Et maintenant ? (2) Une issue reste possible à gauche

Je poursuis la réflexion, entamée par ma note précédente, sur le contexte hexagonal du lendemain des régionales. S’il se révèle singulièrement angoissant, la légèreté, pour ne pas dire l’inconscience, avec lesquelles on l’appréhende à gauche ne l’est pas moins. Pour un peu, après la dramatisation ayant accompagné la menace que le Front national faisait peser sur deux ou trois Régions, on éprouverait presque l’impression que les uns n’aspirent qu’à en revenir au plus vite à la préparation de la très hypothétique réélection de leur champion élyséen, tandis que les autres sont pressés de retourner à la gestion tranquille de leur pré-carré d’opposants de gauche autoproclamés au social-libéralisme gouvernemental. C’est avec ce genre d’attitudes que l’on se prépare aux plus cinglantes déconvenues.

À dire vrai, le mal paraît bien plus profond qu’une banale inaptitude à réagir à la hauteur des événements. Prenons l’aire gouvernante. Au travers du constat, ô combien justifié, du décalage se creusant entre le parti aux affaires et les attentes de la société, s’est de toute évidence rouvert le débat dont les militants socialistes s’étaient vus privés lors du congrès de Poitiers, au printemps dernier, et qui pourrait se conclure à présent… sans qu’ils n’aient davantage à se prononcer. Qui ne devine, en effet, instruit par l’actualité récente, la stratégie que recouvraient les tonitruances antilepénistes de Manuel Valls à l’occasion de ces régionales ? L’appel au ”« front républicain »” et, plus encore, au retrait des listes socialistes avant même que les urnes aient rendu leur verdict au soir du premier tour, anticipaient manifestement la transformation souhaitée de la première organisation de la gauche française en un vague centre gauche s’inspirant, au choix, de l’exemple du New Labour blairisé en Grande-Bretagne, ou de celui d’un Parti démocratique italien ayant décidé de se dépouiller de toute référence à l’histoire ouvrière de la Péninsule.

Reconnaissons au Premier ministre qu’il possède au moins la vertu de la cohérence. Alors qu’il n’était encore que le challenger à 5% des poids lourds de la rue de Solferino pour la « primaire » de 2011, il se prononçait déjà pour un changement d’appellation du PS et une orientation se détournant de ce qui relève à ses yeux d’une ”« gauche passéiste »”. Avant de récidiver, en marge des dernières assises du parti, lorsqu’il plaidait dans les colonnes de ”L’Obs” en faveur du ”« dépassement »” de la vieille maison socialiste. Cette ligne de conduite n’avait manifestement pas eu les faveurs des adhérents, dont les suffrages s’étaient majoritairement portés sur des textes plutôt éloignés de ces propositions. Une loi rarement démentie de la politique veut toutefois que seuls les plus déterminés avancent ”in fine”. Démonstration vient d’ailleurs de nous en être administrée avec l’affaire de la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables d’atteinte aux intérêts de la France.

Il ne fait aucun doute que l’annonce, par le président de la République devant le Congrès réuni en novembre à Versailles, que serait proposée à ce dernier une révision de la Constitution comprenant cette mesure, défendue depuis toujours par le Front national, ne recueille pas une approbation majoritaire à gauche. François Hollande et Manuel Valls n’en ont pas moins décidé de passer en force, de maintenir cette disposition au vote des députés et sénateurs, souhaitant manifestement que le ralliement de la droite, conjuguée à la fracturation profonde de la gauche et des groupes parlementaires socialistes, viennent dessiner un nouvel axe politique sur le moyen terme. Qu’importait donc, aux deux têtes de l’exécutif, qu’une disposition de cette nature ne s’avère d’aucune utilité pratique dans la lutte contre un terrorisme qui transforme ses soldats perdus en kamikazes suicidaires ? Et, surtout, qu’ils jouent avec le feu en minant un principe fondamental de la République ? L’essentiel était ailleurs. Il fallait, pour faciliter l’accouchement d’une nouvelle donne politique, que soit introduite une rupture d’égalité entre les citoyens français. Ce qui ne s’était plus vu depuis… Vichy.

