Les collectivités dans le carcan de l’austérité

En même temps que le Parlement entamait la discussion de la loi de finances pour 2014, les collectivités territoriales engageaient la réflexion sur leurs propres budgets. Un exercice rendu singulièrement difficile pour elles, l’austérité gouvernementale se traduisant par des amputations sans précédent, aux retombées importantes pour elles, de la dépense publique : 15 milliards sur l’an prochain, et au moins autant sur les trois exercices suivants. Résultat, alors que les lois de décentralisation successives leur ont transféré des compétences nouvelles, qu’elles représentent désormais plus des deux tiers de l’investissement public en France, qu’elles ne disposent pas nécessairement (à l’instar des Régions) de l’autonomie fiscale propre à leur garantir des ressources pérennes et adaptées, il leur faudra assumer leurs missions d’intérêt général avec des moyens en diminution aggravée.

Le 29 novembre dernier, ”Le Monde” levait un coin du voile qui recouvrait encore l’annonce par le Premier ministre d’une vaste concertation sur la fiscalité française. ”« La ‘’remise à plat’’ de la fiscalité annoncée par Jean-Marc Ayrault augure d’un serrage de vis sans précédent des collectivités territoriales »”, écrivait par exemple l’un de ses rédacteurs, avant d’ajouter : ”« Le gouvernement examine ainsi l’instauration de plafonds d’emplois territoriaux pour mettre fin à la tendance régulière à la hausse du nombre d’emplois dans la fonction publique territoriale.” (…) ”En mettant les acteurs sociaux, politiques et locaux autour de la table, le Premier ministre cherche à gagner une forme d’acceptation, sinon d’adhésion, à la contrainte de la dépense publique – dont il fait désormais le mantra de la réduction des déficits publics – plutôt qu’à une hypothétique ‘’révolution’’ fiscale. »”

Les régressions du quinquennat précédent, pour le dire d’une autre manière, sont donc appelées à se poursuivre… sinon à s’amplifier. Les objurgations du premier président de la Cour des comptes, l’inénarrable Monsieur Migaud – dont il paraît qu’il eut un jour des convictions socialistes -, exigeant la réduction drastique des dépenses de personnels à l’échelon local, inspirent donc totalement la réflexion d’un gouvernement en proie à une dérive libérale dont on ne voit plus où elle va s’arrêter. Chacun peut, sans peine, en imaginer les conséquences catastrophiques pour des institutions qui se sont vues contraintes de prendre en charge de nouveaux domaines essentiels pour l’existence quotidienne des populations, mais auxquelles on dénie maintenant jusqu’au droit de se doter des moyens adéquats.

Il n’y a cependant aucune fatalité à ce que communes importantes et moyennes, intercommunalités, départements ou Régions fussent ainsi contraintes de gérer la pénurie. La majorité de ces institutions a, en effet, basculé à gauche des dernières années. Face à la droite si longtemps aux affaires, toutes se sont engagées à agir en boucliers sociaux et environnementaux pour des populations en proie aux ravages du néolibéralisme. Elles se retrouvent, par conséquent, devant un choix crucial : ou, à partir du moment où le locataire de l’Élysée et l’exécutif ont changé de couleur depuis le printemps 2012, se détourner de tout ce qu’elles avaient publiquement défendu jusqu’alors ; ou conjuguer leurs forces afin d’arracher au gouvernement les moyens leur permettant de répondre aux besoins et demandes de leurs concitoyens. C’est afin que cette seconde option prévale que se battent partout les élus du Front de gauche.

La Région Midi-Pyrénées, dont je suis l’élu, ne fait pas exception dans ce paysage tourmenté. Aux transferts de compétences jamais compensés jusqu’à ce jour, qui représentent tout de même plus de 200 millions, s’ajouteront l’an prochain quelque 20 millions de baisses supplémentaires des recettes provenant de l’État… et probablement autant, voire plus, les années suivantes. Un danger pour les besoins d’investissement de cette collectivité, sa capacité à faire face à ses responsabilités fondamentales, le développement économique des territoires concernés par sa gestion, les politiques sociales et culturelles initiées dans le passé. L’enjeu du débat qui vient de s’amorcer sur les orientations budgétaires porte dès lors, tout à la fois, sur son positionnement face à l’austérité nationale et sur les priorités qu’elle sera capable de dégager pour rester fidèles aux engagements que sa majorité a pris devant les électeurs en 2010.

C’est sur ces questions que je suis intervenu, le jeudi 14 novembre, au nom du groupe Front de gauche, devant l’Assemblée plénière de la Région. Illustration du combat d’élus qui entendent que la gauche reste la gauche, je vous livre ici mon propos.

