Une leçon de politique…

Au fond, en renonçant à la révision de la Constitution, François Hollande se sera vu administrer une authentique leçon de politique. Lui, que ses amis décrivent volontiers comme un très fin connaisseur de la vie publique hexagonale et un expert hors pair de notre carte électorale, semble avoir totalement perdu son flair. Au point d’enregistrer un camouflet de première importance, avant peut-être de devoir de nouveau reculer, cette fois devant les salariés et les jeunes qui se préparent, à l’heure où ces lignes sont écrites, à retrouver le chemin de la rue pour y exiger le retrait du projet El Khomri de casse du droit du travail.

Le président de la République, ses quelques affidés encore en état de batailler et le premier secrétaire du Parti socialiste n’auront évidemment, pour atténuer la gravité du revers qu’ils viennent d’essuyer, pu s’empêcher d’en attribuer la responsabilité à l’opposition conservatrice. Hélas pour eux, bien peu nombreux seront ceux qui accorderont du crédit à l’argumentation, tant il est patent que l’échec retombe sur l’initiateur de cette manœuvre splendidement ratée.

À dire vrai, la faute de celui qui présida si longtemps aux destinées du PS n’aura pas seulement consisté à toucher à des piliers fondateurs du pacte républicain français. Je veux, en l’occurrence, évoquer le principe d’égalité des citoyens devant l’appartenance à la communauté nationale, et celui qui stipule que la puissance publique est investie du devoir de protéger le plus grand nombre des privilèges des puissants. Son erreur, ô combien magistrale, aura été de croire qu’il pouvait réaliser un bon coup tactique en se ralliant la droite sur la base de dispositions directement titrées du fonds de commerce de celle-ci (voire, pour ce qui est de la déchéance de nationalité, de celui de l’extrême droite), quitte à afficher le plus olympien mépris pour une gauche sans laquelle il n’eût jamais pu s’installer à l’Élysée.

Telle est bien la leçon dont je parlais en entamant l’écriture à chaud de cette réaction à un événement qui va fortement remodeler la configuration des prochains mois. Si l’on veut profiter des faiblesses de l’adversaire et le déstabiliser, mieux vaut être soi-même fort. Donc, savoir rassembler son camp, ce qui n’est naturellement envisageable que sur une orientation répondant à ses attentes autant qu’à ses valeurs les plus fondamentales. En ignorant cet enseignement, jamais démenti pourtant par l’histoire politique jusqu’à nos jours, le premier personnage de l’État se sera retrouvé dans la position plutôt pitoyable de… l’arroseur arrosé. Et si la droite ne lui aura fait aucun cadeau, c’est qu’elle est tout simplement… la droite. Pourquoi se serait-elle portée au secours de celui qui terrassa son héraut voici quatre ans, en s’appuyant sur les énergies rassemblées de l’électorat de gauche ? Pauvre François Hollande, pauvre Manuel Valls, qui redécouvrent, tels des enfants ayant ignoré tous les avertissements qui leur avaient été adressés, que le clivage droite-gauche demeure indépassable…

Ainsi, le roi se présente-t-il nu devant les Français, à un an d’une élection présidentielle dont nul n’ignore qu’il brûle d’envie d’y solliciter le renouvellement de son bail. Sans soutien un tant soit peu conséquent dans le pays (à plus de 70%, les sondés rejettent par exemple sa « loi travail », alors qu’elle vient à peine d’être déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale). Dépourvu de majorité au sein de la gauche profonde (selon une étude du Cevipof, publiée par ”Le Monde” du 31 mars, moins d’un électeur sur deux s’étant prononcé pour l’actuel résident élyséen au premier tour de la dernière présidentielle ferait le même choix aujourd’hui). Voyant se détourner de lui une part croissante de sa majorité parlementaire (si plus de 100 députés socialistes avaient refusé de soutenir l’article 2 de la révision constitutionnelle, c’est un profond malaise qui se sera ensuite installé parmi les élus du PS au Palais-Bourbon, à propos du texte porté par Madame El Khomri). Ayant dilapidé, du fait de sa conduite des affaires, toutes les possibilités de rassembler les suffrages progressistes autour de sa candidature en 2017 (selon le travail, déjà cité, du Cevipof, il serait éliminé du second tour de la prochaine présidentielle, quelles que soient les hypothèses). Ce qui appelle au moins deux conclusions.

D’abord, nous entrons d’évidence dans un moment où tout peut basculer, si le monde du travail, conjuguant ses forces à celles d’une jeunesse inquiète de l’avenir de précarité auquel on la condamne, vient massivement perturber le jeu que l’exécutif pensait avoir verrouillé en obtenant le consentement des dirigeants de la CFDT sur le projet de détricotage des droits des salariés. Bien sûr, depuis l’Hôtel de Matignon, se fait maintenant entendre la petite musique de la ”« fermeté »” sur la ”« philosophie »” d’une législation décrétée, contre l’évidence, indispensable pour l’emploi. Mais, face à une équipe tellement discréditée par ses trahisons répétées d’un peuple auquel il doit sa victoire de 2012, une équipe qui ne dispose plus que de l’appui du Medef et des libéraux les plus fanatisés, il devient possible d’arracher une victoire. De faire retirer un dispositif menaçant gravement les existences de millions d’hommes et de femmes…

Ensuite, c’est à la recomposition d’une majorité de gauche, sur un socle programmatique de nature à répondre de nouveau aux aspirations populaires, autrement dit se détournant franchement d’une gestion hollandaise calamiteuse, qu’il importe de s’atteler. La mobilisation qui se lève dans les profondeurs de la France peut, de ce point de vue, représenter une chance à ne pas laisser passer : un processus politique peut s’enclencher, sans demeurer confiné à des échanges de sommet ou à des débats n’impliquant que des militants de partis. Un très vaste rassemblement, représentatif de toutes les couleurs de notre camp social et politique, peut voir le jour et trouver, dans l’engagement populaire, l’élan qui manquait jusqu’alors à la reconstruction d’une perspective de changement crédible. Ce que l’appel à ”« une primaire des gauches et des écologistes »” avait lointainement dessiné, à savoir l’émergence d’un nouveau champ de possibles pour toutes celles et tous ceux qui n’ont pas renoncé à la transformation de la société, acquiert dès lors une tout autre dimension.

Les résistances, qui marquaient le pas depuis des années face à un capital dont l’offensive ne cessait de marquer des points, peuvent demain s’adosser à un débouché politique apte à les dynamiser. Et le peuple de gauche entrevoit, pour 2017, la possibilité de se retrouver derrière une candidature redonnant ses belles couleurs à la gauche, en s’épargnant du même coup la tragique obligation d’avoir à choisir, au second tour, le « moindre mal » pour éviter le pire, en clair la candidature d’une droite ultralibéralisée pour battre Madame Le Pen.

On le voit, par-delà l’ambiance crépusculaire baignant ces derniers mois du quinquennat, la reculade de François Hollande sur sa réforme constitutionnelle régressive se révèle une excellente nouvelle. Découvrant des opportunités qu’il serait suicidaire de ne pas saisir avec audace…

Christian_Picquet

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