L'”accération” présidentielle, ou la rupture avec la gauch
Ce mardi 14 janvier, François Hollande nous a tenu un discours de stricte facture libérale. Dans le droit fil de ses vœux aux Français, au soir de la Saint-Sylvestre, et en revendiquant l’accélération de la politique qu’il suit au sommet de l’État, depuis qu’il décida de suivre les « recommandations » du rapport Gallois et d’accorder 20 milliards de cadeaux fiscaux aux entreprises, au titre du crédit d’impôt compétitivité-emploi, sans la moindre garantie ni contrepartie.
Le président de la République a bien pu, dans sa conférence de presse, se revendiquer d’un grand ”« compromis social »”, toutes les mesures énoncées par lui, au nom de la nouvelle invention conceptuelle de l’instant, le Pacte de responsabilité, sont destinées au seul Medef. Moins de mise à contribution du patronat à l’intérêt général, jusqu’à l’exonérer totalement des cotisations familiales pour un montant de 30 milliards d’euros à l’horizon de 2017, moins de dépenses publiques, avec la promesse de 50 milliards de coupes claires dans le budget de l’État, moins de règles juridiques contraignantes pour les entreprises, en vertu d’une prétendue simplification administrative : on aurait cru entendre Nicolas Sarkozy.
En prime, il nous aura été annoncé deux objectifs lourds de menaces pour les populations. D’abord, la réorganisation de la Sécurité sociale en fonction de normes essentiellement comptables, ce qui dessine moins de protection et un droit à la santé fort entamé pour les salariés et les chômeurs. Ensuite, le remodèlement de l’architecture territoriale du pays, avec une concentration accrue des pouvoirs au profit des métropoles et des Régions (dont il est préconisé la fusion) et une mise en concurrence des collectivités territoriales dans une logique libérale qui démantèle l’indivisibilité de la République, ce qui entraînera inévitablement l’affaiblissement de la capacité de ces institutions à remplir leurs missions au service des populations, ainsi qu’un éloignement accru des citoyens envers les lieux de décision.
Je sais bien que l’auteur du discours du Bourget aura tenu à expliquer avec force qu’il n’est pas devenu un libéral puisque c’est à l’État qu’il confie la charge d’exécuter ses décisions. Pure habileté rhétorique ! Car c’est précisément la marque d’une pensée libérale parvenue à ses limites historiques que de vouloir mettre les moyens régaliens de la puissance publique au service d’un marché libéré de toute réglementation, de tout respect de normes sociales protectrices du plus grand nombre, de tout contre-pouvoir politique. L’Allemagne en aura été le laboratoire et c’est cet « ordolibéralisme » qui aura inspiré, jusqu’à nos jours, les orientations de ses gouvernants…
Tout cela n’a rien à voir avec ce pour quoi les Français ont voté en 2012. Non seulement l’accélération dont se prévaut François Hollande annonce un désastre pour notre peuple, mais elle conduit le pays dans le mur.
Tout en fait foi, en particulier chez nos voisins, l’austérité, la réduction obsessionnelle de ce que le gouvernement désigne désormais comme des coûts, les coupes claires effectuées à la hache dans les dépenses sociales ne peuvent qu’entretenir les tendances récessives déjà à l’œuvre, donc le chômage et la précarité, au prix de déficits maintenus ou accrus et, au final, d’un endettement qui ne diminuera pas.
Il est de bon ton, ici, de louer le bilan d’un Tony Blair ou d’un Gerhard Schröder dont les exemples inspirent manifestement le président de la République. C’est cependant oublier que, l’un comme l’autre de ces « modernisateurs » de la social-démocratie, s’ils ont à leur actif d’avoir amplement largement démantelé l’État social dans leurs pays respectifs, n’ont nullement sorti ces dernier d’une crise structurelle qui est avant tout celle d’un capitalisme financiarisé comme jamais.
