L’unité à gauche est possible contre l’austérité
Quelque chose peut-il arrêter la surenchère antisociale du couple exécutif ? Oui, sans l’ombre d’un doute… Mais ce n’est manifestement pas la conscience, qui se ferait jour chez lui, que sa politique s’avère tout à la fois une impasse économique et la promesse d’un hara-kiri vers lequel il emmène ses propres partisans, son parti et l’ensemble de la gauche.
La dernière semaine vient d’en administrer l’imparable démonstration. Il aura, en effet, suffi que les représentants coalisés du patronat, Pierre Gattaz en tête, enjoignent dans le ”Journal du dimanche” le gouvernement d’inclure dans la loi les promesses du « pacte de responsabilité » sur une baisse des cotisations sociales et de la fiscalité des entreprises, menaçant de surcroît d’un boycott la conférence sociale des 6 et 7 juillet, pour que le Premier ministre aille au-delà de leurs exigences. Dans une interview retentissante aux ”Échos”, il les aura assurés de sa volonté de ”« rendre le fonctionnement de l’économie plus simple, plus efficace… »”, ajoutant significativement : ”« Que me disent les chefs d’entreprise ? Ils me disent” ‘’Baissez le coût du travail, continuez sur la voie qui est la vôtre’’”. »” En vertu de quoi, il aura annoncé le report partiel de l’application du compte pénibilité issu de la contre-réforme des retraites de 2013, et confirmé la possible suspension des seuils sociaux définissant les obligations des employeurs en matière de droits des travailleurs à l’entreprise. Cette mesure dessinant, au demeurant, une refonte du code du travail que le patronat appelle depuis longtemps à « alléger » drastiquement.
Ne nous arrêtons pas, plus longtemps que nécessaire du moins, sur l’absurdité de cette logique de « l’offre ». Logique de « l’offre », qui consiste à redistribuer la richesse en direction du capital dans l’espoir que cela finira par amener les grands patrons à investir (alors qu’ils ne le font que si les carnets de commande se montrent prometteurs), et qu’il ne faut évidemment pas confondre, ainsi qu’on le fait délibérément sur bien des plateaux de télévision, avec l’aide à laquelle la puissance publique peut et doit consentir pour aider les PME ou les secteurs industriels en difficulté.
Il suffit, pour trouver confirmation de l’impasse du choix gouvernemental, de se reporter à un tout récent ouvrage de deux économistes ultralibéraux, Jean-Hervé Lorenzi et Mikaël Berrebi, intitulé ”Un monde de violences”. Ils soulignent, par-delà l’exposé du dogme néoclassique qui les inspire, que les pays développés ont consacré 20% seulement de leur produit intérieur brut à l’investissement en 2013 (contre 23% en 1990), tandis que le ”« shadow banking »” (la finance dérégulée, pour faire vite) aura la même année atteint la somme faramineuse de 13 000 milliards de dollars d’actifs. L’impitoyable mécanisme d’un capitalisme n’obéissant plus qu’à la recherche d’un rendement financier de court terme ressort de ces chiffres, et il fait apparaître à quel point c’est une pure illusion d’imaginer qu’il suffirait de satisfaire la soif inépuisable de rémunération des actionnaires pour faire redémarrer la machine économique.
Mesurons donc plutôt la dimension pratique, autant que le symbole, des déclarations de Manuel Valls. Il restait peu, dans la mouvance syndicale, de confédérations disposées à l’accompagner dans son œuvre destructrice (de ces fameuses ”« conquêtes »” et ”« positions acquises »” qu’il vient de fustiger, devant 150 partisans, dans son discours de Vauvert, pour exalter la ”« réforme »” qui doit passer sur la France, quelles qu’en soient les conséquences). Elles viennent, à l’instar de la CFDT, de recevoir le camouflet le plus humiliant qui se pût imaginer. Elles avaient, l’an passé, accepté de ratifier un énième report de l’âge du départ à la retraite, pour obtempérer aux injonctions des gardiens de l’austérité européiste, en contrepartie de ce fameux compte censé prendre en considération les professions pénibles. C’est précisément ce que l’hôte de Matignon aura froissé tel un chiffon de papier, un an à peine après que le président de la République ait vanté devant le pays son sens du « dialogue social ».
