Ignorer ce qui menace la France, c’est aussi trahir la gauche !
”(Cette note a été remise à jour le 9 mars)”
Quelques heures après la publication de mon dernier ”post”, le fragile espoir né du dialogue renoué entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se voyait mis à mal. À l’issue d’un dîner entre le vainqueur de la « primaire » socialiste et le héraut de la « France insoumise », le peuple de gauche se voyait informé qu’un accord était intervenu… pour ne pas tomber d’accord. Dans un lapidaire communiqué, où perçait une obscure délectation puisque n’y pointait pas le moindre regret, le candidat Mélenchon constatait simplement : ”« À cinquante jours du premier tour, il n’est pas possible de régler la différence qui par exemple nous sépare sur la question essentielle de l’Europe. Je n’ai pas été surpris qu’il me confirme sa candidature et il ne l’a pas été que je lui confirme la mienne. Nous sommes convenus d’un code de respect mutuel dans la campagne. »” Beaucoup, je l’ai personnellement vérifié, en auront éprouvé un surcroît de découragement. Faut-il, dès lors, renoncer à rechercher le « pacte de majorité » et la candidature présidentielle unique qui permettraient, en s’appuyant sur l’élan d’une union retrouvée, de gouverner demain la France sur des objectifs réellement de gauche ? Je le pense moins que jamais.
Pour peu que l’on voulût bien s’intéresser un peu au nouveau paysage politique en train d’émerger, on aboutira à la conclusion qu’il serait insupportable, criminel même, de consentir à une gauche fracturée, donc impuissante et mise hors-jeu pour longtemps. Quatre grands traits caractérisent en effet notre vie publique.
D’abord, à travers la révélation de l’affairisme de François Fillon, qui lui interdit désormais de disposer de la légitimité suffisante pour incarner la fonction présidentielle dans des institutions d’essence bonapartiste, à travers également les soubresauts qui font du Parti socialiste un bateau ivre au terme d’un quinquennat affligeant, ce sont les formations d’alternance qui se retrouvent en pleine tourmente. La V° République s’en voit, du même coup, entraînée dans une véritable crise de désintégration.
Ensuite, comme toujours en pareilles circonstances, lorsque semble avoir disparu toute alternative de progrès, c’est l’extrême droite qui voit ses voiles se gonfler. Quoique rien ne fût jamais écrit, Madame Le Pen s’avère maintenant en position de l’emporter le 7 mai prochain, et son essor fulgurant fait du Front national l’enjeu central de l’élection présidentielle, pour le premier autant que pour le second tour. Au surplus, même si sa conquête du pouvoir se voyait une nouvelle fois mise en échec, le parti national-lepéniste n’en aurait pas moins atteint un étiage tel qu’il disposerait des clés des réorganisations en gestation du côté d’une droite sans projet, privée de leadership et idéologiquement disloquée.
De la même manière, la politique ayant horreur du vide, comme on dit, d’autres aventuriers en viennent inévitablement à se poser (et à apparaître à une partie de l’opinion) comme des recours. La nouveauté vient aujourd’hui du fait qu’une fraction très substantielle de la finance s’investit dans la bataille électorale et cherche à y promouvoir un candidat au programme aussi attrape-tout que correspondant à ses intérêts fondamentaux, en l’occurrence Emmanuel Macron. Ce faisant, se fait jour la volonté de ces milieux d’affaire de s’émanciper, non seulement des partis existants, mais des mécanismes de la démocratie citoyenne, afin de mieux prendre en mains directement les destinées de la nation.
Enfin, le ralliement d’un François Bayrou au rejeton de la banque Rothschild, en se conjuguant à ceux qui se préparent dans le clan des supporters « socialistes » du pouvoir en place, est de nature à accélérer une recomposition au centre-droit de la scène politique hexagonale. L’un des objectifs de l’opération, chacun doit s’en montrer conscient, consiste à marginaliser tous les courants qui, à gauche, revendiquent leur filiation au mouvement ouvrier et entendent continuer à se réclamer de cet héritage émancipateur.
