De la loi Macron à… un scandale d’État

Ainsi, le Premier ministre vient-il d’annoncer son choix de recourir à l’article 49-3 de la Constitution pour faire définitivement adopter, par l’Assemblée nationale, la loi Macron. Comme les députés, comme les syndicalistes, comme la majorité de celles et ceux qui ont exprimé leurs réserves ou désaccords au sein du Parti socialiste, je n’éprouve guère l’envie de consacrer une nouvelle note à ce texte censé apporter un ”« coup de jeune »” à la société française, selon les « éléments de langage » repris ”ad nauseam” par nos éminences ministérielles. Campées sur leur posture d’inflexibilité, résolument sourdes aux arguments de tous ceux qui auront tenu à leur rappeler qu’être de gauche c’était d’abord se placer du côté des travailleurs, usant de tous les moyens antidémocratiques que la V° République met à leur disposition, ces dernières seront allées au bout de leur coup de force antisocial. Sauf qu’à vouloir déréglementer à tout-va l’économie, démanteler des pans entiers du droit du travail et, surtout, privatiser tous les secteurs pouvant représenter une source de profit pour les aigrefins pullulant dans l’univers glauque de la finance, on court le risque de générer d’authentiques scandales d’État. Le plus bel exemple en est actuellement donné dans ma Région, Midi-Pyrénées, avec ce sur quoi débouche la privatisation de l’aéroport de Toulouse…

Des articles de la presse française et hongkongaise viennent, en effet, de rouvrir le dossier de la cession par l’État de 49,99% du capital de la société Aéroport-Toulouse Blagnac à des actionnaires privés. Ils ont tout d’abord révélé que Monsieur Mike Poon, le PDG du consortium chinois Symbiose, acquéreur des parts abandonnées par la puissance publique, avait disparu à la suite des accusations de corruption que les autorités de son pays font peser sur lui. Puis, grâce à ”Médiapart”, dont l’enquête n’a une fois de plus été démentie par personne, il sera apparu que la holding de droit français Casil Europe, destinée à être détentrice des 49,9% de l’État pour le compte de l’actionnaire chinois, avait toutes les apparences d’une société-écran, avec son capital dérisoire de 10 000 euros.

Le gouvernement aura choisi de traiter ces faits nouveaux avec une désinvolture confondante, pour ne pas dire avec le plus total mépris envers les collectivités territoriales concernées autant qu’envers les citoyens. Il se sera, en particulier hâté d’annoncer que la vente de Toulouse-Blagnac était finalisée, sans que l’on sache même si ladite finalisation était intervenue avant ou après que le caractère sulfureux de Symbiose et de toute l’opération de cession ait été révélé. Ce qui pose bien davantage qu’un problème de démocratie, dès lors que nul ne saurait, au vu de la gravité des soupçons pesant sur les acteurs de cette opération juteuse, exclure que toutes ces révélations annoncent l’authentique scandale d’État que j’évoquais en entamant ce papier.

Je sais bien que Monsieur Macron exprime aujourd’hui son engouement pour le rétablissement du Trône de France. Avec des mots que l’on jugerait volontiers ubuesques s’ils n’étaient manifestement réfléchis avec soin pour signifier la rupture avec les fondamentaux de la gauche des petits marquis libéraux qui ont choisi de faire carrière à l’ombre du Parti socialiste, notre ministre de l’Économie, après avoir dans une autre publication comparé nos amis de Syriza au Front national, explique à l’hebdomadaire ”Le Un” : ”« Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi… »” Ne lui en déplaise cependant, nous sommes encore en République et le peuple y possède un droit, constitutionnellement garanti, à la transparence de l’action publique.

C’est ce qui m’a amené, ce jour, à l’occasion de la Commission permanente de la Région Midi-Pyrénées, à interroger son président, Martin Malvy. Je lui ai en particulier demandé, qu’au nom de notre collectivité, il interpelle le gouvernement afin d’obtenir les informations dont il serait grand temps qu’elles échappent à l’opacité dont Bercy a coutume d’entourer ses décisions.

En toute logique, les dernières révélations eussent exigé que la privatisation soit annulée et qu’un nouveau tour de table, impliquant tous les acteurs publics concernés (collectivités locales comme Chambre de commerce et d’industrie), travaille à y trouver une alternative. Cela dit, et même dans le cas où la parole de l’État aurait bien été engagée par la finalisation de la transaction, il serait à tout le moins impératif que le gouvernement annule l’option de vente à Symbiose des 10% de capital restant en sa possession (les conditions négociées de la privatisation prévoient qu’il puisse, dans les trois ans, céder ses dernières parts à l’acquéreur chinois). La demande en a, d’ailleurs, déjà été formulée par Valérie Rabault, députée socialiste du Tarn-et-Garonne, et il ne serait pas inutile que sa démarche fût maintenant appuyée par les collectivités concernées au premier chef, à commencer par le Conseil régional.

