La défaite de Valls serait une bonne nouvelle pour toute la gauche

Comme beaucoup d’entre vous, j’imagine, j’ai regardé le débat télévisé entre les deux finalistes de la « primaire » organisée par la « Belle Alliance populaire ». J’en ai retiré la confirmation de ce que j’évoquais dans mon précédent « post ». Entre Manuel Valls et Benoît Hamon, puisque c’est ce dernier que les électeurs ont placé devant Arnaud Montebourg pour porter les couleurs de toutes les gauches socialistes, nous avons tout simplement affaire à l’affrontement entre le tenant du passif d’un quinquennat dont on mesure chaque jour à quels désastres il a conduit le pays, et une personnalité qui dit vouloir entendre de nouveau les attentes du peuple. Ne tombons donc pas dans cette langue de bois désespérante qui amène d’aucuns à vouloir toujours, politiquement correct oblige, assortir une cuillerée de miel d’une dose équivalente de goudron : la victoire de Benoît Hamon serait une excellente chose pour la gauche tout entière.

Oh ! J’entends bien les commentaires ironiques insistant sur une participation électorale moindre qu’attendue par la rue de Solferino et que pronostiquée par les sondeurs. Le recul du nombre de votants, si l’on prend pour point de comparaison la précédente « primaire » de 2011, reflète manifestement l’affaiblissement d’un Parti socialiste victime, à l’instar des autres composantes du camp progressiste, des trahisons à répétition d’un pouvoir dont l’électorat populaire ne peut retenir aucune avancée d’envergure, sur les plans social et démocratique, à la seule exception du « mariage pour tous ».

Cela dit, ceux qui voudraient ne percevoir dans cette mobilisation en demi-teinte que la confirmation de leur propre stratégie, je pense par exemple aux amis de Jean-Luc Mélenchon, devraient plutôt s’interroger sur ce que cet engouement pour le moins limité pourrait dire de l’état de la gauche dans son ensemble. C’est sans doute l’institut Odoxa qui éclaire le véritable problème en écrivant : ”« Malgré l’intérêt des Français pour les primaires en général, et celle-ci en particulier, cet échec se comprend aisément : huit Français sur dix ne pensaient pas que le vainqueur de cette primaire serait le prochain président de la République (83%) et presque autant (79%) estimaient que le PS sortira” ‘’affaibli’’ ”de la prochaine élection présidentielle. Dans ces conditions, avec un tel enjeu, à quoi bon aller voter ? »”

Si, comme on peut le craindre, cette analyse se révèle juste, c’est à une amplification sans précédent des tentations du « vote utile » que nous risquons d’assister en avril et mai prochains. Avec pour déterminations premières ce que les citoyens estimeront être le danger principal… Sans que ce réflexe ne bénéficie, cette fois, au porteur des couleurs socialistes… Et sans que personne ne soit épargné à gauche, y compris le candidat de la « France insoumise »…

Dans ces conditions, il serait prudent de ne pas prendre à la légère le nombre de participants au dernier dimanche électoral. Après tout, même si dans la réalité elle n’avait que peu dépassé le million d’électeurs (elle est officiellement chiffrée à presque 1,6 million de votants), il s’agirait d’un événement significatif. Que, dans un contexte de discrédit de la parole publique et de délitement phénoménal de la gauche, il se trouve encore un si grand nombre d’hommes et de femmes pour accomplir cet acte citoyen, et plus encore pour donner une majorité aux deux candidatures se réclamant de l’alternative de gauche au hollandisme, ne saurait être sous-estimé. N’en relativisons pas la portée : prendre le chemin d’isoloirs situés parfois à quelques dizaines de kilomètres de son domicile constitue un engagement militant sans comparaison possible avec les centaines de milliers de « clics » de souris que revendiquent présentement, comme les marques du soutien populaire dont ils bénéficieraient, des mouvements se voulant ”« hors système »”.

DEUX ENSEIGNEMENTS PRINCIPAUX

J’en retire, pour ma part, un double enseignement. D’abord, c’est le noyau dur du peuple de gauche, et singulièrement l’aile la plus déterminée de l’électorat socialiste, qui se sont mobilisés ce 22 janvier et ils ont, à plus de 54%, en se portant sur Hamon et Montebourg, voulu sanctionner nettement la gestion sociale-libérale des cinq années écoulées (le candidat Peillon ayant voulu se tenir à distance de l’action de François Hollande, et le total des soutiens déclarés de cette dernière, de Valls à de Rugy, de Bennahmias à Pinel, atteignant péniblement 38,85% des voix). Ensuite, à l’image de ses homologues du continent, la social-démocratie française entame aujourd’hui sa recomposition, et cette dernière va s’opérer sous la pression d’une forte polarisation à gauche, ce dont on doit se féliciter. Par conséquent, s’il n’est sans doute pas faux de dire que le parti né à Épinay sous l’égide de François Mitterrand se révèle en état de désintégration avancée, cela ne referme pas pour autant l’espace d’une social-démocratie cherchant à se refonder en tirant les leçons des spectaculaires échecs auxquels a partout mené l’accompagnement de la mondialisation marchande et financière.

Voilà qui me conduit à souhaiter ardemment que, ce 29 janvier, Manuel Valls soit renvoyé dans ses foyers par celles et ceux qui participeront au second tour de la « primaire ». Je ne veux évidemment pas remettre le PS au centre du jeu politique, comme certains se montrent parfois tentés d’en accuser ceux qui pensent comme moi : le changement en cours des rapports de force peut, en effet, s’avérer une chance de clarifier les discussions d’orientation et de faire bouger les lignes au sein de la gauche.

