Avec Jaurès, penser ensemble la paix et la défense

Voici 111 ans, le 31 juillet 1914, un extrémiste enivré de haine nationaliste assassinait Jean Jaurès, auquel il reprochait son inlassable combat pour la paix entre les nations européennes. Sans se hasarder à les assimiler, ce qui rapproche la situation d’alors de celle que nous connaissons est incontestablement le péril guerrier qui assombrit l’horizon. Il se trouve que, les 24 et 25 juin derniers, s’est tenu à La Haye un sommet de l’Otan rendu d’autant plus important que l’hôte de la Maison Blanche l’honorait de sa présence. C’est à cette occasion que, s’inclinant devant les injonctions de la citadelle impériale, qui entend faire financer par ses alliés sa politique de puissance et son leadership retrouvé, les pays membres de cette alliance ont décidé d’élever comme jamais leurs dépenses d’armement. Celles-ci devraient atteindre 3,5% de leurs produits intérieurs bruts d’ici 2028, effort auquel s’ajoute l’augmentation jusqu’à 1,5% des crédits affectés à la protection aux frontières, à la mobilité militaire ou à la cyber-sécurité. Ce qui représente 5% de leurs productions de richesses. S’agissant de la France, Emmanuel Macron n’a pas tardé à s’exécuter : à l’occasion du traditionnel discours présidentiel devant la haute hiérarchie militaire, le 13 juillet, il a annoncé que le budget militaire tricolore augmenterait de 3,5 milliards l’an prochain, avant de connaître une hausse de trois milliards en 2027, l’objectif étant d’atteindre les 3,5% du PIB en 2035. Ce qui alourdira d’autant la facture présentée, de son côté, par le Premier ministre, laquelle se traduirait, si du moins la réponse populaire n’était pas au rendez-vous, par des dizaines de milliards de sacrifices jusqu’en 2029 (avec un premier paquet de presque 44 milliards l’an prochain), pour réduire une dette que les cadeaux répétés de nos gouvernants au capital ont considérablement creusée (voir ma précédente note, qui y est consacrée). Au demeurant, bien avant l’alignement d’Emmanuel Macron sur les folles exigences de Donald Trump, deux lois de programmation militaire avaient déjà porté à 50,5 milliards d’euros les crédits militaires cette année, et il était prévu que cette enveloppe atteigne 67 milliards en 2030. À 3,5% du PIB, le budget général de la France se verra donc amputer de quelque 110 milliards, et même de 172 milliards pour tenir le cap militariste des 5%. Aux dires du haut-commissaire à la Stratégie et au Plan lui-même, cela représente l’équivalent de 10 points de TVA supplémentaires. À qui profitera cette gigantesque ponction ? D’abord aux marchands de mort d’outre-Atlantique, à l’image de l’avionneur Lockheed Martin qui se prépare à inonder l’Allemagne et les pays les plus atlantistes du Vieux Continent de ses chasseurs-bombardiers furtifs F-35. Au moins, de l’autre côté du Rhin, sans desserrer l’étau d’une politique pénalisant durement les catégories populaires, le pouvoir de M. Merz prévoit-il un gigantesque plan d’investissements dans les secteurs stratégiquement clés de l’économie allemande. Rien de tel pour les autres pays de l’Union européenne, à commencer par la France, où la dynamique délétère de l’« économie de guerre », couplée aux amputations massives de la dépense publique comme à l’alourdissement de la fiscalité pesant sur les populations en difficulté, seront, selon tous les économistes sérieux, inévitablement synonymes de ralentissement économique, voire de récession, c’est-à-dire de montée du chômage, de dégradation massive des conditions d’existence du plus grand nombre, de casse des services publics, d’aggravation de la précarité et des inégalités. Pire, cette logique entraînera la France dans une perte aggravée de sa souveraineté, les armées du Pacte atlantique étant, dans le cadre des exigences trumpistes, ramenées au rôle de suppléantes de la stratégie nord-américaine sur le globe, dans des projections militaires extérieures tournant le dos aux besoins de défense des différentes nations. Celles et ceux qui, à gauche, se gargarisent d’appels à préparer un conflit majeur avec la Russie, devraient au plus vite se réveiller. La vieille prophétie jauressienne retrouve toute sa pertinence : le combat pour la paix n’est certainement pas un supplément d’âme, il est tout à la fois une visée de civilisation et la condition du progrès humain. Tout en permettant à une France redevenue indépendante de l’Otan de se doter des moyens indispensables à sa défense propre, ce refus de la course mortifère à l’apocalypse répond, simplement, à l’intérêt général. À l’automne 2024, j’avais eu l’occasion de revenir, devant l’université d’automne de la fédération de Haute-Garonne du Parti communiste français, sur la manière particulièrement originale dont Jaurès liait sa conception de la défense nationale à la recherche d’une paix universelle. En hommage au grand tribun, je reproduis ici ma communication lors de cette rencontre.

