Les Régions au défi du sarkozysme et de l’austérité
Je me prépare à siéger, ce lundi, à l’Assemblée plénière du Conseil régional de Midi-Pyrénées. C’est l’occasion, pour moi, d’aborder un dossier que le mouvement sur les retraites a quelque peu occulté, bien qu’il confronte la gauche tout entière à un sacré défi puisqu’il en va des retombées de l’austérité sarkozyenne sur une grande partie de nos concitoyens. Je veux évidemment parler de la prétendue réforme des collectivités territoriales. Il se trouve qu’avant de participer aux instances de la Région qui m’a élu en mars dernier, et d’y travailler sur l’une des dimensions qui sous-tend cette attaque de la droite, à savoir la souveraineté des institutions locales sur leurs budgets, j’ai suivi les travaux du congrès de l’Association des Régions de France et que ces questions liées entre elles se trouvaient au cœur des préoccupations des participants.
L’avant-veille de ce congrès de l’ARF, s’était déroulée la commission mixte paritaire regroupant des sénateurs et des députés dans le but d’harmoniser le texte législatif sorti des deux Assemblées et instituant une nouvelle architecture institutionnelle de la République. Au terme des turbulences ayant fortement agité la majorité de droite, ce que l’on nous présente comme un « compromis » sorti de cette réunion aura, en réalité, marqué une « fin de récré » sifflée par le président de la République. Sans doute, ce dernier aura-t-il feint de reculer sur la « clause de compétence générale », dont la révision se trouve renvoyée au 1er janvier 2015. Il n’en aura pas moins obtenu satisfaction sur l’objet essentiel de sa loi : l’institution d’un conseiller territorial à partir de 2014, en lieu et place du conseiller régional et du conseiller général, sur la base d’un mode de scrutin qui amenuisera l’influence des courants se plaçant hors d’un fonctionnement bipartisan et, surtout, qui liquidera purement et simplement le principe de parité entre hommes et femmes.
Un détricotage méthodique
Il faut bien en mesurer toute la portée : c’est à une régression sociale et démocratique, au « détricotage » méthodique des principes républicains les plus fondamentaux, que nous assistons. Par la double entrée de la réorganisation des Assemblées communales, départementales ou régionales, et d’un changement brutal des règles fiscales en vigueur, la révolution conservatrice de M. Sarkozy se poursuit et s’accélère. Elle prolonge, au plan de la représentation politique, l’entreprise de liquidation de cette « exception française » née de la Grande Révolution comme de deux siècles de combats sociaux et progressistes, qui met actuellement des millions d’hommes et de femmes dans les rues de notre Hexagone.
Résumons. À travers la recentralisation autoritaire des pouvoirs, le renvoi aux collectivités de pans entiers de compétences relevant logiquement de l’État, l’organisation simultanée de l’asphyxie budgétaire de celles-ci au moyen de l’assèchement de leurs recettes (les conseils régionaux ne conservent plus, en l’état, que la maîtrise plafonnée de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, cette fameuse TIPP dont la charge pèse principalement sur les plus pauvres), on poursuit un triple objectif : priver les institutions locales de toute autonomie financière, donc de tout pouvoir de décision véritable sur leur gestion ; les placer sous la pression d’un État relayant le dogme libéral, afin de les contraindre à agir dans les clous de budgets en peau de chagrin et à sacrifier du même coup une série des besoins sociaux auxquels il leur revenait jusqu’alors de répondre ; éloigner du même coup encore plus les citoyens des lieux de décision.
La gauche face à ses responsabilités
Voilà qui place réellement la gauche devant ses responsabilités. Il se trouve en effet qu’elle est majoritaire dans 20 Régions sur 22, dans 58 départements sur 102, dans trois villes de plus de 10 000 habitants sur quatre. Si elle s’incline devant la volonté d’un pouvoir aujourd’hui rejeté par l’immense majorité de la population, elle se piègera en quelque sorte d’elle-même, en n’apparaissant pas porteuse d’un choix réellement différent de l’action gouvernementale, ce dont la droite escompte bien que les citoyens le lui feront payer lors des prochains rendez-vous électoraux ; elle risque donc de s’affaiblir gravement à l’instant où l’urgence commanderait de prendre tous les moyens de battre ce régime et d’en débarrasser la France au plus tôt. À l’inverse, si elle profite du soulèvement populaire des dernières semaines, si elle se porte aux avant-postes de la résistance aux logiques néolibérales, si elle fait des collectivités qu’elle dirige des leviers pour la contre-offensive qui vient de débuter avec la mobilisation sur les retraites, si elle mobilise à cette fin ses mandants en les saisissant des enjeux soulevés par les assauts de l’UMP, elle peut s’inscrire dans une dynamique gagnante. Gagnante immédiatement, car le sarkozysme, affaibli comme il l’est, n’aurait guère les moyens de triompher de la rébellion concertée de la majorité des institutions locales. Gagnante à terme, car les victoires politiques de demain se jouent aujourd’hui.