MON INTERVENTION DEVANT L’ASSEMBLÉE RÉGIONALE DE MIDI-PYRÉNÉES

« Monsieur le Président, Madame la Vice-Présidente Pellefigue, Mes Chers Collègues, comment ne pas resituer la discussion sur les orientations budgétaires dans le contexte d’extrême gravité qu’affronte notre pays ?

« Voici 18 mois, une majorité de notre peuple s’était prononcée pour le changement. C’est pourtant d’une politique exactement inverse que nos concitoyens font aujourd’hui les frais. Une politique d’austérité brutale, conduite au nom des exigences draconiennes du traité budgétaire européen et de la baisse ce qu’il est devenu de bon ton d’appeler des « coûts », alors que la gauche les a toujours considérés comme des droits et des protections collectives…

« En vertu d’une théorie de « l’offre » préférée à la « demande », qui n’est parvenue nulle part à relancer durablement l’activité, on va ponctionner les ménages tandis que l’on épargnera les revenus du capital et de la spéculation. Pour parvenir à marche forcée à l’équilibre budgétaire, on va soumettre le pays au choc d’une baisse de 15 milliards des dépenses publiques, le ministre du Budget annonçant même que cette vision restrictive est appelée à se poursuivre au-delà de 2017.

« Tous les économistes sérieux, à commencer par le prix Nobel Joseph STIGLITZ, ont annoncé l’échec certain de tels choix. Dans le contexte de récession ou de croissance infime que connaît la quasi-totalité des pays de la zone euro, l’austérité interdit toute relance véritable et durable de l’économie, elle contracte toujours davantage la demande, elle entretient chômage de masse et précarité croissante, elle diminue de ce fait les rentrées pour les caisses de l’État et accroît en retour l’endettement, elle appelle toujours plus d’austérité.

« C’est bien sur ce chemin que l’on s’est engagé…

« À preuve : ce sont aujourd’hui les services publics et l’investissement qui vont se trouver sacrifiés, alors qu’ils devraient être les moteurs de la relance et de la conversion écologique de l’économie, de la réindustrialisation de nos territoires, de la création d’emplois.

« À preuve encore : les inégalités croissent comme jamais. Tandis que l’on augmente l’impôt sur le revenu de l’immense majorité des actifs et des retraités, on ignore pudiquement que les dividendes distribués aux actionnaires représentent dorénavant 30% de l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières… contre 12% en 1980. Tandis que l’on a refusé d’inclure dans le budget des mesures d’aide aux petites et moyennes entreprises, le crédit d’impôt compétitivité-emploi, ou encore le crédit d’impôt recherche, constituent une manne pour des grands groupes et leurs filiales, auxquels on les distribue sans compter et sans contrepartie. Tandis que l’on alourdit la TVA, cet impôt injuste par excellence, sur les transports notamment (avec les effets désastreux que l’on devine sur le pouvoir d’achat déjà en berne des familles et aussi, comme vous venez de nous en donner acte, Monsieur le Président, sur les budgets de nos Régions), on la diminue… sur les importations d’œuvres d’art.

« Résultat : l’immense majorité de la population se désespère, il s’installe dans notre pays un climat délétère, il se développe une idéologie profondément contraire aux principes d’égalité et de redistribution qui sont aux fondements de notre République.

« Je partage avec le député Laurent Baumel l’idée selon laquelle il faut dans les plus brefs délais, je le cite, « un changement d’orientation ».

« Un changement de cap, pour tout dire, sur lequel la gauche pourrait de nouveau se retrouver : pour rétablir la progressivité de l’impôt dans le cadre de la grande révolution fiscale qui avait été promise ; pour ne plus soumettre nos choix budgétaires à la loi d’airain d’un traité uniquement destiné à satisfaire les marchés ; pour annuler les hausses programmées de TVA et fonder une relance sur l’augmentation du pouvoir d’achat ; pour redonner de l’air aux finances publiques en taxant les dividendes, les hauts revenus et les patrimoines, en s’attaquant à l’évasion fiscale et à toutes les formes de cette spéculation financière qui prive chaque année les caisses de l’État de dizaines de milliards …

« Nos collectivités, auxquelles il revient présentement d’assumer 72% de l’investissement public, se voient directement impactées par cette logique d’austérité dont on n’imagine même plus la fin.

