Les Régions sous tension

Alors que le débat sur le budget de l’an prochain tire à sa fin au Parlement, c’est maintenant à l’échelon des collectivités territoriales qu’il bat son plein. Dans un contexte politique qui le charge d’une tension telle que les régions, les départements ou les municipalités de gauche en auront peu connue, même lorsque soufflait sur le pays le vent mauvais de la contre-révolution conservatrice initiée par Nicolas Sarkozy.

S’agissant plus particulièrement des conseils régionaux, que je connais de près depuis que Midi-Pyrénées m’a élu comme l’un des représentants de sa majorité, leur renouvellement en 2010 au profit d’une gauche victorieuse dans 20 des 22 entités de l’Hexagone s’était initialement opéré sous le signe de l’engagement à être, face au pouvoir de droite et à sa politique exclusivement favorable au capital et aux rentiers, un ”« bouclier social »” au service des familles, du monde du travail, des plus précaires, des jeunes. Alors que le gouvernement sarkozyste s’employait à les enfermer dans le carcan d’une rigueur insupportable, asséchant leurs ressources dans le même temps qu’il leur transférait de nouvelles compétences auparavant dévolues à l’État, faisant quasiment disparaître leur autonomie fiscale tout en prévoyant de les priver d’une série de grands leviers à travers la contre-réforme territoriale, elles avaient vaillamment, du moins pour la plupart d’entre elles, résisté.

Des budgets préservant leur caractère offensif avaient ainsi pu voir le jour, assumant pleinement les compétences légales des assemblées sans pour autant renoncer à leur faculté d’intervention sur d’autres terrains relevant de l’intérêt général ou de la préservation du principe d’égalité républicaine, redéployant (parfois avec difficultés et au prix parfois d’un endettement accru) leurs priorités en direction des attentes les plus urgentes des populations. Ce qui allait de pair avec l’exigence, sans cesse et à juste titre martelée, du remboursement par l’État des sommes considérables dont les institutions locales avaient été privées à travers une prétendue décentralisation n’ayant pas financièrement compensé les pouvoirs officiellement transférées.

SOUS LE JOUG DE L’AUSTÉRITÉ

Les élus de gauche étaient, par conséquent, en droit d’attendre que le climat s’apaise à la suite de la défaite infligée à la majorité sortante. C’est, hélas, l’inverse qui se sera produit : les relations se sont fortement tendues, au sein même des majorités régionales. Les lecteurs de ce blog en connaissent parfaitement les raisons. La logique d’austérité dans laquelle s’est engagée l’équipe au pouvoir, à travers un budget 2013 placé dans les clous du traité budgétaire européen, la mise en place corollaire d’un Haut-Conseil des finances publiques destiné – au-delà des mots – à mettre sous tutelle la dépense de toutes les institutions du pays, l’aggravation de cette dérive avec le « pacte de compétitivité » et ses 20 milliards de crédits d’impôt aux entrepreneurs (doublés de l’augmentation de la TVA), l’annonce par le président de la République que la dépense publique devrait diminuer de quelque 60 milliards d’euros d’ici la fin du quinquennat placent les collectivités territoriales dans un véritable garrot.

Non seulement les dotations de l’État s’avèrent gelées pour l’an prochain, ce qui inscrit la gestion gouvernementale actuelle dans la triste continuité de celle de l’UMP, mais il est d’ores et déjà annoncé qu’elles diminueront les années suivantes (de 750 millions en 2014 et de 1,5 milliard en 2015…), la fiscalité indirecte s’appesantissant simultanément de trois points dans les transports (l’une des principales lignes budgétaires des régions). Autant dire que l’on se prépare à enserrer les institutions régionales et leurs exécutifs dans des contraintes qui deviendront vite ingérables par eux… Sauf, évidemment, à amputer significativement les affectations de crédits en matière de défense de l’emploi dans les territoires, d’éducation, de transport, de formation professionnelle, de culture ou de coopération internationale. Sans parler des investissements, où le processus initié risque de devenir littéralement dévastateur. Au total, les collectivités ne réalisent-elles pas près de 75% de l’investissement public (soit 40 milliards d’euros, quatre fois plus que l’État), ne garantissent-elles pas 1 700 000 emplois (500 000 d’entre eux ayant été créés en dix ans), n’ont-elles pas contribué à la création ou au maintien de 850 000 emplois dans le secteur privé lui-même ? Je tire ces données d’une synthèse fort bien dressée (et fort justement intitulé : « Finances locales : urgence ! ») par l’Association nationale des élus communistes et républicains. Des chiffres qui, à eux seuls, permettent de toucher du doigt l’aberration économique, le risque social et la faute politique que commettent aujourd’hui François Hollande et Jean-Marc Ayrault, si fortement applaudis par tous les Saint-Jean-Bouche-d’Or de la doxa néolibérale, lesquels appellent sans discontinuer régions, départements et municipalités à consentir toujours davantage aux sacrifices exigés par les marchés, les banques voire les agences de notation (toujours plus présentes dans la vie de collectivités obligées d’emprunter pour ne pas avoir à gérer un authentique cataclysme social).