Dans sa réponse, Martin Malvy m’a dit retenir la suggestion d’une adresse écrite au gouvernement. À suivre donc. En attendant, retrouvant dans mes cartons mon intervention devant l’Assemblée plénière de la Région, le 5 avril dernier, je ne résiste pas à l’envie de vous en donner connaissance. Les conseillers avaient à statuer sur la proposition des collectifs citoyens agissant contre la privatisation de l’aéroport de saisir les juridictions compétentes afin que soit frappé nullité le « Pacte secret d’actionnaires » conclu entre l’État et les nouveaux acquéreurs. Un « Pacte », révélé par ”Médiapart”, qui engage entre autres la puissance publique à voter comme l’actionnaire privé au sein du conseil d’administration. En prenant connaissance de l’argumentation que je développais alors, vous constaterez, j’en suis certain, que la lucidité et le réalisme ne sont certainement pas du côté des sociaux-libéraux qui ont fait de la loi Macron leur emblème.

MON INTERVENTION DEVANT LE CONSEIL RÉGIONAL DE MIDI-PYRÉNÉES

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Vice-Présidents, Mes Chers Collègues, je commencerai par une citation : ”« Nous n’avons pas besoin d’un opérateur privé pour nous apprendre à manager cet aéroport. »” Ces mots ont été prononcés par le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux, à propos du sort qui pourrait être réservé à l’aéroport international de Mérignac, à l’instar de celui de Toulouse-Blagnac .

« En citant le président de cette chambre consulaire, je veux seulement relever qu’il pointe le fond du débat politique que nous avons aujourd’hui. Rien ne justifie la privatisation d’un équipement aussi stratégique. Car c’est bien de privatisation qu’il s’agit, et non d’une simple ”« ouverture de capital »”, n’en déplaise à nos collègues qui siègent à la droite de cet Hémicycle, dès lors que la puissance publique se départit du contrôle de la gestion de l’aéroport. J’y reviendrai. Et il n’est pas acceptable qu’une telle décision pût être prise sans la moindre concertation avec les collectivités locales issues du suffrage populaire comme avec les populations, pourtant les plus directement concernées.

« Remarquons ici, Mes Chers Collègues, que si les élus d’autres régions (l’Aquitaine, entre autres) ont éprouvé le besoin d’intervenir avant de se voir imposer à leur tour une évolution contrevenant gravement à l’intérêt général, c’est bien que la décision de Monsieur Macron relative à Toulouse-Blagnac relève du fait accompli. À cet égard, que les activités visées ne concernent que l’exploitation de l’aéroport et non sa propriété, comme vous nous le rappelez si souvent, Monsieur le Président, ne change rigoureusement rien à la gravité de la question à laquelle nous sommes confrontés.

« Je passe sur le fait, maintenant connu, que le consortium sino-canadien qui va désormais posséder la majorité des parts de l’État au capital de la société Aéroport Toulouse-Blagnac se révèle pour le moins sulfureux. L’actionnaire chinois, Symbiose, est un champion dans l’art des placements spéculatifs dans les paradis fiscaux, et son partenaire canadien, Lavalin, a quant à lui fait l’objet, de la part de la Banque mondiale, d’une exclusion pour dix ans des marchés publics, pour des faits de corruption… Je passe encore sur le caractère pour le moins hasardeux d’un montage juridique et financier qui a contraint son auteur lui-même, le ministre de l’Économie, à introduire dans sa récente dite « activité et croissance » des correctifs destinés à en éviter la réédition dans le futur… Je passe enfin sur le fait que cette privatisation n’ait été décidée que pour abonder les caisses de l’État, alors même que la multiplication des exonérations fiscales et sociales, dans le cadre des politiques d’austérité, aura fait perdre près de 100 milliards au budget de la France. Sans le moindre résultat sur l’emploi et l’investissement…

« Cela eût, en soi, dû conduire notre institution à s’emparer d’un dossier concernant, au demeurant, un centre nerveux de cette industrie de souveraineté qu’est l’aéronautique, laquelle occupe 100 hectares de Toulouse-Blagnac. Permettez-moi, à cet instant, de regretter que cela n’ait pas été le cas, et que nous n’ayons consacré que quelques minutes à ce dossier pourtant crucial, à l’occasion de la discussion du vœu que j’avais défendu devant vous, au nom de mon groupe, au mois de décembre. Le silence de notre collectivité, s’avère d’autant plus problématique que le Conseil général de la Haute-Garonne, le Conseil économique, social et environnemental régional, ainsi que le comité d’entreprise d’ATB ont, à l’inverse, fait connaître leur opposition à l’opération de Bercy.

