De nouveau, à propos du débat des communistes…
J’avais déjà abordé, en reproduisant ma propre intervention, le vote des communistes à l’occasion de leur conférence nationale du 5 novembre. J’y reviens aujourd’hui, alors que les adhérents et adhérentes vont, dans quelques jours, se prononcer à leur tour (ce sera les 24, 25 et 26 novembre) sur l’option qu’ils retiennent pour la prochaine élection présidentielle. Il importe en effet, très au-delà des militants et sympathisants du PCF, de prendre toute la mesure de ce qu’il s’y est passé.
Encore une fois, il m’apparaît de très faible intérêt que le secrétaire national du parti n’ait pas été suivi, après avoir choisi le soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon, sans pour autant entrer dans la « France insoumise » et en se prononçant en faveur d’une campagne indépendante du PCF. Pour surprenant qu’il ait pu apparaître aux commentateurs, l’événement n’a été que la traduction d’un bel exercice de démocratie, au cours duquel seule la qualité des arguments aura compté pour que chacun se forge une opinion.
En revanche, le vote des représentantes et représentants des fédérations communistes – non simplement des « cadres », le qualificatif utilisé par la presse pouvant laisser penser que la réunion du 5 novembre ne concernait que la direction nationale du PCF – constitue la sanction sans appel de la faute politique commise par Jean-Luc Mélenchon depuis son entrée en campagne solitaire et la proclamation de sa nouvelle formation, la « France insoumise ». Sauf à expliquer, comme n’auront pas manqué de le faire certains des amis du candidat, que le Parti communiste ne serait plus qu’une sorte de secte survivant à rebours de l’histoire, l’opinion de délégués désignés à l’échelon de tous les départements éclaire une réalité généralement ignorée des médias et des instituts de sondage.
On me dit parfois, des camarades ne partageant pas mon point de vue, que le vote du 5 novembre a surtout exprimé la lassitude des communistes devant les affronts ou les injures dont ils sont, presque quotidiennement, abreuvés de la part de celui auquel leur dévouement et leur implantation avaient pourtant permis d’être candidat à la dernière présidentielle. On m’assure, de la même façon, que s’est ainsi manifesté un sentiment diffus d’être arrivé au terme de l’expérience initiée en 2009 (par le PCF, le Parti de gauche et la Gauche unitaire), minée que celle-ci a été depuis, sur le terrain, par des mises en demeure détestables ou des comportements groupusculaires à répétition. Bref, la conférence nationale aurait d’abord fait preuve d’une réaction épidermique…
LA FORME RÉVÈLE LE FOND…
Je conviens volontiers que Jean-Luc Mélenchon s’est inscrit dans la continuité de ces pratiques, lorsqu’il a déclaré unilatéralement sa candidature, s’est affranchi de toute concertation avec ses partenaires, a refusé tout accord politique avec une quelconque formation constituée, et a tourné délibérément la page du Front de gauche. Un Front de gauche dont il avait, soit dit en passant, contribué à torpiller l’essor après 2012, en profitant de sa position médiatique pour lui faire prendre des positions ayant nui à sa crédibilité et lui ayant coûté ses échecs électoraux des années 2014 et 2015. Celles et ceux qui le souhaitent peuvent, dans les archives de ce blog, se reporter à ce que j’écrivais, à propos des élections européennes, lesquelles devaient se révéler désastreuses pour notre coalition, le 2 mai 2014, puis les 3,5, 12 et 14 juin de la même année… Comme j’aurais aimé, à l’époque, être entendu et voir s’opérer la réorientation salutaire qui nous aurait sans doute évité de nous retrouver dans un cul-de-sac…
Depuis son entrée en campagne, Jean-Luc Mélenchon n’a cessé de s’enfermer dans des choix aventureux. Ses expressions publiques, qu’il s’agisse de l’avenir de l’Europe ou de la réponse à apporter aux phénomènes migratoires, sans parler de ses références appuyées à un ”« indépendantisme français »” résonant étrangement ou à un ”« populisme »” lourd d’ambiguïtés dans la période de confusion que nous traversons, multiplient les ruptures avec ce qu’était le socle programmatique du Front de gauche. Son objectif revendiqué, dès lors qu’il prétend en finir avec le clivage entre droite et gauche pour postuler au rôle de « fédérateur » du peuple, n’a plus grand rapport avec la visée de notre convergence, voici sept ans : notre volonté était alors de nous adresser à la gauche tout entière, pour en changer le centre de gravité en y défaisant le social-libéralisme. Invectives, insultes, mépris pour ceux ne se rallient pas à ses vues sont, en outre, mis au service de l’affirmation d’un nouveau parti, dont il apparaît l’unique figure décisionnaire (procédant de lui seul, on ne connaît à la « France insoumise » aucune instance pilotant collectivement la bataille électorale).
