Le naufrage d’un quinquennat… Et maintenant ?
En l’espace de quelques semaines, notre carte politique vient de se trouver bouleversée et la crise française d’entrer dans une phase de convulsions aiguës. La désignation de Monsieur Fillon, au terme d’une « primaire » tendue, conjuguée à l’éviction de Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, aura définitivement soldé l’héritage gaulliste de la droite : celle-ci retrouve, dans les conditions d’une globalisation libérale en pleine tourmente, son vieux visage autoritaire et cléricalo-conservateur, exhalant sa volonté de revanche sociale autant que sa détestation du principe égalitaire de la République, et faisant du même coup souffler sur le pays un discret parfum de vichysme. Le renoncement de François Hollande à solliciter le renouvellement de son mandat révèle, à son tour, le désastre sur lequel s’achève un quinquennat qui restera, dans les mémoires, comme celui de la trahison et de la duplicité.
Trahison, dès lors que le président élu grâce aux énergies rassemblées de toute la gauche en 2012 se sera assis sur l’intégralité de ses engagements de campagne : les belles envolées contre la finance ”« sans visage »” auront cédé la place à une politique de « l’offre » ayant consisté à distribuer aux entreprises – sans conditions, ni contreparties – quelque 110 milliards d’euros tout au long de la mandature ; la promesse de satisfaction de la demande sociale d’égalité se sera vue remplacer par l’aggravation des injustices et un début de démantèlement du code du travail avec la loi El Khomri ; la perspective de renégociation des traités européens n’aura pas résisté plus de quelques jours à la mise en œuvre d’une austérité ayant eu pour seul effet de plonger le pays dans la dépression économique, la désindustrialisation, l’essor du chômage de masse, l’affaiblissement de ses services publics et de ses collectivités territoriales ; l’évocation d’un nouvel âge de la démocratie aura vite été reléguée aux oubliettes, sous l’impact d’un présidentialisme jamais remis en cause et devenu délétère, d’un mode de gouvernement de plus en plus autiste et allant jusqu’à s’en prendre aux libertés syndicales ou aux mobilisations populaires, de concessions répétées à la rhétorique sécuritaire de la droite ultra, et même de dérives dont la déchéance de nationalité restera le symbole atterrant ; quant au réenchantement du ”« rêve français »”, il n’en sera rien resté avec une diplomatie alignée, comme jamais auparavant, sur Washington.
Et duplicité, puisque le discours du Bourget n’aura été qu’un leurre destiné à s’assurer du soutien de l’électorat populaire, indispensable pour triompher de Nicolas Sarkozy, alors que le hollandisme s’était, depuis une trentaine d’années, défini par son tropisme d’adaptation à la contre-révolution libérale et par sa volonté de tourner la page de la tradition socialiste historique. L’habileté du clan qui vient de jeter l’éponge aura consisté à faire oublier la réalité de son orientation, afin de pouvoir s’installer aux commandes. Pourtant, regroupé sous un pseudonyme collectif avec ses futurs comparses du quinquennat, Messieurs Jouyet et Sapin pour ne prendre qu’eux, l’actuel chef de l’État expliquait, dès 1985, combien il lui paraissait indispensable de favoriser ”« une stabilisation des coûts du travail, une réduction (déjà entamée) des charges fiscales et sociales et aussi, il faut le redouter, une réduction d’effectifs dans certains secteurs »”. Il plaidait, en outre, pour la généralisation de la flexibilité du marché du travail, l’instauration d’une forme de Smic jeunes, et la levée des ”« barrières qui protègent les secteurs assistés »” en vertu du théorème selon lequel ”« la concurrence doit devenir un vecteur de transformation sociale »” (in Jean-François Trans, ”La Gauche bouge”, Lattes 1985). Tout était dit et allait inspirer, tout au long des cinq dernières années, la conduite des affaires au sommet de l’État. N’est-il pas à cet égard significatif que, s’autocongratulant sur son bilan, en dépit du fiasco personnel qu’il confessait aux téléspectateurs, ce président se disposant à sortir par la petite porte se soit encore livré à un vibrant plaidoyer en faveur… du libre-échange ?
