Le vote qui fait (enfin) honneur à la France

Nous n’avons pas si souvent l’occasion, depuis deux ans et demi, d’applaudir des deux mains un vote de gauche de l’Assemblée nationale… Alors, ne boudons pas notre plaisir devant l’adoption, par les députés, à la très forte majorité de 339 voix contre 151, de la résolution appelant à la reconnaissance de l’État palestinien. Alors que 135 États ont déjà accompli cette démarche, au premier rang desquels des membres de premier plan de l’Union européenne, des millions de Français attendaient d’évidence cet acte solennel.

Il était plus que temps ! À chaque fois que les plus hautes autorités de l’Hexagone eurent, ces dernières années, l’opportunité de faire avancer la cause du droit et de la coopération entre les peuples, elles se dérobèrent. Il en alla ainsi de l’admission de la Palestine à l’Unesco en 2011, à laquelle Nicolas Sarkozy ne consentit que pour faire oublier un soutien constamment réitéré aux provocations bellicistes du gouvernement de Tel-Aviv. Ce fut la même attitude qui présida au refus de l’actuel président de la République de plaider, devant ses pairs du Conseil de sécurité, en faveur de l’admission de plein droit de l’État de Palestine à l’ONU, ce qui contraignit l’Autorité palestinienne à se contenter d’un simple statut d’observateur permanent. Toujours, la même argutie revint en boucle : un changement de la position française n’était censé devenir envisageable qu’à l’issue d’une négociation ayant abouti à une ”« reconnaissance mutuelle »” des parties en conflit.

On sait pourtant ce qu’il en est sur le terrain. Ces dernières années, la tension n’a cessé de grandir, s’approchant dangereusement du point de non retour. Les dirigeants israéliens s’emploient en effet, par tous les moyens dont ils disposent, à détruire les conditions qui permettraient demain à un État de plein exercice de voir le jour, au côté d’Israël. À la colonisation régulièrement étendue de la Cisjordanie et au blocus de la bande de Gaza, s’ajoutent aujourd’hui le développement incessant des implantations juives dans les quartiers arabes de Jérusalem et les provocations répétées des activistes fanatisées de l’extrême droite israélienne à l’encontre de la population palestinienne (chacun a encore en mémoire ce jeune Palestinien brûlé vif par des partisans fous furieux du « Grand Israël »).

Si rien ne vient arrêter cette spirale infernale, sur les ruines des accords d’Oslo assassinés en même temps qu’un Yitzhak Rabin victime de la radicalisation de l’ultrasionisme en Israël, les cycles de violence s’enchaîneront les uns aux autres, les invasions guerrières se succéderont contre Gaza creusant toujours davantage le fossé de sang entre les parties belligérantes, le terrorisme aveugle s’imposera à une fraction du peuple palestinien comme la seule réponse à une oppression trop longtemps subie et à une impuissance trop durement ressentie (on vient de voir où cela pouvait conduire, avec l’attentat perpétré contre une synagogue orthodoxe de Jérusalem), l’islamisme le plus radical viendra s’opposer en miroir à l’emprise grandissante de l’intégrisme religieux sur le pouvoir de Benyamin Netanyahou. Au final, tout cela menace de déboucher sur une nouvelle Intifada armée, tout aussi meurtrière que la précédente et aggravant l’impasse à laquelle se heurtent deux faits nationaux appelés par l’histoire à se partager la même terre. Le grand historien israélien Zeev Sternhell est, de ce point de vue, parfaitement fondé à pointer ”« un danger quasiment mortel pour les Palestiniens comme pour l’avenir de la société israélienne »”.

La solution est connue, elle n’a pas changé depuis la fin des années 1960, lorsque le mouvement national palestinien a porté, avec la force que l’on sait, sur la scène proche-orientale autant qu’internationale, l’exigence de la reconnaissance de l’existence politique d’un peuple privé de ses libertés les plus fondamentales. Elle réside dans la création d’un État palestinien disposant de sa pleine souveraineté, sur les territoires occupés en 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, dans le cadre d’un processus négocié qui établirait des frontières sûres et reconnues pour les deux peuples, inclurait la libération des prisonniers politiques détenus par Israël, réglerait l’injustice faite aux centaines de milliers de réfugiés des guerres de 1948 et 1967. Comme le préconisent toutes les résolutions adoptées par les Nations unies depuis bientôt 50 ans…

À l’inverse, en perdurant, le ”statu quo” ne fera que légitimer, au bénéfice du clan Nétanyahou et consorts, une action de force ouverte illégale au regard du droit international ; ce qui aura pour seul effet de plonger toute la région dans un bourbier aussi sanglant que sans issue, la gangrène de la haine et de l’affaissement moral s’emparant alors irréversiblement des deux sociétés en conflit. Quant à l’idée de construction binationale, parfois évoquée de bonne foi par certains partisans d’une perspective de justice, il est à craindre que, dans les circonstances présentes, elle ne soit surtout le théâtre d’une guerre civile permanente. Bien sûr, nul n’ignore que l’action de force ouverte de la droite fielleuse aux affaires en Israël rend sans doute problématique l’évacuation de l’ensemble des implantations coloniales de Cisjordanie. Cela ne fait toutefois que souligner l’urgence d’une pression de la communauté internationale, afin d’imposer que des échanges de territoires garantissent aux Palestiniens la continuité de leur État ainsi que l’accès aux ressources naturelles et à l’eau.

Dans ces conditions, venant de la cinquième puissance de la planète, le vote de l’Assemblée vient à point nommé isoler un pouvoir israélien agissant dans le plus total mépris du droit international. À rebours de l’atlantisation de notre diplomatie depuis Nicolas Sarkozy, mais effaçant du même coup l’indignité que constitua l’appui de François Hollande à l’offensive israélienne contre Gaza l’été dernier, il vient également redonner un peu d’espoir aux combattants de la paix en Israël et en Palestine. Il fait, par conséquent, honneur à la France. Enfin !

Honte à la droite qui s’est opposée à ce que la voix forte de ce pays se fasse de nouveau entendre, sur la base des principes universalistes de notre République, en faveur de l’indépendance d’un peuple privé depuis trop longtemps de la possibilité de déterminer librement son destin. Et honte, aussi, à un gouvernement qui, en l’absence du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères sur les bancs de l’Assemblée au moment du scrutin, a donné le sentiment qu’il subissait la décision des députés plus qu’il ne l’approuvait.

D’une certaine manière, la majorité de gauche au Palais-Bourbon a fait, ce 2 décembre, la démonstration qu’elle pouvait, si elle le voulait, s’émanciper du ”veto” de l’exécutif. Alors que le Sénat, puis le Parlement européen, doivent à leur tour se prononcer sur la question, cela doit nous inciter à reprendre, avec plus de détermination que jamais, la bataille de la paix et du droit. Pour exiger, en premier lieu, du locataire de l’Élysée qu’il ne fasse pas de la conférence internationale qu’il dit appeler de ses vœux l’alibi commode de ses renoncements devant l’ordre insupportable de ce monde, dont le sort des Palestiniens est le premier des symboles. C’est sans délai, qu’au plus haut niveau de l’État, on doit reconnaître l’État palestinien…

Christian_Picquet

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