
Dénouer la crise française par l’intervention populaire
Osons paraphraser Karl Marx : il est de moments où l’histoire paraît se répéter mais se transforme plutôt en farce. N’en va-t-il pas ainsi de l’imbroglio gouvernemental en cette rentrée ? Lorsque, le 15 juillet, François Bayrou prononça son discours, désormais inscrit dans chaque mémoire, sur le caractère prétendument abyssal de notre dette publique et de notre déficit budgétaire, il savait se livrer à un coup de force contre le peuple de France : soit celui-ci s’inclinait, accablé par cette dramatisation où l’outrance le disputait à la démagogie et à l’insulte, et il consentait à acquitter la facture salée d’une gestion ne cessant depuis des décennies de servir les intérêts court-termistes des possédants, saignant à blanc la nation, se rendant complice de sa désindustrialisation, l’enfonçant dans la spirale de la stagnation, pour au final creuser toujours davantage les déficits ; à l’inverse, faute de pouvoir passer en force, il n’ignorait pas qu’il devrait céder la place. Le forcing opéré durant tout l’été pour culpabiliser le monde du travail et le convaincre qu’il était responsable de l’état de décrépitude de l’économie, s’avérait cependant trop brutal. Il ne faisait en effet que réveiller, d’un même mouvement, la colère d’un corps social qui subit des purges austéritaires depuis des lustres et dont les conditions d’existence se dégradent sans fin, comme sa rupture désormais irréversible avec les mécanismes de représentation politique et institutionnel. L’annonce, par le locataire de Matignon, qu’il entendait poser la question de confiance aux députés le 8 septembre, devenait dans ces circonstances une démission déguisée. Celles et ceux qui crurent alors, fût-ce un bref instant, qu’Emmanuel Macron allait prendre acte de l’échec de ses manoeuvres, qu’il cesserait d’ignorer la sanction dont il avait été l’objet lors des législatives de l’an passé, et qu’il pouvait donc désigner un chef de gouvernement issu de la gauche, en furent rapidement pour leurs frais. C’est l’un des plus fidèles du Prince, Sébastien Lecornu, qui fut appelé à remplacer le maire de Pau, telle une énième manifestation de l’enfermement de l’Élysée dans une ligne de conduite pourtant en échec, mais à laquelle le capital ne veut manifestement pas renoncer. Ce qui laisse penser que ce cinquième Premier ministre en trois années rejoindra rapidement ses prédécesseurs, faute de majorité au Palais-Bourbon et de volonté de rompre, en dépit de la promesse faite sur le perron de l’Hôtel de Matignon, avec l’héritage calamiteux du macronisme. Attention, cependant, à ne pas interpréter cet immobilisme comme relevant de la seule obstination d’un exécutif sourd et aveugle à l’état du pays. La crise française prend dorénavant une nouvelle et dangereuse dimension.
Nombre de commentateurs, cherchant sans doute à se rassurer, évoquent l’instabilité politique frappant la plupart des pays occidentaux et confrontant leurs équipes dirigeantes à une impopularité record. Ils sont, bien entendu, fondés à souligner cette caractéristique de la crise actuelle du capitalisme globalisé : la finance et les actionnaires des grands groupes multinationaux prétendent l’appréhender par des dispositions d’une violence antisociale telle que les populations, ivres d’une colère légitime, refusent massivement d’y souscrire ; et, dans la mesure où les gauches s‘avèrent en général incapables d’y opposer une autre logique cohérente, fondant le redressement des différents pays et leur relance économique autant que sociale sur une réponse ambitieuse aux attentes populaires, ce sont les extrêmes droites ou des populismes ultra-réactionnaires qui profitent des angoisses et des souffrances du grand nombre. Il n’en demeure pas moins que, dans la plupart des nations frappées par ce phénomène généralisé de rupture entre les peuples et leurs classes dirigeantes, les mécanismes politiques et institutionnels résistent encore à l’implosion, même s’ils s’affaiblissent et laissent surgir de nouveaux mouvements dramatiquement dangereux pour la démocratie (de l’Alternative für Deutschland outre-Rhin, à Reform UK de l’autre côté de la Manche, sans même parler de Fratelli d’Italia parvenu au pouvoir dans la Péninsule transalpine).
