Après la victoire de Syriza, une bataille décisive commence

Ils auront donc infligé le plus cruel des camouflets à tous ceux qui rêvaient de les voir mordre la poussière. Je veux évidemment parler d’Alexis Tsipras et de ses camarades. Et, face à eux, unis dans une étonnante détestation convergente, des droites conservatrices dirigeant la plupart des gouvernements du continent, qui escomptaient être débarrassés de ces rebelles dont chacun sait qu’ils ne sont pas rentrés dans le rang en se trouvant forcés de parapher le Mémorandum austéritaire du 13 juillet, et tous les contempteurs de gauche de Syriza qui, fussent-ils à des milliers de kilomètres et murés dans leur certitude qu’une trahison avait alors été commise, attendaient avec une certaine gourmandise un impitoyable vote de sanction de la part du peuple grec.

Ces tristes calculs auront été déjoués. En accordant à Syriza et à ses alliés du parti des Grecs indépendants un résultat leur permettant de disposer de nouveau d’une majorité à la Vouli (35,5% pour le principal parti de la gauche et 3,7% pour son partenaire), les électrices et électeurs auront clairement délivré un double message. En premier lieu, qu’ils savaient gré à l’équipe sortante de s’être battue avec acharnement contre les exigences des « créanciers ». Ensuite, que si le résultat du dernier sommet de l’Eurogroupe représenta un terrible coup à l’espoir né des votes du 25 janvier et du 5 juillet, ils n’en donnaient pas moins acte à leur Premier ministre de n’avoir cédé que sous la contrainte, sans leur avoir ensuite menti sur les terribles conséquences du consentement qu’il avait dû donner à un accord en tout point contraire à son mandat.

En ce sens, il faut prendre le scrutin de ce 20 septembre, non comme une manifestation de résignation, ou un acte de capitulation, devant la violence déchaînée par une Europe désormais sous domination allemande contre une toute petite nation, mais comme une expression de la résistance de cette dernière. S’ils avaient vraiment voulu exprimer leur acceptation du traitement que les gouvernants de la zone euro leur font subir, les Grecs eussent sans nul doute voté pour Nouvelle démocratie ou To Potami, partis parfaitement en phase avec la ”doxa” monétariste et libérale qui inspire l’action de Berlin et Bruxelles. Ils auront, au contraire, renouvelé leur appui à une formation qui assumait devant eux la défaite qu’elle avait subie, leur proposant de poursuivre la bataille en se glissant dans la moindre brèche qui se présenterait pour protéger les plus fragiles et reposer sans cesse la question de la renégociation de la dette, condition pour que le pays pût retrouver le chemin du redressement.

UN SCRUTIN REFLET DU RAPPORT DES FORCES

Certes, le verdict des urnes aura été délivré loin de l’enthousiasme des premiers mois. Mais qui pourrait s’en étonner, dès lors que chacun sait pertinemment que la prochaine période va s’écrire sous la forme d’une humiliation nationale accentuée, de coupes claires dans les budgets sociaux ou le pouvoir d’achat des retraites, du démantèlement de ce qu’il demeure de la puissance public hellène, d’une plongée de l’économie dans la dépression et le surendettement aggravé qui en sera le corollaire, du terrible affaiblissement des secteurs d’activité contribuant le plus au produit intérieur brut, à commencer par un tourisme durement pénalisé par les hausses annoncées des taux de TVA ? Qu’il se fût trouvé, dans un pareil contexte, une majorité de citoyens pour reconduire un pouvoir sortant n’ayant en rien abdiqué de ses fondamentaux anti-austéritaires et de sa résolution à se battre pour un autre futur sonne comme une sourde revanche de la démocratie sur une oligarchie se voulant toute-puissante.

Quelque part, cette consultation donne l’exacte mesure de l’état d’esprit d’un peuple, et plus précisément de sa perception du rapport de force dont il dispose face à ses adversaires. Il se confirme ainsi que, si Alexis aura dû s’incliner cet été face aux dix-huit autres chefs d’État et de gouvernement de la zone euro, c’est bien en raison de l’épuisement de ses concitoyens au terme d’années d’affrontements avec la « Troïka » et de recul patent des mobilisations sociales. Son choix du 13 juillet ne sera donc pas apparu comme relevant d’un mépris cynique pour les engagements souscris devant le suffrage universel, mais comme une décision à laquelle il estimait ne pas pouvoir se dérober, sauf à prendre le risque du chaos financier auquel les marchés eussent immanquablement voulu amener son pays en cas de « Grexit ».

