Salut, Jean-François !

Un bien mauvais tour que vient de nous jouer Jean-François Vilar : disparaître sans crier gare, en pleine période des fêtes de fin d’année, en ne nous laissant pratiquement pas le temps de lui rendre l’hommage que nous sommes sans doute nombreux à vouloir lui apporter. Mais cette ultime volonté de nous quitter dans la discrétion ressemble bien au personnage que j’ai connu, aussi chaleureux dans les relations humaines qu’humble dans ses comportements, y compris lorsqu’il se retrouva au centre du halo médiatique qui ne parvint jamais à l’aveugler. Contrairement à tant d’autres…

Ayant auparavant croisé sa longue silhouette et sa moustache frémissante à l’occasion d’innombrables manifestations de l’extrême gauche de l’époque, j’ai vraiment connu Jean-François à la rédaction de ”Rouge”, au tout début de l’année 1980. Rare survivant de l’équipe du quotidien redevenu hebdomadaire quelque temps auparavant, il s’occupait alors de la rubrique culture et travaillait dans le minuscule bureau mitoyen du mien.

J’ai gardé de ce moment le souvenir d’un homme au contact personnel peu commun dans l’univers de la politique, d’un militant dont les convictions révolutionnaires enracinées s’exprimaient d’autant plus fermement qu’elles se conjuguaient avec l’horreur où il tenait le dogmatisme, d’un intellectuel grâce auquel les dernières pages du journal devinrent une référence culturelle très au-delà des sympathisants de la Ligue communiste révolutionnaire. Semaine après semaine, alors que d’aucuns confondaient fidélité à un engagement et repli sur la vulgate trotskysante, je me souviens que ses contributions aux discussions de la rédaction pesaient toujours dans le sens de l’ouverture, de l’extrême attention à apporter aux différentes sortes de pensée critique à gauche, de l’intérêt que devaient systématiquement susciter les nouvelles formes artistiques ou culturelles.

Comme d’autres, l’ami Vilar avait fini par s’éloigner du militantisme. La littérature y avait toutefois gagné un auteur dont l’apport restera comma ayant révolutionné le monde du polar. Le noir de ce genre littéraire bien particulier s’y voyait en effet illuminé par un esthétisme, des évocations politico-culturelles et une référence au surréalisme qui auront été la marque des six romans qu’il signa jusqu’en 1993. Il y était, de fait, son propre personnage, ancien trotskyste reconverti en reporter-photographe, véhiculant sa révolte intacte mais aussi son désabusement devant un monde devenant chaque jour plus impitoyable, à rebours de tout ce à quoi il aspirait dans ses jeunes années. De sorte que, dans ce que l’on a volontiers baptisé comme le ”« nouveau polar »”, Jean-François Vilar aura occupé une place très spécifique.

J’avais perdu Jean-François de vue depuis bien des années. Bien que ne partageant pas nécessairement mes choix, il avait néanmoins tenu à m’adresser un petit signe d’amitié lorsque, en 2008, les amis d’Olivier Besancenot, Alain Krivine, Pierre-François Grond ou Myriam Martin m’avaient bureaucratiquement licencié de mes responsabilités à la LCR.

Je conserve de lui la mémoire de l’homme qui ne renonça jamais devant ce qui aliène l’être humain et lui conteste jusqu’à sa dignité. ”« L’art est un jeu entre tous les hommes de toutes les époques »”, écrivit un jour Marcel Duchamp, l’auteur surréaliste fétiche de Vilar. Il eût pu inventer lui-même cette maxime qui vient nous rappeler que la politique n’est rien si elle n’intègre pas le combat culturel. Salut à toi, mon camarade !

Christian_Picquet

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