DES CRISES AUX EFFETS CUMULÉS
L’état de la France n’en apparaît que plus exceptionnel en Europe. Au total, les partis traditionnels de gouvernement n’y représentent pas plus d’un quart des suffrages exprimés. La force ayant prétendu les remplacer, en s’appuyant sur l’accession d’Emmanuel Macron au Trône élyséen, s’est littéralement désintégrée en une poignée d’années. La gauche, fracturée par les approches stratégiques antagoniques qui coexistent en son sein, est tombée à son étiage électoral le plus bas depuis très longtemps, avec moins d’un tiers des intentions de vote recensées par les sondeurs. La V° République, dont on vanta longtemps la longévité, révèle son usure au point que la crise politique se prolonge désormais d’une crise de régime sans précédent depuis 1958. Quant à la France populaire, elle est dans ses profondeurs entrée en sécession contre une classe dominante qui lui apparaît figée dans son mépris de classe et son âpreté au gain.
Situation à ce point convulsive trouve sa source dans quatre crises majeures auxquelles il n’est apporté aucune solution pertinente. Celle, d’abord, d’un capitalisme français auquel les dogmes néolibéraux appliqués depuis des décennies — dans le cadre d’une Union européenne de plus en plus subordonnée aux intérêts économiques et commerciaux de l’Allemagne et qui a renoncé à conquérir son indépendance à l’égard des États-Unis —, n’ont pas permis d’affronter les défis présents d’une globalisation surdéterminée par la révolution informationnelle, et en quête de nouvelles hiérarchies de dépendance entre puissances et firmes transnationales. Celle, ensuite, d’une bourgeoisie en panne de projet à même d’unifier ses différentes fractions, qui sait pertinemment faire face à une société entrée en éruption du fait de trop de régressions subies, mais qui n’en cherche pas moins à satisfaire sa soif inextinguible de profits en poussant les feux d’un libéralisme qui appauvrit le corps social, interdit à la puissance publique d’assumer ses missions d’intérêt général, déchire le tissu industriel français, se détourne des urgences écologiques, plonge l’économie dans le marasme et enfonce le pays tout entier dans un déclin menaçant de devenir irréversible. Celle, encore, d’institutions à bout de souffle, malades d’un présidentialisme ayant engendré la personnalisation croissante des pouvoirs en place, qui ont atrophié la démocratie et délégitimé tous les mécanismes de représentation politique et sociale, dès lors que le peuple s’est senti méprisé (c’est l’universitaire Florence Haegel qui, dans La Croix du 15 septembre, formule le diagnostique juste en parlant d’un système « de plus en plus replié sur lui-même, incapable d’évoluer, régressif mais aussi de plus en plus répressif »). Celle, enfin, d’une gauche impuissante à incarner une alternative crédible, polarisée qu’elle se retrouve entre l’aventurisme de La France insoumise — qui croit conduire son leader aux plus hautes destinées en divisant avec brutalité les rangs progressistes et en encourageant la fragmentation communautariste de la France —, et le retour, dans une partie de l’aire socialiste, d’une tentation sociale-libérale ignorante des dégâts qu’elle a causés dans le passé, lorsqu’elle amena la classe travailleuse et les catégories populaires à se détourner de la politique ou à s’abandonner aux sirènes du national-lepénisme.
La désignation de Monsieur Lecornu n’est évidemment pas de nature à initier les changements majeurs de politique qui seraient seuls à même de relever de tels défis. Le dernier des affidés du président de la République — la plupart des autres ayant pris la poudre d’escampette — s’est vu confier une mission impossible : préserver l’héritage pro-business du macronisme, tout en trouvant une voie évitant à son gouvernement une censure parlementaire, grâce à quelques concessions faites à la gauche sans remettre en cause la logique d’ensemble du budget esquissé par son prédécesseur. La quadrature du cercle, en quelque sorte, les deux têtes de l’exécutif se trouvant d’emblée plombées par le rejet populaire dont ils font l’objet (Emmanuel Macron totalisant 80% de mécontents et une large majorité de nos concitoyens marquant d’emblée sa défiance envers ce que pourrait être l’action de son Premier ministre). Une réalité qu’aggrave la virulence d’un Medef contre toute mesure de justice qui frapperaient les ultrariches ou les adeptes de l’optimisation fiscale, la menace étant même brandie d’un « meeting géant » du monde patronal au cas où le futur exécutif oserait demander au capital des efforts similaires à ceux imposés au monde du travail.