« Les Régions, pour ce qui les concerne, avaient dû résister à la volonté de la droite de les placer sous une brutale contrainte financière. Elles vont demain subir un nouveau tour de vis. Les 20 millions d’amputation des recettes de Midi-Pyrénées, c’est peu, nous avez-vous dit tout à l’heure, Monsieur le Président. Sauf qu’ils seront suivis de nouvelles amputations les années suivantes…

« Parce qu’elles se sont, en 2010, engagées à être des boucliers sociaux et écologiques au service de leurs concitoyens, nos Régions ne peuvent aujourd’hui consentir à ce qu’elles refusaient résolument hier.

« D’autant que, si elles rassemblent leurs forces, elles disposent des moyens de desserrer l’étau budgétaire dans lequel elles se trouvent prises. Elles peuvent peser sur le gouvernement, afin de regagner les moyens qui leur permettront de répondre aux attentes des populations.

« Monsieur le Président, Mes Chers Collègues, notre majorité régionale, toutes composantes réunies, a déjà eu l’occasion de décliner ce qui, à ses yeux, relevait de l’urgence : le remboursement par l’État des transferts de compétences non compensées, autour de 200 Millions pour ce qui nous concerne ; une fiscalité qui confère aux Régions des ressources pérennes et nouvelles lui permettant d’assumer pleinement ces missions fortes que sont la formation professionnelle ou les transports ; le versement transports généralisé autant que la taxation des bénéfices des sociétés autoroutières, mesures qui faisaient un large accord à l’occasion du dernier débat sur l’Acte III de la décentralisation.

« En proie à des difficultés accrues et à des angoisses grandissantes, les Midi-Pyrénéens sont légitimement en droit d’attendre que nous maintenions le cap. Ils sont en droit d’attendre d’une Région qui s’est jusqu’alors toujours efforcée de répondre à leurs besoins, qu’elle se manifeste par un acte fort, qu’elle leur délivre un signe d’espoir à travers sa détermination à regagner des marges de manœuvre.

« Bien entendu, nous n’ignorons pas que c’est avec des recettes en diminution qu’il nous est immédiatement demandé de construire un budget.

« Dans le prolongement de ce que je viens de défendre devant vous, notre groupe estime que les orientations et la structure de ce budget doivent, pour respecter les orientations sur lesquelles notre Région s’est engagée, répondre à cinq priorités :

« Première priorité : qu’il réponde aux besoins d’investissement et de service dans les domaines essentiels relevant de nos compétences.

« Deuxième priorité : qu’il préserve de toute restriction l’enseignement et la formation, les transports et l’aménagement équilibré de nos territoires.

« Troisième priorité : qu’il poursuive dans la voie des efforts engagés en matière de développement écologique, d’aides au maintien et à la relocalisation d’activités économiques dans les territoires fragiles, d’appui aux services publics de proximité.

« Quatrième priorité : qu’il favorise le soutien au lien social et à la culture dans les territoires.

« Cinquième priorité : qu’il maintienne les politiques sociales que nous avons collectivement initiées, en matière d’aides aux transports et à la formation, de carte jeunes ou d’appui à la restauration scolaire en faveur des élèves issus de familles en difficulté.

« Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’exprimer, pour répondre à ces priorités et se donner les moyens de préserver de hautes ambitions, notre collectivité a pour premier atout sa gestion saine.

« Elle a su préserver un haut niveau d’investissement tout en préservant sa capacité d’autofinancement et d’emprunt. Elle peut à présent mobiliser de l’emprunt sans amplifier excessivement son endettement et comprimer l’autofinancement.

« Il lui est également possible de réorienter un certain nombre de dépenses. Ainsi considérons-nous que les crédits d’investissement facultatifs pour l’enseignement privé ne s’imposent pas. Qu’il est sans doute possible de redimensionner l’aide aux salons, dont on peut raisonnablement douter que l’importance (plusieurs centaines de milliers d’euros cette année) soit suivie d’un retour positif de même ampleur sur notre développement économique. Que l’on peut mieux lier aides aux entreprises et critères sociaux et environnementaux. Qu’un réexamen des aides et soutien aux organismes extérieurs doit permettre d’en améliorer l’utilité et l’efficacité.

« Voilà l’état d’esprit avec lequel nous abordons cette séquence de construction budgétaire, les débats que nous comptons porter, les réponses que nous attendons de nos partenaires de la majorité.

« Pour me résumer, Monsieur le Président, Mes Chers Collègues, il importe que nous délivrions un message fort à nos concitoyens, et que les priorités que nous allons porter permettent à notre Région de poursuivre une action offensive. Au service de l’emploi, du développement économique, de l’aménagement équilibré des territoires, du bien commun et, bien sûr, de l’égalité et de la solidarité. »

Christian_Picquet

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