Retour du congrès de la Gauche européenne

Je suis revenu en France dimanche, après trois jours passés à Madrid où se tenait le IV° Congrès du Parti de la gauche européenne. Malheureusement, le plaisir qu’eussent dû m’apporter trois jours de travail fructueux a été quelque peu altéré par les nouveaux soubresauts qu’aura connus notre Front de gauche à cette occasion. Parce qu’il ne faudrait toutefois pas que les énièmes péripéties du débat franco-français viennent occulter un événement de grande portée à l’échelle de la gauche continentale tout entière, je veux ici traiter principalement des assises du PGE.

Lorsque Gauche unitaire, comme composante fondatrice du Front de gauche, y adhéra (c’était à l’occasion de son congrès de Paris, en 2010), ce parti européen regroupant plus de trente formations nationales – de Die Linke pour l’Allemagne à Syriza en Grèce, du Bloco de Esquerda au Portugal à l’Alliance rouge et verte du Danemark, de Izquierda Unida ou du Parti communiste en Espagne à Rifondazione Comunista en Italie, des partis lointainement issus de la tradition communiste à l’Est aux organisations nées de processus de recomposition de la gauche au Nord… – entrait tout juste dans la maturité. Trois ans plus tard, c’est une construction aux responsabilités élargies qui se sera retrouvée sous le soleil madrilène.

Dans une Europe que le néolibéralisme et le dogme de l’équilibre budgétaire à tout prix ont plongée dans le plus absolu des marasmes, au prix de dévastations sociales et de régressions démocratiques sans précédent depuis la chute des fascismes, alors que les gauches ont payé au prix fort le ralliement des élites sociales-démocrates à l’austérité et à la mise en pièces des « États-providence », de nouvelles forces émergent et se posent, concrètement et non plus seulement théoriquement, la question de la reconstruction à même de rouvrir aux peuples le chemin de l’espoir et de l’émancipation.

L’exemple de Syriza est, à lui seul, éloquent. Tandis que la nation grecque s’est vue saignée à blanc, à coups de « Memorandums », par cette « Troïka » sinistre qui prétend lui façonner un avenir de misère, ce parti bâti à partir de la convergence de diverses traditions est devenu la première composante de la gauche, sur les ruines d’un Pasok auquel les électeurs ne sont manifestement pas disposés à pardonner le bradage auquel il consentit du pays aux banques et aux spéculateurs. Au point d’être donné possiblement victorieux aux élections générales annoncées pour l’an prochain. Dans un contexte pourtant fort difficile, l’échec des vagues successives d’une impressionnante protestation sociale ayant non seulement généré un ressentiment récurrent, mais aussi une angoisse profonde et un doute lancinant sur la capacité du peuple à recouvrer la maîtrise de son destin.

À cinq mois du rendez-vous crucial des élections européennes, le PGE avait à se mettre en ordre de bataille. Il y est parvenu, sans grandes difficultés. En adoptant, d’abord, un document d’orientation politique ainsi que les axes d’un programme commun à tous ses membres. Et, surtout, en faisant de la figure principale de Syriza, Alexis Tsipras, son candidat à la tête de la Commission européenne : de cette manière, et pour la première fois depuis que le Parlement européen est désigné au suffrage universel, la gauche transformatrice pourra mener une bataille unifiée et visible face aux deux mastodontes cogestionnaires de l’européisme libéral que sont le Parti populaire européen et le Parti socialiste européen.

La présence, au congrès, de la secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats atteste, à elle seule, de la place nouvelle qu’occupe le PGE. Que cette centrale, si longtemps intégrée aux arcanes de la construction libérale de l’Europe, au point de ne pas avoir contribué alors aux ripostes qui s’imposaient, en vienne à présent à porter sur les destructions sociales à l’œuvre un regard assez similaire au nôtre (on a, par exemple, vu avec quelle vigueur elle s’était opposée au traité budgétaire), en dit long sur les responsabilités qui incombent aux formations qui entendent relever le drapeau de la justice et de l’égalité.

