Pour clarifier les débats du Front de gauche (4)

Comme les autres « premiers responsables » des formations de gauche, j’ai reçu début juin un courrier d’Emmanuelle Cosse. Une initiative importante et très positive. Même si la secrétaire nationale d’Europe écologie-Les Verts aura également adressé sa missive au Modem ou à Cap 21, lesquels avaient appelé à voter en faveur de François Hollande en 2012, elle ne se sera en effet pas contenté d’exhorter à la reprise d’un dialogue quasiment inexistant depuis l’accession aux manettes de l’actuelle équipe gouvernante, ni de disserter sur le nécessaire retour à des pratiques unitaires.

Elle aura d’emblée fixer un cap destiné à inverser les tendances lourdes qui menacent aujourd’hui le pays du pire : ”« À crise exceptionnelle, notre devoir est d’apporter des réponses exceptionnelles. En tant que responsables politiques, nous devons relancer le débat public et le dialogue, renouer avec la société, valoriser le pluralisme politique et la convergence des luttes. Les racines du changement existent dans l’ensemble de nos mouvements. Mettons-les en commun pour sortir de l’impasse. »”

Énumérant les urgences du moment – la ”« relance de l’emploi dans notre pays et en Europe »”, associée à la ”« transition écologique de l’économie »,” ou bien encore la ”« restauration de la confiance dans la démocratie »”, laquelle pose la question cruciale de la ”« refondation de la République »” – Emmanuelle Cosse achevait sa lettre sur ces mots : ”« Je vous propose que nous travaillons ensemble, dans le respect des particularités et des idées de chacun, afin de trouver des convergences et de formuler ensemble des propositions concrètes. Il ne s’agit pas de reconstruire des alliances politiciennes, de simples accords d’appareils politiques. Le sursaut dont nous avons besoin va au-delà des partis politiques. Ce n’est pas avec une gauche plurielle réchauffée que nous retrouverons le souffle nécessaire pour redonner l’espoir, mais par l’action et la démonstration que la politique peut encore être utile aux Français. En prenant une initiative commune pour formuler publiquement des propositions au gouvernement et au président de la République, nous pouvons montrer qu’il n’y a pas de fatalité et que nous prenons la mesure de la gravité des crises qui touchent notre civilisation. Nous partageons le refus de l’immobilisme et l’envie d’agir pour changer le réel. De ce point de vue, faisons émerger le vrai changement. »”

Inutile de dire que, pour notre Gauche unitaire, une pareille approche appelait une réponse débarrassée de toute considération protocolaire, pour entrer dans le vif du débat sur la construction d’une nouvelle majorité politique à gauche. C’est, par conséquent, le sens de la lettre que j’ai, à mon tour, adressée à l’amie Emmanuelle. Que ce courrier fût, ici, reçu comme le premier des travaux pratiques du changement d’orientation, qu’avec mes camarades, j’appelle de mes vœux au Front de gauche. Bonne lecture.

LE BUREAU NATIONAL DE GAUCHE UNITAIRE
À EMMANUELLE COSSE, SECRÉTAIRE NATIONALE D’EUROPE ÉCOLOGIE-LES VERTS

« Madame la Secrétaire Nationale, Chère Emmanuelle, Nous avons bien reçu votre courrier en date du 3 juin, et nous vous en remercions d’autant que nous partageons nombre des préoccupations d’Europe Écologie-Les Verts.

« Comme vous, nous constatons que notre pays est entré dans la zone des tempêtes. À l’immense souffrance sociale dont les élections municipales et européennes ont permis de mesurer la profondeur, correspond dorénavant une crise politique majeure. Sur fond de désorientation et de découragement de millions d’hommes et de femmes, lesquels se sont traduits par une abstention massive en mars et mai, le Front national vient de franchir un seuil qualitatif dans sa marche vers le pouvoir. Il se trouve maintenant en mesure de disputer au camp progressiste l’influence qui faisait la force de ce dernier auprès de l’électorat populaire et de la jeunesse.

« Un nouveau 21 Avril menace, en pire car, à en juger par les dernières déroutes électorales et par celles qui pourraient pointer à l’horizon si rien n’est fait pour inverser la tendance, la gauche risque d’en sortir durablement marginalisée. Pour ne pas dire détruite pour de longues années…

« Ainsi que vous l’indiquez, la responsabilité de la débâcle qui menace de nous emporter tous revient en premier lieu à la politique mise en œuvre au sommet de l’Etat depuis deux ans.

« Nous pouvons en mesurer chaque jour les conséquences. Dans la remise en cause de conquêtes durement arrachées par nos anciens ; dans la totale soumission aux règles imposées à la société par les banques et les fonds d’investissement ; dans une rupture sans précédent entre le peuple et ceux qui sont censés le représenter ; dans le développement des tendances aux replis individualistes ; dans le recul sans cesse plus marqué du principe d’égalité sous les assauts d’une hystérie identitaire qui ne trouve pas ses soutiens qu’à droite ou à l’extrême droite. Les municipales et les européennes sont, de ce point de vue, un signal d’alarme : la gauche tout entière se trouve au seuil d’une défaite globale, politique, sociale, idéologique, culturelle.

« Dit autrement, non seulement la politique de ‘’l’offre’’ ne saurait ouvrir le chemin à une relance humainement utile et soutenable, non seulement elle se révèle contradictoire avec la conversion écologique de l’économie autant qu’avec la conquête des nouveaux droits espérés des citoyens qui se prononcèrent pour le changement au printemps 2012, mais elle place la France et la République au bord du précipice.