Et voilà que, pour les élections législatives qui suivront la présidentielle, Mélenchon vient de décider, toujours aussi isolément, d’imposer à tous les candidats de s’intégrer au cadre de la « France insoumise » et de signer une « charte » prétendant les contraindre à une discipline de fer, en particulier s’ils venaient à être élus. Le message apparaît on ne peut plus clair. Le présidentiable auto-proclamé se défie du pluralisme, des procédures de concertation entre alliés traitant à égalité. Il entend, probablement pour bénéficier dans le futur des dotations que l’État verse aux formations politiques en fonction du nombre de voix recueillies à ce scrutin (ce qui fait de la « France insoumise » non un mouvement au fonctionnement souple, comme il le présente régulièrement, mais un parti politique ayant pour particularité de ne pas dire son nom), avoir les mains totalement libres pour adouber ses représentants partout ; les circonscriptions où l’influence communiste est la plus forte s’avérant aussi celles pouvant faire réélire (ou simplement élire…) des députés, la démarche laisse augurer de situations de concurrence délibérée y compris dans ces territoires, quitte à menacer d’effacement la représentation du PCF à l’Assemblée nationale.
J’admire, à ce propos, l’optimisme dont font preuve un certain nombre d’amis, partisans de l’engagement derrière Mélenchon. Quand ils affirment notamment que ce dernier s’appuie sur une force militante très limitée, que ses prétentions hégémoniques ne défieront pas longtemps la réalité, et que les communistes doivent lui apporter très vite leur soutien pour avoir une chance de peser sur lui. Sauf que, pour respectables soient leurs convictions intimes, et à moins qu’ils ne possèdent des informations que je n’aurais pas, elles ne se voient guère confirmées par les faits. Si le candidat de la « France insoumise » refuse obstinément toute discussion avec d’autres partis, s’il ne veut dialoguer qu’avec des individus regroupés sous sa houlette, s’il veut que toutes les histoires et toutes les spécificités se fondent dans une structure dont il est l’incarnation unique, c’est qu’il a de la politique une vision fondée sur le seul rapport des forces. Non sur la conviction recherchée, encore moins sur l’échange d’arguments au terme duquel peuvent se nouer des compromis porteurs de dynamique.
Bien des participants au rendez-vous du 5 novembre ont formulé ce constat d’évidence. Doit-on en conclure qu’ils se seraient laissés aller à une réaction d’humeur ? Je ne le crois pas. La forme que revêt la campagne de Jean-Luc Mélenchon éclaire, en réalité, le fond de la divergence qui nous oppose. Celle-ci porte sur l’appréciation du moment politique en France, autant que sur l’ambition propre à y faire face. Elle ne reflète ni d’obscures querelles d’appareil, ni des susceptibilités froissées, ni une opposition à la personne, ni le repli du parti sur lui-même…
UNE DIVERGENCE STRATÉGIQUE MAJEURE
La décision des communistes, du moins me le semble-t-il, a cheminé à partir d’une conviction : il ne suffit pas de bénéficier d’indices de popularité flatteurs, ni même d’épouser une colère légitime devant les trahisons du quinquennat de François Hollande, pour rouvrir un chemin d’espoir à notre pays et à son peuple. Il ne suffit pas davantage de bénéficier de l’opinion positive des sympathisants du Front de gauche pour redonner une perspective à une gauche fragmentée et démobilisée. Il importe encore de savoir dessiner un horizon politique crédible. Donc, de déterminer ses choix en partant de l’immense danger dont les Français se voient menacés si les rendez-vous électoraux de l’an prochain se dénouent en un face-à-face mortifère entre une droite de plus en plus radicalisée et le Front national.
Dit autrement, la sagesse et le réalisme commandent de ne pas confondre incantations prétendument radicales, intransigeance affichée envers les autres composantes de la gauche, ou annonce d’une « révolution citoyenne » imminente, avec les solutions concrètes mais de haut niveau dont notre peuple a besoin pour résister aux attaques dont il fait l’objet et retrouver l’envie de se mobiliser. Et cela suppose de toujours rechercher la convergence des énergies disponibles à la construction d’une alternative à la politique calamiteuse conduite au sommet de l’État ces cinq dernières années.