Dorénavant expression la plus constante de la pensée unique, ”Le Monde” en date du 19 décembre aura eu le mérite de déciller les yeux qui ne voulaient pas nécessairement s’ouvrir sur un avenir singulièrement inquiétant : nous n’en sommes qu’au début de la spirale mortifère. ”« Reste le plus dur,” écrit son éditorialiste comme d’habitude anonyme.” L’État – mais aussi les collectivités locales – doit préciser où et comment dégager de telles économies. C’est-à-dire dans quels budgets tailler, quels effectifs de la fonction publique raboter, quelles politiques publiques réviser à la baisse. C’est l’enjeu du séminaire gouvernemental réuni mardi 18 décembre par le Premier ministre. »” Et d’ajouter, comme pour accroître la pression sur les citoyens et, on le sent bien, sur des élus majoritairement à gauche, depuis les grandes villes jusqu’aux entités régionales : ”« Recalibrer chaque politique publique (logement, famille, santé, formation professionnelle, recherche, soutien aux entreprises) revient à repenser des pans entiers de notre système d’aides publiques et de solidarité nationale. Ce sont autant de choix socialement délicats et politiquement explosifs. »” Voilà au moins chacun placé devant ses responsabilités…

LA GAUCHE DIVISÉE, LES RÉGIONS DÉSTABILISÉES

Cette cohérence, on devrait plutôt dire ce démantèlement programmé par les libéraux des principes d’égalité et de solidarité sur lesquels la Résistance avait refondé la République à la Libération, interpelle l’ensemble de la gauche. Cette dernière s’en trouve profondément divisée, les régions subissant du même coup une déstabilisation qui pourrait bien annoncer celle d’autres collectivités dans un proche avenir. D’autant que rien ne vient atténuer si peu que ce fût la brutalité de ce qui se prépare. Ni l’installation future de la Banque publique d’investissement, laquelle ne semble pas devoir déroger à la règle de rentabilité financière de court terme jusque-là pratiquée par le système bancaire (au prix de la raréfaction des crédits consentis aux petites voire très petites entreprises), la puissance publique semblant ne pas vouloir y exercer un contrôle trop exigeant (les élus locaux avaient pourtant revendiqué une place prépondérante dans une structure appelée à jouer un rôle déterminant dans la vie économique des territoires)… Ni ce que nos gouvernants désignent pompeusement comme un « Acte III de la décentralisation », qui semble au fil des débats devoir surtout prolonger (et non inverser) la dynamique, à l’œuvre depuis des années, de mise en compétition de territoires qui vont au surplus être chargés de gérer l’austérité…

À l’heure où j’écris ces lignes, la Région Midi-Pyrénées se prépare, à l’instar de ses semblables, à réunir son Assemblée plénière pour y faire adopter son budget. Comme partout, le groupe du Front de gauche y bataille depuis des semaines afin que soit tenu l’engagement initial de la majorité sortie des urnes en mars 2010, cet engagement que résumait la promesse d’agir en ”« bouclier social, démocratique et environnemental »” de populations déjà trop victimes – et depuis trop longtemps – de choix tournant le dos au bien commun. Il s’est attelé à informer les citoyens, à stimuler leur intervention et à travailler avec leurs organisations représentatives, les syndicats et les associations. Des avancées non négligeables ont à ce jour déjà été obtenues… sans pour autant que le ”« compte y soit encore »”, pour reprendre les propos que j’ai tenus lors d’un entretien avec l’un des éditorialistes de la station locale de France 3. Usant des marges qu’elle conserve grâce à son autofinancement, Midi-Pyrénées dispose des moyens de protéger ses populations de certains des effets d’une austérité néfaste.

Avant que ne s’ouvrent deux jours de discussions s’annonçant intenses, avec mes camarades du Parti communiste et du Parti de gauche, nous avons rendu publique une déclaration fixant les enjeux, enregistrant les progrès que le débat a permis d’enregistrer dans le projet soumis par l’exécutif, et avançant deux objectifs permettant à Midi-Pyrénées d’être à la hauteur de ce pourquoi les électeurs lui ont donné une majorité de gauche (avant d’envoyer, là encore très majoritairement, François Hollande à l’Élysée). Je vous la livre in extenso, car elle me paraît bien décrire à quel point notre regroupement, sur le terrains autant que dans les Assemblées élues, est aujourd’hui utile à la gauche et au peuple.