DE L’« ALLIANCE POPULAIRE » À… LA RECOMPOSITION À DROITE ?

Cela explique probablement que l’on ait assisté, ces derniers jours, au sommet du PS, à ces impressionnantes acrobaties ayant pour le moins égaré les commentateurs. Après s’être prononcé en faveur d’une inflexion à gauche de la gestion gouvernementale, et avoir évoqué ce fameux ”« plan contre la précarité »” qui viendrait prendre le relais du « pacte de compétitivité », on a ainsi vu Jean-Christophe Cambadélis investir à son tour le terrain de la ”« recomposition »” à droite, sans cependant l’assumer ouvertement ni renoncer, officiellement du moins, à ses appels antérieurs à l’unité de la gauche. Nul ne sait, du coup, ce que recouvre dorénavant sa proposition d’« Alliance populaire ». S’agit-il d’une mutation du parti dont il est le premier secrétaire (en clair, d’une réécriture de sa charte fondatrice pour consacrer le renoncement définitif à l’héritage stratégique du congrès d’Épinay), ou de la formation d’une simple coalition regroupant autour du PS les petites formations avec lesquelles il a d’ores et déjà noué des partenariats, du Parti radical de gauche aux dissidents d’Europe écologie-Les Verts ?

Naturellement, cette ambiguïté ne pourra se prolonger indéfiniment. Lorsqu’elle se dissipera, c’est peut-être un tout nouveau paysage politique qui se dévoilera. Un paysage dont aurait disparu une social-démocratie qui s’était reconstruite, en 1971, à partir d’un projet d’union de la gauche affichant pour objectif la rupture avec le capitalisme. L’exigence du changement social et de l’égalité républicaine ne se trouverait plus, à ce moment, portée que par les forces qui, divisées, n’ont totalisé qu’un dixième environ des suffrages exprimés aux dernières régionales.

Au fil des décennies, la résistance des militants et des électeurs socialistes avait interdit que la page de quatre décennies d’histoire soit tournée. La pratique des gouvernements structurés par cette famille politique depuis 1981 avait bien pu s’adapter de plus en plus aux règles d’un ordre économique aussi dérégulé que financiarisé à l’extrême. Les hiérarques du PS avaient bien pu consentir à admettre, dès le congrès de l’Arche en 1991, que ce nouveau capitalisme constituait pour eux un ”« horizon indépassable »”. Rien n’avait jusqu’alors autorisé, au grand dam des « modernisateurs » de tout poil, que le parti tranche le lien qui le rattachait encore au socialisme républicain des origines. On mesure, par conséquent, l’ampleur du séisme sur lequel pourrait, demain, se conclure le quinquennat inauguré le 6 mai 2012…

UN ENJEU QUI DÉPASSE LE SEUL PARTI SOCIALISTE

Que ceux qui seraient tentés d’attendre avec gourmandise cette « clarification », espérant qu’elle remette en selle les tenants d’une démarche radicale à gauche, ne s’y trompent pas. Si le projet hollando-vallsiste venait à se réaliser, c’est une nouvelle défaite que connaîtrait notre camp social et politique dans son ensemble. Un Front national prompt à exercer sa démagogie en direction des exclus du système, sur des thématiques qu’il nous dérobe pour en détourner le sens et nourrir sa visée xénophobe de ”« priorité nationale »”, y gagnerait encore en influence. Et si la confusion s’en trouverait d’autant accentuée, on n’assisterait probablement pas à cette ”« liquéfaction »” du PS que d’aucuns se hasardent encore à pronostiquer. Surtout dans les périodes de défensive comme celle que nous traversons, lorsque le rapport des forces se dégrade à mesure que les mobilisations populaires se voient mises en échec, quand la conscience collective se trouve pénétrée depuis des années par un fatras idéologique au plus haut point réactionnaire, l’électorat progressiste – celui, du moins, qui continue à se rendre aux isoloirs – a systématiquement tendance à porter ses suffrages vers la formation qui lui semble pouvoir correspondre, fusse ”a minima”, à sa demande de protection face à un adversaire déterminé à faire prévaloir ses vues inégalitaires et liberticides. Quelle que soit, par ailleurs, l’exaspération suscitée par les démissions et renonciations de la formation en question.