Il ne s’agit pas davantage, de ma part, de minimiser les différences qui peuvent exister avec Benoît Hamon : j’ai déjà eu l’occasion d’écrire ici que je préférais l’instauration d’une sécurité sociale professionnelle à la création d’un « revenu universel d’existence » qui pourrait amener tout un pan de la société vers une forme d’exclusion instituée de l’emploi salarié. Cela doit-il conduire à ignorer l’important « bouger » qui est en train de s’opérer au cœur de notre camp social et politique ? Peut-on se comporter comme si une victoire de la gauche du PS, dimanche prochain, représenterait un handicap à l’émergence de la perspective d’avenir que cherche de toute évidence notre peuple ? Poser ces questions, c’est déjà y répondre…

Pour me montrer encore plus précis, je considère que Jean-Luc Mélenchon et ses porte-parole commettent une lourde faute politique en traitant par le mépris le phénomène révélé par la « primaire ». En adoptant une posture qui paraîtra inévitablement très politicienne à l’opinion, dès lors qu’ils se complaisent à décrire, sur les plateaux de télévision, leur intention de prendre Benoît Hamon dans le ”« casse-noix »” (ce sont les termes utilisés) que représenteraient les candidatures soutenues par « En Marche ! » d’un côté, la « France insoumise » de l’autre. En affichant, envers un million et demi de citoyens, quoi que l’on puisse penser de la complexité de leurs motivations, cette condescendance qui ne les distingue en rien de celle qui caractérisait hier des hiérarques socialistes imbus de leur prédominance. En renvoyant, dans une attitude infra-politique, au PS le qualificatif de ”« petite gauche »” (je l’ai malheureusement entendu ces derniers jours), oubliant du même coup que c’est demain toute la gauche qui peut se retrouver confinée à… un tout petit espace.

En d’autres termes, je suis absolument convaincu que les millions d’hommes et de femmes qui persistent à se réclamer de la gauche en des temps pourtant difficiles attendent de l’ouverture, du dialogue sur le fond des solutions en présence, de la responsabilité sur le terrain crucial de l’unité indispensable pour faire face à une droite de revanche et à un lepénisme porteur de liquidation de la République. Aucune construction durable ne s’avérera possible sans eux. Et c’est pourquoi, si le second tour de la « primaire » confirme le premier, il importera de tendre la main, de proposer l’ouverture immédiate d’une discussion sur les moyens et les propositions à partir desquels un large rassemblement redeviendrait possible.

NI L’INDIFFÉRENCE, NI L’HOSTILITÉ NE SONT ACCEPTABLES

La victoire de Benoît Hamon sera d’abord la sanction méritée d’un quinquennat devenu insupportable à l’immense majorité de celles et ceux qui avaient apporté leurs suffrages à François Hollande en 2012, avant de voir piétiné leur vote. Elle traduira la volonté, que l’on sent monter des profondeurs du pays, de s’extraire des rets de l’austérité ayant plombé toute relance économique et d’une logique de « l’offre » ayant seulement bénéficié aux plus puissants. Elle redonnera du sens au combat transformateur et facilitera le débat sur le nouveau cap dont la France a besoin. Elle rouvrira un chemin à des convergences que les choix hollando-vallsistes obstruaient. Elle pourra redonner à la gauche, si celle-ci se montre à la hauteur, une chance de revenir dans la course à l’Élysée comme dans la compétition législative ultérieure, en retrouvant une chance d’accéder au second tour de la présidentielle et de battre Monsieur Fillon et Madame Le Pen.

Pour se convaincre que tel est désormais l’enjeu, il suffit d’observer avec quelle hargne – je devrais plutôt parler de haine, lorsque certains éditorialistes de renom osent comparer le député des Yvelines à… Donald Trump – les bouches à feu de la pensée normalisée ont réagi au coup de tonnerre du 22 janvier. À les entendre, la candidature Hamon ne serait que l’incarnation d’une vision utopiste condamnant la gauche à une très longue cure d’opposition. Comme si ce n’était pas d’abord pas le renoncement devant les désidératas de la finance et des actionnaires qui avait coupé le courant social-démocrate de ces classes travailleuses et populaires sans lesquelles on ne peut espérer réunir de majorité électorale !

Chacun sait dorénavant à quoi s’en tenir. Y compris pour ceux qui, comme moi, ne figurent pas au nombre des acteurs de la « primaire », l’indifférence ou la neutralité ne sont pas de mise. Je l’avoue bien volontiers, à quiconque m’interroge ces temps-ci sur l’opportunité de se rendre aux urnes dimanche prochain, je réponds sans détours : « Si vous considérez que c’est l’intérêt général qui se trouve en jeu, si vous pensez que c’est dans sa recomposition et son redressement, non dans le choc de dynamiques destructrices que la gauche peut retrouver un avenir, allez voter pour battre Manuel Valls ! Afin que l’horizon commence à s’éclaircir de nouveau, au terme de cinq années au cours desquelles l’espoir aura été systématiquement anéanti. » En résumé, lorsque l’on est de gauche, on ne joue jamais la politique du pire. Tout ce qui permet de combattre le découragement est, au contraire, une bonne nouvelle.

Christian_Picquet

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