Les régionales ne sont pas une partie de bonneteau
La machine à brouiller tous les messages, donc à apporter sa pierre à la défaite historique qui guette la gauche d’ici la fin d’un quinquennat nauséeux, s’est remise en marche en ce début d’été. Je veux évidemment parler, dans cette note, de la situation du Front de gauche et de la manière dont s’y préparent les élections régionales de décembre.
Il aura suffi que mon ami Pierre Laurent soit désigné, par ses camarades, comme le « chef de file » des communistes en Île-de-France – ce qui m’apparaît, personnellement, comme une excellente nouvelle, le discours de Pierre étant un atout au service d’une campagne d’ouverture et de large rassemblement à gauche, au premier comme au second tour –, pour que, du côté de certaines des organisations de notre coalition, on dénonce, avec une brutalité à peine imaginable, la tentation ”« cumularde »” que manifesterait le secrétaire national du PCF, par ailleurs sénateur de Paris. Dans ce déchaînement de polémiques, dont on se serait volontiers passé, Jean-Luc Mélenchon sera allé jusqu’à déclarer que ”« Podemos existe en réaction au fait que l’autre gauche espagnole était trop sous la direction du PC »”. Des propos qui font écho à ceux, récents, du fondateur de Podemos, Pablo Iglesias, qui a choisi de rompre les discussions avec Izquierda Unida, la formation-sœur du Front de gauche, avec des propos aux accents anticommunistes assez hallucinants : ”« Restez à votre place. Vous pouvez chanter l’Internationale, porter vos étoiles rouges. Je n’en ai pas besoin. »”
Les commentateurs nous disent déjà que cela marquerait l’ouverture en notre sein de la bataille de la présidentielle, et il est vrai que Jean-Luc explique à qui veut l’entendre qu’il y a ”« plusieurs possibilités, dont celle où je serais candidat sans rien demander à personne »”. Je ne crois pourtant pas que ce soit ce qui se joue à présent dans notre mouvance. La discussion sur le rendez-vous de 2017 viendra en son temps. En revanche, ce que me paraissent révéler les épisodes assez peu glorieux de ces derniers jours, c’est que le débat sur la stratégie à conduire, dans un contexte aussi complexe que dangereux, reste la principale pomme de discorde entre nous. Dans un entretien qu’il aura accordé au ”Monde” du 25 juin, celui qui cofonda le Front de gauche avec Marie-George Buffet et moi-même aura d’ailleurs eu la franchise d’aborder ce problème sans faux-fuyants, se référant là encore à l’exemple espagnol : ”« La crédibilité est venue de l’autonomie face au système politique et au PS. Cette question n’est toujours pas tranchée chez nous. »” Et d’ajouter que, pour surmonter ce qu’il considère comme un obstacle, il faudrait en passer ”« par des listes citoyennes »” à l’endroit desquelles les partis n’auraient plus qu’un rôle : ”« Se mettre à leur service. »”
Le désaccord est ici profond. Pas parce que certains, parmi nous, seraient enclins à s’incliner devant la prééminence du principal parti relayant l’action gouvernementale. Mais pour une raison qui me semble plutôt relever d’un total décalage avec la réalité. Celles et ceux dont nous sollicitons le soutien, et dont nous souhaitons porter la parole sur le champ politique, n’attendent pas de nous que nous nous contentions de rassembler une « petite gauche » (je vois ainsi, sur plusieurs textes qui voit le jour ici et là, l’énumération de sigles qui ne disent pas grand chose au plus grand nombre de nos concitoyens) dont la seule carte d’identité serait de vouloir faire mordre la poussière au Parti socialiste et de faire assaut de radicalité verbale dans la vie publique. Ils nous demandent de démontrer concrètement notre utilité, en ouvrant un nouveau chemin crédible pour la gauche et pour la France, en aidant à sortir notre camp social et politique de l’hébétude et de la démoralisation où l’ont plongé les trois premières années du quinquennat de François Hollande, en contribuant à surmonter des divisions qui génèrent un mortifère sentiment d’impuissance.
LE DÉCALAGE AVEC LA RÉALITÉ NOUS MÈNE À NOTRE PERTE
De toute évidence, la préoccupation principale de ces hommes et de ces femmes n’est pas que nous nous lancions dans des opérations hâtives qui escamoteraient les choix décisifs auxquels le peuple doit faire face. Elle n’est pas davantage que nous baptisions ”« mouvements citoyens »” des processus à ce jour des plus limités (les appels qui naissent, en diverses régions, ne regroupent que quelques milliers de signatures, sans aucune mesure avec la vague que nous avions su susciter, par exemple, à travers la bataille du « non » de gauche au Traité constitutionnel européen, ou à l’occasion de notre belle campagne de la dernière présidentielle), et encore moins que les partis se défaussent de leurs responsabilités derrière des constructions se proclamant représentatives des citoyens. Ce que l’on attend de nous, légitimement, c’est que nous parlions fort et clair, que nous fassions renaître un espoir pour l’ensemble de celles et ceux qui attendaient de la victoire de la gauche en 2012 qu’elle mette, au moins, un coup d’arrêt à la toute-puissance insolente des marchés et de la finance.