Les prophéties catastrophistes que j’ai si souvent entendues dans les rangs de la gauche anti-austérité s’accompliront d’autant moins que le Front de gauche a, irrévocablement, échoué à faire entendre sa parole. À cet égard, Jean-Luc Mélenchon a raison de constater, au regard des scores un peu partout recueillis au soir du 6 décembre, que nous en sommes revenus six années en arrière. Mais à qui la faute ? À ignorer délibérément la demande d’unité face aux menaces qu’incarnent la droite et l’extrême droite… À persister, de revers électoraux en initiatives plus ou moins ratées, dans des analyses erronées de la réalité française… À expliquer, contre l’évidence, que le Parti socialiste allait connaître le même sort que son homologue grec… À se réfugier, du coup, dans des attitudes incantatoires et des dénonciations aussi virulentes que stériles du reste de la gauche… À répéter à en perdre l’haleine qu’une révolution citoyenne n’allait pas tarder à se lever et que ce serait alors au tour de « l’opposition de gauche » de se voir confier les rênes du pays… À considérer, à partir de là, que le sort de la France se déciderait dans une confrontation ”« Front contre Front »” avec l’extrême droite… On aura délivré à des millions d’hommes et de femmes un message à ce point « hors sol » qu’il aura fini par perdre toute crédibilité.

Ce n’est pas faute d’avoir alerté sur l’extrême danger de ces errements gauchisants, les lectrices et lecteurs de ce blog peuvent en témoigner. Seulement, ces mises en garde répétées, ces exhortations à initier un mouvement de réorientation sans tabous se seront systématiquement heurtées, avec le pic paroxystique des municipales de 2014 à Paris ou Toulouse, à des torrents d’imprécations, à des déluges d’injures, à des débordements d’anathèmes. Comme il est rageant de devoir, en cet instant de grands périls, formuler un constat de fiasco, alors que l’histoire eût pu et dû nous en prémunir. Les courants transformateurs ne furent jamais aussi forts que dans les moments où ils surent incarner un horizon pour la France et se comporter en aile marchante de la gauche tout entière. Le Parti communiste, force dominante de cet espace tout au long du siècle passé, n’en est-il pas la preuve vivante, ayant conquis son prestige en portant d’abord le drapeau du Front populaire, avant de se trouver à l’origine du programme du Conseil national de la Résistance puis de prendre l’initiative du processus d’unité de la gauche autour d’un programme commun au tournant des années 1960 ? C’est de ces leçons que nous devrions nous inspirer de nouveau…

Pour l’heure, l’inévitable s’est produit. Sans que les bricolages hâtifs auxquels il aura été procédé dans deux Régions, pour tenter d’éviter de nouvelles catastrophes, ne puissent hélas inverser la tendance.

RETOUR SUR LES ALLIANCES « ROUGES-VERTES »

On sait qu’en Provence-Alpes-Côte d’Azur, la liste « verte-rouge » connut un crash presque aussi dramatique que celui de sa concurrente socialiste. Et même en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, si le franchissement de justesse de la barre des 10% entraîna un « ouf » de soulagement de la part des militants qui s’étaient investis dans l’aventure du « Nouveau Monde », il découle de l’examen attentif du résultat que ce rassemblement n’est pas parvenu à bouleverser les équilibres à l’intérieur de la gauche. Pour ne prendre qu’un chiffre, mais il est éloquent, sur l’ancienne Région Midi-Pyrénées, la liste emmenée par Gérard Onesta accusa une perte de 118 000 voix sur le total des listes Onesta (EELV)-Picquet (Front de gauche)-Martin (NPA) de 2010.

