Dimanche de rage, dimanche d’espoir

Si ce n’est pas d’une débâcle que nous sommes menacés, que l’on m’explique donc ce que dit l’élection législative partielle de Villeneuve-sur-Lot. Oh ! C’est comme si j’entendais déjà que ce l’on va nous expliquer suavement… Que les circonstances ayant conduit à la démission de Monsieur Cahuzac sont tout à fait exceptionnelles… Que l’on ne saurait ignorer que cette circonscription du Lot-et-Garonne n’est pas une terre très à gauche, sa conquête par le Parti socialiste ayant beaucoup dû à l’entregent et au clientélisme de l’ancien ministre du Budget… Tout de même…

Que l’on veuille bien un instant prendre la mesure du verdict des urnes. Sur fond d’abstention touchant 54% des électeurs inscrits, le candidat du PS est arrivé en troisième position après avoir perdu la bagatelle de presque 15 000 voix sur le premier tour de 2012 (vous avez bien lu, 15 000 !), il se voit éliminé et aucun autre candidat ou candidate de gauche n’aura été en mesure de se maintenir au second tour. S’il est, quant à lui, arrivé en tête, le représentant de la droite classique n’aura connu qu’une infime progression en pourcentage, et il aura perdu plus de 3 500 suffrages. C’est, de ce fait, le très jeune et fringant porteur des couleurs du Front national qui aura raflé la mise, seul à progresser en voix et en pourcentage, ce qui est une indéniable performance lorsque plus de la moitié des inscrits sur les listes électorales a déserté les isoloirs. Il revient à chacun d’en méditer les leçons.

Ayant conduit une politique qui démoralise et désoriente cette majorité du peuple qui s’était dressée contre la réélection de Nicolas Sarkozy et espérait un changement palpable de ses conditions d’existence, le gouvernement essuie, à travers le représentant du principal parti de la majorité, une sanction sans appel. Les citoyens sans lesquels il ne serait jamais revenu aux manettes expriment le sentiment de trahison qui les habitent, en s’abstenant massivement voire, hélas, pour une petite partie d’entre eux (les études d’opinion le diront plus précisément), en laissant leur colère être dévoyée par l’extrême droite. Plutôt que de fustiger leurs alliés écologistes de n’avoir pas renoncé à défendre leurs idées dans la campagne lot-et-garonnaise, plutôt que d’attribuer au reste de la gauche les raisons de leur propre déréliction, plutôt que de mouliner sans fin le catéchisme de l’orthodoxie budgétaire comme vient encore de le faire François Hollande lors de sa participation à l’émission « Capital » (sans que personne n’y accorde d’ailleurs la moindre importance, c’est un indice qui ne trompe pas sur l’état d’esprit des Français), ministres et dirigeants de la rue de Solferino devraient plutôt se livrer à un authentique examen de conscience.

LE SPECTRE DU DÉSASTRE

De même, avoir tenté de récupérer les thématiques du FN tout au long du quinquennat précédent, avoir chauffé à blanc la campagne présidentielle comme le fit le tandem Sarkozy-Buisson et, pire encore, s’être affiché aux côtés des figures de proue de l’extrême droite à l’occasion des démonstrations de rue contre le « mariage pour tous » n’auront permis à l’UMP ni de reprendre la main, ni de retrouver l’assise électorale qu’elle a perdue au fil des années. Au contraire, cette stratégie aventurière n’aura fait qu’accentuer l’emprise des idées lepénistes sur la société, leur gagner de nouveaux soutiens auprès de citoyens déboussolés, donner au frontisme le crédit d’une force en marche vers le pouvoir. Un phénomène rendu d’autant plus dangereux que prolifèrent, aux marges de cet extrémisme pourvu d’une toute neuve respectabilité, des groupes assumant ouvertement leur inclinaison néofasciste et n’hésitant plus à recourir à cette violence qui les caractérise, allant jusqu’à tuer tout récemment à Paris.

Parlons sans faux-semblants : c’est un danger mortel, pour la France, sa classe travailleuse, la République, que de voir ainsi grandir une formation porteuse de haine et d’exclusion, d’un programme de guerre ouverte contre les conquêtes du syndicalisme et du monde du travail, d’une volonté de remise en ordre liberticide du pays et de réorganisation de celui-ci sur la ligne de la « préférence nationale ». Décidément, nationalement et localement, le Front de gauche, représenté dans la troisième circonscription du Lot-et-Garonne par ma camarade Marie-Hélène Loiseau, aura eu mille fois raison, au soir du premier tour, de dire que, si le choix entre UMP et FN pour le second tour n’apporterait pas la moindre réponse positive aux attentes des électeurs, la victoire de l’extrême droite serait une nouvelle défaite pour notre camp et pour la démocratie, dotant un parti dangereux d’un nouveau porte-parole à l’Assemblée nationale. Oui, vraiment, pas une voix de gauche ne doit se porter sur le candidat lepéniste dimanche prochain !

Parlons justement du Front de gauche… Il est si conscient de la menace qu’il mobilise toutes ses énergies au service d’une autre politique pour la gauche et le peuple. Malheureusement, la législative partielle de Villeneuve-sur-Lot en fait foi (Marie-Hélène perd moins de suffrages que les autres partis, ce qui lui permet de progresser en pourcentage mais ne l’amène qu’au-dessus de la barre des 5%), la faillite lamentable de l’orientation sociale-libérale appliquée au sommet de l’État n’est pas, en elle-même, suffisante pour lui permettre d’occuper l’espace que cela laisse vacant à gauche. C’est exactement ce qu’avait souligné l’élection législative partielle de l’Oise, en mars dernier, lors de laquelle la représentante socialiste avait (déjà) laissé UMP et Front national face-à-face au second tour, et où un autre des mes camarades, Pierre Ripart, n’avait connu qu’une légère progression en dépit de son excellente campagne.