« IL Y A DONC URGENCE À ORGANISER LE SURSAUT. D’AUTANT QUE C’EST AUJOURD’HUI LA MAJEURE PARTIE DE LA GAUCHE QUI REFUSE DES CHOIX DÉSASTREUX AUTANT QUE PROMIS À L’ÉCHEC. Les déclarations ou initiatives des uns ou des autres en attestent : par-delà nos différences et nos histoires, que nous nous référions aux traditions socialiste et écologiste ou que nous soyons porteurs des combats de la gauche anti-austérité, nous nous retrouvons sur des propositions qui, mises en cohérence entre elles, dessinent une possible visée alternative.

« Bien sûr, nous ne sommes pas d’accord sur tout, loin s’en faut. Cela dit, la moindre de nos convergences n’est pas la certitude qui nous anime désormais qu’il n’y aura pas de sortie de la crise où nous a plongés un capitalisme cupide sans faire de l’exigence écologique une priorité absolue. Comme vous l’écrivez à juste titre, il ne sera pas de réorientation économique viable, ni de créations des millions d’emplois indispensables sans que l’humain reprenne le pas sur la finance et sans que commence à émerger un nouveau modèle de développement.

« Dans ce cadre partagé, nous nous prononçons, les uns et les autres, pour que soit privilégiée une dépense publique réorientée en direction de l’investissement, d’une réindustrialisation étroitement associée à la transition énergétique et écologique, des besoins populaires en services publics de qualité. Nous défendons la nécessité de redonner à l’État les moyens d’une action volontaire, juste et ambitieuse, grâce à une fiscalité qui cesserait de se dérober à la mise à contribution des revenus de la finance et de la spéculation. Nous disons qu’il faut libérer le crédit et l’aide aux petites et moyennes entreprises de la logique du rendement financier de court terme inspirant le système bancaire. Nous pensons indispensable de redynamiser la consommation des ménages, en augmentant le pouvoir d’achat des salaires et des retraites. Nous considérons qu’il n’est pas acceptable d’appliquer plus longtemps les absurdes préconisations d’un traité budgétaire enfermant la France et l’Europe dans le marasme et la régression sociale. Nous portons l’objectif d’une citoyenneté régénérée, étendue et délivrée du carcan du présidentialisme et d’une V° République à bout de souffle. C’est déjà beaucoup !

« Vous l’avez compris à l’énoncé de ces quelques points, le problème ne nous paraît pas de rechercher des convergences avec l’aile de la droite qui se revendique du ‘’centrisme’’, mais de renouer le lien rompu avec les aspirations ayant permis de débarrasser le pays du sarkozysme. En d’autres termes, de rassembler de nouveau la gauche et les écologistes sur une grande ambition transformatrice qui réveillera l’espoir au cœur de notre société.

« NOUS EN SOMMES, QUANT À NOUS, CONVAINCUS, IL EST DEVENU POSSIBLE D’IMPOSER UN CHANGEMENT DE CAP À LA TÊTE DU PAYS, À LA CONDITION QUE NOUS AYONS LA VOLONTÉ D’UNIR LA GAUCHE SUR UN DESSEIN COMMUN. Nous pensons même, mais d’autres le disent également, qu’une nouvelle majorité, rose-vert-rouge, est maintenant à l’ordre du jour, et que son affirmation serait très certainement le meilleur des antidotes aux poisons mortels de la haine, des exclusions, des inégalités sociales et des fractures territoriales qui se répandent dans le corps social. Une nouvelle majorité qui mette donc François Hollande et Manuel Valls en minorité et impose une autre politique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous proposons que toutes celles et tous ceux qui y sont d’ores et déjà prêts travaillent ensemble à la réunion d’un sommet de la gauche pour sortir enfin des impasses du libéralisme et du productivisme.

« Vous indiquez encore, Chère Emmanuelle, qu’il ne s’agit pas de nous limiter à des échanges d’états-majors, ni à des accords d’appareils. Nous en sommes parfaitement d’accord. Le but doit bien être d’enclencher une dynamique de remise en mouvement de notre peuple.

« Notre propre démarche se fonde, à cet égard, sur une conviction : à l’heure où ce pays vit de nouveau à l’heure des plus graves périls, il n’est pas de réponse à la hauteur sans unité des forces vives de la gauche et de l’écologie politique. Unité sur un contenu en rupture avec le modèle néolibéral, seul à même d’autoriser une indispensable contre-offensive, et unité qui associe forces sociales comme mouvements citoyens. Un peu à la manière dont le Front populaire, à son époque, trouva l’élan qui conduisit aux grandes et belles conquêtes dont nous sommes toujours les héritiers…

« Nous ne pouvons donc qu’accueillir favorablement votre proposition de ”‘’débats publics visant à aborder les chantiers qui nous semblent primordiaux’’”, dans le but d’aboutir à ”‘’de larges convergences’’” et de prendre sur cette base une initiative interpellant publiquement le président de la République et le gouvernement.

« À votre disposition, Madame la Secrétaire Nationale, Chère Emmanuelle, pour une prochaine rencontre qui nous permettra de poursuivre cette réflexion, d’approfondir les convergences qui s’amorcent, et de construire un grand rassemblement prometteur.
Je vous prie de croire en mes plus amicales salutations. »

Christian PICQUET,
Pour le bureau national de Gauche unitaire

Christian_Picquet

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