Savoir tourner une page
Il en va de la politique comme de la vie en général : le plus difficile est de savoir tourner les pages lorsque cela s’impose. La procrastination, la pérennisation des routines établies, sans parler de l’attentisme devant la crainte que soulève inévitablement tout saut dans l’inconnu, apparaissent toujours plus confortables que les paris sur l’avenir, fussent-ils soigneusement réfléchis et soupesés.
J’ai commencé à concevoir cette chronique au lendemain d’une Fête de ”L’Humanité” à laquelle j’ai pris l’habitude de participer activement depuis bien des années, au départ comme l’un des responsables de l’ex-LCR puis en tant que première figure de la Gauche unitaire, composante fondatrice du Front de gauche à partir de 2009. Le grand rendez-vous populaire de 2015 m’aura vu répondre aux innombrables questionnements nés du regroupement opéré avec le Parti communiste, au sein de ce dernier. Cela ne sera pas allé, tout au long de ce week-end particulièrement humide, sans provoquer en moi un mélange de ces deux sentiments forts que sont l’émotion et la fierté. Émotion, dès lors que je retrouve aujourd’hui une famille politique qui fut mienne alors que, lycéen, j’entrais tout juste en politique, cet engagement de jeunesse devant enraciner ma fidélité à la visée communiste, même si je l’aurai assumée par la suite dans les rangs de l’une des organisations héritières du combat de Léon Trotsky contre le totalitarisme stalinien. Fierté, dans la mesure où c’est à l’unanimité, après un débat de plusieurs mois, que la formation dont je portais jusqu’alors la parole a préféré le courage du regroupement dans le PCF à la poursuite d’une action solitaire ne correspondant d’évidence plus à des circonstances où la gauche et le mouvement ouvrier vont au devant d’épreuves d’une gravité exceptionnelle.
Puisque je ne l’avais pas encore fait, je veux par cette note revenir sur les raisons d’un acte dont tout un chacun s’accordera à reconnaître qu’il tranche singulièrement avec ce qui rythme présentement la vie de notre camp social et politique, lequel s’est rarement révélé aussi morcelé qu’en proie à des phénomènes convulsifs de désagrégation, pour ne pas dire de décomposition. En fondant Gauche unitaire, après avoir fait le constat collectif que sa ligne gauchiste et sectaire emmenait le Nouveau Parti anticapitaliste, auquel un certain nombre d’entre nous appartenaient jusqu’alors, mes camarades et moi faisions un double pari. D’abord, le pari que, sous le choc de la tempête financière des années 2006-2008 et du fait de l’échec cinglant auquel les politiques sociales-libérales avaient conduit la social-démocratie européenne, une perspective porteuse d’espoir pouvait de nouveau se dessiner, la gauche tout entière se voyant du même coup ouvrir la voie d’un mouvement de recomposition susceptible de faire bouger les lignes en son sein et de lui donner un nouveau centre de gravité, en phase enfin avec les attentes du peuple. Ensuite, le pari que, à la chaleur des rapprochements s’étant enchaînés durant la période précédente, et singulièrement de l’expérience de la campagne du « non » de gauche au Traité constitutionnel européen en 2005 – en dépit de l’échec de la tentative d’aboutir à une candidature antilibérale unique à la présidentielle de 2007 –, le Front de gauche pouvait devenir le levier d’un redressement de la gauche autour d’une nouvelle ligne directrice. Que l’on se remémore un instant le contexte de ces premières années du millénaire.
DES AMBITIONS ORIGINELLES…
La crise financière de 2007-2008 avait entraîné, dans les consciences de millions d’hommes et de femmes, une profonde délégitimation du modèle économique néolibéral dévastant la planète depuis trois décennies. Elle suscitait, dans de nombreux pays de l’Union européenne notamment, des mobilisations populaires monstres, s’inscrivant dans l’élan d’un mouvement altermondialiste ayant auparavant commencé à exprimer, à une très large échelle, qu’il existait une alternative possible à un capitalisme globalisé et financiarisé. En France, le rejet du pouvoir sarkozyste allait croissant, et cela devait se traduire par le mouvement social de 2010 en défense du droit à la retraite, l’un des plus importants par son ampleur depuis Mai 68. L’élection de François Hollande et d’une majorité de gauche à l’Assemblée nationale, deux ans plus tard, devait d’ailleurs être l’effet différé de ce double mouvement de rejet des solutions néolibérales et de la droite néoconservatrice.
