoyer au-delà de ses frontières le signal de la contre-offensive face à l’aristocratie de l’argent.
« Nous voulons hisser la gauche à la hauteur de ses responsabilités, donc la changer dans ses profondeurs, afin que majoritairement elle fasse de nouveau le choix du courage et de la rupture.
« AUTREMENT DIT, NOUS SOMMES CANDIDATS AU RASSEMBLEMENT DES FORCES VIVES DE LA GAUCHE. Cette gauche que nous entendons interpeller dans toutes ses composantes, à partir de la seule politique qui puisse permettre ce rassemblement. Cette gauche à laquelle nous entendons bien dire que le seul rassemblement gagnant sera celui qui retrouvera le chemin du peuple et qui saura le mobiliser sur ses exigences essentielles.
« Parce que nous avons cette grande ambition, nous allons avoir besoin du concours de toutes et de tous, bien au-delà de nos formations rassemblées.
« Aux militants et aux électeurs socialistes et écologistes, qui veulent comme nous relever la gauche… Aux militants et électeurs anticapitalistes, auxquels me lie une longue histoire et qui veulent être utiles à leurs idées, à leur classe, à la gauche… Aux syndicalistes et aux militants associatifs qui criaient, l’automne dernier, qu’ils n’oublieraient pas en 2012 que la droite venait de détruire le droit à la retraite… Aux citoyens qui ne veulent pas qu’on les prive de la victoire qu’ils attendent après dix ans de règne de la droite… Nous disons : “Venez avec nous ! Emparez-vous du Front de gauche ! Formez ses assemblées citoyennes ! C’est l’instrument que nous mettons à votre disposition pour faire surgir un nouveau Front populaire, un Front populaire du XXI° siècle” !
« Amis et Camarades, nous avons, au fond, tout résumé dans le titre de notre « programme partagé » : ””L’humain d’abord !””
« Nous renouons ainsi avec la belle tradition de la gauche, celle que Jaurès résumait si bien en disant que ””ce qui fait la noblesse du socialisme, c’est qu’il ne sera pas un régime de minorité””.
« Voilà ! Nous voulons simplement poser devant le pays la seule question digne d’intérêt : qui doit diriger ? Le peuple, qui est la majorité, ou l’infime minorité qui possède déjà tout mais veut encore plus ?
« Avec la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, celle de nos centaines de candidats et candidates aux élections législatives, nous avons répondu : nous sommes du côté du nombre et de la justice. »