Le 16 juin, première étape d’un mouvement appelé à grandir
ll va se dérouler, ce 16 juin à Montreuil, un événement dont seuls des aveugles ou des adeptes d’un ordre politique qu’ils voudraient immuables pourront ignorer la portée. Pour la première fois depuis que la majorité de la France a manifesté son désir de changement, des représentants de diverses forces politiques de la gauche (de celles que regroupe le Front de gauche jusqu’à « Gauche avenir », en passant par Europe écologie-Les Verts), des acteurs du syndicalisme ou du mouvement associatif, des personnalités issues du monde des arts et de la culture réfléchiront ensemble à ce que devrait être une politique alternative à l’austérité que conduisent François Hollande et son gouvernement.
Pas après pas, la gauche se remet en mouvement. La soumission aux diktats de l’oligarchie financière et des bureaucrates européistes à son service, l’acceptation d’orientations générant la récession et le chômage de masse, le consentement donné aux « réformes structurelles » qui précarisent le travail et mettent en pièces ce qui subsiste des protections collectives acquises depuis le programme du Conseil national de la Résistance, l’agrément apporté au déchaînement d’un libre-échangisme mortifère pour les peuples et leurs conquêtes les plus fondamentales (tel que la future négociation portant sur l’ouverture du « grand marché transatlantique » en dessine la perspective, même si pour le moment la France refuse officiellement d’y inclure la culture) mènent droit dans le mur. De plus en nombreux sont ceux qui en prennent conscience et le disent. Jusqu’au sein du PS, où l’aile gauche vient d’obtenir de francs succès sur ses amendements au document soumis à la convention chargée de définir l’orientation européenne du parti, et où un autre courant, la « Gauche populaire » (dont les responsables viennent pourtant de la mouvance strauss-kahnienne), vient lui-même d’exprimer de franches critiques contre la spirale de l’austérité. Si tout cela ne forme naturellement pas une cohérence, et si je ne saurais m’aventurer à émettre le moindre pronostic sur ce que deviendront toutes ces dissonances, leur multiplication autant que le vote des adhérents socialistes n’en sont pas moins révélateurs du malaise considérable qui fracture l’aire gouvernementale.
Il n’est donc plus à prouver que la démarche des gouvernants a pour premier effet de diviser profondément la gauche, de l’affaiblir, de la démobiliser et de la désorienter. Il reste néanmoins à démontrer qu’une ligne de confrontation déterminée avec les marchés et la finance est en mesure de lui permettre de se relever, de cesser de reculer pour repartir à l’offensive, de se rassembler dans et pour le combat contre l’adversaire. C’est le défi qui revient au Front de gauche.
Il a commencé à s’y atteler, en permettant à des dizaines de milliers d’hommes et de femmes de se manifester grâce à la campagne menée depuis six mois contre la régression sociale et démocratique, puis de reprendre la rue avec la marche nationale du 5 mai et ses « répliques » régionales des 1er et 2 juin. Il lui faut à présent franchir le pas de l’affirmation des points-clés d’une logique radicalement différente de celle qui se trouve déployée au sommet de l’État, au risque du débouché sur une catastrophe généralisée. Il ne saurait imaginer y parvenir seul, et c’est pourquoi il a tant cherché à organiser avec d’autres les assises du 16 juin. Cela ne se fera pas en une fois, et c’est la raison pour laquelle, précisément, le rendez-vous de ce dimanche ne représentera que la première étape d’un processus appelé à monter en puissance, à s’ouvrir, à s’élargir encore.
Je ne cesse, dans les meetings régionaux du Front de gauche, d’évoquer la nécessité d’un nouveau Front populaire. Non, évidemment, par une sorte de nostalgie de la construction politique née comme une réponse unitaire au fascisme montant des années 1930, dont ont sait que les promesses finirent pas s’abîmer dans une terrible décomposition ouvrant la voie à l’instauration du régime de Vichy. Mais parce qu’il faut en retenir qu’il est parfaitement possible aujourd’hui de faire converger, dans la définition d’une politique répondant à l’intérêt général, c’est-à-dire à celui du plus grand nombre, des partis ou courants politiques, et des forces porteuses de l’expérience particulière du mouvement social, au service d’une dynamique citoyenne de changement et de mobilisation, où les spécificités de chacun seraient respectées. Je forme ainsi le vœu que, ce 16 juin, ce fût un tel mouvement qui s’amorçât.
En guise de contribution à ce débat, je reproduis ici la tribune que ”l’Humanité” m’avait demandé et qu’elle aura publiée le 13 juin.