Faisant écho aux promesses de renouveau se faisant jour sur le continent (avec le Bloco de Esquerda au Portugal, Izquierda Unida en Espagne, Die Linke en Allemagne, le regroupement unitaire préfigurant l’actuelle Syriza en Grèce, le Parti socialiste des Pays-Bas…), le Front de gauche voyait le jour. Il était le fruit de la convergence, inédite en France, du Parti communiste, du courant « Pour la République sociale » fraîchement sorti du Parti socialiste, et des « unitaires » que nous étions au sein de la LCR puis du NPA. C’est dans ce contexte que nous fondions Gauche unitaire, avec pour objectifs de nous intégrer dans cette entente et d’en nourrir la dynamique, afin qu’elle soit en mesure de dépasser ses limites de simple cartel de trois partis.
En pratique, nous ne voulions ni incarner une « aile gauche » (et encore moins un courant d’extrême gauche…) au sein du Front de gauche, ni nous contenter de représenter un « trait d’union » entre le Parti communiste et le Parti de gauche. Nous affichions au contraire pour ambition d’œuvrer à ce que la nouvelle construction se détourne de toute tentation d’occuper simplement un espace « à gauche de la gauche ». Ce qui nous amenait à défendre systématiquement l’idée selon laquelle il fallait s’inscrire dans l’aspiration antidroite montant de la société française, tout en proposant à l’ensemble de la gauche une offre politique fondée sur la contestation de l’ordre néolibéral et un programme d’urgence répondant aux aspirations populaires. À nos yeux, il convenait d’éviter à la gauche française de subir un scénario à l’italienne, avec la quasi-disparition dans ce pays des forces se référant à l’héritage du combat transformateur du mouvement ouvrier. D’où l’objectif, sur lequel nous mettions systématiquement l’accent durant les premières années d’essor d’une expérience commune enthousiasmante, d’un changement du rapport des forces dans le camp progressiste, en affichant un projet résolument majoritaire pour battre le social-libéralisme. C’est ainsi que GU contribua, à la mesure de ses forces bien sûr, aux succès de la campagne des européennes puis de celle des régionales, en 2009 et 2010, et qu’elle milita afin que la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2012 s’adressât à toute la gauche en dessinant un début de réponse cohérente à la crise française.
… AU CHANGEMENT DE PÉRIODE HISTORIQUE
Refaire le chemin des six années écoulées permet de mesurer à quel point nous abordons une toute nouvelle période historique. La globalisation capitaliste est parvenue à surmonter la tourmente financière née avec la crise des ”subprimes” aux États-Unis et, plus encore, à résister aux contestations populaires qui s’en étaient suivies. Certes, le modèle néolibéral ayant réorganisé le monde au cours des trois dernières décennies place désormais l’humanité au bord du gouffre. Il n’en reste pas moins que, sur la toile de fond des échecs essuyés par les tentatives de rouvrir aux peuples un horizon de justice et de dignité, la crise du nouvel ordre planétaire prend principalement la forme de convulsions, de crises, de chaos.
Alimentées par les politiques ayant abouti à la liquidation des régulations publiques et même à la désagrégation de très nombreux États du Sud, autant que par les interventions militaires des États-Unis et de leurs alliés avec pour prix la disparition de toute perspective démocratique dans les zones concernées, de nouvelles barbaries, tribales ou fondamentalistes, dévastent une large partie de la planète, et singulièrement du monde arabo-musulman. La guerre s’installe jusqu’aux portes de notre continent : amplifiée par les logiques de concurrence exacerbées dans le contexte d’impasse devant laquelle se retrouve le nouvel âge du capitalisme ; attisée par une crise écologique devenue l’enjeu primordial du XXI° siècle ; encouragée par les déséquilibres démographiques poussant à la redéfinition des rapports de force mondiaux autant qu’au redéploiement des firmes transnationales ; décuplée par une pression sans cesse plus intense sur les réserves foncières ou les matières premières… La construction européenne s’avère le reflet de ces tendances à une instabilité chronique, en se retrouvant sous la coupe de l’ordolibéralisme venu d’outre-Rhin et consistant à placer tous les moyens des États sous la coupe de marchés libérés de toute réglementation et de tout contre-pouvoir politique.