« RÉGION MIDI-PYRÉNÉES : LES ÉLUS DU FRONT DE GAUCHE BATAILLENT CONTRE L’AUSTÉRITÉ »

« Le Conseil régional Midi-Pyrénées va adopter le 20 décembre son premier budget après que les Français aient exprimé leur volonté de changement politique à l’occasion des élections présidentielle et législatives. Les élus de gauche sont face à leurs responsabilités pour agir face une crise économique et sociale de plus en plus cruelle. Aussi, cette période devrait être celle de la relance des projets et de l’économie de nos territoires, de la réponse aux besoins croissants des Français et de Midi-Pyrénées.

« À l’inverse, le gouvernement fait le choix de l’austérité avec une réduction des dépenses publiques de 60 milliards en cinq ans et une augmentation de la TVA qui touchera fortement les ménages. Il prolonge aussi le gel des dotations d’État aux collectivités locales décidé sous la droite et a même annoncé leur baisse de 2,5 milliards. Les collectivités portent pourtant 75% des investissements publics. A court terme, cela signifie une contraction de l’activité économique avec des conséquences terribles sur nos territoires.

”« Nous n’accepterons pas sous Hollande ce que nous refusions sous Sarkozy.” Suite aux transferts de compétences intervenus depuis 2005, l’Etat doit aujourd’hui 192 millions d’euros à la Région, correspondant au différentiel entre les ressources transférées par l’État et les coûts réels des compétences transférées sur le budget régional. Les élus régionaux du Front de gauche refusent cette situation d’austérité imposée de fait. Cette exigence, la majorité PS-PRG-EELV et FDG de la Région Midi Pyrénées l’avait faite sienne, l’an passé face à la majorité Sarkozy-Fillon. Pour nous, il ne saurait donc s’agir d’accepter aujourd’hui ce que nous refusions sous un gouvernement de droite. Nous demandons donc la compensation réelle des charges transférées et une réforme globale de la fiscalité, pour redonner aux collectivités, et en particulier aux régions avec une nouvelle recette dès 2013, des marges de manœuvres budgétaires et donc les moyens de faire de la politique.

« Les moyens existent, pourvu que l’on ose taxer les revenus du capital au même niveau que ceux du travail, mettre à contribution les faramineux dividendes des actionnaires (ceux du CAC 40 s’annoncent cette année encore en augmentation alors que la majorité du pays se trouve dans une situation de plus en plus difficile), s’en prendre aux gigantesques profits accumulés par les banques ainsi qu’aux rapports de la spéculation immobilière. C’est une question de choix et de volonté politique ! Ce n’est pas au peuple d’acquitter les intérêts d’une dette dont il n’est nullement responsable !

”« Des avancées obtenues par le Front de gauche.” Depuis 2010, les élu-e-s du Front de gauche ont porté de nombreuses propositions. Certaines ont permis des évolutions notables dans la politique régionale, par exemple la conditionnalité des aides aux entreprises à des critères sociaux et écologiques, ou la mise en place d’une caution solidaire pour l’accès au logement des étudiants. Ils ont également pesé dans le débat politique autour de l’élaboration des schémas régionaux : dans le sens de la défense et du développement du service public dans le mémorandum européen sur le sujet, contre la politique de casse des hôpitaux publics de proximité de l’ARS, pour valoriser la formation initiale dans l’enseignement professionnel.

”« Les élu-e-s du Front de Gauche participent aux discussions budgétaires dans un esprit constructif et combatif.” L’an passé, en 2012, ils ont voté le budget, actant ainsi une volonté de résistance tout en bataillant pour maintenir l’équilibre de nos politiques régionales face aux contraintes imposées par l’État.

« Cette année, ils demandent un autre niveau d’ambition politique. Le Conseil régional doit utiliser les marges de manœuvre existantes pour répondre aux attentes des Midi-Pyrénéens face à la crise économique et sociale qui s’accentue. Nous souhaitons que toute la gauche de Midi-Pyrénées se rassemble sur une telle démarche, quels que soient les débats nationaux qui partagent ses différentes composantes sur les choix nationaux à opérer pour que le changement attendu des Français se concrétise.

”« Notre Région dispose d’une des meilleures situations financières de France,” elle a la possibilité de dégrader son autofinancement sans risquer une explosion de l’endettement. Il nous paraît nécessaire d’augmenter le recours à l’emprunt pour affirmer un budget offensif qui relance nos interventions dans les territoires (aujourd’hui le taux d’endettement du Conseil régional de Midi Pyrénées est de 98 € par habitant). Sans répondre totalement à cet objectif, le budget 2013 de Midi-Pyrénées ne présente pas de baisse du budget en volume par rapport à 2012, mais une augmentation légère. Nous ne pouvons y voir que le résultat positif du débat qui s’est déroulé au sein de la majorité régionale.