« Chaque année, à Toulouse, nous revenons sur les principaux apports de la pensée de Jaurès, à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de cette grande figure du mouvement ouvrier français. L’an passé, nous avions ainsi évoqué ses contributions au combat pour la paix et sa réflexion sur la question européenne. Aujourd’hui, pour cette université d’automne, nous avons décidé de nous arrêter sur cet apport majeur que représente l’une de ses principales oeuvres, L’Armée nouvelle, publiée en 1911.

« Dans ce texte, Jaurès pose les problèmes liés de la guerre, de la paix, de la défense nationale, du droit international et du droit des peuples, de l’indépendance des nations et de la souveraineté de leurs citoyens et citoyennes. Ces problèmes sont, évidemment, d’une actualité brûlante aujourd’hui, dès lors qu’on les rapporte à un contexte international en plein bouleversement ou à la situation de crise aiguë que connaît la France.

GUERRES ET CRISES DU CAPITALISME

« Au plan international, les tensions que nous voyons à l’oeuvre, et qui ne cessent de s’intensifier, ne sont pas sans similitudes avec celles qui caractérisaient l’Europe entre la fin du XIX° siècle et le déclenchement de la Première Guerre mondiale. La configuration de ce que certains historiens ont baptisé ‘’ première mondialisation ’’ se traduisait alors par l’intensification des concurrences entre impérialismes rivaux, le déchaînement des compétitions entre conglomérats industriels et financiers, des confrontations et guerres régionalisées, sans parler des entreprises coloniales destinées à redéfinir les rapports de force mondiaux, ou encore de l’expansion des nationalismes et des chauvinismes belliqueux. C’est ce bouleversement de l’ordre du monde qui amena Lénine à désigner l’impérialisme comme ‘’ le stade suprême du capitalisme ‘’, et qui finit par accoucher de la boucherie du premier conflit mondial.

« Nous n’entrons naturellement pas dans un moment où, à l’instar de 1914, nous serions immédiatement au bord de la guerre. Toutefois, un capitalisme financiarisé et globalisé comme jamais affronte une crise majeure, engendrant une situation où se redéfinissent à chaud les rapports de force entre puissances et multinationales, où la citadelle impérialiste qu’incarnent les États-Unis est en voie de perdre son leadership et se prépare à la guerre pour sauver celui-ci — la National Defense Strategy parle par exemple de gagner une guerre tout en se préparant à dissuader un autre adversaire —, où chaque guerre régionalisée voit s’engager grandes ou moyennes puissances cherchant à faire progresser leurs intérêts (on le voit aussi bien au Proche-Orient qu’en Arménie ou en Afrique), où la course aux armements s’accélère comme jamais depuis 1945…

« L’élection présidentielle américaine vient, dans ce contexte, de nous précipiter dans une amplification impressionnante des tensions et dans l’accélération des reclassements. Les secteurs dominants du capital — ceux notamment qui se trouvent engagés dans la révolution informationnelle symbolisée par Elon Musk, leurs intérêts s’étendant jusqu’aux secteurs relevant de la sécurité nationale outre-Atlantique — ont fait de Donald Trump l’instrument de la préservation de la domination américaine au sein d’un ordre planétaire devenu multipolaire. Ils sont parvenus à leurs fins en réussissant à balayer ce qui tient lieu de gauche de l’autre côté de l’océan, et à s’assurer du soutien d’une majorité populaire en travestissant la politique de régression brutale qui a leurs faveurs en promesse de protection de ‘’ l’Amérique oubliée ‘’.