Le danger de ce refus des possédants de mettre la main à la poche — alors que les grandes entreprises ont empoché des aides hallucinantes (la majeure partie des 211 milliards d’euros identifiés par la commission sénatoriale formée pour les évaluer) dont elles se sont prioritairement servies pour rémunérer grassement leurs actionnaires, et alors que les 1% des Français les plus riches détiennent un quart du patrimoine national tandis que les 10% les plus fortunés en accaparent la moitié — est d’aggraver régulièrement la décomposition politique et sociale du pays. Le sociologue Michel Wieviorka pointe à juste titre une dynamique qui peut mener la France au bord d’un précipice, qui n’est nullement le spectre du « surendettement » agité par Monsieur Bayrou, mais celui de la désagrégation de la nation : « Si notre pays ne retrouve pas le chemin de l’intégration ou de l’articulation des éléments qui le composent, sous des formes qui sont certainement à réinventer, si persistent au sein de l’État les dérives en tous genres, si le mépris, l’arrogance, l’indifférence d’un côté, la méfiance, le ressentiment voire la haine ne régressent pas, alors, le chaos ou l’instauration d’un régime autoritaire deviennent des horizons possibles » (in Où va la France : métamorphose ou déchéance ?, Mikros/Éditions de l’Aube 2025).
UN AUTRE BUDGET POUR RELANCER LA FRANCE
C’est à cette échelle que se situent les responsabilités de celles et ceux qui veulent commencer à réparer la France en la remettant sur le chemin du progrès. Les partis de gauche ont, naturellement, un rôle essentiel à jouer en ce sens. Il leur appartient notamment de mettre dans le débat public les éléments clés d’une autre logique économique et sociale, d’un budget qui soit en rupture avec l’austérité afin de pouvoir répondre aux besoins populaires tout en favorisant la création de richesses nouvelles et le redressement des comptes de la nation. Face à une société qui oscille entre colère incandescente et crainte de l’avenir, ils se doivent néanmoins d’éviter deux impasses : jouer la crise comme le fait La France insoumise en s’imaginant que les conditions seraient mûres pour une « révolution citoyenne », et entrer dans des tractations opaques qui les assimileraient à un pouvoir discrédité.
Bien sûr, nul ne doit jamais redouter la souveraineté des urnes. Cela dit, dans le rapport de force issu des élections législatives de l’été 2024 (un paysage politique fractionné en trois blocs, avec un « socle commun » durement sanctionné par l’électorat, une extrême droite en position ascendante mais ayant échoué à accéder au gouvernement du fait d’un sursaut républicain puissant, et une gauche sortie en tête du scrutin sans disposer d’une majorité), un retour aux isoloirs — à la suite d’une nouvelle dissolution ou d’un départ anticipé d’Emmanuel Macron — ne résoudrait certainement pas la crise présente au bénéfice de la majorité sociale du pays. Il pourrait même, faute de perspective crédible à gauche, catalyser une demande diffuse de rétablissement de l’ordre. Il importe donc de ne pas dévier du respect des aspirations du peuple et de s’efforcer de leur offrir un débouché crédible, c’est-à-dire pouvant conduire à des victoires. En clair, il appartient aux forces de gauche et écologistes de porter une série de mesures qui, sans embrasser l’entièreté d’un programme global de changement, mais parce qu’elles s’inscrivent dans le prolongement des revendications du mouvement syndical, rouvrent à notre Hexagone un chemin d’espoir et de justice.