En dépit de ce désordre généralisé, le souffle des révolutions citoyennes d’Amérique latine et du monde arabe a fini par être étouffé. Après avoir vu se lever un immense vent d’espérance, les populations concernées se retrouvent prises en otages de conflits ethniques ou religieux, de régressions nationalistes, de poussées inquiétantes de forces éminemment réactionnaires. Les immenses soulèvements anti-austérité de Madrid, Bruxelles, Rome, Lisbonne, Athènes ou Paris, ne seront quant à eux pas parvenus faire fléchir les classes dirigeantes. Et si, en Grèce ou en Espagne, des forces comme Syriza ou Podemos ont su capter les aspirations populaires à des changements profonds, si en Grande-Bretagne Jeremy Corbyn vient de mettre en déroute les héritiers de Tony Blair dans le Labour Party, les mouvements sociaux ou citoyens auront simultanément perdu une large part de leurs capacités d’initiative propres.
Pour cette raison, la perspective du socialisme affronte une crise qui va grandissant. Après l’effondrement à la fin du siècle dernier des dictatures bureaucratiques de l’Est européen, la mise en crise simultanée du projet social-démocrate sous l’impact d’une économie si financiarisée et dérégulée qu’elle vide de substance l’idée de redistribution par l’entremise de l’État social, les défaites essuyées par toutes les expériences transformatrices, elle ne peut s’adosser à de nouvelles hypothèses stratégiques suffisamment porteuses et pertinentes pour relever les défis d’un ordre mondial commençant à se délabrer, et pour permettre la refondation d’un dessein d’émancipation humaine. La question des moyens de la transformation de la société, comme celle des acteurs à même de conduire cette dernière, demeurent sans réponses perceptibles à une large échelle. Ce qui pèse lourdement sur les consciences bien que, de par sa place dans les processus de production et le rapprochement de plus en plus marqué de ses conditions d’existence, une majorité de l’humanité possède un intérêt commun au surgissement d’un nouvel ordre politique et social.
L’HEURE D’UNE REFONDATION GLOBALE
De sorte que c’est aux conséquences dévastatrices d’une fin de cycle que l’ensemble des traditions de la gauche se retrouve confronté. La fuite en avant sociale-libérale des sommets de la social-démocratie menace désormais les partis qui s’en revendiquent d’une rupture définitive avec les classes populaires et d’une déréliction idéologique les atteignant dans leur crédibilité même de forces de pouvoir. Les partis issus du « mouvement communiste international » demeurent souvent, tout particulièrement en France, d’un apport essentiel aux résistances sociales et à la recherche d’alternatives de progrès, mais ils subissent toujours le poids des monstrueuses dérives totalitaires des régimes issus des révolutions du XX° siècle. Le courant écologiste, s’il a justement posé la question fondamentale d’un nouveau modèle de développement, n’est quant à lui pas devenu le nouveau « paradigme » qu’il aspirait à incarner, et les organisations qui s’y rattachent doivent affronter les mirages du ”« capitalisme vert »” nourrissant en leur sein de multiples tentations de composer avec l’ordre établi. Quant à l’extrême gauche, son échec a été consacré par son impuissance à définir une visée à vocation majoritaire autant que d’inspiration démocratique, faisant péricliter ses principales formations, y compris celles qui se montraient les plus ouvertes aux nouvelles réalités du monde, telle la IV° Internationale.