C’EST MONSIEUR GATTAZ QUI GOUVERNE
Décidément, ce clan gouvernant restera dans l’histoire de la gauche comme celui qui n’aura rien fait avancer en matière de progrès et de justice pour le plus grand nombre, détruisant au contraire plus de protections collectives que les équipes de droite avant lui. Pire, il se sera même trouvé un ministre, celui de l’Économie et des Finances pour ne pas le nommer, pour théoriser sur le fait que lui et ses amis étaient les «” amis »” de la finance (la ”« bonne finance »”, cela va sans dire…) et l’ennemi… de la dépense publique (par définition mauvaise à ses yeux). Chapeau les artistes ! À l’inverse, les classes dirigeantes n’ont qu’à se louer qu’on leur cède ainsi sur tout, sans même qu’elles aient besoin de formuler en retour le moindre signe de reconnaissance. C’est à peine si le numéro un du Medef aura daigné saluer la révérence vallsienne d’un : ”« Le dialogue social est à nouveau possible. »”
Point de doute possible, c’est désormais Pierre Gattaz qui préside aux destinées de la France, et les éminences ministérielles, initialement élues pour contenir l’âpreté au gain des siens, ne sont plus que ses fondés de pouvoir. N’était-elle pas, en ce sens, des plus éloquentes, ces images de la conférence sociale de ce début juillet, où les sièges des organisations représentatives d’une majorité du salariat restaient désespérément vides, tandis que les dignitaires patronaux plastronnaient devant les caméras ?
Un seul élément peut maintenant faire bifurquer le cours ces choses : l’insurrection des consciences à gauche. François Hollande et Manuel Valls n’infléchiront pas leur ligne de conduite, prêts à sacrifier tout ce qui leur a permis d’arriver où ils sont, dans l’attente chimérique – je devrais plutôt parler de pensée magique – que la tendance économique finira par se retourner, provoquant un début de reprise et ”« d’inversion »” de la courbe du chômage. Sauf que… Un rapport de Bercy a récemment anticipé sur les résultats de cette démarche, concluant que ses objectifs ne seraient jamais atteints, le « pacte de responsabilité » conduisant à la destruction de 60 000 emplois à l’horizon de 2017. Et la Cour des comptes elle-même vient d’alerter sur la baisse des rentrées fiscales de l’État, ce qui ne fait que traduire une contraction de la demande réduisant les rentrées de TVA. Chaque nouvelle étude vient, par ailleurs attester que les restrictions budgétaires entraînent l’accroissement du déficit, et donc de l’endettement, de la puissance publique… alors qu’elles sont officiellement destinées à les résorber.
Le mouvement social, quant à lui, butte encore et toujours sur la difficulté d’arracher des succès dans un rapport de force défavorable au monde du travail. Les cheminots se sont battus pour le service public ferroviaire, les intermittents du spectacle poursuivent courageusement leur action en faveur du droit à la culture, d’innombrables luttes se mènent d’un point à l’autre du territoire. Il n’en manque pas moins une perspective politique qui redonnerait au plus grand nombre l’envie de se battre, par la conviction qu’elle créerait qu’il est de nouveau possible de peser sur le cours des choses.
OUI, UNE NOUVELLE MAJORITÉ ROSE-VERT-ROUGE DEVIENT ATTEIGNABLE
Dès lors, la partie qui s’est engagée, à l’Assemblée nationale, entre les socialistes « frondeurs », avec le soutien des écologistes et du Front de gauche, et l’équipe ministérielle, se révèle décisive. Elle ne va pourtant pas sans embûches. La direction de leur groupe parlementaire ne recule devant aucun chantage, y compris celui de leur éviction. Hors du Palais-Bourbon, il ne surgit guère d’initiatives faisant écho à leur bataille d’amendements au collectif budgétaire et au projet de loi de finance rectificative de la Sécurité sociale. Reprocher à ces députés d’avoir fini par voter le budget modifié (avant qu’ils ne s’abstiennent, au nombre de 35, sur le texte relatif à la Sécurité sociale, lequel comprenait les cadeaux fiscaux sans contrepartie aux chefs d’entreprise) reviendrait par conséquent à ignorer injustement leurs difficultés. Les fustiger, au motif qu’ils ne ”« rompent pas les rangs »”, comme le fait par exemple Jean-Luc Mélenchon, serait s’aveugler sur le fait, pourtant essentiel, que nous avons nous-même échoué à construire, hors du PS, une force attractive et porteuse d’une offre crédible de changement politique et social.
