2014, année Jaurès… Année du sursaut à gauche ?
Traditionnellement, en dépit de leur formalisme compassé et de l’ennui qu’ils dégagent, les vœux présidentiels de la Saint-Sylvestre exposent au pays ce que sera la feuille de route des gouvernants pour l’année suivante. Ceux de François Hollande n’auront pas fait exception à la règle. En l’entendant, la majorité des Français se sera probablement dit que, ayant voté en 2012 pour un candidat socialiste leur promettant le changement, ils avaient finalement hérité d’un prince élyséen tout aussi autiste que ses prédécesseurs. Autiste dans son ignorance de la souffrance de celles et ceux qui n’ont pour vivre que les revenus de leur travail ou les maigres allocations et pensions qu’on leur alloue. Et autiste par son refus obstiné d’entendre les voix, en nombre croissant jusque dans sa propre famille politique, aboutissant au constat identique que son orientation est promise à un échec inévitable.
Ce 31 décembre, le chef de l’État n’aura pas éprouvé le besoin de formuler une seule parole de gauche à l’endroit de ces millions d’hommes et de femmes auxquels il doit d’avoir triomphé de Nicolas Sarkozy. Poussant jusqu’au bout la cohérence de son exercice d’autojustification ”« des choix” (qu’il estime avoir) ”fait pour le pays »”, il sera allé jusqu’à franchir un nouveau pas d’importance dans la concrétisation de la ligne qu’il a lui-même baptisée ”« socialisme de l’offre »”. Ainsi, vite expédiée la commisération que lui inspire le sort des Français en difficulté, ne se sera-t-il adressé qu’aux chefs d’entreprises, d’évidence soucieux de les convaincre des avantages qu’ils allaient retirer, pour l’amélioration de leurs marges, de l’action gouvernementale.
De la proposition d’un ”« pacte de responsabilité »” adressée au seul patronat (pas un mot n’aura été consacré aux revendications du monde du travail et de leurs organisations syndicales) à l’insistance mise sur la réduction de ”« la dépense publique »”, de l’engagement pris de ”« baisser les impôts »” à la stigmatisation ahurissante des ”« excès »” ou ”« abus »” de la Sécurité sociale, sans parler de la relation établie entre la simplification promise des actes administratifs et ”« la création d’entreprises »” ou encore ”« le développement de l’investissement »”, c’est un programme de stricte facture libérale qui aura été décliné.
Comme si ledit ”« pacte de responsabilité »” pouvait mécaniquement entraîner la création d’emplois ou la reprise des investissements, dès lors que les débouchés se rétractent du fait d’un contexte récessif – pour ne pas dire déflationniste -, et que la rémunération des actionnaires ponctionne une part croissante des bénéfices des entreprises. Comme si c’était leurs cotisations aux mécanismes de protection collective qui empêchaient les employeurs de concourir à l’intérêt général, et non le déploiement de logiques financières de court terme. Comme si l’Hexagone souffrait d’abord d’une fiscalité hypertrophiée, plutôt que de la répartition toujours plus injuste de l’impôt, à l’avantage des privilégiés de la naissance et de la fortune.
Il n’y aura bientôt plus que le locataire de l’Élysée pour croire que les choix exposés aux dernières heures de 2013 sont de nature à relancer la machine économique, à interrompre la spirale fatale des plans de licenciements ou du déchirement du tissu industriel de la France, à améliorer les conditions d’existence de sa population. L’austérité budgétaire, les coupes claires effectuées dans les dépenses de l’État au prix de l’étranglement aggravé des services publics et des collectivités territoriales, l’obnubilation de satisfaire la moindre des exigences des possédants, les cadeaux fiscaux consentis aux entreprises et compensés par un matraquage sans précédent des classes moyennes et populaires (il est remarquable que, dans son allocution de fin d’année, le président de la République n’ait pas un instant songé à regretter l’augmentation de la TVA, pourtant censée entrer en vigueur quelques heures plus tard) s’avèrent au contraire génératrices de stagnation, de chômage, de précarité, d’accroissement des déficits et donc de l’endettement du pays, bref d’angoisses accrues devant l’avenir. Tout en fait foi, de l’incapacité de l’équipe au pouvoir d’honorer sa promesse d’”« inversion de la courbe du chômage »” à la situation d’une Europe que l’orthodoxie néolibérale saigne à blanc…
Ne pouvant décemment occulter l’état de désespérance qui gagne une population à laquelle on ne cesse de demander des sacrifices quand la finance et les grands groupes ne se sont jamais mieux portés, François Hollande n’aura pas hésité à conclure sa péroraison sur ces mots : ”« Plus que jamais, il faut aimer la France. Rien n’est pire que le dénigrement de soi. »” Chaudement approuvé par l’éditorialiste du ”Monde” qui, le lendemain, écrivait : ”« Il n’est jamais souhaitable de voir le sentiment de déclassement l’emporter. »” Certes… Sauf que des phrases ronflantes n’ont jamais pu servir de substitut à la visée historique, au projet porteur de progrès et de justice, au ”« récit collectif »” comme l’appelle la ”novlangue” des élites lorsqu’elles ne peuvent plus donner le moindre contenu au principe d’égalité républicaine consubstantiel à l’identité française. En l’occurrence, en oubliant jusqu’aux virgules de son discours du Bourget, le premier personnage de nos institutions n’a plus qu’un horizon de régression à offrir au peuple.
L’aveuglement de l’équipe au pouvoir nous mène décidément à une catastrophe dont risquent, hélas, de profiter une droite extrémisée et un Front national qui se sent pousser des ailes. Aussi, le seul vœu que je puisse formuler, avec mes amis de Gauche unitaire et du Front de gauche, est-il que 2014 soit l’année du sursaut à gauche. Du basculement du rapport des forces en faveur de ceux d’en bas…
Tant qu’il en est encore temps, il importe par conséquent que toutes les énergies disponibles se conjuguent, dans leur diversité, pour mettre au pas la finance, faire le choix de la relance et de l’investissement productif, permettre au plus grand nombre de conquérir de nouvelles avancées sociales. Ce qui implique, plutôt que d’annoncer des initiatives prises conjointement avec Madame Merkel, comme l’aura fait François Hollande le 31 décembre, que l’on sorte du carcan d’un traité budgétaire condamnant l’Europe entière au recul social et au délitement démocratique. Pour le dire autrement, c’est une autre majorité et un autre gouvernement qu’il devient urgent de faire émerger. Au service, cette fois, d’une politique de gauche…
Et puisque l’on s’apprête à commémorer le centième anniversaire de l’assassinat de Jaurès, que l’on me permette de conclure cette première chronique de l’année en empruntant cette phrase à la grande figure de l’unité du socialisme français : ”« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’espoir. » ”