C’est ici, comme je le disais, que la forme que Jean-Luc Mélenchon a voulu donner à son action depuis neuf mois éclaire sa visée stratégique. S’il a choisi de s’émanciper de toute procédure collective avec les autres forces aspirant à sortir de ce social-libéralisme qui a piétiné toutes les attentes nées de la défaite de la droite en 2012, c’est en fonction d’une cohérence. Celle qui le conduit à récuser l’objectif même du rassemblement, à rechercher le clivage et à creuser en toute circonstance les contradictions, son unique objectif étant d’arriver devant le représentant du Parti socialiste au premier tour de la présidentielle.
Parlons sans détour. Chacun voit bien que prendre le sillage de Jean-Luc Mélenchon dans quelques jours reviendrait à mettre un point final aux efforts entrepris pour rassembler largement à gauche. Surtout, en prenant cette position, le Parti communiste apporterait sa caution à une démarche qui, non seulement entraîne son concepteur dans une impasse, mais mène la gauche dans son ensemble à sa perte.
Bien sûr, battre les tenants de la ligne gouvernementale est indispensable pour quiconque veut relever la gauche. Cela ne saurait toutefois se confondre avec l’indifférence, dont fait preuve le candidat Mélenchon, devant ce qui guette notre camp, s’il ne trouve pas le chemin de son unité sur une autre politique : son élimination du second tour de la présidentielle, sa survivance à l’état résiduel dans la future Assemblée nationale, sa balkanisation pour une très longue période.
LE RASSEMBLEMENT, SEULE POLITIQUE RESPONSABLE
À supposer que Madame Le Pen ne l’emporte pas en mai 2017, ce que nul ne peut plus totalement exclure tant la crise française devient paroxystique, peut-on laisser son Front national représenter demain l’opposition à une droite qui s’emploiera à liquider les derniers acquis du Conseil national de la Résistance, c’est-à-dire à disloquer la République ? Le ”« front du peuple »”, auquel on appelle si ardemment les « insoumis » à œuvrer, sera-t-il en quoi que ce soit renforcé si le monde du travail, la jeunesse, les citoyens ne peuvent plus adosser leurs luttes et leurs résistances à une gauche encore en état de se battre ?
Poser ces questions, c’est y répondre et suggérer à chacun de méditer ce qu’il est advenu des forces progressistes dans nombre de pays, l’Italie ou l’Autriche à nos portes, la Hongrie et une bonne partie de l’Europe centrale etc. Et je ne parle pas des États-Unis où vient de l’emporter l’aventurier démagogue et ultraréactionnaire que l’on sait…
Pour que la gauche redevienne la gauche, elle doit tout à la fois s’émanciper d’un quinquennat agonisant et retrouver une démarche à vocation majoritaire, en laquelle puissent de nouveau se reconnaître des millions d’hommes et de femmes. Impossible d’y parvenir, si elle se fragmente à l’infini, si des débats aussi loyaux que sans faux-fuyants ne viennent pas nourrir des recompositions qui se cherchent, si le souci de l’intérêt général ne féconde pas les convergences hors desquelles aucune avancée sociale et démocratique n’a jamais été possible.
Le comportement autant que le projet de Jean-Luc Mélenchon ne répondent à aucune de ces exigences. J’entends parfois dire que le ralliement des communistes serait déjà une forme de rassemblement. Celles et ceux qui défendent ce point de vue, par ailleurs estimable, devraient s’intéresser de plus près à ces fameuses enquêtes d’opinion sur la base desquelles ils croient deviner des promesses de progression pour le candidat ayant leurs faveurs.
Certes, une très grande partie des électeurs du Front de gauche soutient le héraut de « l’insoumission » française (mais n’oublions tout de même pas que ceux-ci sont passés d’un peu plus de 11% en 2012 à 6,25% aux européennes de 2014, sans jamais remonter dans les cantonales ou les régionales qui suivirent). Mais il ne se trouve que deux sympathisants socialistes sur dix pour lui accorder leur confiance (bien que la majorité des 23% d’électeurs du PS aux dernières régionales se disent, dans les sondages, en désaccord avec le bilan de François Hollande ou Manuel Valls, et qu’ils constituaient de gros bataillons des manifestations contre la loi El Khomri). Et la même méfiance est exprimée par plus d’un écologiste sur deux.