Que l’on me comprenne bien. Loin de moi l’envie de contester par principe l’union réalisée avec les écologistes. Bien au contraire, je considère que des ententes regroupant l’ensemble des forces disponibles au combat pour redresser la gauche s’avèrent plus indispensables que jamais. À cette nuance près qu’il est de très mauvaise politique, pour y parvenir, d’évacuer les débats que soulève forcément (et très naturellement…) une alliance de partis aux parcours et aux origines fort différentes. En pratique, il aurait fallu approfondir la discussion sur les axes programmatiques propres à redonner au peuple de gauche confiance en lui-même, ou encore sur la stratégie à conduire pour faire émerger une perspective majoritaire.

Parce que, en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, les composantes de l’accord avec EELV se sont refusées à mener cette réflexion, et qu’elles se sont par la suite dérobées à tout échange public sur la conduite de la campagne, le « Nouveau Monde » s’enferma dans un lourd décalage avec les préoccupations essentielles de l’électorat populaire. On entendit principalement les représentants de la coalition affirmer leur certitude de ”« passer devant le PS »” à l’issue du premier tour, proclamer qu’ils se considéraient désormais comme ”« la seule gauche »”, faire étalage de leur autosatisfaction devant l’écriture d’une ”« charte éthique »” engageant les candidats à se montrer ”« intègres »” (vocabulaire dont j’ai toujours détesté l’ambiguïté démagogique, tant il emprunte à des thématiques étrangères aux traditions de la République et du mouvement ouvrier…). Résultat : la liste passa tristement à côté de questions aussi cruciales que l’égalité des territoires face aux fractures de toute sorte que creusent les politiques libérales, la lutte contre une austérité qui taille en pièces les dotations de l’État aux collectivités, la défense des services publics et tout particulièrement d’un maillage ferroviaire menacé par les déréglementations européennes et les orientations de la SNCF. Et je ne parle pas de la bataille ratée, alors qu’il aurait fallu la mener avec un esprit conquérant en direction des autres listes progressistes, sur les bases à même de permettre à une majorité régionale clairement orientée à gauche de se comporter en bouclier social et environnemental des populations. Très logiquement, au final, loin de pulvériser la liste formée autour du Parti socialiste, l’attelage resta pour cette raison plus de dix points derrière cette dernière.

Autant dire que je m’exaspère en entendant certains se complaire à présent dans des satisfécits ne procurant de plaisir qu’à leurs auteurs, s’ébahissant eux-mêmes sur le ”« beau laboratoire »” qu’aurait représenté cette expérience. C’est que nous sommes des acteurs du changement social et écologique, attaché à améliorer le sort de celles et ceux au nom desquels nous nous battons, non des chercheurs réalisant des essais en vase-clos. Intéressante dès l’instant où elle avait démontré qu’une convergence jusque-là inédite s’était révélée possible, cette dernière ne peut néanmoins s’affranchir maintenant d’un indispensable retour critique sur les raisons qui lui ont interdit de s’adresser avec efficacité à des électeurs en attente d’une offre crédible, apte à en finir avec la rigueur budgétaire, les concessions sans cesse aggravées à la finance, les reculs sociaux à répétition.

CHANGER TOUS LES LOGICIELS !

Parlons sans faux-fuyants. C’est la gauche tout entière qui se trouve en échec. Elle entre même dans un maelström qui peut la laisser brisée pour de très longues années. L’heure n’est, par conséquent, pas à des ouvertures à droite qui ne peuvent que la priver de ce qu’il lui reste d’identité. Une fois n’est pas coutume, je rejoins à ce propos Daniel Cohn-Bendit lorsque, réagissant aux annonces gouvernementales concernant la déchéance de nationalité, il relève qu’à persévérer dans la voie où il s’est engagé, il ne restera bientôt plus à François Hollande qu’à se présenter… à la « primaire » de la droite. À l’inverse, dans la galaxie dont je partage les combats depuis d’innombrables années, la lucidité et le courage commandent de rompre avec les comportements et postures qui ont conduit ses acteurs dans le mur, dès l’instant où ils s’écartaient d’une visée majoritaire pour s’enfermer dans le cul-de-sac d’une « petite gauche » piégée par son impuissance consentie.