Parlons franchement. Nous ne serons à la hauteur que si nous relevons les défis tels qu’ils se présentent effectivement. Pas tels que nous voudrions qu’ils fussent, si le contexte hexagonal ressemblait à celui d’une Espagne dont le champ politique a été bouleversé par l’irruption du mouvement des « Indignés », voici quelques années. Hélas, ici, le scrutin des régionales se verra surdéterminé par l’offensive de la droite et de l’extrême droite pour faire basculer à leur bénéfice – après 150 municipalités de plus de 9000 habitants en 2014 et une majorité des départements cette année – le plus grand nombre des collectivités concernées. Cela ne concerne d’ailleurs pas seulement les deux grandes Régions dont le Front national convoite la direction, Nord-Pas-de-Calais et Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Jusque dans ma propre Région, celle où je sollicite le renouvellement de mon mandat, Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, que l’on considérait jusqu’alors comme à peu près acquise à la gauche, une enquête d’opinion vient de donner le parti de Madame Le Pen très largement en tête (avec 27% des intentions de vote, et une poussée qui s’opère aussi dans l’ancien ensemble midi-pyrénéen, où l’infliuence FN avait été contenue jusqu’aux dernières départementales), la droite se plaçant en deuxième position et la liste socialiste arrivant seulement troisième. Si tout demeure ouvert pour le second tour, un semblable équilibre des forces en présence conduit à conclure que la plus grande incertitude planera jusqu’au dernier instant.
Dans le grand Sud-Ouest comme ailleurs, les populations ont tout à redouter d’une issue qui verrait droite ou extrême droite l’emporter, au prix de la dislocation des politiques publiques, de l’amputation à la hache des aides sociales ou des crédits aux projets innovants, de la forte diminution ou de la pure et simple suppression des subventions aux activités culturelles ou aux associations. Et n’ignorons pas quels débats pourrait demain ouvrir un rapport de force qui verrait la gauche, toutes composantes confondues, arriver loin derrière le bloc droitier qui monte présentement en puissance dans notre pays. Ce 1° juillet, ”Libération” en aura d’ailleurs posé les termes, sous la plume de Lilian Alemagna. À partir des deux Régions menacées par les deux principales figures du clan Le Pen, celui-ci écrit : «” Les listes de gauche auront beaucoup de mal à faire mieux qu’arriver dans la pire des positions : troisième. Et là, on fait quoi ?” (…) ”Soit le retrait pur et simple des listes dont le maintien au second tour pourrait conduire mécaniquement à la prise d’une Région par l’extrême droite. Mais la base renâcle… »” Et d’énoncer alors un autre scénario possible, dont on peut sans grand effort imaginer qu’il pourrait se déployer bien au-delà des deux Régions menacées par l’extrême droite : ”« Assumer, comme le disent déjà des socialistes en coulisses, qu’il faudra en passer par une ‘’fusion technique’’, un accord baroque avec la droite dans l’entre-deux tours – sans engagement à intégrer la majorité – pour barrer la route au FN. »”
LE DÉSASTRE QUI MENACE
Voilà qui revient à décrire un authentique désastre, politique autant qu’idéologique, qui verrait la gauche n’être plus que la roue de secours minable d’une droite pourtant largement sous influence du FN. Assurément, le peuple de gauche, le monde du travail, la jeunesse subiraient là une défaite historique, annonçant les suivantes, celles de 2017, qui les laisseraient le dos au mur face à un adversaire rendu enragé à détruire tout ce qui les protège encore de la cupidité des possédants. On me dira, je l’entends déjà, qu’à force d’aborder la préparation de la consultation de décembre à la manière d’une partie de bonneteau, éminences ministérielles et dirigeants de la rue de Solferino ont réuni les conditions de la pire des confusions. On m’objectera encore qu’une réforme territoriale aux desseins opaques a pour première retombée d’affaiblir un peu plus la démocratie de proximité. C’est parfaitement exact. Cela ne nous interdit pas, pour autant, de nous poser la seule question digne d’intérêt : comment déjouer ce piège ?