En quatre années à peine d’existence, la convergence tout à fait remarquable que représente le Front de gauche a su devenir un repère essentiel dans le paysage politique de notre Hexagone, un point d’appui pour la lutte des salariés et de leurs organisations (point d’appui trop modeste sans doute, ce qui ne le rend pas moins incontestable), un déclencheur d’initiatives… Où en serait le pays s’il n’avait pas existé pour regrouper des dizaines de milliers de personnes, d’abord sur les places reconquises durant la campagne du premier tour de la présidentielle, ensuite contre la ratification du calamiteux traité budgétaire européen en septembre 2012, enfin dans la grande marche citoyenne du 5 mai dernier contre la finance et pour la VI° République ? Où en serait la gauche, si sa voix ne s’était pas exprimée, avec la constance que l’on sait, contre la mise en pièces du code du travail par la transcription législative du très patronal Accord national interprofessionnel, contre la multiplication de cadeaux fiscaux consentis sans la moindre contrepartie au grand patronat, contre l’étranglement sournois qui s’annonce de ce mécanisme de protection collective des travailleurs qu’est la retraite par répartition pour satisfaire aux dogmes libéraux ravageant l’Europe, contre l’acceptation de la négociation entre l’Union européenne et les États-Unis en vue de la conclusion d’un traité transatlantique consacrant le déferlement d’un libre-échangisme dévastateur pour les peuples ? Sauf que, soyons lucides, dans un contexte de grand désarroi populaire, alors que le doute domine sur les solutions progressistes de sortie de la crise du capitalisme, ce n’est pas de nature à lui conférer mécaniquement le statut d’alternative crédible.

Il y a une extrême urgence à sortir de l’austérité, à en finir avec la succession des « affaires » que provoque le règne insolent de l’argent-roi et qui alimente chaque jour la chronique judiciaire. Il faut, au service de cette ambition, rassembler dans les meilleurs délais les forces disponibles. Avec le Front de gauche, mais aussi bien au-delà de lui, car des voix en nombre croissant en arrivent, tout comme les nôtres, à crier qu’il est criminel d’aller dans le mur à toute vitesse … en klaxonnant de surcroît. C’est le grand mérite des assises pour un « changement de cap » en France et en Europe que d’avoir, ce 16 juin, ouvert ce chemin.

UN AUTRE CHEMIN S’EST OUVERT À MONTREUIL

Quel contraste entre l’ambiance mortifère qui suivit l’annonce des résultats électoraux de Villeneuve-sur-Lot et cette foule réunie à Montreuil (2000 personnes, au bas mot…), la détermination lucide dont elle fit preuve tout au long des ateliers et des plénières, le dialogue franc mais fraternel auquel elle assista entre représentants de divers secteurs de la gauche et acteurs du mouvement social. Comme un résumé saisissant des deux tendances qui s’affrontent au beau milieu de cette année 2012 : d’un côté, le spectre du désastre qui pointe si des millions d’hommes et de femmes ne retrouvent pas la voie du combat pour faire vivre une gauche à la hauteur ; de l’autre, les potentialités qui existent bel et bien pour conjurer le danger et créer les conditions d’une autre majorité et d’un autre gouvernement qui mèneraient une action radicalement opposée à cette soumission permanente à la finance qui caractérise la politique du président de la République et de son Premier ministre.

Évidemment, le sillon que nous avons commencé à tracer ce 16 juin ne va pas se creuser en une fois, fusse à la faveur d’une belle manifestation dessinant ce que pourrait être demain une gauche rassemblée sur une ligne de confrontation avec l’ordre (je devrais plutôt écrire le désordre…) libéral, et ayant trouvé les moyens d’un travail programmatique commun avec le syndicalisme et le mouvement associatif. Il n’empêche, il suffisait d’entendre ce qui se disait, dimanche, aux tribunes pour immédiatement s’en convaincre : les terrains d’action commune, de campagnes conjointes, d’expression de propositions convergentes pourraient demain se révéler si nombreux, que la résignation reculerait et laisserait place à une nouvelle perspective d’espoir. Cette perspective dont l’absence handicape tant le développement des mobilisations populaires…

Aussi, s’il est hors de question d’esquiver les débats ou de taire les désaccords (il y en a, et d’importance, puisqu’ils ont trait à la relation à la coalition gouvernante actuelle, aux objectifs à poursuivre et à la stratégie de nature à déplacer le curseur à l’intérieur de la gauche), il serait tragique de prendre prétexte de tout ce qui sépare les secteurs désormais en dialogue pour se réfugier dans les postures ou les petites manœuvres. Le Front de gauche, pour sa part, n’a jamais été guidé que par la recherche de l’intérêt général, et il sait parfaitement que toute occasion manquée ne manquerait pas de se payer au prix fort, les victimes étant toutes celles et tous ceux au nom desquels nous nous battons. Dans la clarté, mais également avec un état d’esprit résolument unitaire, l’urgence nous commande, par conséquent, d’avancer. Et de donner une suite au mouvement qui vient de s’enclencher avec les « assises ».

Christian_Picquet

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