Ces trois jours de congrès auront donc été particulièrement productifs. Gauche unitaire y aura pris sa part, active autant qu’enthousiaste. Je ne veux pas ici cacher ma fierté d’avoir entendu ma camarade Ariane Gallet défendre, à la tribune, la motion co-écrite avec Syriza qui définit les responsabilités de la Gauche européenne sur le front essentiel d’une jeunesse massacrée par les logiques austéritaires. Ou d’avoir vu mes autres camarades Patrick Auzende et Vincent Boulet s’activer au sein des groupes de travail chargés d’amender les textes et motions finalement adoptés par une large majorité des congressistes. Ou encore d’avoir assisté au travail de Lucile Jamet et Morand Perrin au bureau du congrès (une tâche toujours compliquée dans une réunion internationale de ce type)…

Je le disais en entamant ce papier, la fête aura été quelque peu gâchée, et ses conclusions passablement brouillées, par la décision prise par la délégation du Parti de gauche de suspendre la participation de la deuxième composante du Front de gauche… jusqu’à la fin des municipales françaises. La justification en aura été donnée par une déclaration : ”« La clarté de notre campagne des européennes ne doit pas être mise en danger par la stratégie portée par Pierre Laurent de rejoindre la liste du PS aux municipales à Paris. Rien ne doit venir brouiller le sens politique du vote pour nos listes. Nous décidons donc de suspendre notre participation au PGE jusqu’aux élections municipales. »”

Que le Front de gauche fût partagé sur la tactique électorale dans quelques grandes villes de l’Hexagone, et que le PG reproche au secrétaire national du PCF ses choix à Paris, voilà qui est connu de tous. Cela devait-il amener à transformer cette controverse en onde de choc dans toute la Gauche européenne ? Poser la question, c’est évidemment y répondre. Chacun d’entre vous peut, de surcroît, aisément deviner l’incompréhension des partis adhérents ou observateurs devant un acte aussi fort, contredisant tout ce qui avait été fait au cours des jours précédents. L’appel d’Alexis Tsipras à ce que chacun prenne bien la mesure de la gravité du moment présent en Europe et fasse passer l’intérêt collectif avant les dissensions conjoncturelles, sera pourtant resté sans écho.

J’ajouterai que pas plus le Parti de gauche qu’aucun autre des partis de notre regroupement européen n’aura formulé la moindre critique de la manière dont Pierre aura conduit le mandat qui lui avait été confié en 2010. Et que, en France, ce nouveau coup de théâtre à l’intérieur du Front de gauche sera immédiatement venu apporter de l’eau au moulin des bons esprits qui aimeraient que fût, dans les meilleurs délais, effacée du paysage hexagonal cette réalité qui, depuis presque cinq ans, aura bousculé en profondeur les équilibres de la gauche, jusqu’à l’événement qu’aura représenté la campagne présidentielle menée autour de la candidature collective de Jean-Luc Mélenchon. Mes camarades « pégistes » devraient, à cet égard, méditer la joie gourmande exprimée par Jean-Christophe Cambadélis sur son blog : ”« Jean-Luc Mélenchon a perdu deux batailles en quelques mois : il a échoué dans sa stratégie d’incarner la gauche radicale européenne parce que parlementaire peu assidu, il n’a pas su prendre appui sur la réalité européenne pour la changer au-delà des invectives et c’est le jeune leader de Syriza qui s’est imposé. Il a échoué dans sa tentative de radicaliser le Front de gauche alors que la nature même d’un front consiste à s’élargir. Pourtant, il connaît ses classiques : ‘’Marcher séparément, frapper ensemble.’’ Cela devrait lui rappeler quelque chose. »” Derrière cette mauvaise foi tranquillement affichée, on voit à quel point personne ne gagne jamais à substituer une stratégie de tension, se voulût-elle maîtrisée, au débat politique où tout pourrait être mis sur la table dans l’objectif de trouver une sortie par le haut à une crise qui ne fait qu’exprimer des différences de positionnement face la complexité de la situation française.

