“Il est temps que le malheur succombe”

Ainsi Jean Ferrat chantait-il la France, celle qu’il aimait passionnément et dont il voulait qu’elle se libère des servitudes de l’exploitation et de l’oppression… C’était, me dira-t-on, une autre époque, un mouvement ouvrier puissant et un Parti communiste influent permettant au camp populaire de disposer d’un solide rapport de force pour résister aux empiètements répétés des possédants, de conquérir des droits régulièrement élargis, de peser sur le débat public, d’espérer en la transformation radicale de l’ordre en place. Le moment, évidemment, a changé, mais c’est à un authentique défi de civilisation que le peuple français, et plus largement l’humanité tout entière, se trouvent présentement confrontés. Je n’avais pas encore adressé mes voeux à celles et ceux qui me suivent ici, totalement pris par la rédaction du programme La France des Jours heureux, dont j’avais pour mission, avec les amis qui m’auront accompagné dans cette tâche exaltante, de permettre la publication avant le 24 janvier. Cet objectif atteint — je reviendrai dans quelques jours sur l’originalité de ce projet que porte Fabien Roussel —, je peux enfin reprendre la plume ici et formuler, à moins de trois mois du premier tour de l’élection présidentielle, un seul voeu : qu’en 2022, puisse de nouveau se faire entendre, avec le plus de puissance possible, une voix défendant sans faiblesse l’idée que le droit au bonheur est une promesse concrète et réaliste.

Certes, le fond de l’air se fait chaque jour plus frais. Avec la pandémie que nous subissons depuis maintenant deux années, sur fond de conditions d’existence aggravées par l’explosion des prix de l’énergie et des produits de première nécessité, dans un contexte international marqué par les surenchères entre puissances s’affrontant pour redéfinir leurs zones d’influence et les menaces de guerres qui en découlent, la peur s’est installée dans les esprits. Peur de l’avenir pour soi et les siens, peur d’une relégation sociale entretenue par l’arrogance d’élites possédantes prédatrices, peur de voir la France définitivement mutilée par sa désindustrialisation et affaiblie par ses pertes successives de souveraineté…

Comme toujours dans un semblable moment, les tendances au repli et les divisions morcellent le corps citoyen autant que le monde du travail. Les démagogues du nationalisme réactionnaire, les défenseurs fanatisés de la remise en ordre musclé du pays, les zélateurs de la pureté identitaire y trouvent l’occasion de dresser nos compatriotes les uns contre les autres, faisant de l’origine, de la couleur de peau ou de l’origine le discriminant de l’appartenance à la nation.

À GAUCHE, L’HEURE N’EST PAS AUX MANOEUVRES

La décomposition dans laquelle s’enfonce un large pan de la gauche et de l’écologie politique se révèle le principal carburant de droites ultras et d’extrêmes droites qui, l’histoire en fait foi, ne sont jamais aussi fortes que lorsqu’elles n‘ont plus d’adversaires à la hauteur. Les manoeuvres byzantines auxquelles aura donné lieu la « primaire » prétendument populaire en est la dernière — et pathétique — illustration. Plutôt que de se tourner vers le vaste monde du travail, qui représente la majorité écrasante d’une société comme la nôtre, plutôt que de chercher à répondre à ses attentes — de l’emploi et des salaires au devenir de la planète et aux questions de tranquillité publique dans les quartiers populaires —, les protagonistes de cette opération pratiquent l’entre-soi, au risque de faire perdre, à quiconque les suivrait, tout intérêt aux yeux des Français.

Disons-le sans détours, le risque est désormais grand que la séquence électorale du printemps prochain se dénoue sur la victoire d’un ou d’une postulante qui profitera de l’impuissance du camp progressiste pour pousser les feux de la casse sociale et des régressions démocratiques, dont la crise sanitaire en cours a largement démontré la malfaisance. Monsieur Macron, président en campagne sans s’être déclaré — ce qui lui permet de détourner sans vergogne l’argent public pour ne pas avoir à inscrire ses dépenses dans ses comptes électoraux — dévoile par petites touches un programme de retour à la baisse des dépenses publiques (donc d’affaiblissement supplémentaire des moyens de l’État), de liquidation définitive des 35 heures, d’augmentation de la durée de cotisations nécessaire pour accéder à une retraite à taux plein, de hausse des frais d’inscription à l’université doublée d’une accélération de la privatisation de cette dernière. Madame Pécresse dit, peu ou prou, la même chose, y ajoutant une saignée supplémentaire de nos services publics et des dispositions directement inspirées de la « priorité nationale » que défend l’extrême droite. Quant aux représentants de cette dernière, Madame Le Pen ou Monsieur Zemmour, leurs projets ont une commune finalité : démanteler la République, en dynamitant son principe cardinal d’égalité, qui veut que nul en France ne puisse être discriminé en raison de ses convictions religieuses, de ses origines ou de son handicap. 

