Pour clarifier les débats du Front de gauche (3)

Depuis les élections européennes, ”Marianne.fr” a ouvert un débat dans ses colonnes sur l’avenir du Front de gauche. Y ont, entre autres, participé Aurélien Bernier, qui défend l’idée que notre convergence aurait échoué faute d’avoir pris le virage de la défense de la souveraineté nationale et de la rupture avec l’euro, Jack Dion, l’un des éditorialistes réguliers de l’hebdomadaire, ou Pierre Khalfa, d’Ensemble. J’ai voulu, à mon tour, m’inscrire dans cet échange, afin d’y faire valoir un autre point de vue et relier les questions abordées à la réflexion stratégique qui se mène aujourd’hui au sein de notre espace. J’ai intitulé cette tribune : « Le Front de gauche doit retrouver son ambition majoritaire. » Dans la continuité des deux précédentes notes, je vous la livre ci-dessous.

« Puisque ”Marianne” ouvre largement ses colonnes au débat sur le devenir du Front de gauche, ce dont ont doit remercier sa rédaction, qu’il me soit permis d’y apporter ma pierre, en ma qualité de cofondateur du Front de gauche.

« Aurélien Bernier a raison sur un point : il nous faut changer, sous peine de voir la dégringolade des européennes nous mener à une marginalisation aussi irréversible que celle de l’extrême gauche. Mais, si notre campagne a totalement raté sa cible, ce n’est pas parce qu’elle aurait esquivé l’épineux problème de l’euro, ni parce qu’elle se serait dérobée à la « rupture avec la mondialisation ». Au contraire, pourrait-on dire, puisque les deux objectifs associés de la « rupture » avec l’Union européenne telle qu’elle est et de la ”« désobéissance »” à ses directives l’opposaient clairement à un modèle néolibéral épuisé.

« L’erreur du Front de gauche aura plutôt résidé dans la grande abstraction de sa bataille en faveur d’une « refondation » (et non d’une « réorientation ») de la construction européenne. Pour le dire plus précisément, s’il n’a pas retrouvé et prolongé, dans un scrutin dont l’enjeu était au fond la place de la France dans l’Europe, la dynamique ascendante de sa campagne pour la présidentielle, c’est du fait de son incapacité à prendre à bras-le-corps la crise d’identité que traverse le pays.

« Sur un autre support médiatique, Roger Martelli aura eu un mot très juste à cet égard, en disant que ”« la force du Front national vient aussi de ce qu’il développe un récit sur la France »”. Effectivement ! La globalisation marchande et financière vient percuter ces cadres de la vie en commun et de l’exercice démocratique que sont, pour chaque peuple, les nations. La souveraineté de celles-ci, et la souveraineté populaire qui en est indissociable à cette étape historique, s’en retrouvent systématiquement bafouées. L’Hexagone subit d’autant plus violemment cette tourmente que se trouvent mis en cause les fondements de son identité républicaine, la passion de l’égalité qui anime toujours ses citoyens, l’attachement viscéral de ces derniers à des politiques publiques protectrices.

« Pour apparaître utile à un peuple de gauche dont la défiance va croissante envers un gouvernement emporté par sa fuite en avant libérale, le Front de gauche eût donc dû s’afficher en défenseur intransigeant de l’État social, et décliner à partir de là quelques exigences à même de rassembler très largement… Jusqu’au cœur de cet électorat socialiste et de cette gauche dans toute sa diversité dont on a trahi les attentes de changement et de renégociation du traité budgétaire Merkozy.

« Force est à présent de le constater, l’extrême droite ne rencontre pas d’adversaire à gauche pour tenter de l’empêcher de se nourrir de la crise française. Elle peut, dès lors, proposer à cette dernière l’horizon de ce projet de remodèlement ethnique de notre société que recouvre la « préférence nationale ». Et rien ne vient s’opposer à elle lorsqu’elle se prétend l’héritière de l’exigence républicaine… pour mieux la dévoyer en ensevelissant le principe d’égalité sous des pelletées d’hystérie identitaire.

« Le défi est à cette échelle. C’est la raison pour laquelle je ne saurais partager, avec Pierre Khalfa, les explications auto-rassurantes selon lesquelles la percée lepéniste du 25 mai serait principalement la résultante de l’abstention du peuple de gauche, par ailleurs tout à fait réelle, et de la désignation de l’immigration comme ”« bouc-émissaire de la désintégration sociale »”. Nous n’en sommes, hélas, plus là. Un seuil qualitatif a été franchi dans la marche au pouvoir d’une force dont la stratégie n’est pas sans similitudes avec celles des fascismes de l’Entre-Deux guerres, lorsqu’ils entreprirent de disputer aux gauches et aux mouvements ouvriers de l’époque l’influence sur les classes travailleuses.

« J’en tire, pour ma part, la conclusion qu’il s’impose au Front de gauche de changer son regard sur la France. Cette nécessité en rejoint d’ailleurs une autre, objet du débat qui vient de s’ouvrir entre ses composantes. Il y a urgence pour lui à retrouver l’ambition majoritaire qui l’inspirait à sa création. Donc, à sortir de ce qui l’a rendu inaudible des Français, ces logiques de proclamations et de vitupérations impuissantes, cette illusion suicidaire qu’il pourrait être à lui seul un recours dans un pays au bord du précipice.

« Faire refluer le national-lepénisme, c’est d’abord donner à voir que l’espoir peut de nouveau venir de la gauche. C’est afficher une perspective de reconstruction et de refondation de cette dernière. C’est, comme en tous les moments cruciaux de l’histoire, savoir déployer une stratégie d’unité sur un programme porteur d’espoir. Cela suppose de s’adresser à cette majeure partie du camp progressiste, de ses électeurs comme du peuple de ses militants et de ses élus, que l’austérité des gouvernants désoriente et démobilise. À l’aune du rejet dont les choix du président de la République font l’objet, jusque dans son propre parti, est à l’ordre du jour un nouveau rassemblement de la gauche pour une nouvelle majorité politique. Où le rose, le vert et le rouge uniraient leurs nuances au service d’un changement radical de cap ! »

Christian_Picquet

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