Albert Jacquard : un Juste vient de nous quitter

Avec la disparition d’Albert Jacquard, la France qui se revendique de l’héritage des Lumières et des valeurs les plus fondamentales de la République est en deuil.

Ayant marqué le champ intellectuel par sa réflexion scientifique, il était également l’une des grandes consciences du pays. Comme Stéphane Hessel ou Raymond Aubrac, disparus avant lui, il restera associé à tous les combats pour les droits humains, l’égalité sociale et la démocratie.

Je veux aujourd’hui dire mon admiration pour celui avec lequel j’ai partagé tant d’engagements ces dernières années, contre la résurgence des idées d’extrême droite, pour le droit au logement ou la régularisation des sans-papiers, pour une autre Europe ou pour un nouveau modèle de développement économique.

Albert Jacquard n’était d’ailleurs pas seulement un intellectuel engagé. Il n’hésitait pas, lorsque les circonstances l’exigeaient à ses yeux, à descendre dans l’arène électorale. Il me revient ainsi en mémoire qu’avec une série d’organisations, nous l’avions convaincu de conduire, en compagnie d’Antoine Comte, des listes « Alternative 86 Paris » pour les élections législatives et régionales de 1986. À ses yeux, les dangers du moment étaient trop importants pour qu’il se dérobe à cette bataille à laquelle les sondages ne promettaient pourtant pas à un grand succès dans les urnes : la conversion des gouvernements de François Mitterrand à l’orthodoxie libérale engendrait un immense désarroi à gauche (déjà !), la droite se préparait à l’emporter dans les urnes, et le Front national savait qu’il allait entrer à l’Assemblée nationale avec un groupe de députés.

J’ai retrouvé, dans mes archives, les mots avec lesquels il justifiait alors ce combat qui n’était pas nécessairement celui qu’il maîtrisait le mieux. Il exprimait une vision éthique de la politique qui, à presque 30 ans de distance, fait toujours souffler un air frais sur le débat public : ”« Je suis scandalisé par le mépris pour le citoyen que révèle la prolifération des affiches montrant les candidats dans des poses avantageuses, le matraquage par des slogans aussi creux que ‘’Vivement demain’’ ou ‘’Une France d’avance’’. C’est parce que je crois possible une réelle démocratie que je participe à l’effort d’Alternative 86 Paris.” (…) ”Il se trouve, je l’ai dit, que je crois en la démocratie. Pour moi, les élections sont avant tout une occasion d’informer les citoyens, de les faire réfléchir en commun, avant de leur demander une délégation de pouvoir. Or la plupart des partis nous demande une délégation, sans proposer de réflexion, en nous abrutissant de propagande, en nous submergeant d’événements dérisoires, et en passant sous silence les questions essentielles. »”

C’est un Juste qui vient de nous quitter. Il va nous manquer dans cette lutte à reprendre sans cesse contre le cynisme et la résignation devant l’ordre injuste de ce monde.

Christian_Picquet

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