Il importe maintenant de savoir mettre sur la table tous les sujets dont va dépendre le devenir du camp progressiste dans son ensemble. Ce qui concerne, tout à la fois, la proposition de nature à rassembler une majorité de notre peuple, la perspective susceptible de porter celle-ci jusqu’au gouvernement du pays, la préparation de l’affrontement au plus haut point décisif qui se jouera à l’occasion de la prochaine présidentielle.

C’est au moyen d’un nouveau contrat républicain d’urgence et de solidarité qu’il deviendra possible de traiter à la racine les maux qui rongent la France et sont à l’origine, d’un côté, de l’expansion ininterrompue du national-lepénisme et, de l’autre, de la dérive barbare de centaines d’apprentis jihadistes le plus souvent surgis du chaudron de la ghettoïsation urbaine. Pas du « pacte » que Monsieur Raffarin appelle de ses vœux pour mieux finir de plier la France au modèle de régression sociale voulu par les marchés. Non ! D’un contrat qui se concrétiserait, entre autres, par des mesures en faveur de la « demande » populaire, donc du pouvoir d’achat des salaires et des pensions… Par une relance massive de l’investissement, qui s’adosserait à un grand schéma national de réindustrialisation du pays et impulserait dans ce cadre la conversion écologique de l’économie… Par un véritable Plan Marshall en faveur de l’égalité des territoires, c’est-à-dire du développement des quartiers populaires et zones péri-urbaines ou rurales… Par l’instauration d’une sécurité sociale professionnelle, qui permettrait d’assurer à tous et toutes le droit à l’emploi et à une formation correctement rémunérée tout au long de la vie active… Dit autrement, vient à l’ordre du jour une réorientation franche des choix mis en œuvre au sommet de l’État, ce qui exige en tout premier lieu que l’on s’émancipe enfin du dogme de l’équilibre budgétaire et d’une logique de « l’offre » aussi impuissants l’un que l’autre, depuis des décennies, à faire refluer le chômage, la précarité et le mal-vivre.

La perspective politique, quant à elle, ne peut plus dissocier une ambition majoritaire de la reconstruction de l’unité à gauche. Les faits sont là, incontournables et attestés de scrutin en scrutin au fil des trois dernières années : la division ne génère que de l’impuissance et du découragement ; l’approfondir sans discontinuer, par une politique bafouant les exigences légitimes des classes travailleuses et populaires, conduit au désastre assuré ; donner le sentiment que l’on en prend son parti, voire qu’on l’amplifie par des actes apparaissant au plus grand nombre motivés par de purs considérants d’appareil, revient à se condamner soi-même à la minorisation et à la défaite ; mais déconnecter la confluence indispensable d’un contenu mobilisateur, interdit en même temps d’enclencher la moindre dynamique porteuse de renouveau et d’espérance. C’est la raison pour laquelle je considère que Cécile Duflot met le doigt sur l’enjeu majeur de la période lorsqu’elle plaide, dans ”Le Monde” du 16 décembre, en faveur d’un ”« bloc majoritaire »” ou d’une ”« coalition de transformation »”, qui en finirait ”« avec l’obsession gestionnaire »” pour ”« porter une plate-forme de combat pour les prochains mois »”.

Je regrette que seul Pierre Laurent ait pris au bond cette intuition, les autres figures d’une « gauche de gauche » prisonnière de ses certitudes n’y percevant, le plus souvent, qu’une vulgaire « offre de service » adressée au président de la République. Après tout, Jean-Luc Mélenchon évoquait lui-même un ”« nouveau Front populaire »”, au soir du second tour des régionales. Une semblable construction peut-elle voir le jour si elle n’englobe pas la plus grande partie de la gauche – non sa seule aile combative –, sur une ligne qui rassemble parce qu’elle remet en cause les privilèges de l’oligarchie en place ? Tout en fait foi, la confrontation à gauche tend aujourd’hui à se focaliser entre deux options antagonistes, la ”« recomposition au centre »” ou l’unité des forces populaires. Parce qu’elle va être décisive pour l’avenir, nul ne doit s’y dérober. Sous peine d’être happé par la machine à broyer qui n’épargnera rigoureusement personne !