Ce n’est, à cet égard, pas le coût prétendu du travail qui rend la France exsangue, c’est le coût du non travail. Ce n’est pas d’une fiscalité excessive que souffrent les Français, c’est d’un impôt injuste, fort bien symbolisé par cette TVA dont l’augmentation vient tout juste d’être décidée, pénalisant un peu plus ceux qui ont le moins pour vivre et dont le chef de l’État n’a pas soufflé mot lors de sa conférence de presse. Ce n’est pas ”« l’abus »” de Sécurité sociale qui conduit les entreprises à ne pas investir et à multiplier les plans de licenciements, ce sont l’inexistence de débouchés suffisants – consécutive à l’asphyxie d’une économie percutée par l’austérité – et les logiques de rentabilité à court terme qu’impose la finance.
Ce 14 janvier, le chef de l’État aura rompu les ponts avec la gauche, et même avec son propre parti. Il n’est pour s’en convaincre, que de constater à quel point le Medef et la droite se réjouissent. Ce sont toutes leurs exigences auxquelles un gouvernement censé être de gauche donne satisfaction, et c’est leur politique qui triomphe. ”« Enfin ! »”, s’est écriée Madame Parisot à propos de l’exonération intégrale des cotisations familiales, qui va mettre en pièces tout un pan de la protection sociale telle qu’elle fonctionnait depuis la Libération. Et l’éditorialiste du ”Figaro”, Guillaume Tabard, de formuler une analyse impeccable (eh oui ! l’adversaire fait souvent preuve de plus de clairvoyance qu’une large partie de notre camp) des objectifs de l’Élysée :” « Au rassemblement de toute la gauche, François Hollande privilégie la ‘’triangulation’’, cette tactique consistant à aller chasser sur les terres de l’adversaire afin de le priver d’espace et d’arguments. Autrement dit, il cherche à embarrasser l’opposition plutôt qu’à fédérer la majorité ; à semer la discorde à droite plutôt qu’à favoriser la concorde à gauche. »” Et le même d’ajouter : ”« Hollande a été jusqu’à soutenir que ce qui le distinguait de Sarkozy était moins les mesures qu’il proposait que sa détermination à les mettre en œuvre. »” Tout est dit…
De ce point de vue, ce n’est pas seulement pour s’affranchir des lenteurs de la procédure parlementaire que François Hollande aura annoncé, dès le 31 décembre, qu’il entendait gouverner par ordonnances ou décrets, et que, devant les journalistes, il aura fait part de sa volonté d’engager la responsabilité du gouvernement sur une politique de « l’offre » désormais ouvertement revendiquée. C’est pour mettre sa majorité au pied du mur, la contraindre au soutien, museler tous ceux que cette orientation rebute (ils sont, à l’évidence, de plus en plus nombreux) et les avertir que, faute de se soumettre, ils seront jetés hors de la gauche gouvernante.
Comme nombre de parlementaires, d’élus ou de militants socialistes et écologistes, en entendant celui qu’ils ont élu, des millions d’hommes et de femmes de gauche se seront certainement sentis trahis. Tous ceux-là, dans leur diversité, sans qu’il leur soit demandé de comptes sur leurs engagements passés, doivent se rassembler au plus vite afin d’imposer une politique radicalement inverse à celle qui vient d’être exposée devant le pays.
Une politique au service de l’investissement et de la relance économique, dont une dépense publique saine et responsable est, aujourd’hui autant qu’hier, le seul moteur possible. Une politique qui, pour rendre des marges de manœuvre à la puissance publique, doit faire souffler sur notre Hexagone le grand vent de la justice devant l’impôt, en osant enfin s’en prendre aux profits financiers, aux dividendes des actionnaires, aux revenus de la spéculation, aux innombrables milliards évaporés dans les paradis fiscaux. Une politique qui, pour initier une véritable reprise de l’activité, doit favoriser la demande, autrement dit redonner du pouvoir d’achat aux salariés et aux retraités. Une politique qui, pour relever ces défis colossaux, doit impérativement s’extraire du carcan de l’austérité, ce qui passe, pour une France de gauche, par la décision de suspendre l’application d’un traité budgétaire aussi socialement calamiteux que synonyme d’impasse dramatique.
Le temps est compté. Car c’est d’une débâcle totale, économique, sociale, politique, que nous menace le premier personnage de l’État…