Macron, démission !
Depuis qu’il est sorti de l’anonymat médiatique, Monsieur Macron s’est fait une spécialité de transgresser tout ce qui pouvait encore représenter un fond commun du camp auquel, théoriquement, il se rattache. Après tout, c’est son droit. À ceci près qu’il exerce une fonction bien particulière, celle de ministre. Ses propos, exprimés sans précautions particulières, engagent par conséquent le gouvernement dont il est membre. Au moins, lorsque Christiane Taubira rend compte des réserves que lui inspire le projet de déchéance de nationalité, elle prend soin d’indiquer qu’elle le fait à titre personnel, « l’arbitrage » présidentiel l’ayant désavouée.
À Davos, donc, sans doute pour se voir porter en triomphe par le parterre de financiers et de grands patrons qui se retrouve annuellement à ce forum international, le ministre de l’Économie vient de souhaiter que les salariés puissent travailler au-delà de 35 heures hebdomadaires, sans être rémunérés en conséquence et sous réserve qu’ils y consentent. Ce qui marquerait une extravagante régression, son inventivité débordante le conduisant présentement à préconiser non seulement la fin des 35 heures, comme la presse l’aura généralement relevé, mais la disparition pure et simple de la durée légale du travail que signerait la fin d’heures supplémentaires que les employeurs se devaient jusqu’alors de majorer. Même dans leurs rêves dérégulateurs les plus échevelés, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé ou François Fillon n’eussent pas imaginé que l’on pût si complaisamment leur ouvrir le chemin…
On me dira que cette saillie n’aura fait que prolonger le récent discours par lequel le président de la République, à l’occasion de ses vœux aux acteurs sociaux, avait émis l’idée que la future loi préparée par la ministre du Travail fasse primer les accords d’entreprise sur la loi. C’est incontestable, et le petit marquis en charge de la politique de Bercy n’aura, au fond, voulu que décréter dès à présent le dynamitage du droit du travail. À ceci près que la loi en question n’est encore ni votée, ni portée à la délibération des commissions compétentes du Palais-Bourbon, ni même… adoptée par le Conseil des ministres. Monsieur Macron aura dès lors commis une double atteinte aux principes de la République.
Ministre, et dans l’exercice de sa charge, puisque son invitation aux agapes de Davos se sera faite à ce titre, il use de son accès illimité aux médias pour placer la société française devant le fait accompli d’une disposition qui, non encore validée par la représentation nationale, s’avère en contradiction absolue avec la législation réellement existante, que nul n’est censé ignorer et à laquelle, en principe, personne n’est autorisé à se dérober. On ne peut imaginer plus évidente négation de ce qu’il demeure de démocratie sociale dans ce pays, la parole syndicale étant délibérément piétinée et le patronat se voyant, ”ipso facto”, encouragé à anticiper ce qu’il faut bien considérer comme une liquidation de l’un des piliers fondateurs d’un droit social héritier du Front populaire, de la Libération, de Mai 68 et des premiers mois du septennat de François Mitterrand.
Il y a plus grave. Ce digne rejeton de la banque d’affaire qui lui permit de réaliser sa fortune aura rompu avec cette règle explicite de la Constitution, qui veut que l’exécutif fût le garant de l’intérêt général. En son article 23, ne stipule-t-elle pas que «” les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice”… ”de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national »” ? Bien sûr, il y a belle lurette que la lettre de la Loi fondamentale se sera vue bafouée par ceux qui ont la charge des destinées de la nation, au point que l’on aura pu désigner le précédent locataire de l’Élysée comme… ”« le président des riches »”. Cette fois pourtant, en indiquant à plusieurs reprises que les chefs d’entreprise étaient bien plus en souffrance à ses yeux que les travailleurs, il se sera davantage comporté en porte-parole des milieux d’affaire – en représentant, pour tout, dire, du Medef qui, pour la première fois, compte quasi-officiellement au gouvernement de la France un relais de ses revendications catégorielles – qu’en défenseur de l’égalité ”« des citoyens devant la loi »” (toute formelle, il est vrai, sauf qu’il ne s’était encore jamais trouvé de voix, y compris dans le camp adverse, pour lui porter ouvertement l’estocade, les précédentes attaques s’étant prudemment cantonnées au domaine de l’implicite).
