Feuille de route pour le Front de gauche

Rendez-vous important pour le Front de gauche, ce 7 mars : Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon et moi-même, à la tête de délégations de nos formations respectives, avions prévu une rencontre importante. Il s’agissait de faire le point de la campagne des élections cantonales, qui sera le premier rendez-vous politique depuis la grande mobilisation sur les retraites et le dernier avant ceux de 2012, d’apprécier l’état d’avancée de l’élaboration engagée en commun en vue de l’écriture d’un « programme partagé » ainsi que d’un document fixant notre ambition stratégique conjointe, de baliser le chemin qui doit nous conduire aux rendez-vous cruciaux de la présidentielle et des législatives. Au passage, il s’agissait également de définir un calendrier de campagne contre le « pacte de compétitivité » qui, à l’instigation d’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, se trouvera au menu du Conseil européen de la fin mars.

Signe que nous entrons dans une phase de turbulences aiguës, la vie politique hexagonale tourne, depuis 48 heures, autour de ce sondage hautement suspect plaçant Marine Le Pen en tête des intentions de vote. Je dis hautement suspect, dans la mesure où l’on peut légitimement s’interroger sur le sérieux d’une enquête réalisée par téléphone, où seule l’hypothèse d’une candidature de Martine Aubry se voit prise en compte pour le Parti socialiste. D’autant que certains sondeurs avouent qu’il est de pratique courante, dans leur « profession », de mentir ”« pour avoir de la reprise médiatique »” (c’est Jérôme Sainte-Marie, le directeur général de l’institut CSA, qui prononce ces mots, avec l’intention manifeste de ruiner la crédibilité de son concurrent Louis-Harris Interactive, auteur du coup de sonde très controversé). Et comme, de la part de ce dernier organisme, on vient de nous servir une nouvelle opération publicitaire où ont cette fois été testées d’autres hypothèses du côté de la rue de Solferino, on peut sans difficulté imaginer le genre de buzz qui va maintenant se déchaîner… pour nous expliquer qu’il faut faire fi des principes et du fond pour se regrouper derrière un Dominique Strauss-Kahn, donné comme le seul à même d’éliminer Nicolas Sarkozy au premier tour, tout de même derrière la présidente du Front national.

Quelques éditorialistes entrent ainsi dans la danse, dans le but affiché de culpabiliser et de marginaliser ceux des électeurs qui pourraient être tentés par un vote vraiment à gauche, à l’instar de Paul Quinio dans ”Libération” du 7 mars : ”« Une fois la compétition lancée, si la gauche radicale devait renvoyer Sarkozy et le candidat socialiste dos à dos, elle apporterait de l’eau au moulin frontiste. »” Ben voyons… Toujours la même rengaine de la nuisance dont nous pourrions vouloir faire preuve à l’endroit du reste de la gauche… L’auteur de ces lignes ne s’est pas interrogé sur le fait que le Front de gauche, avec ses propositions et ses candidatures pour les porter, pourrait être la chance, pour la gauche, de partir à la reconquête des classes populaires, en réhabilitant la politique, en rouvrant le chemin de l’espoir d’un changement profond autant que concret des conditions d’existence du plus grand nombre.

Pour autant, la menace Le Pen n’en est pas moins réelle. À tant ignorer les souffrances du peuple, à tant afficher leurs connivences avec le monde de l’argent, à tant jouer aux apprentis sorciers en récupérant les thématiques de l’extrême droite, les élites et le pouvoir ont fini par permettre à cette dernière de prendre place au centre du jeu politique français. La feuille de route dont le Front de gauche doit maintenant se doter n’en doit être que plus précise et plus incisive. En guise de contribution à son écriture, je reproduis ci-dessous mon intervention liminaire à la rencontre de ce 7 février, dans le prolongement de celles de Jean-Luc et Pierre.

« Comme Jean-Luc et Pierre, j’insisterai tout particulièrement sur l’importance de cette rencontre : elle doit faire entrer le Front de gauche dans une nouvelle étape de sa mise en ordre de bataille.

« Nous nous trouvons, en effet, dans une situation de très grande incertitude, de tensions aiguës, d’accélérations inopinées, de fractures inattendues. La colère sociale s’avère aussi forte qu’au moment du mouvement social de l’automne, en dépit de l’échec alors enregistré ; on peut même considérer qu’elle s’est encore approfondie. Parallèlement, nous ne sommes plus simplement confrontés à un discrédit du pouvoir comme il n’en a pratiquement jamais existé depuis les origines de la V° République, nous sommes en présence d’une crise de régime rampante. Pour autant, et c’est sans doute la contradiction nodale du moment présent, il n’existe pas de réponse crédible à gauche, d’alternative digne de ce nom. C’est ce qui permet à Sarkozy, en dépit de son impopularité record, de s’efforcer de conserver l’initiative sur le terrain idéologique, en pillant le fonds de commerce de l’extrême droite et en affichant l’objectif de réorganiser, à partir de ce nouvel axe structurant, les lignes de clivage sur le champ politique.

« À cet égard, si la poussée de Marine Le Pen fait l’objet des manipulations médiatiques que l’on sait, elle n’en traduit pas moins une réalité extrêmement préoccupante : en l’absence de débouché à gauche, l’exaspération populaire risque fort de venir alimenter l’extrême droite. La position du clan aujourd’hui à la tête du Front national facilite ce glissement menaçant, dans la mesure où elle prétend s’orienter vers une question sociale que négligeait auparavant Jean-Marie Le Pen.