La réponse me semble couler de source : certainement pas en continuant à psalmodier qu’il faut ”« rompre avec le PS et le système »” ; pas davantage en s’engluant dans les manœuvres, grandes ou petites, qui ne font que nous assimiler à tout ce qui éloigne nos concitoyens du civisme ; ni en escamotant délibérément l’enjeu primordial que représente le maintien à gauche du plus grand nombre possible de Régions ; encore moins en minimisant l’importance, pour la gauche anti-austérité, de disposer du maximum d’élus qui se porteront aux avant-postes des combats cruciaux des années qui s’annoncent. Mais en partant de ce que l’action de nos élus a permis de faire avancer dans les majorités sortantes (en matière de transports, de politiques sociales, de critères de développement économique et écologique, de choix d’investissement etc.), pour replacer la politique au poste de commande, lui redonner ses lettres de noblesse au moyen de contenus mobilisateurs… Donc, pour mettre dans le débat public les grands axes programmatiques à même de définir l’action de Régions s’affirmant en boucliers sociaux et écologiques des populations, ce qui suppose qu’elles tournent le dos aux logiques d’austérité mises en œuvre au sommet de l’État. Et, cette démarche de repolitisation du scrutin ayant permis de mettre la gauche tout entière devant ses responsabilités, pour afficher clairement la volonté que les listes les mieux à même de porter ces propositions concourent à de puissantes dynamiques de gauche, porteuses de remobilisation et d’unité.
Lorsque je parle de puissantes dynamiques, c’est pour dire que, même si elles ne peuvent se cristalliser dès les premiers tours de l’échéance de décembre, eu égard notamment aux divisions que l’action gouvernementale ne cesse de creuser au sein du camp progressiste, elles doivent aboutir, pour les seconds tours, à la fusion de toutes les listes de gauche, en vue de nouveaux contrats de majorité permettant que le maximum de Régions échappe à la convoitise de la réaction. Dit d’une autre manière, c’est avec cette visée que les composantes du Front de gauche devraient aborder un rendez-vous dont l’issue pèsera lourd sur l’avenir du pays et du peuple. En manifestant leur souci de remobiliser les électrices et électeurs de gauche autour d’une perspective offensive pour les Régions… En s’employant de cette manière à faire positivement évoluer le rapport des forces au sein de la gauche… En posant d’emblée l’objectif du rassemblement le plus large aux premiers tours et, aux seconds, de listes fusionnées de toute la gauche prenant en compte, à la fois, les débats de la campagne et la réalité des différentes forces qui se seront impliquées dans la bataille électorale…
L’APPEL DE GAUCHE UNITAIRE EN MIDI-PYRÉNÉES-LANGUEDOC-ROUSSILLON
C’est parce que cette approche n’était pas reprise, en dépit de nos efforts pour en convaincre nos partenaires, qu’avec mes camarades de Gauche unitaire en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, nous avons préféré ne pas nous associer à un texte, pour le moins ambigu, signé par le Parti communiste, le Parti de gauche et Ensemble. Je vous livre ci-dessous, pour information, le communiqué que nous avons rendu public le 23 juin.
”« Trois partis membres du Front de gauche (PCF, PG, Ensemble) viennent de rendre publique une déclaration dans le cadre de la préparation des prochaines élections régionales.”
”« Gauche unitaire, parti fondateur du Front de gauche en 2009, ne pouvait approuver ce texte.”
”« Au cours des discussions avec ses partenaires, elle s’est efforcée de les convaincre que le Front de gauche ne pouvait se contenter d’une action de témoignage, et qu’il ne devait sous aucun prétexte reproduire les erreurs des municipales et des départementales. Dans la situation dangereuse que connaît la France, et dans le contexte de démobilisation qui caractérise l’électorat de gauche du fait de la politique d’austérité mise en œuvre à l’échelon national, il doit au contraire se montrer utile à notre peuple, par la qualité de ses propositions et à travers la dynamique qu’il contribuera à construire.”
”« Gauche unitaire a, en ce sens, plaidé afin que le Front de gauche défende un programme pour une Région agissant en bouclier pour les populations, qu’il affirme d’emblée sa volonté que la future région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon demeure à gauche, qu’il crée en vue du second tour les conditions de la fusion de toutes les listes de gauche sur la base d’un nouveau contrat de majorité.”
”« Le texte rendu public par trois des partis du Front de gauche élude ces trois questions pourtant fondamentales pour convaincre l’électorat de gauche de l’utilité.”
”« Gauche unitaire redoute que cette absence de clarté nuise à l’entrée du Front de gauche dans la bataille électorale. Elle entend néanmoins s’efforcer de surmonter ces difficultés, et a demandé à ses partenaires une réunion dans les meilleurs délais. Elle poursuivra, dans le même temps, les rencontres bilatérales engagées avec les partis de l’ensemble de la gauche en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon. »”
Dans son célèbre ”Manifeste”, Marx avait, entre autres, écrit que les communistes n’avaient pas d’intérêts distincts de celles et ceux au nom desquelles ils se battaient. La formule n’a pas pris une ride, et elle pourrait s’appliquer maintenant à l’ensemble des courants qui n’ont pas renoncé à rouvrir l’horizon d’une alternative à un capitalisme plus prédateur qu’il ne l’a jamais été…