LE DROIT AU BONHEUR EST UNE IDÉE NEUVE

Pour le dire autrement, à l’heure où la campagne va entrer dans sa phase décisive, l’hôte de l’Élysée cherche à droite les ressorts de son éventuelle réélection, la candidate des Républicains court derrière les thèmes nauséabonds mis en avant par l’extrême droite, et au sein de celle-ci la lutte s’annonce féroce pour savoir qui, in fine, détiendra les clés de la restructuration d’un bloc autoritaire, ultraconservateur et empreint de xénophobie.

Quoique les confrontations idéologiques se fussent droitisées comme jamais depuis la Libération, l’aspiration à la justice n’a pas été étouffée par la mise en compétition des individus. Nos concitoyennes et concitoyens peuvent bien, influencés par les discours qui dominent la sphère médiatique, manifesté de l’intérêt pour un « gouvernement d’experts », le surgissement d’un « homme fort », voire pour l’accession de l’armée à la tête de l’État (à en croire, du moins, l’enquête Cevipof-OpinionWay rendue publique par Le Figaro de ce 25 janvier), un majorité absolue d’entre eux n’en fait pas moins du pouvoir d’achat, des services publics ou des inégalités ses priorités. 

On ne se hasardera évidemment pas à dire, comme d’aucuns le faisaient au début des années 1970, quand la droite se pensait aux affaires pour trente ans faute d’alternative crédible face à elle, qu’une France de gauche voterait paradoxalement à l’inverse de ses aspirations. Ont malheureusement fait leur oeuvre des années de délitement social, de précarisation d’un très grand nombre de vies populaires du fait du chômage de masse et de salaires indignes, de désabusement démocratique face à des gouvernements déployant les mêmes orientations quelles que soient leurs couleurs affichées. Reste que la « lutte des races » et l’opposition de tous contre tous, que d’aucuns s’emploient à encourager avec constance, sont loin d’avoir supplanté la lutte des classes.

En pareil contexte, où domine la confusion, et où tout impose par conséquent de parler franc et clair, autrement dit de porter des projets ambitieux, l’heure à gauche n’est certainement ni de deviser sur les résultats d’une « primaire » taillée sur mesure pour une personnalité — en l’occurrence Christiane Taubira — ne proposant aucun programme digne de ce nom, ni de s’enfermer dans des divisions délétères. La présidentielle doit, au contraire, être l’occasion d’un débat loyal entre les visions en présence du devenir de la France. Car telle est la condition pour que celles et ceux qui ont intérêt à une rupture franche avec les logiques capitalistes, sans lesquels il n’existe pas de majorité politique envisageable, retrouvent confiance en l’action publique autant qu’en leurs capacités de changer le cours des choses. 

La campagne de Fabien Roussel se fixe ce dessein. Elle entend porter les couleurs d’une gauche qui se tourne de nouveau vers le peuple dans sa diversité, engager une refondation de la République afin de permettre au grand nombre de décider enfin du destin commun, ouvrir à nation la perspective de nouveaux Jours heureux, lui permettant de faire entendre sur le théâtre international une voix indépendante en faveur de la sécurité humaine et de la paix. Loin de se rétracter sur la seule aire d’influence communiste, elle entend rassembler largement toutes celles et tous ceux qui ne se résignent pas à la défaite politique, sociale et morale à laquelle ont conduit les compromissions social-libérales de certains. En portant des idées novatrices et en faisant bouger les lignes du débat, elle veut permettre à notre camp social et politique de se renforcer, de repartir à la conquête des esprits et des coeurs, de retrouver une adhésion majoritaire. 

Face à une droite de plus en plus décomplexée, pressée de nous faire subir un grand retour en arrière, il y a de toute urgence besoin d’une gauche qui rende coup pour coup. Une gauche sociale, républicaine, radicalement déterminée à bousculer les intérêts dominants. En donnant de la force à cette bataille décisive, il deviendra possible de commencer à bouleverser la donne. Le défi n’est pas uniquement électoral, il entend dessiner un nouvel horizon d’espoir pour le pays. Ou, comme le dit le poète, le malheur succombera, ou il resserrera son étreinte mortifère sur le quotidien de millions d’entre nous. C’est sur cet appel à repartir à l’offensive que je formule, pour chacune et chacun, mes souhaits de santé, réussite et bonheur.   

Christian_Picquet

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