”« Les élu-e-s du Front de Gauche ont ainsi obtenu des premières avancées,” suite à la présentation des premiers arbitrages budgétaires avec la préservation des budgets qui impactent directement la vie des gens, en particulier de la politique de la ville et de la culture. L’effort pour le transport collectif est maintenu avec l’inscription de 60 millions d’euros pour l’acquisition et la modernisation du matériel roulant. Nous regrettons toutefois que les budgets de la santé et l’action sociale, de l’action économique et de l’agriculture accusent une baisse dans un contexte de crise économique.

”« Ces avancées, il s’agit maintenant de les conforter, c’est pourquoi le groupe Front de Gauche fait deux propositions de solidarité et d’égalité républicaines pour un budget satisfaisant.” Il propose donc ces deux mesures pour aller au-delà d’un simple budget de continuité dans un contexte qui appelle des interventions publiques nouvelles.

« Avec la tarification sociale de la restauration scolaire nous proposons une mesure sociale en réponse à la précarité grandissante. Avec la fin des subventions facultatives aux lycées privées, nous disons qu’il ne saurait s’agir d’accepter de diminuer des budgets d’intervention de la région sans commencer par là. Ces deux propositions n’ont pas été reprises dans le document budgétaire proposé par le président Malvy. Nous les porterons par voie d’amendements budgétaires à l’Assemblée plénière. D’ores et déjà, une ligne budgétaire a été ouverte à hauteur de 200 000 €. La commission des finances a proposé de la porter à 500 000 €. C’est une réelle avancée pour plus de justice sociale et le groupe FDG s’en félicite. Pour autant, il ne répond pas encore entièrement à l’objectif qui consisterait à moduler les tarifs selon les conditions de ressources des familles. Nous continuerons à porter cette exigence.

« 1.Une tarification sociale de la restauration scolaire. Dans un contexte grave de crise économique et sociale, il nous semble essentiel que la politique régionale, à son échelle, participe à la lutte contre l’austérité. En Midi Pyrénées, 400 000 personnes, dont 20 % des gens vivant en-dessous du seuil de pauvreté, sont des jeunes de moins de 20 ans, l’aide aux lycées est donc une question essentielle. Le service public de la restauration scolaire doit permettre non seulement de fournir aux jeunes lycéens des repas équilibrés et de qualité, mais aussi à la portée de toutes les familles.

« Une aide sous conditions de ressources, bénéficierait aux lycéens concernés par les deux premières tranches de la carte jeune, soit 12 % pour la tranche A et 6 % pour la tranche B. À notre initiative, lors des débats budgétaires, une nouvelle ligne a été ouverte, intitulée « fonds social des lycées » abondée de 200 000€.
C’est un signe fort du Conseil régional en direction des familles les plus modestes. Toutefois, nous pensons que ce montant est insuffisant, compte tenu du nombre de familles concernées.

« Nous proposons donc de réaffecter 800 000€ pour mettre en place d’urgence une tarification sociale de la restauration scolaire à ce dispositif sur la ligne budgétaire (fond social des lycées) dans le chapitre de fonctionnement de l’éducation.

« 2. En finir avec les subventions facultatives aux lycées privés

« L’éducation, notamment le fonctionnement et l’entretien des lycées, entre pleinement dans le cadre de la première compétence des Conseils régionaux.
Toutefois, si la loi fait obligation aux Régions de participer au financement du fonctionnement selon les mêmes critères pour les lycées publics que pour les lycées privés, il n’en est pas de même pour l’investissement (L214-7 du code de l’éducation).
La participation des familles avec les frais d’inscriptions, doit y contribuer.

« En Région Midi Pyrénées, le différentiel entre les montants obligatoires en fonctionnement et les montants affectés en investissement, laisse apparaître un solde positif de 1,3 millions d’euros que nous proposons de réaffecter vers les lycées publics, au nom du principe d’égalité et de laïcité. Il n’est pas normal de comprimer des lignes de dépense dans le budget régional sans commencer par supprimer ces subventions facultatives aux lycées privés.

« D’ici l’Assemblée plénière des 20 et 21 décembre, nous allons poursuivre les discussions avec le président de Région comme avec nos collègues des groupes de la majorité. Avec l’ambition de convaincre et de permettre à notre Région d’être, cette année encore, à la hauteur des attentes pressantes de nos concitoyens. »

Christian_Picquet

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