« RASSEMBLER POUR CHANGER DE CAP »
« C’est un fait dont beaucoup prennent conscience aujourd’hui : le pays, le peuple, la gauche se trouvent menacés de débâcle par l’orientation que conduisent François Hollande et son gouvernement. Et l’Europe, dans la foulée, se voit promise à une dislocation ravageuse par une austérité et une politique de l’euro fort ne profitant qu’aux États les plus puissants, précarisant les vies par millions et générant le chômage de masse. L’heure est au sursaut, à la contre-offensive, à la renaissance d’un espoir politique pour toutes celles et tous ceux qui contribuèrent, l’an passé, à l’éviction de Nicolas Sarkozy et de la droite.
« De plus en plus nombreux sont ceux qui, à gauche et parmi les forces populaires, en arrivent à une identique conclusion. Jusqu’au sein du Parti socialiste, des voix chaque jour plus fortes se font entendre pour demander un changement de cap. Une très grande partie des adhérents vient même de se prononcer pour que la construction européenne soit remise sur les rails du progrès social et de la démocratie. À Europe écologie, les mêmes débats se font jour. C’est une chance qu’il ne faut sous aucun prétexte laisser passer pour l’avenir : l’orthodoxie budgétaire, la baisse sans fin des dépenses publiques, la destruction des protections collectives du monde du travail, la soumission aux logiques infernales de la compétitivité à outrance et du libre-échangisme à tout-va n’ont pas de majorité à gauche. C’est la raison pour laquelle il revient au Front de gauche de mobiliser toutes ses forces au service d’une autre majorité et d’un nouveau gouvernement, à même d’initier une politique radicalement différente de celle qui nous mène au désastre.
« Cela suppose d’abord, pour lui, de soumettre au débat public un véritable programme de salut public. Ou, pour le dire autrement, les grandes mesures d’urgence à partir desquelles peut au plus vite se retrouver une majorité de la gauche et du peuple. Trois grandes exigences pourraient en résumer la démarche : changer de modèle de développement ; refonder la République ; réorienter profondément l’Europe.
« Changer de modèle de développement, c’est évidemment donner la priorité aux besoins sociaux et environnementaux, faire prévaloir des politiques fondées sur la solidarité, engager la transition écologique sans laquelle aucune relance économique durable ne saurait voir le jour. Pour aller à ce changement, il faut oser prendre l’argent où il est, du côté de ces 80% de l’activité financière qui se trouvent consacrés à la spéculation.
« Refonder la République, c’est donner au peuple les moyens de soustraire le pouvoir à la finance, concrétiser la promesse émancipatrice de souveraineté du peuple, en finir avec la monarchie élective, permettre aux travailleurs comme à leurs organisations de disposer de nouveaux droits de contrôle et d’intervention à l’entreprise. Bref, la VI° République que nous appelons de nos vœux doit être enfin démocratique et sociale, la convocation d’une Assemblée constituante étant le vecteur de la révolution citoyenne qui peut lui donner naissance.
« Réorienter l’Europe, c’est faire en sorte que l’euro cesse d’être un instrument d’asservissement des peuples, pour devenir un outil au service de la relance des économies, de l’alignement par le haut des droits sociaux, de la relocalisation des emplois et de la réindustrialisation des territoires, d’un développement écologiquement soutenable. Et tout doit commencer par la remise en question des statuts et missions de la Banque centrale européenne, afin de pouvoir briser net les entreprises spéculatives sur les marchés financiers et injecter dans les économies des sommes aussi importantes que celles dont ont indument profité les banques à la suite de la crise financière de 2007-2008.
« C’est sur une telle feuille de route qu’il s’impose à présent de rassembler toutes les forces et énergies militantes disponibles. D’où qu’elles viennent, qu’elle qu’ait été l’attitude de chacune d’entre elles lors des scrutins de 2012, sans qu’il soit demandé à quiconque de renoncer à son histoire et aux spécificités de son action. L’évocation d’un nouveau Front populaire trouve là sa pertinence : l’alternative à l’austérité ne verra le jour qu’à travers la convergence de ce qu’incarnent les courants politiques qui s’engageront dans sa construction, de ce que portent les combats du mouvement syndical et associatif, des aspirations qui montent de la société et qu’exprime un nombre grandissant de citoyens.
« Les marches du 5 mai et du 1er juin ont permis d’affirmer dans la rue que la gauche conservait en son sein les capacités d’un rebonds salutaire. Après l’Altersommet de ce début juin à Athènes, il s’agit maintenant de passer à l’étape de la reconstruction de la perspective politique qui hypothèque si fortement l’entrée en lice du peuple pour faire entendre ses exigences. Les assises de ce 16 juin doivent, en ce sens, n’être que la première étape d’un mouvement appelé à grandir et à s’élargir… »