Quant à l’élection présidentielle, qui va dominer la dernière partie du quinquennat, il s’agit de l’aborder en trouvant l’équation qui répondra à un double défi : assurer la présence de la gauche au second tour, sachant que l’héritière de la famille Le Pen a toutes les chances de s’y qualifier ; et échapper au piège d’institutions qui confèrent au monarque sortant la faculté de postuler à sa reconduction, en plaçant du même coup toute la gauche devant le fait accompli. La gauche ne doit évidemment pas être évincée de la compétition cardinale de la V° République, sauf à courir le risque de se trouver marginalisée, dans la représentation nationale autant que dans la vie publique, sur les années qui suivront. Mais le peuple ne saurait se voir tordre le bras pour l’obliger à avaliser le bradage de tous les engagements pris devant lui, en 2012, par l’actuel tenant du titre. À la suite de divers représentants de l’aile gauche du PS, Tomas Piketty, pour éloigné qu’il soit des options défendues sur ce blog, vient de formuler une suggestion. Je le cite : ”« À l’incompétence économique, voici que le gouvernement ajoute l’infamie. Non content de s’être trompé sur toute la ligne sur ses choix de politique économique depuis 2012, avec à la clé la montée du chômage et de la xénophobie, voici que le gouvernement se met à courir derrière le Front national, en imposant une mesure de déchéance de la nationalité que la gauche a toujours combattue, et en créant une inégalité insupportable et stigmatisante – en plus d’être totalement inutile et inefficace dans la lutte contre le terrorisme – pour des millions de Français nés en France, dont le seul tort est d’avoir acquis au cours de leur vie une seconde nationalité pour des raisons familiales. Tous ceux à gauche qui refusent cette politique lamentable doivent se réunir pour imposer une primaire citoyenne à gauche en 2017, afin de choisir le meilleur candidat contre la droite et l’extrême droite. Si François Hollande pense être ce candidat, qu’il se présente aux primaires. Mais qu’il n’ajoute pas à tout cela un déni flagrant de démocratie. »” L’idée mérite au moins d’être réfléchie et de faire l’objet d’un large échange, tant il ne faut laisser passer aucune opportunité d’échapper à l’accablement et à la tétanie ambiants.

Pour me résumer, une issue à gauche reste parfaitement possible. La France n’est pas condamnée à subir la catastrophe que, de toutes parts, on lui annonce. Contrairement à ce que prétendent nos éminences ministérielles, si le peuple s’est détourné de la gauche, ce n’est pas qu’il adhérerait à la destruction de ses droits et conquêtes, c’est plutôt que ses demandes de dignité et de progrès ont été trahies. Si la gauche anti-austérité a accumulé les contre-performances dans les urnes, ce n’est pas que l’électorat aspirerait à un virage à droite, c’est qu’elle a été victime de ses propres et lourdes erreurs. D’ailleurs, lorsqu’il est sollicité par les instituts de sondage, l’électorat progressiste ne manque jamais de se prononcer pour une action plus résolument à gauche. Au demeurant, un peu partout en Europe, du Portugal à la Grande-Bretagne ou à l’Italie, la faillite des choix sociaux-libéraux provoque, jusqu’au cœur des partis sociaux-démocrates, la réouverture de confrontations fondamentales. Preuve, s’il en était besoin, que le temps du libéralisme triomphant est bel et bien derrière nous. Alors, en France, ne manquons pas l’occasion de faire bifurquer le cours des choses. Ce pourrait être la dernière à notre portée…

Christian_Picquet

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