L’AGONIE DU SOCIAL-LIBÉRALISME
Au fond, l’erreur, pour ne pas dire la faute, de François Hollande aura été identique à celle de toutes les figures de la social-démocratie internationale. Conceptualisées à une époque où les théorèmes de Reagan et Thatcher avaient le vent en poupe, et où ils acculaient mouvements populaires et classes travailleuses sur la défensive, leurs politiques d’adaptation au nouveau capitalisme les auront rendus incapables de percevoir que les illusions d’une ”« mondialisation heureuse »” s’étaient dissipées, que les peuples faisaient une overdose de régression sociale et de destruction de leur souveraineté démocratique, que la crise engendrée par le modèle monétariste, austéritaire et libre-échangiste appelait au retour de l’intervention publique face à des logiques marchandes et financières destructrices.
Alors que le Pasok grec et son homologue autrichien (qui ne figure même plus dans la course présidentielle qui pourrait se dénouer, ce dimanche, sur la victoire de l’extrême droite) sont devenus des groupuscules abandonnés par le monde du travail, que le Labour britannique, le SPD allemand ou le Parti socialiste ouvrier espagnol n’apparaissent plus comme des forces d’alternance dans leurs pays respectifs, que les « Démocrates » italiens de Monsieur Renzi marchent peut-être à une défaite cuisante au référendum constitutionnel qu’ils ont convoqué ce 4 décembre, c’est la formation jusqu’alors dominante de la gauche française qui se retrouve dans l’œil du cyclone. Le personnage qui avait présidé à ses destinées onze annnées durant, avant de s’installer sur le trône du monarque présidentiel, aura sans doute fait preuve de dignité en annonçant son retrait aux Français. Il ne pouvait toutefois se dérober à l’évidence : il lui était devenu impossible de retrouver la confiance de l’électorat qui lui avait offert tous les leviers de commande en 2012, du peuple de gauche, et même de son propre parti qu’il avait mené au seuil de l’implosion.
La motion de censure à laquelle les gouvernants avaient échappé lorsqu’ils étaient parvenus à faire passer en force leur « loi travail » au Parlement, 49-3 à l’appui, avait été votée par le pays. Sans recours envisageable, sans subterfuges imaginables, sans même la possibilité pour le président sortant de se présenter comme un « moindre mal » face à une droite chauffée à blanc sur ses fondamentaux réactionnaires et à un Front national qui ne se sera jamais à ce point approché du pouvoir. Symptôme s’il en est de la crise institutionnelle qu’affronte l’Hexagone, du discrédit de la fonction suprême et de l’affaissement simultané de l’autorité politique dans toutes ses dimensions, il est sans précédent, sous la V° République, qu’un président en exercice soit empêché de postuler à sa propre succession.
L’EXISTENCE DE LA GAUCHE EST EN JEU
Examiner les raisons de ce final lamentable est, certes, indispensable. Ce devoir de lucidité s’avérerait néanmoins inutile s’il n’était pas mis au service du sursaut sans lequel la gauche tout entière va à sa dislocation.
Il est, à cet égard, lamentable de voir les manœuvres s’accélérer afin que la future « primaire » socialiste vienne adouber Manuel Valls. Alors que ce Premier ministre partage l’intégralité du bilan de François Hollande, qu’il a poussé jusqu’à leur paroxysme les logiques désastreuses de la déchéance de nationalité ou de de la loi El Khomri, qu’il a depuis longtemps fait ses adieux à l’idéal socialiste en proclamant sa propre conversion à un libéralisme autoritaire, qu’en décrétant l’existence de ”« deux gauches irréconciliables »” il a clairement opté pour des alliances avec une fraction de la droite, un tel positionnement lui interdisant de rassembler notre camp au seuil d’une bataille décisive…
Il est tout aussi attristant d’assister à la concurrence que se livrent, toujours dans le cadre de la « primaire » de janvier, les quatre représentants de la gauche du Parti socialiste. Il aurait été de la plus élémentaire responsabilité qu’Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Marie-Noëlle Lienemann et Gérard Filoche, que je connais bien et auxquels je reconnais des qualités indéniables, s’accordent sur le nom de celui qui peut le mieux, dans leur famille de pensée, balayer le tenant d’une politique qui aura trop fait souffrir notre peuple. Au nom de différences qui apparaissent pour le moins obscures à la plupart de nos concitoyens, ils semblent à l’inverse prêts à prendre le risque de se priver eux-mêmes de dynamique et d’éloigner de la consultation un grand nombre d’électeurs qui auraient pu, en d’autres circonstances, s’en emparer pour manifester leur volonté de voir la gauche revenir à gauche.