L’urgence est, par conséquent, à une refondation globale. Refondation des bases programmatiques de nature à rouvrir un chemin d’espoir aux peuples. Refondation d’une stratégie à la hauteur des spasmes d’une mondialisation bafouant la souveraineté des peuples, celle des nations et les droits fondamentaux du plus grand nombre. Refondation d’un nouveau bloc historique susceptible d’unir toutes les classes et forces sociales ayant intérêt à un nouveau mode de développement, socialement utile et écologiquement soutenable. Refondation d’un projet socialiste et communiste qui, tirant les leçons des désastres du siècle dernier et adaptés aux coordonnées de celui qui débute dans l’incertitude et les convulsions, redeviendra cette ”« grande force de vie »” qu’exaltait Jean Jaurès. Refondation des instruments adaptés aux nouvelles configurations du combat de classe, aux plans syndical et associatif autant que partidaire. Refondation, dès lors, de la gauche elle-même, dans toutes ses traditions et conformations, pour la soustraire aux retombées destructrices des orientations d’accompagnement du libéralisme autant qu’aux effets mortifères de ses divisions. C’est ainsi qu’il deviendra possible de repartir à la bataille pour l’hégémonie culturelle, en s’adossant à cette ”« conception humaniste historique »” dont parlait si bien Antonio Gramsci.
LA FRANCE DANS L’ŒIL DU CYCLONE
Plus de trois ans après qu’une forte attente populaire eût permis de battre Nicolas Sarkozy et la droite, la France concentre toutes les menaces de la période. L’aggravation constante du cours libéral de la politique suivie au sommet de l’État, au mépris des promesses du candidat Hollande, la démolition corollaire de droits sociaux et protections collectives conquis de haute lutte, la réforme des collectivités locales par la loi « NOTRe » au risque d’aggraver considérablement les fractures sociales et territoriales, l‘affaiblissement de la République et la perte de substance des politiques publiques ont pour principales conséquences de générer désarroi et démoralisation dans la société, reculs et divisions du mouvement social au gré des coups qui lui sont portés, perte des repères et encouragement des pires confusions. En l’absence d’alternative de pouvoir à la hauteur, si c’est le Parti socialiste qui en paie le prix le plus élevé, l’ensemble de la gauche recule simultanément, ne parvenant pas à proposer à la France des perspectives correspondant à ses besoins. Au fil des scrutins successifs, elle perd ce qui aura fait historiquement sa force, à savoir son enracinement dans les territoires.
Dans le même temps, les thèmes marquants du néoconservatisme – ceux du retour à un ordre moral et à un pouvoir autoritaire, de la haine de l’Autre et de l’opposition entre les citoyens selon des lignes de fracture ethnique, d’une quête identitaire se substituant au principe républicain d’égalité – n’ont cessé de marquer des points dans les consciences. Les grandes mobilisations de rue contre le « Mariage pour tous », autant que les succès électoraux d’une droite affichant sans complexe ses visées ultraréactionnaires et désormais sous l’influence de l’extrême droite, ont par surcroît témoigné des batailles idéologiques perdues par la gauche et les forces démocratiques. Ce qui octroie au Front national sa place présente, lui permet de disputer au camp progressiste son électorat traditionnel, et lui offre la possibilité d’accéder au pouvoir au cours des prochaines années.
Le spectre d’une débâcle plane donc sur la gauche, avec le risque de la voir purement et simplement éliminée du second tour de la prochaine présidentielle. Plus que d’une simple réédition du 21 Avril, c’est d’une marginalisation politique de très longue durée dont elle se trouve menacée. Car une déroute en 2017 viendrait couronner, en même temps, les défaites de 2014 et 2015, qui l’ont privée de la plus grande partie de son ancrage dans les territoires, et le très fort recul de son influence parmi les travailleurs et les classes populaires. Le pays pourrait ainsi, demain, se retrouver polarisé entre une droite assoiffée de revanche et une extrême droite déterminée à substituer son programme de ”« priorité nationale »” aux principes républicains, sans concurrence d’une gauche devenue résiduelle.