Je reviendrai très prochainement sur la situation de notre Front de gauche. Mais je ne veux pas prolonger, à cet instant, cette réflexion afin de ne pas contribuer moi-même à occulter l’importance de ce qui vient de se jouer à Madrid. Éclairage parmi d’autres du débat de stratégie qui se sera déroulé tout au long du week-end dernier, je vous livre ci-dessous le discours que j’ai prononcé devant les congressistes.

MON DISCOURS DEVANT LES CONGRESSISTES

« Chers Amis, Chers Camarades, cela a déjà été dit : notre congrès intervient à un moment historique.

« La globalisation capitaliste rencontre aujourd’hui ses limites. Elle voit s’exacerber les concurrences entre États, ensembles économiques et firmes transnationales pour le contrôle de nouveaux débouchés, de nouveaux marchés. L’Europe se trouve, dans ce cadre, confronté à de nouveaux défis.

« ‘’Défis de civilisation’’ a dit hier notre président, Pierre Laurent. Je partage entièrement cette appréciation. Pour être encore plus précis, ce à quoi nous sommes confrontés, c’est à la crise globale – aux dimensions économique, sociale, écologique, politique mêlées – du nouveau mode d’accumulation du capital.

« Tous nos partis ont, en ce sens, à relever un défi commun : dans quel sens se dénouera cette crise ? À gauche et à l’avantage du camp du travail et des peuples ? Ou bien à droite, si ce n’est très à droite, avec ce à quoi nous assistons partout, à savoir le resurgissement des dérives xénophobes, des populismes réactionnaires, des extrêmes droites et des néofascismes, des haines nationalistes avec leur cortège de menaces pour la paix ?

« Tel est l’enjeu. À un siècle de distance, la grande voix de Jean Jaurès nous inspire toujours, lui qui fut assassiné pour avoir dit que le capitalisme portait en lui la guerre…

« Ne nous dissimulons pas la gravité de ce moment. Parce que les forces d’alternative, dont nous sommes devenus l’expression principale sur le continent, ne sont pas encore perçues comme porteuses de réponses crédibles, c’est la résignation, le désarroi, les tendances au repli qui dominent.

« Certes, la colère des peuples est immense, le rejet d’une Europe de régression est même devenu majoritaire dans la plupart de nos pays. Mais, faute de débouché politique à la hauteur, les mobilisations les plus gigantesques qui ont secoué l’Europe n’ont pu nulle part arracher de victoires. Le doute s’empare, par conséquent, des consciences sur la possibilité même de conduire des politiques transformatrices à gauche.

« La question peut donc se formuler simplement : comment unir le camp du travail et des peuples ? Comment battre l’austérité qui fonde l’alliance de tous les gouvernements, de l’oligarchie de l’Union européenne, de la droite conservatrice dont le chef de file est désormais Madame Merkel ? Comment faire refluer les droites et les extrêmes droites en contribuant à la renaissance de l’espoir en une gauche portant la perspective de gouvernements de salut public, opposant la souveraineté des peuples aux diktats de la ‘’Troïka’’ et aux oukases des ‘’Memorandums’’ ?

« Dit autrement, la question essentielle à laquelle il nous faut collectivement répondre est la suivante : allons-nous être capables de faire, à grande échelle, la démonstration qu’une alternative de gauche n’est pas seulement nécessaire, mais qu’elle est possible, ici et maintenant ?

« Pour y répondre, il nous appartient évidemment de soutenir, de participer, d’aider à l’impulsion de mobilisations larges, populaires, citoyennes. Mais, en même temps, nous n’ignorons pas que le plein déploiement de ces mobilisations, c’est-à-dire la contre-offensive que nous appelons de nos vœux, dépend de l’existence d’une perspective directement politique. D’une perspective qui dessine l’horizon de ruptures crédibles avec le modèle capitaliste, libéral et productiviste. D’une perspective qui ouvre la voie à des solutions majoritaires à gauche et parmi les peuples… des solutions de pouvoir pour le dire autrement.