Autrement dit, comme le soulignait le document distribué par les conseillers régionaux de Gauche unitaire aux congressistes de l’ARF, lorsque l’on est à gauche,” « on a le devoir de désobéir, de contraindre le pouvoir sarkozyste à battre en retraite »”. L’Association nationale des élus communistes et républicains, dont je suis devenu membre il y a quelques semaines dans le cadre de la démarche collectivement décidée par les élus de Gauche unitaire, a exprimé le même souci : ”« Dans les Régions, il est plus que jamais nécessaire d’associer la population aux politiques régionales en renforçant la démocratie active et participative, en associant les citoyens aux prises de décision et à leur mise en œuvre. (…) Nous appelons les forces progressistes à s’engager à faire échec à ce projet, à l’abroger en 2012. Sans attendre, ensemble, les 21 Régions de gauche rassemblées au sein de l’ARF doivent et peuvent constituer un pôle de résistance et d’action en proposant des initiatives fortes pour mettre en échec la politique néfaste du président de la République, de son gouvernement et de sa majorité. »”
À ce stade, le débat n’est pas conclu. Du congrès de l’ARF, sont sorties des déclarations verbales dont on ne peut que partager les louables intentions. Mais on sera demeuré d’autant plus loin des concrétisations nécessaires, qu’hormis les présidents de Régions, les élus n’auront pas eu leur mot à dire sur les conclusions de ces assises. Les échanges vont se poursuivre dans les prochaines semaines au sein de chacun des conseils où nous siégeons et agissons. C’est pour les éclairer que je publie ci-dessous de larges extraits de la lettre que le groupe du Front de gauche (PCF, PG et GU) au conseil régional de Midi-Pyrénées vient d’adresser au président de notre Assemblée, Martin Malvy.
L’adresse du Front de gauche de Midi-Pyrénées
« La mobilisation actuelle, exceptionnelle, sur la question des retraites constitue un point d’appui essentiel pour amplifier la riposte face à cette loi régressive, et ouvre une brèche pour d’autres luttes sociales. (…)
« Dans les actes, comme nous nous sommes engagés à le faire lors de la campagne des élections régionales, notre Région doit entrer en résistance face aux diktats de la droite et être un appui pour la contre-offensive du monde du travail, de la jeunesse.
« L’élaboration du budget 2011 nous confronte à la nécessaire réflexion sur la mise en œuvre de cet engagement. La gauche dirigeant aujourd’hui 21 régions sur 22, nous avons la responsabilité mais également les moyens, dans l’élaboration de ce budget, de passer outre le cadre imposé par le pouvoir.
« Le groupe du Front de gauche est, évidemment, très conscient du corset dans lequel le gouvernement entend enfermer notre discussion budgétaire. Conscient du fait que les collectivités territoriales seront bientôt complètement asphyxiées; que l’encadrement de leurs financements consacrera la disparition de nombreux dispositifs sociaux, consécutive à la forte réduction des moyens qui leur sont alloués. Conscient que la suppression de la taxe professionnelle, si elle n’est pas visible dès 2011, signifiera par la suite la disparition de 50 % de l’autonomie fiscale des collectivités. Conscient encore qu’avec la perte programmée de la clause de compétence générale, la volonté affichée par la droite est bien de transformer les collectivités locales en relais des réformes gouvernementales. Conscient enfin que c’est à une recentralisation autoritaire des pouvoirs à laquelle nous assisterons alors, niant l’esprit même de la décentralisation, initiée pour rapprocher les citoyens des lieux de décision et de mise en place des politiques publiques, développer des espaces de souveraineté populaire.
« Nous ne pouvons pas accepter une pareille régression sociale et démocratique. Et l’adoption, le 28 septembre dernier, en deuxième lecture, du projet de loi sur les collectivités territoriales ne fait que renforcer cette conviction.
« Ne tenant même pas compte des amendements du Sénat, il va à l’encontre du maillage communal de notre pays, de l’autonomie institutionnelle et fiscale de nos collectivités territoriales et du principe de libre administration.
« De fait il impose une fusion réorganisant les collectivités, limite leur compétence générale et les regroupe dans des structures uniformes. De plus en diminuant le nombre d’élus, ce projet veut les éloigner des citoyens et restreindre la démocratie.
« En application de la révision générale des politiques publiques, il pousse à son paroxysme la destruction de nos services publics !