LE FRONT DE GAUCHE EN PROIE À UNE CRISE MAJEURE
Rien n’est, pour autant, définitivement joué. Les marches citoyennes des 10 et 11 janvier auront, à cet égard, attesté du fort potentiel maintenu, au cœur de notre société, de résistance et de contre-offensive. Comme je l’ai écrit à plusieurs reprises dans ces colonnes, et quoique le retour du peuple dans les rues du pays ait été laissé sans réponses à la hauteur du côté de la gauche, c’est l’affirmation d’un nouveau pacte politique et social, refondateur de la République, qui est d’évidence à l’ordre du jour. Un pacte du niveau de ce que représenta, en son temps, le programme du Conseil national de la Résistance. C’est-à-dire une plate-forme à travers laquelle une majorité du pays pourrait trouver l’écho de ses aspirations à une société de justice et de solidarité, retrouver sa souveraineté sur toutes les décisions qui l’engagent, voir la France reprendre dans le concert des nations une place conforme à sa devise de liberté, d’égalité et de fraternité.
C’est avec cette histoire qu’il importe maintenant de renouer. Pour que la classe travailleuse retrouve enfin l’élan du combat, que se reconstruise l’unité des forces vives de la gauche, que convergent de nouveau les organisations du mouvement populaire, que se rassemblent toutes les énergies sociales ayant le même intérêt à faire front face à un système porteur de régressions civilisationnelles et de dévastations. Comme à tous les moments décisifs de l’histoire, c’est une politique d’unité sur un contenu audacieux qui sera l’instrument de défenses efficaces face à des adversaires déterminés, autant que de contre-offensives génératrices de grandes avancées démocratiques et sociales.
Eu égard à des enjeux à ce point cruciaux, il n’est cependant plus possible de se soustraire au constat que le Front de gauche se retrouve en situation d’échec, impuissant à dépasser les limites qu’il a désormais atteintes. Sa force propulsive initiale sera venue se disloquer sur les erreurs d’appréciation et les choix qui se seront imposés à lui dès le lendemain de l’élection présidentielle. L’analyse selon laquelle une révolution citoyenne ne tarderait pas à suivre la trahison des engagements du candidat Hollande, l’idée selon laquelle une recomposition favorable à la gauche anti-austérité serait mécaniquement rendue envisageable par l’effondrement du Parti socialiste, la thématique du ”« Front contre Front »” pour répondre à la pression lepéniste, la prédominance de postures stériles de dénonciation et de discours incantatoires, le refus obstiné d’une partie de ses organisations de poser la question cruciale du rassemblement à gauche sur d’autres choix que ceux du gouvernement l’auront enfermé dans une impasse. S’éloignant de son projet fondateur, voyant au surplus s’imposer en son sein des comportements de chantage et des pratiques de coups de force, n’apparaissant plus porteur d’une perspective crédible de changement, le Front de gauche aura fini par se rendre inaudible d’un électorat de gauche déboussolé. Une remise à plat générale serait, sans doute, encore envisageable, mais elle supposerait, de la part de ceux qui ont été l’expression dominante de notre construction commune ces dernières années, des remises en cause considérables.
Les réorganisations que le Front de gauche appelait de ses vœux lors de sa constitution, voici un peu plus de six ans, restent évidemment d’une brûlante actualité. Sauf que, dans l’environnement désintégrateur où se débat l’ensemble des familles progressistes, lesdites réorganisations surgiront inévitablement à partir ou autour des deux courants dont la pérennité vient du fait qu’ils ont historiquement structuré la gauche française, le Parti socialiste et le Parti communiste. On voit, dès à présent, comment le premier se fracture entre deux orientations irrémédiablement antagonistes : celle qui, avec le Premier ministre ou les secteurs entendant pousser jusqu’au bout leur adhésion à la doxa néolibérale, ne dissimule plus son intention de transformer le PS en un centre gauche rompant ses dernières amarres avec les traditions du mouvement ouvrier ; et celle qui, autour d’une Martine Aubry ou de l’aile dite frondeuse en appelle à la renaissance d’une social-démocratie cherchant à renouer avec son identité originelle. Et chacun peut, sans grande difficulté, relever la place qui revient au second, par-delà les débats qui ne manqueront pas de le traverser à l’occasion de son congrès de l’an prochain, dans la structuration des résistances à un contexte aussi émollient que désespérant pour le plus grand nombre.