En écrivant ces lignes, je n’entends nullement me faire le défenseur inconditionnel des socialistes « non alignés ». Le groupe du Front de gauche a eu raison, mille fois raison, de ne pas tergiverser et de s’opposer au collectif budgétaire. Simplement, nul ne doit négliger que la montée en ligne de plusieurs dizaines d’élus, qui ne veulent pas oublier celles et ceux grâce auxquels ils siègent dans l’Hémicycle, fait apparaître que la gauche française n’est pas inéluctablement condamnée à subir, jusqu’à la fin du quinquennat, les méfaits d’un exécutif décidé à se soumettre, fusse au prix de son suicide, aux injonctions des actionnaires et des banquiers. Lorsque Jean-Marc Germain explique devant ses pairs que le vote convergent, sur les amendements qu’il vient de défendre, de socialistes, d’écologistes et des communistes, atteste que la gauche peut se rassembler sur une autre politique, il parle d’or.
SORTIR DES POSTURES GROUPUSCULAIRES
Plusieurs amis, lecteurs de ce blog, m’ont à ce propos interrogé sur l’objectif que j’ai à plusieurs reprises mis en avant, celui d’une nouvelle majorité rose-vert-rouge. Est-ce tout à fait le moment, me demandent-ils ? N’est-ce pas brûler prématurément les étapes, alors que nous n’en sommes qu’aux prémisses d’une réorganisation de notre camp ? Je ne le crois pas. Parce que la bataille en cours est, de tous les points de vue, déterminante pour l’avenir, il ne faut surtout pas laisser s’installer l’idée pernicieuse que les joutes parlementaires actuelles ne seraient qu’un épiphénomène, et que la force du réalisme gestionnaire finira par faire taire les réfractaires à la normalisation libérale de la gauche. Et l’on ne doit pas davantage, lorsque l’on n’appartient pas au Parti socialiste, se transformer en spectateur passif d’un combat où se joue le sort commun.
Une redistribution des cartes vient de s’amorcer sur le champ politique. Du nouveau jeu dont elle accouchera, va dépendre non seulement l’avenir de la gauche, mais celui de la République et de la France. On ne barrera la route du pouvoir à l’extrême droite qu’à l’unique condition de dessiner un horizon d’espérance, en lequel le peuple puisse se projeter. Il appartient, pour cette raison, à toutes les nuances de la palette progressiste de s’y atteler, pourvu qu’elles s’accordent sur un seul point : l’impérative nécessité de rompre avec l’austérité. À cette condition, une autre majorité et, par conséquent, un autre gouvernement, se révèlent possibles. Ici et maintenant… Sur la base d’un retour au sens profond du vote qui avait, voici deux ans, signifié son congé à Nicolas Sarkozy…
Le club Gauche avenir, auquel je participe aux côtés de personnalités telle que Marie-Noëlle Lienemann, Pierre Laurent ou Emmanuelle Cosse, vient en ce sens de publier un document établissant qu’il existe des convergences plus que suffisantes pour commencer à élaborer un nouveau pacte majoritaire. Bien sûr, celui-ci ne résoudra pas tous les problèmes que nous rencontrons. Sans doute, il ne suffira pas en lui-même à redresser la gauche, ni à lui redonner le projet émancipateur qui lui fait tant défaut, au terme d’une très longue suite de défaites idéologiques et culturelles. Il n’empêche que c’est la première marche à franchir si l’on veut favoriser la dynamique populaire à même de faire basculer positivement la situation de notre pays.
Alors, que chacun veuille bien enfin sortir de ces attitudes groupusculaires qui ne nous ont jamais mené qu’aux plus catastrophiques défaites, celles dont il faut de nombreuses années à se relever. Pour s’engager sur le chemin d’une construction orientée par la recherche de l’intérêt général…