« Si l’on regarde de près le programme trumpiste, la fameuse plate-forme de Milwaukee, on voit donc se dessiner, sur fond de dégradation considérable des conditions d’existence du monde du travail et des catégories populaires, une guerre pour la captation de l’épargne mondiale, une guerre commerciale féroce, une guerre sociale contre l’emploi et les salaires qui en sera l’immédiate traduction, une guerre climatique que symbolise l’annonce de la sortie américaine de l’accord de Paris. Cela dessine possiblement le chemin de la guerre… tout court.

SOUMISSION OU INDÉPENDANCE ?

« Cette formidable accélération des événements confronte la France et l’Union européenne à des choix déterminants autant qu’incontournables : soit la soumission aux exigences impériales de Washington et le consentement à un déclin national irréversible aux dimensions entremêlées sur les plans économique, industriel, démocratique ou culturel ; soit le redressement, par l’indépendance politique et diplomatique recouvrée de la France, autant que grâce à ce que l’on nomme parfois ‘’ l’autonomie stratégique ‘’ de l’Europe.

« Il est important de mesurer à quel point cet enjeu surdétermine la crise française dans ses différentes dimensions : politique, sociale, institutionnelle. La profondeur de cette dernière vient du fait que ce sont les formes et le mode de domination de la bourgeoisie eux-mêmes qui se trouvent affectés. Le capitalisme français se voit, à présent, posé la question de ses marges de manoeuvre et de la défense de ses intérêts propres dans le contexte, que je viens d’évoquer, de redéfinition des relations internationales et de fragmentation de la mondialisation néolibérale. Parce que la classe dirigeante est d’évidence dépourvue de réponses à même d’unifier ses différentes composantes, la crise est devenue globale et n’épargne plus aucun secteur. Elle impacte jusqu’à la défense du pays, jusqu’aux choix de sa diplomatie et jusqu’à ses forces armées. Avec d’autant plus de violence que ce processus va de pair avec une désindustrialisation continue de la nation, qui n’a pas épargné le secteur de la défense depuis des années.

« L’armée française est devenue, au fil du temps, une simple pièce de l’Otan. Et elle a été, avec la disparition de la conscription sous les mandats de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, ramenée à une force de projection extérieure s’intégrant au dispositif et à la stratégie des États-Unis. Elle n’incarne dès lors plus la souveraineté de la France en matière de défense. Ce à quoi il faut ajouter que l’aggravation de la marche au fédéralisme européen a vu la puissance dominante de l’Union, l’Allemagne, mettre en débat le passage de la dissuasion française sous l’autorité de cette dernière, et même le maintien du siège de la France au Conseil de sécurité. On ne peut comprendre les positions erratiques du pouvoir macronien en ces domaines, sans les rapporter à ces enjeux fondamentaux, face auxquels lui et les partis qui le soutiennent se montrent incapables d’affirmer un projet cohérent.

LA MÉTHODE JAURÈS

« La méthode jauressienne pour opposer une perspective de paix à la montée des enchères guerrières, comme pour imaginer une nouvelle conception de la défense et de l’armée, n’en prend que plus d’actualité. Elle repose, en effet, et schématiquement, sur trois piliers.

« Le premier d’entre eux, est la bataille pour la paix, conçue comme construction politique et visée civilisationnelle. On ne le redira jamais suffisamment, Jaurès n’était pas un pacifiste à la manière des tenants du ‘’ pacifisme intégral ‘’ de l’entre-deux guerres, dont beaucoup finirent dans la collaboration comme on le sait. Il considérait simplement que la guerre de conquête et de soumission des peuples était contraire aux principes de l’émancipation humaine portés par le mouvement socialiste.