« Il marque une véritable régression dans la recherche de l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités électives. L’Observatoire pour la parité estime ainsi qu’avec le mode de scrutin uninominal à deux tours que, la part des femmes dans les institutions régionales devrait être ramenée de 47 % à 19 %. Comparée à la parité que nous vivons aujourd’hui dans notre assemblée, on peut mesurer l’ampleur de la régression !
« A cela il faut ajouter encore la remise en cause évidente du pluralisme dans les Assemblées élues et celle d’une démocratie de proximité.
« Cette véritable contre-réforme tourne le dos à toute politique territoriale solidaire, citoyenne et écologique. Elle va à l’encontre des principes qui scellent notre engagement militant. Elle cherche à nous contraindre d’appliquer une politique en tout point contraire au contrat qui nous lie à nos concitoyens. Elle vise à affaiblir le combat que nous avons le devoir de mener pour débarrasser au plus vite notre pays d’une droite au service exclusif des plus puissants.
« Dans ce contexte, l’élaboration et l’adoption du budget 2011 constituera un moment structurant de la vie du Conseil régional.
« Étant le premier acte majeur de la nouvelle majorité régionale, il traduira, aux yeux des Midi-Pyrénéens, l’ambition et le sens que nous entendons donner à notre mandat.
« Pour le groupe du Front de gauche, ce budget doit révéler l’engagement politique et public fort de notre majorité. Qui exprime tout à la fois notre refus de la logique destructrice dans laquelle le pouvoir UMP entend nous faire entrer. Qui use de tous les leviers à notre disposition pour contraindre au recul un gouvernement affaibli et discrédité. Qui en appelle à une riposte commune de l’ensemble des Régions dont les électeurs et les électrices ont confié la direction à la gauche.
« Commencer à engager des arbitrages budgétaires anticipant la pénurie, ne nous apparaît pas la bonne solution. Cela ne peut que nous lier les mains pour l’avenir, nous amener à nous soumettre toujours davantage aux diktats du gouvernement. Au risque de démobiliser et décourager celles et ceux qui nous ont, au mois de mars, donné avec éclat le mandat d’agir et diriger à gauche notre Région.
« Nous ne pouvons pas, sans engager une mobilisation forte pour exiger des ressources supplémentaires (versement transport généralisé, dotations indexées sur le coût réel des charges, remboursement des sommes non compensées dans le transfert de compétences …) construire un budget en régression sur les années précédentes.
« Il nous faut, au contraire, nous tourner vers nos concitoyens, pour les informer de la situation et leur donner les moyens d’en être acteurs.
« Le gouvernement peut encore bouger si la riposte commune des Régions s’organise. La Région Midi-Pyrénées et sa majorité sortiront renforcées d’un débat public et transparent.
« C’est à la population mobilisée de se saisir des obstacles que nous rencontrons, de débattre de ce que doivent être nos priorités, de construire avec nous le rapport de force propre à nous permettre d’affronter le pouvoir central et de le faire reculer.
« Nous construirons ainsi un budget dont l’orientation politique permettra d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre, car en adéquation avec les besoins sociaux exprimés !
« Nous le répétons : la démarche de notre majorité aura d’autant plus de force qu’elle ne sera pas le fait d’une Région isolée, mais sera partagée par l’ensemble des Régions dirigées par la gauche, et au-delà par l’ensemble des collectivités qui partagent le souci de faire prévaloir la défense de l’intérêt général et des principes de la République sur la voracité d’une poignée d’actionnaires et d’affairistes au service desquels s’est placé le gouvernement de Nicolas Sarkozy.
« Pour l’heure la discussion ne fait que commencer. Rien ne nous oblige à la précipiter.
« Pour notre groupe, repousser le vote du budget 2011 à février ou mars nous permettra de construire une forte implication populaire, nourrie d’une démarche démocratique et participative, qui peut seule définir les « arêtes » d’un vrai budget régional de gauche 2011, combatif et ambitieux, au service de la population de Midi-Pyrénées. »
J’ajoute, ce sera la conclusion de cette note, que la discussion qui va maintenant traverser les Conseils régionaux et, plus généralement, l’ensemble des Assemblées locales, doit s’accompagner de la mise à contribution des associations, des organisations syndicales, des collectifs militants, des acteurs culturels, des citoyens. À eux d’ailleurs, sans attendre même de se voir sollicités, de s’emparer d’une question qui les concerne au premier chef parce qu’elle aura nécessairement des retombées majeures sur les populations, d’apporter aux élus l’appui de leur expertise, de soutenir ces derniers dans leurs efforts pour faire triompher le bien commun. À ce niveau également, une partie essentielle se joue…