Le président “socialiste” qui ne parle plus à la gauche

Je n’attendais rien de bien nouveau de la conférence de presse de François Hollande. En l’écoutant pérorer sous les ors de l’Élysée, je songeais cependant à ceux de ses électeurs du printemps dernier qui, comme moi, assistaient à la retransmission télévisée. Ils auront dû éprouver un sentiment amer en pensant : « Se souvient-il encore qu’il fut élu parce qu’il se revendiquait de la gauche ? » Ils n’auront, il est vrai, pas entendu la moindre parole de gauche sortant de sa bouche. Pour une très brève manifestation de compassion envers ces millions d’hommes et de femmes qui espéraient le changement mais doivent à présent subir une austérité encore plus dure que sous le précédent quinquennat, une fois expédiée en quelques phrases la promesse d’un « plan d’investissement » dont on voit mal comment il pourrait atteindre l’ampleur nécessaire dans un contexte de rigueur impitoyable, en dépit de l’évocation d’un « gouvernement économique » qui ne réorientera en rien la zone euro dès lors que les fondamentaux de cette dernière ne sont absolument pas remis en cause, tout le discours présidentiel se sera concentré sur une « crédibilité budgétaire » devenue l’alpha et l’omega de la politique gouvernementale.

De fait, le chef de l’État se sera, ce jeudi, livré à un exercice d’autosatisfaction et d’autojustification d’une action n’obéissant qu’aux injonctions d’une finance toujours plus cupide, d’un grand patronat acharné à transformer en victoire sur toute la ligne ce qu’il a déjà obtenu des gouvernants, d’ayatollahs libéraux pressés d’imposer leurs dogmes mortifères à l’ensemble de l’Europe. Comment, à cet égard, François Hollande ose-t-il parler de la ”« réparation des injustices »” – à laquelle il aurait consacré les premiers moments de son quinquennat -, quand son action aura délibérément ignoré la redistribution des richesses au moyen de la révolution fiscale promise aux électeurs, quand la flexibilité du travail aura progressé comme jamais auparavant avec le fameux Accord national interprofessionnel, quand à l’inverse les puissants auront bénéficié (et vont encore bénéficier…) des cadeaux en série qu’ils réclamaient au nom de la ”« compétitivité française »”, quand l’on sera allé jusqu’à refusé l’amnistie à des syndicalistes ou à des militants associatifs dont la droite aux affaires avait hier voulu criminaliser l’action ?

Cerise sur le gâteau, il nous aura été confirmé qu’il fallait se préparer au prochain allongement du nombre d’annuités nécessaires à l’obtention d’une retraite à taux plein qui, de surcroît, verra son montant diminuer. Le chef de l’exécutif aura bien pu promettre l’organisation d’un ”« dialogue social »” censé faire la différence avec le quinquennat passé, le ”« principe »” de cette prétendue réforme est déjà acté : comme en 2010, sous le règne de Monsieur Sarkozy, on entend demander aux travailleurs de travailler plus… pour gagner moins. Que l’annonce en ait été faite au lendemain de la comparution du président français devant le tribunal de l’austérité qu’est devenue la Commission européenne, en vertu du nouveau traité ratifié par la nouvelle majorité, dit assez que l’on entend ainsi faire symboliquement droit aux exhortations en ce sens de Monsieur Barroso et de Madame Merkel.

La récession dans laquelle se trouve désormais plongée l’économie française annonce l’échec inéluctable de ces orientations. L’austérité salariale et budgétaire va asphyxier l’activité et faire du même coup flamber le chômage. Les coupes claires opérées dans la dépense publique auront pour principaux effets d’étrangler les services publics (là encore, les ”« recommandations »” des bureaucrates de Bruxelles, tendant à ouvrir à la ”« concurrence »” le maximum de secteurs encore gérés par la puissance publique, sont en passe d’être mises en application) et de brider l’investissement (en particulier à l’échelon des collectivités territoriales, dont les dotations vont être lourdement amputées). Le refus réitéré de consentir à l’épreuve de force qui s’avèrerait indispensable avec la droite conservatrice allemande, fer de lance d’une démarche qui ravage l’un après l’autre nos voisins, ne fera que saper davantage les bases d’une construction européenne dorénavant fracturée par des trajectoires et des intérêts de plus en plus divergents. La régression sociale, sur laquelle débouche la politique présentée ce 16 mai, va enfin rendre incandescente la crise française et conduire la France, le peuple, la gauche au bord du précipice. Mais telle est la condition, nous disent du moins les tenants de la doxa libérale, de ”« l’assainissement »” auquel il nous faudrait nous résigner.

Le président de la République s’est, ce 16 mai, voulu un ”« socialiste qui veut faire réussir la France »”. Sauf que la France que dessinent ses décisions fait du monde du travail, c’est-à-dire de la majorité de ses habitants, un continent littéralement oublié. Il est urgent qu’un grand sursaut populaire parvienne à imposer un changement de cap !

Christian_Picquet

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