UNE CANDIDATURE COMMUNISTE POUR QUE LA GAUCHE RESTE DEBOUT
D’aucuns voudraient encore convaincre (à moins qu’ils ne cherchent surtout à se convaincre eux-mêmes…) que le vote en faveur d’une candidature communiste, émis par la conférence nationale, signe le repli des militantes et militants du PCF, lesquels se seraient trouvés à leur tour happés par la tentation du chacun pour soi. C’est oublier que, des échanges du 5 novembre, il ressortit en premier lieu une appréciation lucide et responsable de l’enjeu des prochains mois.
Contrairement de ce pourrait laisser supposer le débat public, à droite comme d’ailleurs à gauche, leur expérience de terrain amène les communistes à prendre en compte, bien mieux que d’autres, que rien n’est encore joué dans notre pays. La grande consultation citoyenne, organisée ces derniers mois et intitulée « Que demande le peuple ? », confirme par exemple l’enseignement premier de la mobilisation contre la casse du code du travail : le peuple français ne s’est nullement résigné aux logiques libérales de destruction des droits sociaux et des protections collectives que défendent les partis d’alternance autant que le petit monde clos des communicants et des faiseurs d’opinion. Il veut, au contraire, une puissance publique agissant contre les logiques financières, des politiques de justice et de redistribution des richesses pour inverser le cours d’inégalités insupportables et croissantes, des droits nouveaux pour les salariés, la réindustrialisation des territoires, un nouveau modèle de développement au service de la conversion écologique de l’économie, une citoyenneté refondée dans une République enfin mise au service de toutes et de tous, une Europe émancipée de l’austérité et du mépris de la souveraineté de ses citoyens…
De même, s’agissant de la gauche dans ses profondeurs, le discrédit des tenants de l’orientation gouvernementale atteint un point tel que, se couplant avec l’état d’implosion latent du Parti socialiste, il pourrait parfaitement amener un François Hollande ou un Manuel Valls à une défaite cuisante lors de la « primaire » de janvier prochain. Quoique l’on puisse penser des figures en lice de l’aile gauche du PS, et même si la victoire d’un Arnaud Montebourg – qui semble le mieux placé pour espérer l’emporter – ne créerait pas automatiquement les conditions d’une union de la gauche qui veut rester la gauche, l’événement marquerait un début de redistribution des cartes sur le champ politique.
Refuser, à la manière du candidat Mélenchon, l’optique du rassemblement qui inspire le Parti communiste et qu’il a confirmé à l’occasion de son congrès de juin dernier, c’est donc faire preuve du plus terrible des aveuglements. Seule, elle peut en effet empêcher la catastrophe qui pointe à l’horizon, seule elle peut combattre la résignation devant la perspective du coup de torchon qui nous peut nous balayer tous au printemps 2017. Ceux qui regardent avec condescendance ou effarement la décision de la dernière conférence nationale devraient, par conséquent, plutôt saluer un acte de grande responsabilité.
L’AVENIR EN QUESTION, TOUT SIMPLEMENT
Au fond, à quelles questions a estimé devoir répondre la majorité de ses délégués ? À celles, vitales, dont dépend l’avenir. Ils se sont interrogés sur ce qui pouvait le mieux répondre aux dangers de la période et aux nécessités du combat pour faire de nouveau émerger une offre de progrès. Sur les moyens de donner la lisibilité maximale à une démarche qui consiste à vouloir « tenir la gauche debout ». Sur ce qui était le plus efficient pour réagir aux inflexions de situation qui pourraient intervenir au cours des prochaines semaines ou des prochains mois.
On ne peut qu’être fier du sens politique aigu qui s’est ainsi manifesté, sur la base de l’expérience accumulée par un parti enraciné sur le terrain et dont les militants ou les élus se frottent quotidiennement aux attentes et aux luttes populaires. Si tel n’avait pas été l’inspiration des délégués, auraient-ils confirmé à 94% la démarche de rassemblement validée par leur précédent congrès ? Se seraient-ils prononcés en faveur d’une candidature issue de leurs rangs, tout en prenant soin de préciser que cela devait permettre au PCF de faire entendre ses propositions et sa démarche rassembleuse avec plus de force possible. Auraient-ils, comme ils l’ont fait, souligné qu’il s’agissait de se doter de tous les atouts pour aider, tant que cela serait possible, à l’émergence d’une candidature commune de toute la gauche d’alternative ?
J’en termine. Dans une semaine, les communistes se seront prononcés. Naturellement, les points de vue en présence ont, chacun, leur légitimité. Reste que, dans la mesure où la décision qui va intervenir influera sur le devenir de l’une des deux composantes historiques de la gauche française, mieux vaut aller au cœur du débat. C’est que j’ai tenté de faire avec cette contribution…