« Il ne nous en faut que saluer davantage l’action des collectifs citoyens pour que soit frappé de nullité le Pacte d’actionnaires conclu entre l’État et le nouvel acquéreur privé. Ce Pacte d’actionnaires (conclu pour 12 ans et reconductible pour les 10 années suivantes) concentre en effet tous les vices d’une opération inacceptable, dès lors que l’État s’y est engagé à voter comme l’investisseur, et même à lui offrir les clés de l’entreprise dans la désignation du conseil de surveillance. Ce qui rend naturellement caducs tous les engagements plus ou moins formellement pris envers les autres actionnaires… Ce Pacte inique, serait resté secret sans les révélations de ”Médiapart”, dont la véracité aura été confirmée par l’absence de tout démenti de la part de Monsieur Macron.

UN PACTE COÛTEUX ET ATTENTATOIRE À LA SOUVERAINETÉ DE LA FRANCE

« Dans ces conditions, notre Conseil régional a toutes les raisons d’agir en nullité de cet acte. J’en soulignerai seulement trois.

« D’abord, notre collectivité peut légitimement s’inquiéter d’un projet industriel qui va structurer l’aménagement du territoire sur le long terme et représenter, pour elle comme pour ses semblables, une charge importante d’investissements, en matière d’infrastructures routières, de transports en commun, d’aménagements urbains ou de traitement des pollutions. Elle ne saurait donc, pour cette raison, être tenue à l’écart d’un processus qui va voir un aéroport régional transformé en un Hub international équivalent à l’aéroport d’Orly.

« Ensuite, parce qu’un tel projet reposant sur la volonté de l’investisseur d’accroître sans limite la rentabilité d’un aéroport (qui pourtant l’est déjà), il suppose une augmentation du taux de croissance moyen de 2,9% du trafic chaque année… jusqu’en 2046. Chacun peut faire le calcul de ce que cela représenter à l’arrivée. Il serait donc irresponsable de ne pas prendre en compte les nuisances sonores et pollutions atmosphériques pour les 100 000 riverains de Toulouse et des communes limitrophes. Sans parler du danger de catastrophe aérienne aggravé par l’intensification du trafic. Danger que la présence dans cette zone d’un site industriel Seveso 2, en l’occurrence Safran-Hérakles, accroîtrait dans des proportions considérables.

« Enfin, nous sommes aujourd’hui en présence d’une mise en cause de la souveraineté de notre pays. Le groupe Symbiose est notamment composé du Shandong Hi Speed Group, qui est une entreprise d’État chinoise, et sa prise de contrôle de Toulouse-Blagnac a été validée par les autorités de ce pays. De sorte que le bradage d’infrastructures françaises aussi essentielles est en train de se révéler… une nationalisation de la part d’un État étranger !

« Dans la délibération qui nous est proposée ce matin, trois arguments se trouvent invoqués pour ne pas agir en nullité : le Pacte n’aurait pas d’impact environnemental ; il ne lierait pas la Région à des dépenses nouvelles ; il ne serait pas illicite en soi. Je crois avoir montré que le projet industriel du nouvel acquéreur aurait inévitablement des retombées possiblement désastreuses pour les équilibres écologiques, et qu’il entraînerait nécessairement des charges nouvelles pour les collectivités.

« Quant au caractère licite ou non du Pacte, dès l’instant où il revient à priver une partie des actionnaires (en l’occurrence les acteurs publics qui n’en sont pas partie prenante) de toute possibilité d’influer sur les décisions d’ATB, il n’apparaît pas absurde d’en conclure que ces derniers sont lésés. Donc, que nous sommes lésés ! Il serait, pour cette raison, absolument justifié, ”a minima”, de laisser l’instance judiciaire compétente se prononcer. Après tout, il pourrait s’agir-là d’un ”« comportement frauduleux de l’État »”, pour reprendre les termes d’un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, en date de 2013.

« Mes Chers Collègues, j’espère vous avoir convaincu que la démocratie et l’intérêt général sont au cœur de ce débat. Et que la majorité régionale ne peut s’incliner devant l’arbitraire d’une décision aussi injustifiable que dangereuse. Quoi que nous pensions par ailleurs, les uns et les autres, de la politique suivie au sommet de l’État.

« À moins, évidemment, que notre majorité régionale soit prête à en supporter longtemps les conséquences. Comme la privatisation des autoroutes colle encore aujourd’hui à la droite, à la manière du sparadrap du capitaine Haddock dans la célèbre bande dessinée… »

Le “sparadrap du capitaine Haddock”… En osant cette boutade, voici seulement trois mois, je n’imaginais vraiment pas que la réalité me donne aussi rapidement raison…

Christian_Picquet

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