« Il défendait, à cette fin, ce qu’il désignait comme une ‘’ méthode de défensive totale ‘’, dont il considérait qu’elle était la seule à pouvoir libérer, dans le cours même de l’épreuve des armes si celle-ci devait intervenir du fait de menaces pesant sur le pays, ce qu’il nommait les ‘’ forces morales ‘’ aptes à vaincre les forces de l’oppression. Il écrivait ainsi, s’inspirant manifestement du souvenir de Valmy : ‘’ C’est seulement par la méthode de la défensive totale, bientôt muée en offensive incoercible, que toutes les énergies de la France peuvent être mises en oeuvre pour son salut.’’ À son époque autant que de nos jours, cette approche s’oppose à deux tendances existantes, au sein du mouvement ouvrier d’alors autant que dans la gauche d’aujourd’hui : celle qui, enfermée dans une conception gauchiste et minorisante, rejette toute idée de défense de la nation si elle est confrontée à une agression extérieure ; et celle qui, au contraire, estime que pour aboutir à la paix, il faut préparer la guerre, quitte à engager les forces progressistes dans la dynamique fatale d’escalades se dénouant généralement dans le fracas des armes.

« Deuxième pilier de la réflexion jauressienne : une conception de la défense reposant sur le peuple en armes. Jaurès écrivait, en ce sens : ‘’ Il n’y a de défense nationale que si la nation y participe de son esprit et de son coeur. ‘’ Des mots qui s’opposent, là encore, aux deux conceptions qui s’affrontaient déjà à son époque : d’une part, celle de l’armée d’embrigadement, reposant sur un encasernement oppressif contrôlé par une hiérarchie qui voulait la préparer à s’engager contre les intérêts supérieurs de la nation et du prolétariat, l’un et l’autre étant à ses yeux étroitement liés ; d’autre part, celle de la professionnalisation, le leader socialiste estimant qu’elle amenait l’armée à la rupture avec le peuple et à des aventures extérieures dangereuses.

« De là découlait, inspirée de l’exemple du « citoyen-soldat » de l’An II, la proposition de mobilisation de tous les hommes valides de 20 à 34 ans, encadrés par des officiers aux pouvoirs limités, et dont la formation devait être assurée, non par les écoles militaires ayant d’abord pour fonction de structurer une caste militaire séparée du peuple, mais par des ‘’ sections militaires ‘’ intégrées aux universités et ouvertes aux meilleurs éléments du prolétariat. Jaurès préconisait dès lors six mois de formation initiale pour les recrues, puis une succession de ‘’ périodes ‘’ de mobilisation.

« Le troisième pilier introduisait une clarification essentielle au sein du mouvement socialiste de l’époque : sur la nation. Contrairement aux syndicalistes-révolutionnaires alors dominants dans la CGT, et à la gauche antimilitariste — la figure marquante de cette dernière étant Gustave Hervé, lequel achèvera son parcours dans « l’union sacrée » au lendemain d’août 1914 —, Jaurès considérait que la nation, parce que conçue comme une communauté de citoyens (que ne doivent distinguer ni leurs origines, ni leurs religions, ni leurs couleurs de peau), était l’un des principaux héritages de la Révolution française. Pour cette raison, elle ne devait à aucun prix être laissée à la bourgeoisie et aux forces réactionnaires. Il écrivait donc : ‘’ Jamais un prolétariat qui aura refusé de défendre, avec l’indépendance nationale, la liberté de son propre développement, n’aura la vigueur d’abattre le capitalisme. ‘’