Soulignons-le donc sans détours : dans de semblables conditions, l’existence d’une gauche en état de porter une nouvelle majorité politique à la tête du pays dépend clairement de son rassemblement. Rassemblement, cela va sans dire, sur des bases qui l’autorisent, c’est-à-dire qui se situent en rupture avec l’austérité comme avec les logiques de soumission au dogme néolibéral.
La désignation de Benoît Hamon par les participants de la « primaire » de janvier l’a permis, et le permet toujours. D’ailleurs, à qui resterait incrédule sur la distance prise par le candidat socialiste avec la gestion hollandaise des affaires, le ralliement de nombre des ténors sociaux-libéraux du PS à la campagne de Macron se chargerait de remettre les pendules à l’heure. Il importe donc que toutes les énergies disponibles s’emploient, sinon à discuter d’un programme global de gouvernement, le temps nous manquant pour mener à bien une cette entreprise, du moins à dégager une série de propositions-phares répondant tout à la fois aux urgences du moment et aux aspirations de notre peuple.
Tel est l’un des principaux enjeux de la séquence électorale de ce printemps. S’y dérober, en faisant passer des considérations boutiquières avant l’esprit de responsabilité, revient à jouer à la roulette russe l’avenir de la France comme celui de notre camp social et politique !
a__QUEL AVENIR CONSTRUIRE SUR UN CHAMP DE RUINES ?__
Benoît Hamon possède sa part de responsabilité dans la déconfiture qui nous menace tous. Si l’on peut et doit lui donner acte de son appel à l’union sitôt la défaite de Manuel Valls acquise, le 29 janvier, si la convergence réalisée avec les écologistes franchit un pas dans la direction du rassemblement, il n’a pas déployé l’énergie qui eût été nécessaire pour surmonter les obstacles du côté de Jean-Luc Mélenchon. Éclairant sans doute la raison de ces atermoiements, qui en auront surpris plus d’un, ”Le Monde” du 21 février écrivait : ”« Pour dépasser ces blocages, Benoît Hamon, qui répète pourtant qu’il ne croit pas dans la figure de ‘’l’homme providentiel’’, s’affiche de plus en plus comme le seul vote utile à gauche à la présidentielle. »”
C’est pourtant, je veux le dire avec solennité, la faute commise par le fondateur (et figure tutélaire) de la « France insoumise » qui m’apparaît la plus lourde. Parce qu’il a longtemps porté les couleurs du Front de gauche, dont le projet fondateur consistait à vouloir faire bouger les lignes au sein de la gauche, afin de la refonder dans son ensemble sur une ambition majoritaire. Parce qu’il n’est aujourd’hui pas le candidat de son seul parti, et qu’il ne peut s’obstiner à traiter avec mépris le soutien que lui apportent plusieurs autres formations, à commencer par le Parti communiste dont l’engagement au service de l’unité ne saurait être aussi ouvertement bafoué. Parce que son ADN devrait en principe conduire la gauche de transformation, et par conséquent le personnage qui prétend l’incarner dans une consultation aussi décisive, à n’avoir que l’intérêt général pour repère.
Il suffit, à cet égard, de prendre connaissance des déclarations et ouvrages de Jean-Luc Mélenchon pour deviner le schéma stratégique qui l’inspire. À tant traiter par le mépris les partis, à commencer par ceux qui l’appuient, à tant vouloir se détourner du clivage droite-gauche, à tant théoriser le surgissement du nouvel acteur politique que seraient les « Insoumis », pointe une idée à mes yeux fort dangereuse : la désintégration de la gauche, telle qu’elle se structurait depuis des lustres, serait la condition des reconstructions de demain.
Qui peut croire pourtant, instruit par l’histoire, que des roses pourraient éclore sur un champ de ruines ? Que le représentant de la « France insoumise », évidemment incapable d’accéder au second tour de la présidentielle fort de sa seule dynamique électorale, se verrait en mesure de prendre la tête de la résistance du camp progressiste à une droite ou à un Front national victorieux, sans même parler de la riposte qu’il conviendrait d’organiser face à un Macron attaché à effacer les acquis de décennies de combats sociaux ? Que l’obstination à présenter des candidats partout aux législatives, face à ceux du Parti communiste, au risque de faire disparaître la représentation parlementaire de cette principale composante fondatrice du Front de gauche, serait de nature à accoucher « l’ère du peuple » ?
