Le libéral-autoritarisme de Messieurs Valls et Macron ne passe plus
Messieurs Valls et Macron avaient cru pouvoir faire adopter, sans coup férir, leur loi de honte sociale. Des semaines durant, ils s’étaient employés à circonvenir les réticences de nombreux députés socialistes, à isoler les « frondeurs » et à jeter des ponts en direction d’une droite qui, par-delà ses postures obligées d’opposante au pouvoir en place, se retrouvait plutôt dans la démarche de ce texte législatif censé traiter de la ”« croissance »”, de l’”« activité »” et du ”« pouvoir d’achat »”. Patatras ! L’opération s’est achevée en fracturation insurmontable de la majorité parlementaire et en crise politique obligeant l’exécutif à recourir à cette arme institutionnelle de dernière extrémité qu’est l’article 49-3…
Je mesure mes mots en parlant de loi de « honte sociale ». Le savant équilibre de centaines d’articles imaginé par le ministre de l’Économie ne se contente, en effet, pas de légaliser le travail du dimanche pour des secteurs étendus du salariat du commerce. Il facilite les licenciements collectifs et réduit les (pourtant petites) garanties dont pouvaient disposer les travailleurs dans le cadre des Plans de sauvegarde de l’emploi. Il démolit des pans entiers du droit du travail, en encourageant les pratiques les plus arbitraires du patronat et en allant jusqu’à retirer nombre de ses moyens à la justice prudhommale (est ainsi satisfaite la revendication du Medef d’une révision à la baisse du montant des indemnités pouvant être accordées aux salariés dont les droits ont été bafoués). Il déréglemente une série de secteurs économiques, l’un des points les plus marquants étant sans doute l’encouragement donné aux transports par autocars (avec les retombées écologiques calamiteuses que l’on peut sans peine imaginer et, surtout, le terrible coup qui va être porté au ferroviaire public). Il entend amplifier les privatisations d’infrastructures publiques, telles les aéroports. Et il consacre la diminution de la fiscalité s’appliquant à la distribution d’actions par les directions d’entreprises (le refus de fixer le moindre plafond à celle-ci sera venu révéler qu’il ne s’agit nullement, avec cette mesure, d’aider les start-up, mais de consentir un nouveau cadeau au capital, y compris aux requins du CAC 40 qui viennent pourtant d’afficher des profits équivalents à ceux des années d’avant la crise financière de 2008). Qui pourrait, par conséquent, s’étonner que le très libéral quotidien ”L’Opinion” ait pu titrer, à sa « une » du 16 février : « Les pépites cachées de la loi Macron. » Sans commentaire !
À moins d’accepter de renier ses convictions les plus intimes et de se montrer prêt à bafouer le mandat que lui ont confié ses électeurs au terme d’une campagne menée, rappelons-le, sous le mot d’ordre ”« Le changement c’est maintenant »”, un député de gauche ne pouvait non seulement pas approuver une telle loi de droite, mais il se trouvait inévitablement amené à y opposer un vote négatif.
Sans doute, une majorité du groupe socialiste du Palais-Bourbon, se sera-t-elle une fois encore résignée à la solidarité avec le gouvernement. Cela dit, il faut reconnaître qu’il fallait beaucoup de détermination pour résister à l’invraisemblable pression orchestrée par les sommets de l’État. Il convient, à cet égard, de saluer les députés socialistes et écologistes qui, aux côtés de ceux du Front de gauche, avaient osé annoncer qu’ils braveraient les objurgations et les stigmatisations de l’hôte de Matignon et du locataire de Bercy. Et, plus encore, de relever que ce sont quelque 80 parlementaires de gauche qui envisageaient, avant le vote solennel de l’Assemblée prévu pour ce 17 février, de s’abstenir ou de voter contre la loi Macron.
Pour cette raison, que l’exécutif ait choisi de recourir à l’article 49-3 relève évidemment du coup de force anti-démocratique scandaleux, en ce que cette disposition vise à tout simplement priver la représentation nationale de ses prérogatives législatives. C’est d’ailleurs François Hollande lui-même qui, lorsqu’il occupait encore les fonctions de premier secrétaire de la rue de Solferino, avait qualifié l’utilisation de cet article de la Constitution de « déni de démocratie ». Mais surtout, cette décision sanctionne un échec retentissant, celui de la méthode d’un Premier ministre qui avait cru caporaliser sa majorité et son propre parti en multipliant les coups de menton volontaires et les propos martiaux.
À bafouer les attentes sociales de nos concitoyens, à ignorer l’aspiration à un nouveau pacte républicain qu’avaient exprimée les immenses marches des 10 et 11 janvier, à traiter par le mépris de très nombreux amendements des députés de gauche (bien au-delà des opposants à la philosophie de la loi, puisque des élus résignés à apporter in fine leur soutien au projet gouvernemental se seront vertement vus renvoyer dans les cordes par un ministre de l’Économie à l ‘arrogance technocratique particulièrement brutale), ce quarteron d’éminences pétries d’idéologie néolibérale aura fini par se retrouver minoritaire à l’Assemblée
Enfermé dans une logique libérale qui ne profite qu’au Medef et à une finance prédatrice, ce gouvernement n’a donc plus de majorité à gauche. Il n’a donc plus aucune légitimité politique à maintenir sa loi. Il doit la retirer et cesser de se comporter à la hussarde pour imposer une politique qui ne passe plus.
Au-delà, il est maintenant de la plus grande urgence que se rassemblent toutes celles et tous ceux qui constatent que l’heure est venue de changer de cap. Je ne suis, de ce point de vue, pas certain que le choix de mes amis députés du Front de gauche, qui ont décidé de soutenir la motion de censure déposée par la droite ce jeudi 19 février, aidera à clarifier les débats et à provoquer la redistribution des cartes si indispensable à gauche. Cela dit, je ne veux pas les accabler de critiques, comme tant d’autres le font, car je n’ignore rien de la difficulté d’un combat qu’il leur faut livrer à une poignée et dans un cadre réglementaire conçu pour minoriser les voix dissonantes.
Laissons toutefois là cette discussion. Rien n’est plus urgent que d’œuvrer à une prise de conscience. Un autre gouvernement, soutenu par une nouvelle majorité de gauche, est devenu possible. Plus vite il verra le jour, et plus vite il deviendra possible de mettre un terme au processus de déréliction de notre camp, en répondant enfin à l’aspiration des Français à la justice et à l’égalité sociales. Le principal enseignement du triste épisode politique de cette mi-février n’est-il pas, au fond, que les conditions peuvent en être réunies bien plus vite qu’on ne pouvait l’imaginer voici seulement quelques semaines ?