Et j’enrage, je l’avoue, d’entendre Jean-Luc Mélenchon, manifestement enivré par des sondages pour l’instant prometteurs comme par l’attention soutenue dont le gratifient les médias, se contenter d’appeler les déçus du quinquennat à se rallier à son panache. Comme s’il lui suffisait d’arriver en tête de la gauche pour que le pays le perçoive comme une alternative crédible, et non plus comme une force de témoignage, aussi significative soit-elle. Si les forces vives de la gauche ne savent pas retrouver le chemin de leur unité autour d’un programme tournant résolument la page de l’austérité, afin de réveiller une espérance au sein du peuple français, notre camp social et politique se verra impitoyablement éliminé du second tour de la présidentielle, il se trouvera peut-être relégué derrière un Macron occupant l’espace d’un centrisme libéral et moderniste, et il sera menacé de ne plus faire que de la figuration dans la prochaine Assemblée nationale. Toutes composantes confondues, c’est sur un champ de ruines qu’il faudra nous mouvoir, et chacun sait qu’il n’y pousse jamais de roses.
On ne redira jamais suffisamment que se résigner (ou encourager, ce qui est pire…) à la fracturation de la gauche amène celle-ci dans un piège mortel. Sans que quiconque ne puisse, au final, tirer son épingle du jeu !
LE SURSAUT, C’EST MAINTENANT… OU BIEN IL SERA TROP TARD
C’est une question de survie qui nous est donc posée, c’est la possibilité même que subsiste et se reconstruise une perspective de progrès au lendemain du printemps 2017 qui se trouve en jeu. Les uns et les autres sont, désormais, face à leurs responsabilités.
Sans gauche digne de ce nom, c’est-à-dire à même de porter un projet majoritaire pour un pays que le néolibéralisme menace d’aventure, comment combattre le découragement et la désorientation de millions d’hommes et de femmes ? Comment éviter que des citoyens, que rien n’y prédispose, n’en viennent à égarer leurs votes sur de faux prophètes qui leur promettront de redresser la France au moyen de recettes dangereuses, ayant fait faillite partout ? Comment empêcher que la colère de ceux que François Fillon et ses semblables promettent à des lendemains encore plus difficiles ne finisse par se tourner vers l’extrême droite ?
Le rebond est encore possible, mais il ne reste que quelques semaines pour l’organiser. En rassemblant, sans exclusives ni préalables, toutes les forces qui y sont prêtes, autour d’un programme de salut public, ce ”« pacte d’engagements pour une nouvelle majorité populaire »” auquel appelle avec constance le Parti communiste français. En faisant émerger, de ce débat sur les solutions à mettre en œuvre sans délai, une candidature de convergence qui ait, pour la présidentielle, à cœur de relever la gauche, de lui permettre d’accéder au second tour, et de l’emporter sur la droite et l’extrême droite. En étendant cette union indispensable au scrutin législatif de juin 2017, tant il est vrai que faire élire un maximum de députés fidèles à leurs mandants sera décisif, ou pour conduire enfin une politique ambitieuse de changement, ou pour résister à ce que nous prépare l’adversaire.
La rencontre du 10 décembre, à laquelle les communistes convient acteurs sociaux, personnalités du monde de la culture et représentants des courants politiques disponibles, peut être un premier pas dans cette direction. Si, par exemple, elle permet de faire apparaître les premiers axes d’un contrat susceptible d’engager des sensibilités porteuses d’expériences et d’histoires différentes. Cette fois, c’est au PCF qu’il revient de tenter de forcer le passage en se montrant audacieux…
À toutes celles et à tous ceux qui l’auraient oublié, exaspérés par cinq années au cours desquelles leurs attentes ont été méprisés, l’irruption du Sieur Fillon sur le théâtre électoral rappelle que la droite est toujours dangereuse, surtout lorsque que l’on renonce à lui barrer la route. Donc, que le clivage entre droite et gauche n’a jamais été aussi pertinent. Profitons, par conséquent, du forfait de François Hollande pour inverser le cours des choses. Après, il sera trop tard…