C’est de ce point de vue que doit s’apprécier la déconfiture d’Unité populaire, sortie de Syriza pour manifester son désaccord avec la position d’Alexis Tsipras dans la négociation bruxelloise de juillet. Obtenant un score qui l’élimine du Parlement (2,8% des suffrages), malgré ses 25 députés sortants comme la popularité des personnalités qui la soutenaient (à l’image de Yannis Varoufakis ou Zoe Konstantopolou, l’ancienne présidente de la Vouli), celle-ci paie chèrement son erreur d’appréciation de la réalité grecque et, plus encore, son incapacité à sortir d’une posture radicale de principe, la sortie de l’euro ne suffisant pas à définir une alternative à vocation majoritaire. Comme le laissaient d’ailleurs entrevoir les enquêtes d’opinion réalisées depuis juillet, les électeurs et électrices ayant porté Syriza au gouvernement de la Grèce le 25 janvier, tout autant que ceux qui avaient plébiscité le « non » cinq mois plus tard, ne souhaitaient manifestement pas cette guerre fratricide. Quelles que soient les indéniables qualités de ses animateurs, ils n’auront pour cette raison perçu, en ce nouveau parti, que le danger de voir la droite revenir aux affaires, et avec elle un personnel aussi corrompu que détesté pour avoir, des années durant, bradé l’intérêt du pays et de sa classe travailleuse. Quelle leçon de choses pour tous ceux qui se seront, depuis notre Hexagone, crus habilités à se transformer en protagonistes de la bataille déchirant la gauche hellène, voire à instruire le procès de Tsipras au nom du ”« plan B »” censé bouleverser les conditions de l’affrontement avec l’Eurogroupe.

Cela dit, si d’aucuns s’estimaient fondés à faire du succès de Syriza la démonstration du bien-fondé de la politique de François Hollande, ils commettraient un sacré contresens. Dans ”Le Figaro” de ce 23 septembre, l’un des plus anciens zélateurs de la libéralisation de la social-démocratie, l’universitaire Gérard Grunberg, révèle la campagne d’opinion qui se profile. ”« La gauche radicale française,” écrit-il, ”ne peut donc plus se réclamer de l’exemple grec pour condamner la ligne politique du pouvoir socialiste au nom de la lutte contre l’austérité. »” C’est, tout simplement, négliger l‘essentiel : Alexis Tsipras aura tout tenté pour desserrer l’étau de l’équilibre budgétaire et de l’acquittement de la dette à tout prix, il ne s’est incliné qu’au constat de son isolement en Europe et de l’extrême difficulté qu’aurait rencontré la Grèce en renversant la table ; l’hôte de l’Élysée aura, lui, avalisé sans le moindre combat l’ordolibéralisme que Madame Merkel impose à l’ensemble du continent et il ne cesse, contre l’évidence, de présenter la dérégulation de l’économie ou la casse des protections collectives comme le ”summum” de la modernité. Le premier aura gagné tous les scrutins de ces huit derniers mois en ayant su faire appel à l’intelligence collective de ses compatriotes et à la volonté de ces derniers d’affronter unis l’adversité, l’autre aura divisé la gauche comme rarement dans le passé et il est en train de la transformer en champ de ruines.

L’AVENIR SE JOUE MAINTENANT

Il n’en reste pas moins qu’une nouvelle bataille s’engage, et qu’elle sera d’une extrême férocité. Il va falloir à la nouvelle majorité de gauche faire face à la brutalité inentamée de pouvoirs qui entendent punir les Grecs de leurs velléités de retrouver un avenir digne de ce nom. Il va lui falloir, dans ces conditions particulièrement difficiles, reconstruire un rapport de force lui permettant de faire reculer les « créanciers » sur leurs projets les plus scélérats. Il va lui falloir, surtout, compter sur un soutien extérieur bien plus conséquent qu’il ne l’a été jusqu’à présent, s’il veut arracher cette conférence sur la restructuration des dettes souveraines sans laquelle il n’y aura de sortie de crise ni pour ce pays martyrisé, ni pour notre continent.

L’ami Alexis vient de remporter, je l’ai dit, sa troisième victoire électorale consécutive. Celle-ci aura cependant été acquise sur le fil du rasoir, sans que ne se dissipent les nuages obstruant l’horizon. Syriza sera sortie durement ébranlée de la scission qui l’aura affectée, l’abstention aura atteint le niveau record de 43,5% ce dimanche et, bien que n’ayant pas connu la percée que beaucoup redoutaient, les néonazis d’Aube dorée n’en seront pas moins devenus la troisième force politique de Grèce. En clair, les tendances au découragement travaillent en profondeur cette société, en dépit de la détermination populaire réaffirmée à ne pas s’incliner devant des coups de force financiers à répétition.

Nous tenons là notre feuille de route, que le Parti de la gauche européenne aura à cœur de définir plus précisément lors de la réunion de ses instances dirigeantes ce week-end : mobiliser le plus largement à gauche, sans y mettre d’autre exclusive qu’une nécessaire volonté partagée de porter un coup d’arrêt aux dévastations provoquées par des politiques ruinant jusqu’à l’idée d’Europe.

Christian_Picquet

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