LES CONSÉQUENCES DÉSASTREUSES DE LA DIVISION
On me dit parfois, du côté des partisans de cette ligne de la terre brûlée, que l’électorat populaire se ficherait comme d’une guigne des controverses sur le rassemblement de la gauche, et que seules compteraient les propositions programmatiques des uns et des autres. C’est pour partie vrai, une campagne pitoyable suscitant surtout, en ce moment, du rejet et de la colère. À ce seul détail près, néanmoins, que la division mine inexorablement le crédit des deux représentants d’une gauche qui, par-delà leurs différences et désaccords, affichent la commune intention de tourner la page des cinq dernières années. Et qu’elle a pour effet de laisser nos concitoyens devenir les otages de camarillas ne leur offrant que des variantes de régression, voire leur proposant le saut dans le pire. Pour le dire encore plus brutalement, se targuer de défendre un programme innovant et radical se révèle parfaitement vain si l’on affiche, parallèlement, un comportement dont nul ne peut croire qu’il conduit à la victoire.
Dans ”Mediapart” du 1° mars, Laurent Mauduit est, de ce point de vue, fondé à exhorter chacun à la raison, en rappelant à qui l’aurait oublié la tragique irresponsabilité de la gauche allemande des années 1930 devant la montée du parti hitlérien. Naturellement, on ne doit jamais raisonner par analogies. Cela ne saurait amener à négliger ce que seront, inévitablement, les réactions du peuple de gauche si une débâcle, comme on peut le redouter, conclue les rendez-vous ce ce printemps. Je le cite : ”« Les deux candidats savent exactement à quoi s’en tenir : les choix politiques qu’ils ont faits peuvent les conduire à une élimination dès le premier tour de l’élection présidentielle. Avec un choix mortifère au second tour pour les citoyens dont les convictions sont restées envers et contre tout à gauche : départager Macron-Le Pen ou Fillon-Le Pen. Dans cette hypothèse, Jean-Luc Mélenchon pourrait alors certes se réjouir de ne pas avoir entaché la pureté cristalline de son programme ni conclu d’accord sur un coin de table avec un Parti socialiste qui n’a pas changé dans ses profondeurs” (…). ”Même défait, Benoît Hamon pourrait de son côté se réjouir d’aborder le prochain congrès socialiste dans des conditions favorables. Il n’empêche ! Bien des citoyens pourraient à bon droit en ressentir une forte amertume et estimer que ces intérêts de boutique ou ces” hubris ”personnelles sont bien dérisoires au regard de la gravité des événements. Alors, si telle était bel et bien la configuration politique française, si la gauche dans ses deux principales composantes était éliminée à l’issue du premier tour, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon n’en seraient- ils pas en partie responsables ? Pour l’heure, ils prennent l’un et l’autre le risque de la défaite, dans des conditions historiquement très graves. Et ils s’exposent à la critique que le même Marc Bloch adressait aux élites françaises qui n’avaient pas voulu se dresser contre la débâcle française, depuis longtemps prévisible, en faisant ce terrible constat :” “Le pis est que nos adversaires n’y furent pas pour grand-chose.” ”»”
Tout est dit. Sauf, peut-être, qu’il n’est pas trop tard pour tenter de nous éviter l’irréparable. La pression des citoyens peut tout changer, pourvu qu’elle devienne irrésistible. À condition qu’elle ne se contente pas de plaider pour l’unité en général – ce que moult pétitions ont déjà fait, exprimant en cela une attente légitime qu’il convient désormais pousser jusqu’au bout –, mais qu’elle mette dans le débat public les quelques exigences à même de répondre à une demande de changement que je tiens pour toujours majoritaire dans le pays, quoiqu’elle ne trouve présentement aucune traduction digne de ce nom. La résignation est moins que jamais de mise, car elle est toujours le plus court chemin vers les catastrophes.