Devoir de solidarité avec nos camarades de Grèce

Ces dernières heures de 2014 auront-elles vu s’allumer enfin une lueur d’espoir au cœur d’un continent ravagé par les politiques d’austérité budgétaire et de déréglementation des économies ? Nous serons fixés dans quelques semaines. Quoi qu’il en soit, l’incapacité du Premier ministre grec, Antonis Samaras, frénétiquement appuyé par les sommets de l’Union européenne, de faire désigner par son Parlement un président en phase avec la saignée ultralibérale exigée par la « Troïka », annonce de nouvelles élections générales dans ce pays martyrisé. Et toutes les enquêtes d’opinion laissent présager que le verdict des urnes verra nos camarades de Syriza passer devant tous leurs adversaires.

Ne cédons cependant pas aux illusions lyriques auxquelles, parfois, certains se laissent aller ici. Non seulement le scrutin est loin d’être joué, et Syriza va de toute évidence voir se déchaîner contre lui la stratégie de la peur et du chantage qui est déjà, en 2012, parvenu ”in extremis” à lui dérober une victoire que tout laissait espérer. Mais surtout, s’ils l’emportent, nos camarades vont se voir confronter à des défis redoutables : un pays rendu exsangue à force d’électrochocs plus brutaux les uns que les autres ; une économie détruite et un patrimoine public bradé aux intérêts privés les plus cupides ; des gouvernements européens coalisés pour empêcher que « l’exemple grec » fasse tache d’huile ; une droite et des classes possédantes animées de l’esprit de revanche sociale qu’elles ont hérité d’une histoire ayant vu, au siècle passé, se succéder les dictatures et une abominable guerre civile venir étouffer les aspirations nées de la résistance à l’hitlérisme ; une extrême droite néonazie surfant sur la désorientation de tout un secteur de la société et, pour cette raison, en plein essor ces dernières années…

Nul doute, donc, que la confrontation sera sévère. Entre la résistance acharnée de la réaction intérieure et le rapport de force que chercheront, de l’extérieur, à faire peser les marchés autant que les gouvernements à leur dévotion, tout sera mis en œuvre pour amener la nation grecque rebelle à résipiscence. Il suffit, pour s’en convaincre, de décrypter entre les lignes l’éditorial du ”Monde” en date du 30 décembre. Sous prétexte de se féliciter de l’accord intervenu, en Suède, entre la droite et les sociaux-démocrates pour déjouer les entreprises d’une extrême droite occupant une position charnière, l’auteur anonyme du point de vue officiel du quotidien vespéral appelle ”« les autres Européens, tous peu ou prou confrontés à la montée des partis populistes de gauche ou de droite »”, à s’inspirer de ce qu’il désigne comme un ”« accord exemplaire »” et même comme ”« un modèle de résistance »”. Qui ne voit que l’exhortation, publiée précisément le jour où chacun devinait que Monsieur Samaras allait subir un échec aux conséquences déterminantes pour le devenir de la Grèce, anticipe ce qui va désormais polariser les affrontements sur le continent ?

Cela nous crée un devoir de solidarité envers nos sœurs et nos frères hellènes. Ils sont décidés à ne rien lâcher de la plate-forme de redressement social et national qui peut, demain, les placer en responsabilité du destin de leur peuple. Ils auront néanmoins besoin d’un puissant appui, politique autant que syndical, pour contraindre la sainte-alliance des libéraux et sociaux-libéraux aux affaires dans les autres pays de l’Union européenne et de la zone euro à faire droit à leurs exigences : l’annulation de la dette illégitime dont on demande le remboursement à toute une population, la suspension des dispositions austéritaires auxquelles les Grecs doivent consentir pour prix de l’aide internationale qu’on leur accorde au compte-gouttes… et qui leur permet tout juste de survivre.

Nos responsabilités sont d’autant plus grandes que la victoire, en Grèce, d’une gauche n’ayant jamais renoncé devant l’austérité imposée à l’Europe par les sommets de l’Union européenne et la droite conservatrice allemande serait ressentie comme un signe d’espoir par l’ensemble des peuples du Vieux Continent. Ouvrant un nouveau chemin possible pour ce dernier, elle démontrerait que le camp progressiste n’est nullement condamné à subir plus longtemps les ravages de politiques ultralibérales qui entraînent les économies dans la récession, détruisent des vies par millions, répandent le chômage de masse et la précarité. Et la méthode retenue par Syriza pour devenir la première composante de la gauche grecque viendrait faire la démonstration, à la plus large échelle qui se puisse imaginer, que la radicalité d’un programme peut parfaitement se conjuguer avec une démarche profondément rassembleuse.

Dimanche 28 décembre, Alexis Tsipras s’exprimait en ces termes dans les colonnes du quotidien ”Avgi” : ”« Pendant la durée de la crise, nous avons gagné la confiance de la société parce que nous avons échappé au cadre étroit d’un comportement arrogant mais aussi du sectarisme. Nous avons parlé d’une large majorité sociale et politique en temps opportun.” (Nous avons parlé) ”d’une nouvelle coalition de pouvoir. Cette proposition a été largement approuvée aux élections de 2012. Aujourd’hui, c’est l’heure pour la traduire en acte, l’approfondir et gagner la victoire en constituant une large alliance électorale aux bases solides d’un programme. »” Voilà un message qui doit être entendu bien au-delà de la Grèce. Le rassemblement de la gauche est non seulement nécessaire mais possible à partir de propositions répondant à l’urgence sociale et écologique. Autrement dit, une gauche majoritaire peut parfaitement se reconstruire autour d’une politique qui cesse de sacrifier tous ses principes aux exigences de la finance et aux dogmes de l’orthodoxie néolibérale.

En France comme ailleurs, l’heure n’est évidemment pas à des opérations de récupération qui se révéleraient indignes d’un enjeu au plus haut point décisif pour la gauche tout entière. Toutes celles et tous ceux qui aspirent à voir renaître l’espoir d’un changement profond n’ont pas d’impératif plus grand que d’apporter leur soutien à Syriza. Qu’ils se réfèrent à une tradition socialiste que le social-libéralisme a bafouée, qu’ils se revendiquent de l’aspiration écologiste et sociale, qu’ils se retrouvent en accord avec la démarche de la gauche de transformation, ou qu’ils soient des acteurs ou actrices du mouvement social, il leur revient de construire ensemble la mobilisation qui, à partir de la Grèce, pourrait redistribuer les cartes en Europe.

Christian_Picquet

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