Un débat s’ouvre : quelle gauche pour demain ?

Quel désastre ! Quel spectacle affligeant ! Nous sortons à peine d’une mobilisation à l’ampleur inégalée depuis quelques décennies, à l’inventivité remarquable, à la demande vivifiante d’une nouvelle manière de concevoir le rapport de la politique au corps social. Et voilà que les composantes jusqu’alors dominantes de la gauche ne trouvent rien de plus urgent que de retourner aux délices de leurs affrontements intestins.

Au Parti socialiste, on se demande même si la ”« machine à perdre »” se serait pas remise à tourner subrepticement, pour reprendre une formule de Gérard Courtois dans ”le Monde”, lorsque la folle logique des « primaires » pour la prochaine présidentielle amène toujours plus de prétendants à se déclarer… sans que l’on sache très bien (en tout cas, sans que les citoyens le comprennent) ce qui les distingue au plan des programmes. Surtout, du côté du directeur général du Fonds monétaire international, le plan médias paraît être entré dans sa séquence active, au risque de détourner la rue de Solferino de la réponse qu’attendent les millions d’hommes et de femmes qui ont manifesté ou se sont mis en grève, ces derniers mois, contre les purges d’austérité et la destruction des systèmes de protection sociale qu’il régente, avec la plus extrême fermeté, depuis ses bureaux d’outre-Atlantique. Quant à Europe écologie-Les Verts, pour avoir goûté – avec une manifeste volupté – aux charmes de la politique traditionnelle et avoir consacré toute leur énergie à la définition des futurs rapports de force au sein du gouvernement qui les liera (peut-être !) à leur partenaire socialiste, les chefs de tentes laissent maintenant filtrer les rivalités, voire les haines qui les opposent. Pour le plus grand bénéfice d’un Cohn-Bendit qui en profite pour redire combien il souhaite le dépassement du clivage droite-gauche…

Dans ces conditions, le Front de gauche n’est plus simplement porteur d’une réponse originale par sa radicalité anticapitaliste, il devient un pôle de stabilité pour un peuple de gauche qui a de quoi être décontenancé devant ces grandes manoeuvres d’états-majors. Le processus du « programme partagé » vient ainsi d’être lancé, avec ses deux premiers rendez-vous, des 2 et 9 décembre, consacrés aux retraites et à la VI° République. Voilà qui est de nature à nous sortir un peu des sempiternelles interpellations journalistiques sur le choix de la candidature qui nous rassemblera à la présidentielle. Le contenu d’abord, disions-nous jusqu’alors… Au vu de ce qui se passe dans les mouvances socialiste et écologiste, nous avions sacrément raison. À ceci près, que les turbulences que je viens d’évoquer doivent à présent nous conduire, collectivement et le plus rapidement possible, à porter une offre politique à la hauteur des questions posées. En interpellant toute la gauche… Loin des postures de témoignage et des incantations impuissantes… Au nom du changement que sont en droit d’espérer des millions d’hommes et de femmes et de l’intérêt bien compris d’une gauche qui entend se respecter elle-même…

C’est ce que j’ai voulu dire dans une tribune que m’a demandée ”l’Humanité-dimanche”, pour sa livraison du 2 décembre. Elle rebondissait sur un sondage, publié par une précédente édition de l’hebdomadaire communiste, confirmant qu’une majorité du pays (entre 51% et 78% des personnes interrogées, selon les questions abordées) attend de la gauche qu’elle prenne demain les moyens de garantir les retraites à 60 ans et à taux plein, d’augmenter les salaires et les minima sociaux, de développer les services publics, de taxer les capitaux et les revenus des plus riches, de fixer les prix de l’immobilier, de supprimer les exonérations de cotisations sociales etc. Je reproduis ici mon papier…

« LA GAUCHE DOIT SE PRÉPARER À REPRENDRE LE CONTRÔLE DE L’ÉCONOMIE »

« Pour la gauche, c’est le point dont tout devrait découler : le mouvement populaire des deux derniers mois est le plus important que la France ait connu depuis Mai 68.

« Sur la toile de fond de la crise affectant une Union européenne percutée par la fureur spéculative des banques et des fonds d’investissement, il aura marqué le rejet, par une large majorité du pays, de l’oligarchie financière qui prétend imposer ses choix régressifs aux peuples. Il aura remis à l’ordre du jour ce choix fondamental : l’action publique peut-elle continuer à étancher la soif inextinguible de profits d’une infime minorité possédant déjà tout, ou doit-elle répondre à l’intérêt général ? Il aura redonné à la classe des travailleurs désir d’unité et conscience de sa force. Il aura placé le sarkozysme au bord de la crise de régime…

« Cette secousse sociale, dont l’effet de souffle se fait aujourd’hui sentir sur l’ensemble de notre continent, n’a pas reçu la réponse politique qui lui aurait permis d’arracher une victoire pourtant à portée de main. Elle appelle maintenant à créer les conditions d’une majorité et d’un gouvernement tournés vers la satisfaction des attentes populaires. Sans se contenter d’attendre 2012 !

« Pas de gauche à la hauteur du défi, qui ne tourne le dos aux logiques de renoncement, à l’œuvre en Grèce, en Espagne ou au Portugal. Qui ne s’engage d’abord à rétablir la retraite à 60 ans et à taux plein. Qui ne s’attaque résolument à la répartition des richesses par l’augmentation des salaires et des minima sociaux, comme par une politique fiscale fortement redistributive. Qui ne se prépare à reprendre le contrôle de l’économie, grâce à un vaste mouvement de réappropriation publique du système bancaire et des secteurs correspondant à des besoins vitaux de la population. Qui n’accepte de conduire une grande politique de planification écologique, seule à même de faire face aux dévastations d’un capitalisme vorace. Qui ne place la démocratie et la conquête de nouveaux droits pour les salariés au cœur de son action, en ouvrant notamment le chantier d’une VI° République. Qui ne se montre déterminée à sortir des clous du traité ultralibéral de Lisbonne, qui barre aux peuples la route de tout changement de leur vie.

« De là découle naturellement l’ambition qui s’impose au Front de gauche : non s’enfermer dans une posture minorisante de dénonciation du reste de la gauche ou dans le rôle de l’imprécateur, mais concourir à donner à la gauche le programme et la stratégie qui, en réveillant l’espoir et en offrant un débouché à l’aspiration unitaire qui fut le moteur du mouvement sur les retraites, permettra d’en finir avec la droite. À lui, à partir du travail engagé en vue de sa « plate-forme partagée », de devenir l’aile marchante de la gauche, de faire bouger les lignes au sein de celle-ci. À lui de donner aux acteurs sociaux disponibles les moyens de s’emparer de la question de l’alternative. À lui de savoir se tourner vers le peuple de gauche tout entier et confronter publiquement toutes les composantes de la gauche à ses propositions.

« À lui, dit autrement, d’ouvrir le chemin d’un nouveau Front populaire, adossé à la mobilisation permanente du peuple et gouvernant audacieusement contre les marchés… »

Les points abordés dans cet article reprennent, en somme, la démarche de la lettre que le bureau national de Gauche unitaire a récemment adressée à ses partenaires du Parti communiste et du Parti de gauche. Beaucoup d’entre vous la connaissent, les réactions que je reçois (et les encouragements aussi) me le laissent, du moins, penser. Les derniers développements de la situation à gauche confirment, à mes yeux, le bien-fondé de cette contribution collective à une réflexion qui doit devenir commune à l’ensemble du Front de gauche. J’y reviendrai très prochainement.

Christian_Picquet

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