La question n’est pas, en l’occurrence, de « doser » les compromis qui s’avéreraient acceptables pour apporter un soutien parlementaire au futur exécutif, encore moins d’intégrer celui-ci en partenariat avec les droites. La balle est, en fin de compte, dans le camp de Monsieur Lecornu : puisqu’il parle lui-même de rupture, qu’il affiche une indéniable lucidité en expliquant à ses amis que s’ils ne changent pas ce sont les Français et les Françaises qui « les changeront », il doit le manifester concrètement. D’abord, en renonçant au budget concocté par François Bayrou, autant qu’à l’idée que les plus grands sacrifices doivent être consentis pour résorber une dette qui, pour importante qu’elle fût, n’a nullement le caractère dramatique qu’on lui prête. Ensuite, en abrogeant la contre-réforme des retraites, dont tous les sondages attestent qu’elle est toujours autant rejetée par notre peuple. De même, en répondant au besoin d’une hausse substantielle du pouvoir d’achat des salariés et des retraités, ce que permettraient entre autres l’augmentation du Smic, la hausse du point d’indice des fonctionnaires ou la diminution de la TVA sur les produits de première nécessité comme de la fourniture d’électricité aux ménages. Enfin, en allant chercher là où ils se trouvent les moyens de financer la relance autant que les investissements nécessaires à la création d’emplois, au renouveau industriel de nos territoires, à la reconstruction des services publics et à l’engagement d’une transition écologique de haut niveau : grâce à une taxe Zucman (ou un nouvel impôt sur la fortune), qui devrait intégrer l’ensemble des biens professionnels ; grâce à une cotisation sociale nouvelle sur les revenus financiers brut des entreprises, des banques et des assurances, afin de répondre aux besoins de notre système de retraites ; grâce à une lutte résolue contre l’évasion et la fraude fiscales ; grâce au retour à une réelle progressivité de l’impôt sur le revenu ; et, surtout, grâce à une conditionnalité des aides aux entreprises à partir de critères sociaux et écologiques stricts (ce qui permettrait, pour ne prendre que cet exemple, de récupérer les sommes dont ont bénéficié par le passé de grandes entreprises qui les ont utilisées pour augmenter les dividendes (la commission sénatoriale ayant travaillé sur ce sujet l’a d’ailleurs préconisé à l’unanimité et chiffré précisément).
Autant de dispositions qui devraient, a minima, s’accompagner de l’annulation de l’augmentation du budget militaire décidée, à la suite du dernier sommet de l’Otan en juin dernier, non pour améliorer la défense nationale, mais pour satisfaire aux seules injonctions guerrières de la citadelle impériale d’outre-Atlantique. C’est par cette augmentation, rappelons-le, qu’avait été justifiée la volonté de l’équipe Bayrou de supprimer deux jours fériés. Tout cela pourrait rapporter — ou faire économiser — des dizaines de milliards d’euros. Si Sébastien Lecornu devait se refuser à pareille réorientation des choix de la France, et s’il croyait acheter la paix sociale par des mesurettes ne remettant pas en cause l’objectif de tailler à la hache dans les revenus populaires et les dépenses publiques, il s’exposerait inévitablement à la censure qui a eu raison de ses deux prédécesseurs.
L’ATOUT D’UN PUISSANT RÉVEIL SOCIAL
Soyons, cela dit, parfaitement lucides : en l’état actuel des équilibres politiques, au Parlement autant que dans le pays, le changement de donne attendu par nos compatriotes ne se produira pas sans que le mouvement social ne vînt rebattre les cartes. Et c’est bien ce que rendent possibles les mobilisations du 10 et, plus encore, du 18 septembre. Certes, l’appel « Bloquons tout ! » ne pouvait paralyser l’activité économique du pays dès lors qu’il ne partait pas des entreprises et prétendaient contourner les organisations de travailleurs et de travailleuses. En revanche, les manifestations organisées ce jour-là ont anticipé, par leur ampleur inattendue quoique limitée, l’indéniable succès de la journée initiée huit jours plus tard par l’intersyndicale. Que ce dernier rendez-vous, fort de l’unité des huit organisations syndicales, n’ait pas immédiatement atteint la dimension de ceux de 2023, contre le passage à 64 ans de l’âge du départ en retraite, n’a rien de surprenant, l’épreuve de force s’étant alors soldée par un échec dont le monde du travail se remet à peine.
Pour autant, que des centaines de milliers de personnes se soient rassemblées dans toute la France constitue un événement sans précédent pour une rentrée de septembre. Tout comme les mouvements de grève qui ont affecté divers services publics mais aussi un certain nombre d’entreprises privées. La philosophe Myriam Revault d’Allonnes en a parfaitement identifié le ressort : « Il y a une colère fondamentale fondée sur le moteur essentiel qu’est le sentiment d’injustice » (Libération, 15 septembre 2025). Comment en irait-il autrement ? Même la presse économique, tout en s’indignant devant la moindre idée de redistribution des richesses, doit présentement admettre, sur la base d’un sondage Ipsos réalisé pour l’institut Terra Nova et l’Apec auprès des salariés du secteur privé, que « employés, ouvriers, et surtout professions intermédiaires, se sentent floués entre ce qu’ils donnent, d’un côté, leurs compétences ou leur expérience, et ce qu’ils reçoivent, de l’autre. D’où un sentiment de ‘’profond malaise’’ des classes moyennes » (Les Échos, 24 septembre 2025).