Devant des coordonnées à ce point bouleversées eu égard à celles qui avaient motivé le pari de 2009, il serait suicidaire de continuer à chercher des raccourcis, comme d’aucuns le tentent encore au mépris de la réalité, que ce soit en prétendant s’inspirer de l’exemple de Podemos et en proclamant contre l’évidence que va naître des profondeurs de la société une vague citoyenne échappant aux « appareils » partisans, que ce soit en retrouvant les postures éculées d’une extrême gauche seulement capable de camper sur ses tropismes idéologiques en attendant la désintégration finale de la social-démocratie, ou que ce soit en se lançant dans le bricolage d’alliances censées devancer le PS dans les urnes. Il serait tout aussi irresponsable d’entretenir l’émiettement des forces travaillant à redresser la gauche, de cultiver les particularismes, de préserver des prés carrés ayant été délimitées au fil des expériences passées, aussi légitimes aient d’ailleurs été, au départ, ces existences séparées les unes des autres.
UN SIGNAL DE RESPONSABILITÉ
Telles sont, en résumé, les réflexions qui ont amené Gauche unitaire à se poser la question de son devenir. Non qu’elle n’eût quelques motifs d’authentique satisfaction devant le capital de réflexion et d’expériences militantes accumulé au long de six années intenses. Non qu’elle négligeât l’utilité qu’avait pu représenter la préservation de ses capacités de dialogue avec l’ensemble de la gauche, quand une division effrénée approfondissait jour après jour la désorientation et la démoralisation populaires. Mais elle ne pouvait se détourner du devoir de lucidité qui l’avait depuis le départ inspirée.
Alors qu’elle avait lié sa fondation à la création du Front de gauche, et qu’elle s’était assigné pour première mission de faire de ce dernier l’instrument de la reconstruction d’une gauche digne de ce nom, comment eût-elle pu ignorer que la dynamique initialement escomptée ne s’était pas retrouvée au rendez-vous ? Comment eût-elle pu obérer qu’il devient urgent de réfléchir aux constructions bien plus larges qui vont s’avérer indispensables dans le futur, même si l’actuelle coalition peut encore représenter un cadre utile d’échanges et d’unité d’action entre les partis qui en sont membres ? Comment, surtout, eût-elle pu se dérober au constat que les convergences avec le Parti communiste n’avaient cessé de se confirmer, tandis que les dissensions se multipliaient avec d’autres composantes du Front de gauche ?
Le regroupement des deux partis au sein du PCF en devenait, du même coup, incontournable. Parce que l’un et l’autre se revendiquent du communisme, l’ami Pierre Laurent étant allé jusqu’à écrire dans l’un de ses derniers ouvrages qu’il convenait de refermer les plaies nées de l’affrontement ayant si longtemps opposé les tenants du même idéal… Parce que les réseaux militants sur lesquels s’appuie le Parti communiste, autant que son implantation dans le monde du travail, lui confèrent une capacité exceptionnelle de saisir la réalité du pays et de contribuer à ouvrir une issue positive à la crise majeure que celui-ci affronte… Parce que, comme GU, Pierre Laurent et ses camarades n’ont jamais cédé aux errements gauchistes et discours isolationnistes qui ont fini par paralyser le Front de gauche, préférant situer leur action au cœur de la gauche… Parce que nos deux formations ont pu vérifier, à la chaleur des combats conduits côte-à-côte, qu’elles partageaient la même appréciation des enjeux cruciaux du moment politique présent et des nécessités qui en découlent pour redonner un espoir à notre peuple, rassembler de nouveau la gauche en en changeant radicalement le cours, faire barrage à une droite et à une extrême droite qui menacent la France d’un grand bond en arrière… Parce qu’il s’agit-là d’un socle solide à partir duquel les apports des uns et des autres se révéleront mutuellement enrichissants…
Ces constats étaient plus que suffisants, quelles que soient les histoires propres de chacun et les nuances qui peuvent éventuellement subsister, pour que nous ayons voulu délivrer un signal fort. Celui de la responsabilité… Celui du courage de briser avec les routines sclérosantes… Celui de l’unification des forces attachées à une certaine conception de la gauche et de l’action transformatrice…