NOTRE CONTINUITÉ COMMUNISTE

« Cette conviction aura constitué l’une des dimensions de l’identité communiste, des années 1930 à nos jours. Ce que Louis Baillot, en charge des dossiers de défense et de sécurité à la direction du PCF dans les années 1970, justifiait de cette manière dans l’introduction qu’il signait de l’édition de 1978 de L’Armée nouvelle : ‘’ Laisser au capital le monopole de la notion de patrie et de défense, faire apparaître le prolétariat comme opposé à toute idée de patrie, c’était favoriser l’isolement des forces socialistes à travers le pays ; c’était favoriser la poursuite d’une politique contraire à l’intérêt démocratique et national. Il fallait montrer aux prolétaires que la notion de patrie non seulement ne leur était pas étrangère, mais qu’en réalité c’était au prolétariat, classe d’avenir, qu’incombait la défense de la patrie, c’était lui qui était porteur de l’avenir national. ‘’

En écrivant cela, Louis Baillot mettait l’accent sur deux considérations stratégiques fondamentales. En premier lieu, celle qui veut que la bataille de la paix n’est gagnable que si le mouvement ouvrier en devient la force motrice, à l’échelle des nations comme du monde. C’est cette bataille, ayant mobilisé Jaurès pendant la presque-totalité de son activité jusqu’à sa mort, qui fut finalement perdue, permettant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. En second lieu, celle qui n’oppose pas, mais au contraire articule, la défense de l’indépendance nationale et l’internationalisme. Avec une très grande finesse, Jaurès affirmait : ‘’ C’est dans l’Internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’Internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. ‘’

« Voilà qui me conduit à ma conclusion. Comme le reste de la gauche, notre parti n’a sans doute pas su faire pleinement vivre cet héritage depuis la fin du siècle dernier. Soit que notre réflexion ait été emportée par l’européisme que le social-libéralisme a fait souffler sur notre camp, l’un de ses fondements consistant à décréter à la fois le dépassement des nations et la subordination à l’atlantisme. Soit que nous ayons cédé à un internationalisme abstrait, mâtiné de gauchisme, substituant une posture protestataire à la définition d’un programme et d’une stratégie visant à conquérir le pouvoir.

« Il n’est pas inutile, ici, de rappeler la manière dont Georges Marchais, dans son ouvrage Le Défi démocratique, reposait en 1973 les termes de cette problématique, alors que la gauche venait de s’accorder sur les termes d’un programme destiné à lui permettre de conquérir une majorité populaire : ‘’ L’intérêt de notre peuple, l’intérêt du pays et aussi l’intérêt de la paix, c’est que la France dispose de sa pleine liberté. Assurer la sécurité de la nation est en effet pour nous un impératif pour la simple raison que notre peuple doit être en mesure de réaliser les objectifs démocratiques et socialistes qu’il se sera donnés, de choisir les voies et les moyens qui lui conviennent pour cela, sans que cet effort soit mis en cause par quelque ingérence, pression ou représailles étrangères que ce soit. Il faut donc que la France démocratique ait une politique de défense nationale. Ce que nous voulons, c’est qu’il s’agisse bien d’une politique qui ne soit plus un instrument de la stratégie mondiale de l’impérialisme — ni l’ultime recours envisagé par la grande bourgeoisie pour tenter de sauvegarder sa domination et affronter la masse active de notre peuple, traité en ennemi potentiel — mais d’une politique qui soit authentiquement et exclusivement de défense de la nation. Son objectif unique doit donc être de défendre le territoire français contre tout agresseur éventuel quel qu’il soit. Un gouvernement démocratique, comme l’indique le Programme commun de la gauche, fournira à l’armée, liée à la nation, et fondée sur le service militaire à court terme, tous les moyens efficaces pour assumer pleinement cette tâche. Loin de vouloir ‘’ casser l’armée ‘’, comme le prétendent nos adversaires, nous voulons donner à la nation l’armée dont elle a besoin et pour cela assurer à celle-ci les missions, les structures, les armements, les conditions d’activité qui lui permettent de sortir de l’emprise où la politique actuelle du pouvoir la pousse. ‘’ Chacun comprendra que ce rappel n’équivaut pas, dans ma bouche, à un argument d’autorité, il entend simplement contribuer à renouer les fils de la mémoire plus que jamais indispensable des réflexions ayant irrigué l’action de notre camp social et politique au siècle dernier.