« Cela dessine le possible piège dans lequel nous pourrions nous retrouver, et au-delà de nous toute la gauche. D’un côté, des fractions de l’électorat en butte au chômage et à la précarité risquent de chercher à exprimer leur désir de sanction du jeu politique traditionnel en se jetant dans les bras de la démagogie du FN. De l’autre, une série de secteurs du peuple de gauche peuvent, par crainte d’un nouveau 21 avril, se laisser aller à la tentation du « vote utile ». Ce qui ne fait que conforter le besoin d’accélérer les rythmes de la mise en ordre de bataille du Front de gauche.

« La première échéance est, évidemment, celle des cantonales. Elles doivent, d’un même mouvement, permettre de sanctionner la droite et d’affirmer une offre mobilisatrice à gauche. Globalement, les dynamiques de terrain sont extrêmement positives. Mais apparaît l’impérieuse nécessité de donner un écho national à l’action de nos sections locales. Nous pourrions, par exemple, envisager une initiative nationale mettant en valeur nos 1600 candidates et candidats, à laquelle nous participerions tous les trois, Pierre, Jean-Luc et moi.

« Ensuite, nous devons avoir pour objectif de finaliser au plus vite le travail, déjà bien entamé, du « programme partagé ». J’insisterai, pour ce qui concerne Gauche unitaire, sur le souci de charpenter le texte en ponctuant chaque dimension abordée de deux mesures : l’une, affichant l’objectif de changer concrètement la vie du plus grand nombre ; l’autre, de transformation structurelle, inscrivant l’exigence immédiate dans sa cohérence globale.

« Dans la foulée, nous pensons que notre Front de gauche se doit de porter une proposition politique forte, dans le débat public et en direction de toute la gauche. Dans le contexte présent, l’aspiration au rassemblement pour battre la droite et l’extrême droite va se faire d’autant plus forte qu’elle est légitime. Sur sa politique d’accompagnement, plus ou moins affirmé, du libéralisme, le Parti socialiste ne peut lui apporter de réponse véritable. Il nous appartient donc d’être à l’offensive. Si nos trois composantes récusent toute idée d’alliance avec le PS sur la base de sa politique, elles n’entendent nullement se replier sur l’espace bien trop étroit de l’extrême gauche. Il est, par conséquent, indispensable que nous portions de concert une perspective de rassemblement à gauche, en vue d’une majorité et d’un gouvernement en rupture avec le capitalisme et le productivisme. Cette question doit, à notre sens, ressortir clairement du document fixant le cadre de notre accord pour la présidentielle et les législatives.

« Dernier objectif : la finalisation du dispositif pour 2012. Présidentielle et législatives devront être liées, nous l’avons tous dit, dans le cadre d’une campagne réellement collective, exprimant visiblement la diversité du Front de gauche, assurant à nos diverses formations une représentation et une répartition des moyens équilibrées dans la campagne des législatives.

« Je conclurai sur le calendrier. J’ai déjà évoqué la mise en visibilité du Front de gauche à l’occasion de la campagne des cantonales. Dans le cours même de cette dernière et à son issue, la bataille d’opinion que nous avons annoncée au forum de Nîmes, contre le « pacte de compétitivité » européen, doit se concrétiser de deux manières : la sortie d’un matériel national sensibilisant les citoyens à ce qui est une destruction programmée des systèmes sociaux et un étranglement de la souveraineté des peuples ; la tenue d’un grand meeting du Front de gauche, fin avril ou début mai.

« Il nous faut encore nous atteler à l’élargissement du Front de gauche : à travers la mise en place d’un cadre spécifique au travers duquel acteurs syndicaux et associatifs pourraient apporter leur expertise au travail programmatique engagé ; dans la structuration de collectifs de terrain, afin de permettre à celles et ceux qui n’appartiennent à aucune de nos formations de participer à notre rassemblement ; par l’ouverture aux forces qui s’y monteraient disposées, dès lors que l’accord aura pu être vérifié sur le programme et la démarche stratégique que nous proposons.

« Un dernier mot sur ce qui concerne très directement Gauche unitaire. Je vous confirme qu’après avoir fait état de notre préférence pour la présidentielle à l’occasion de notre congrès, nous trancherons définitivement sur l’ensemble du dispositif électoral pour 2012 au cours d’une conférence nationale qui se tiendra fin mai (et que préparera un conseil national, les 3 et 4 avril). C’est aussi un élément qui plaide, à nos yeux, pour l’accélération de nos rythmes de travail. »

Au terme de l’échange, nous aurons pu rendre publique, devant la presse, une série de décisions prises en commun : un meeting de soutien aux candidats du Front de gauche devrait se tenir, en région parisienne, dans la dernière ligne droite de la campagne des cantonales, nous mettant côte-à-côte Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon et moi-même ; un tract national devrait être prochainement édité sur le « pacte de compétitivité », avant que ne se tienne un grand meeting s’inscrivant dans la campagne du Parti de la gauche européenne en faveur d’un « fonds européen de développement social » ; sur la base du travail des groupes formés autour des textes en préparation, une nouvelle réunion des trois composantes et de leurs porte-parole devrait se dérouler le 31 mars. En d’autres termes, le débat avance bien et le Front de gauche se prépare à aborder des rendez-vous cruciaux…

Christian_Picquet

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