En clair, la présence au sommet du pouvoir d’un semblable personnage pose maintenant un problème sérieux. Moral, cela va sans dire, lorsqu’il se pense autorisé à justifier que les gouvernants puissent faire l’exact inverse de ce qu’ils ont promis aux électeurs le temps d’une campagne (c’est que notre homme aura fait, sur les ondes de RMC, ce 20 janvier, en répondant à un syndicaliste de Goodyear). Politique, c’est l’évidence, à partir du moment où, installé aux manettes par la seule grâce du vote des citoyens en faveur d’une majorité de gauche, il n’a pas un mot pour (au moins…) déplorer que, l’an passé, les cadors du CAC 40 aient versé 56 milliards de dividendes à leurs actionnaires, soit 53% des bénéfices déclarés de leurs groupes, cette logique financière étant la principale raison d’un sous-investissement responsable du chômage de masse et de la désindustrialisation de nos territoires (ce ne sont ni les salaires, ni le temps de travail qui sont ici en cause, mais bel et bien le comportement d’un capital prédateur). Mais désormais juridique, la star du Tout-Paris étant sciemment sortie des « clous » qui lui imposent, même s’il le déplore, quelque retenue dans ses ardeurs provocatrices et aussi… quelques obligations envers le corps social.
Et que l’on ne m’objecte pas, avec un certain fatalisme, que tout cela ne fait qu’entériner une fort ancienne consanguinité entre les élites économiques et politiques. Quoiqu’il s’agisse d’une réalité que je ne songe pas un instant à ignorer, laisser faire les agissements de ce monsieur amènerait à voir encore grandir la crise démocratique dans notre pays, se creuser un peu plus le fossé entre les Français et leurs représentants, se vider définitivement de contenu la souveraineté du peuple. À bien y réfléchir, si l’on va au bout de la pratique suggérée par Emmanuel Macron, il ne reste qu’à suspendre le suffrage universel (voire à lui substituer un nouveau cens), pour pouvoir désigner un directoire composé des belles personnes faisant la pluie et le beau temps sur les places boursières. Voilà bien le symbole de ce petit cénacle qui, enfermé dans sa bulle, alimente en arguments plus démagogiques les uns que les autres cette machine à égarer les esprits qu’est le Front national.
Pour quelques postures dissonantes quoique sans le moindre effet concret sur la ligne mise en œuvre, la droite réclame à cor et à cri la démission de Madame Taubira. Il n’y a pas si longtemps, Martine Aubry avait lâché un salutaire ”« Macron, ras-le-nol »”. Il serait sain – et de nature à rétablir un peu de confiance avec le peuple travailleur – que la gauche, par-delà les fortes divergences qui la traversent, ou du moins des figures significatives de ses différents courants, exigent maintenant le départ de cet insupportable individu. Ce dernier, au demeurant n’a rien à craindre pour son avenir. Il ne manque pas de personnalités, à droite, pour lui tresser des lauriers. À l’instar de Geoffroy Didier, le fondateur de la « Droite forte » au sein du parti « Les Républicains », ayatollah fanatique de l’ultralibéralisme et de l’idéologie néoconservatrice au sein de ce dernier, qui, dans la dernière livraison de la revue ”Charles”, va jusqu’à écrire : ”« Lorsque Macron parle, il ringardise. Droite et gauche confondues, il renvoie ses prédécesseurs et opposants aux arrières-postes. Tel un péril imminent, il apparaît même comme le fossoyeur d’une classe politique qui, d’année en année, renoncement après renoncement, a souvent perdu sa crédibilité. »” Dis-moi qui te soutient, je te dirai qui tu es…