C’est précisément ce que nos gouvernants, emmurés qu’ils se trouvent dans leur aveuglement méprisant, ont cru pouvoir ignorer : notre pays est, plus que tout autre, animé de cette « passion de l’égalité » qui faisait déjà écrire à Alexis de Tocqueville, qui s’en méfiait grandement : « Lorsqu‘on parcourt les pages de notre histoire, on ne rencontre pour ainsi dire pas de grands événements qui depuis sept cents ans n’aient tourné au profit de l’égalité » (in De la démocratie en Amérique, Gallimard 1968). C’est aussi ce que ne comprennent manifestement pas ces grandes figures d’un capitalisme financiarisé et transnationalisé que sont un Bernard Arnault, le PDG de LVMH, ou un Nicolas Dufourcq, le patron de BPIfrance, lorsqu’ils s’en prennent hystériquement à la taxe Zucman en la résumant à une « histoire de jalousie à la française ». Ceux-là aboutissent à l’exact contraire de ce qu’ils voudraient : ils croient écraser de leur morgue la révolte des catégories populaires contre des conditions d’existence de plus en plus difficiles, et ils font en réalité grandir la conscience d’appartenir à la classe qui n’a que sa force de travail pour vivre.
Le 18 septembre a donc permis au mouvement ouvrier de repolariser la situation à partir de la question sociale. L’unité syndicale, reconstituée et maintenue au lendemain de la première journée de grèves et de manifestations, est de nature à redonner confiance au salariat et à entraîner à sa suite les secteurs victimes de cette calamiteuse politique de l’offre qui n’a servi que l’élite possédante. La capacité de ce syndicalisme rassemblé à prolonger ses revendications immédiates de propositions budgétaires alternatives en renforce la dynamique. Cette dernière opère d’autant mieux que le pouvoir apparaît en difficulté, privé de légitimité, à la recherche des moyens d’assurer sa survie politique.
Et cela a pour principal effet de placer l’extrême droite en porte-à-faux, comme à chaque fois que l’enjeu de classe vient bousculer son discours de haine et sa stratégie de division de la nation. Désormais, dans chaque enquête d’opinion, ce sont les questions de justice sociale et de démocratie qui viennent en tête des préoccupations des Français, devant les peurs liées à l’immigration ou à la sécurité. Au grand dam des grandes figures du Rassemblement national qui, lorsque la France du travail exprime avec une force remarquable son attente de mesures fortes contre les privilèges insolents des grandes fortunes, révèlent leur véritable nature en s’opposant à toute taxation du capital, en plaidant à l’inverse pour la réduction massive de la fiscalité des entreprises, et en agissant de ce fait contre les services publics.
Clairement, c’est par l’intervention populaire qu’il devient possible de commencer à dénouer la crise française dans un sens progressiste. L’avenir demeure, bien sûr, toujours incertain. Le mouvement social est encore à construire et à enraciner dans les entreprises et sur le terrain, si l’on veut qu’il atteigne la puissance grâce à laquelle il pourra faire basculer le rapport des forces et arracher des avancées sur les dossiers dorénavant ouverts. À l’heure où ces lignes sont écrites, les organisations syndicales viennent de prendre acte que le Premier ministre ne répondait pas à leurs demandes, et elles ont décidé d’appeler à une nouvelle journée de grèves et de manifestations le 2 octobre. Il leur faudra, à partir de ce nouveau temps fort, bâtir l’agenda permettant à l’action d’aller en se renforçant. Il n’y a pas, pour la gauche, plus grande urgence que de contribuer à la vague qui se forme. En mobilisant toutes ses énergies au service de la réussite des mobilisations. En recherchant les coopérations sans jamais se substituer à l’intersyndicale, à laquelle il revient de diriger les opérations, et en respectant dès lors ses décisions. Et en nourrissant le bras-de-fer social d’une politisation de ses enjeux fondamentaux. Le débat qui doit, par conséquent, s’ouvrir devant les Françaises et les Français ne saurait renvoyer à des constructions hypothétiques en vue de la présidentielle de 2027. Il doit porter, tout à la fois, sur les batailles budgétaires de l’immédiat autant que sur les solutions à même de sortir la France de l’impasse où l’a menée un néolibéralisme dont chacun peut à présent constater la faillite. C’est ce à quoi veut s’employer le Parti communiste français avec les dix objectifs, qu’il soumet à la plus vaste discussion, de son « Pacte pour l’avenir de la France ».