« Nous avons, pour avancer sur ce chemin, un atout-maître. Cet atout, c’est que le néolibéralisme et l’austérité sont désormais – et partout – rejetés par les populations. Ils tendent même à être minoritaires au sein des gauches européennes.

« Cela nous impose, comme l’ont fait nos camarades de Syriza – dont on ne saluera jamais assez le combat qu’ils mènent, non seulement au service du peuple grec, mais en notre nom à tous -, de ne jamais nous laisser enfermer dans la facilité des logiques incantatoires, des dénonciations stériles, des postures de protestation marginalisantes.

« Il s’impose au contraire à nous de faire mouvement.

« De faire mouvement vers le reste de la gauche politique et sociale, vers tous ceux et toutes celles qui ne se reconnaissent pas, ou ne se reconnaissent plus, dans des politiques d’austérité dont la faillite est patente. De faire mouvement sans frilosité vers celles et ceux qui, comme nous et d’où qu’ils viennent, aspirent à un changement de cap, à une Europe refondée autant que tournée vers les besoins fondamentaux des peuples.

« Pour le dire encore plus précisément, la plupart de nos partis, par-delà des situations fort différentes, ont à trouver une réponse pertinente au problème que représente encore la social-démocratie au sein des gauches.

« Certes, les directions de ladite social-démocratie cogèrent ou appliquent un peu partout l’austérité. Elles en subissent d’ailleurs les sanctions électorales de plus en plus massives. Cela dit, elles conservent simultanément la capacité de bloquer l’émergence d’une alternative de rupture majoritaire à gauche. Ce qui s’avère d’autant plus paradoxal que les partis concernés se voient, dans de très nombreux pays du moins, traversés de soubresauts, de débats aigus. Ce pourrait être d’une aide précieuse pour battre le social-libéralisme qui menace partout la gauche d’une déroute sans précédent depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

« La France en est un reflet. La politique libérale de François Hollande se révèle à présent minoritaire jusque dans son propre parti. C’est si vrai que ses projets de loi seraient mis en échec par sa majorité parlementaire si les institutions ne consacraient pas la prééminence quasi-monarchique du président de la République.

« Le Parti de la gauche européenne doit donc, de notre point de vue, porter une offre publique qui soit de nature à affirmer des mesures d’urgence de nature à rendre l’espoir aux peuples, aux salariés, à la jeunesse.

« Il lui faut, sur cette base, afficher l’ambition de rassembler le camp du travail autant que toutes les composantes de la gauche qui veulent, comme nous, que la gauche soit la gauche. Tout simplement…

« Chers Amis, Chers Camarades, Gauche unitaire, composante fondatrice du Front de gauche en France, a adhéré au Parti de la gauche européenne à l’occasion de son dernier congrès de Paris. Des échanges que nous y avons eus, tout au long des trois années écoulées, nous sommes sortis confortés dans l’idée qu’il revient à notre construction commune la mission d’être à l’initiative d’une démarche d’audace et d’ouverture.

« Une démarche d’audace et d’ouverture pour transformer les rapports de force au sein de la gauche européenne… Pour y rendre dominante l’orientation de radicalité que nous portons… Pour en changer le centre de gravité, c’est-à-dire la refonder dans son ensemble sur de nouvelles bases…

« Faisons donc des documents autour desquels nous travaillons les leviers d’une approche résolument offensive, les leviers d’une volonté commune de mettre dans le débat public, à commencer par celui des prochaines élections européennes, les propositions programmatiques et les initiatives propres à renverser la table. La candidature de notre camarade Alexis Tsipras est, de ce point de vue, à même de faire de notre PGE une force politique visible et attractive à l’échelle de toute l’Europe.

« Amis et Camarades, ceux qui avancent sont ceux qui, non seulement ne renoncent pas, mais savent rassembler.

« Alors, que vive le PGE pour que vive la gauche dans toute l’Europe ! »

Christian_Picquet

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