« En 2024, nous devons être capables de poser, dans le débat public, quelques questions essentielles : la conception d’une armée nationale, intégrant les nouveaux défis que sont l’intelligence artificielle, le numérique et le quantique ; le besoin d’une armée retissant son lien avec le peuple, grâce à une forme de service national intégrant jeunes hommes et jeunes femmes, même si l’on ne peut imaginer le retour des formes de la conscription d’antan (ce qui se passe en Ukraine depuis 2022 illustre les problèmes que soulève l’armée de métier) ; la dissuasion conventionnelle mais aussi nucléaire ; l’actualisation des doctrines militaires et le renouvellement des équipements à la chaleur des expériences acquises tant au Sahel qu’à travers l’action de la France à propos de la guerre d’Ukraine ; le contenu des formations dans le cadre d’un service national renouvelé ; la nécessité d’une France fidèle à son histoire et donc toujours tournée vers l’universel, l’expérience démontrant que son poids est directement lié à sa capacité d’être indépendante dans tous les domaines. »

Sur l’ensemble du globe, jamais les dépenses militaires n’ont atteint pareils sommets depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Elles représentent 997 milliards de dollars pour les États-Unis, 314 milliards pour la Chine, 149 milliards pour la Russie, les armées les plus puissantes de l’Alliance atlantique totalisant pour leur part 311 milliards. Ce qui, soit dit en passant, réduit à néant le mythe du danger « existentiel » que représenterait l’impérialisme russe pour le camp « occidental ». Au demeurant, si l’on ajoute à ces chiffres que notre pays dispose des forces armées les plus puissantes de l’Union européenne, qu’il est le deuxième exportateur mondial d’armements, et que ses entreprises produisant pour le secteur militaire totalisaient en 2023 quelque 25,6 milliards de dollars de recettes, chacune et chacun conviendra que la planète est loin d’être démunie dans sa capacité à se détruire plusieurs fois. On sait que, dans l’histoire, une semblable course aux armements a le plus souvent mené l’humanité au désastre. Ce n’est donc pas faire preuve d’un « pacifisme » aveugle aux tentations expansionnistes et hégémonistes que la crise présente du capitalisme globalisé fait surgir un peu partout, que d’en appeler à l’intervention des États démocratiques et, surtout, aux mobilisations citoyennes afin de conjurer l’irréparable. C’est même, lorsque l’on est de gauche, un devoir que de chercher à dissiper les illusions mortifères en la toute-puissance des armes. Syndicaliste allemande de la DGB, Ulrike Eifler est l’une des initiatrices d’un appel dans son propre pays : « Syndicalistes contre le surarmement et la guerre, soyons prêts à la paix pas à la guerre. » Son approche témoigne du fait que la conviction que Jaurès s’efforçait de faire partager, par-delà les frontières, aux forces socialistes de son temps est loin d’être morte : « Il ne nous faut pas ‘’être prêts à la guerre’’ comme le disent les dirigeants de la coalition gouvernementale CDU-SPD qui se dessine sous l’autorité de Friedrich Merz. Nous, syndicalistes,savons qu’il ne peut y avoir d’avenir qu’avec la paix, le désarmement, le contrôle et la limitation des armes, des négociations et une recherche de solutions pacifiques aux conflits » (L’Humanité, 16 avril 2025). Il est vrai que l’expérience humaine atteste, jusque dans les tragédies qui l’ont émaillée, que c’est dans la diplomatie que les peuples peuvent trouver le chemin de leurs coopérations solidaires. Ce qui ne saurait naturellement amener à oublier que diplomatie et ententes internationales des êtres humains sont confortées lorsque chaque nation privilégie sa propre défense — et accorde, par conséquent, toute son importance à ses nécessités —, plutôt que les aventures extérieures et les logiques de puissance. C’est là que la réflexion jauressienne nous est toujours aussi précieuse pour réfléchir au présent…


Christian_Picquet

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